THOMAS Charles, Léon, Emmanuel [pseudonymes dans la Résistance Carrère, Chaldéen, Nestor]

Par Jean-Marie Guillon

Né le 24 juillet 1910 au Havre (Seine-Inférieure/Seine-Maritime), disparu en mission vers le 17 avril 1945 dans le région de Salzbourg (Autriche) ; opérateur radio électricien Marine marchande, puis armée de l’Air ; Section Atterrissages et parachutages (SAP).

Fils de Charles Thomas, maître d’hôtel, et de Catherine Guyard, sans profession, célibataire, ce Havrais a travaillé d’abord comme radiotélégraphiste dans la Marine marchande, puis est entré comme radio-opérateur dans l’armée de l’Air. Il fut affecté à la base d’Antibes (Alpes-Maritimes) en 1937. Il fut mobilisé le 2 septembre 1939 dans le 509e régiment de chars de combat. Il se trouvait à Vannes (Morbihan) le 3 mai 1940 et c’est non loin de là, à Auray, qu’il fut fait prisonnier le 26 juin 1940. Il passa sa captivité au stalag XS dans des conditions dont il écrira qu’elles n’étaient pas mauvaises, tout en précisant qu’il fit là deux expériences - se contenter de peu et supporter des épreuves mieux que d’autres - qui lui serviront dans la Résistance. Malade, il fut rapatrié en France et démobilisé à Lyon (Rhône) le 6 octobre 1941. Il reprit alors son travail à Antibes. Bien qu’il soit revenu d’Allemagne « sans trop d’amertume » et considérant la collaboration possible « et même souhaitable », il prit vite conscience que « l’action allemande ne visait qu’à absorber ou détruire tout ce qui faisait la valeur de la Nation française » et décida de lutter jusqu’à ce que « l’envahisseur soit, non seulement chassé du sol national, mais aussi complètement anéanti chez lui et mis pour toujours hors d’état de recommencer ». Ces citations sont extraites de sa dernière lettre. Dans celle-ci, il indique qu’il prit contact avec la Résistance vers juillet 1942. Bien qu’il précise qu’il s’agissait d’un groupe affilié à l’Armée secrète (alors émanation du mouvement Combat), tout laisse à penser qu’il s’agissait plutôt du mouvement du peintre André Girard alias Carte, appelé plus tard Radio-Patrie, fortement implanté sur la Côte d’Azur et très soutenu par les Britanniques du SOE (Special Operations Executive). Ayant rallié par la suite la Résistance gaulliste, veut-il masquer son appartenance à un mouvement qui ne l’était pas du tout ? Ou bien, travaillant avec les Anglais, a-t-il cru comme beaucoup qu’il travaillait aussi pour la France libre ? Quoi qu’il en fut, sous le pseudonyme de Carrère et avec le matricule J3I, il mit ses talents de spécialiste au service du réseau, entretenant, adaptant, stockant les postes émetteurs Mark I reçus, stockant aussi, dira-t-il, des armes et des explosifs chez lui à Antibes. Au début de l’été 1943, il perdit le contact avec le réseau affaibli par les arrestations et les dissensions. Il renoua avec la Résistance lorsque Camille Rayon (Pierre Michel puis Archiduc), parachuté pour organiser la SAP en R2 (la Provence), vint s’installer en septembre 1943 dans le secteur d’Antibes. Il devint son opérateur radio sous le matricule AC 20 et avec le pseudonyme de Chaldéen. Il émit jusqu’au printemps 1944 dans l’arrière-pays, entre Antibes et Saint-Raphaël (Var), en particulier sur les hauteurs environnants Grasse (Alpes-Maritimes). C’est là, chez le menuisier Félix Ugo, que se trouvait l’une de ses boites aux lettres. Son activité s’appuyait sur les contacts que Louis Euzière, ancien combattant, ancien maire de Courmes (Alpes-Maritimes), chef de secteur de l’Armée secrète (AS) et agent du réseau de renseignement F2, avait noués. Il dit avoir envoyé tous les jours de 200 à 300 groupes de code et jusqu’à 800 à 2 000 mots certains jours. Il lui fallut aussi adapter les émetteurs envoyés par Londres au secteur régional à vingt-cinq périodes, installer des antennes intérieures, organiser des liaisons rapides avec Rayon. Il disposa à partir d’octobre 1943 de plus de dix postes émetteurs et d’une grande quantité de matériel électrique. Bénéficiant de certificats médicaux de complaisance, il était déclaré malade, souffrant officiellement de « phtisie » (tuberculose), et séjournant dans les villages de la montagne pour bénéficier de leur air pur. Il était donc toujours en règle vis-à-vis de l’administration de l’Air, venant, jusqu’en mai 1944, toucher sa solde à la base d’Antibes toutes les fins de mois. À ce moment-là, Camille Rayon transporta son PC à Apt (Vaucluse) et, dès lors, Charles Thomas opéra dans le secteur sous le pseudonyme de Nestor. Il s’y trouvait lorsque l’autre radio du régional SAP, Yvon Darras alias Victor, fut arrêté par la « Gestapo », le 29 mai, à Magagnosc, près de Grasse (Alpes-Maritimes). Dès lors, son identité et son adresse d’Antibes étaient connues des policiers allemands. Il écrira à ses neveux qu’il se trouvait bien dans le Vaucluse, au milieu d’une population amie avec des possibilités de ravitaillement qu’il ne connaissait certainement pas sur la côte. Son activité fit l’admiration de son chef et des résistants locaux, étonnés qu’il refuse d’être armé. Pour Fernand Jean, chef départemental de la SAP, il était « le roi des radios ». Il émettait de six à huit heures par jour, devant, en outre, décoder et coder les messages, le summum étant atteint au début août, à la veille du débarquement en Méditerranée. Il opérait dans les villages des environs d’Apt : Céreste dans les Basses-Alpes et, dans le Vaucluse, Montjustin, Bonnieux, mais surtout à Lagarde d’Apt, à la ferme des Quintins, à proximité des principaux terrains de parachutages et atterrissages de la région méditerranéenne. C’est le 22 août qu’il put prendre contact avec les Américains qui libéraient le secteur d’Apt. Il quitta la SAP le 11 octobre 1944 « pour une nouvelle mission en pays ennemi ». Il passa alors dans les services spéciaux, à la DGER (Direction générale des études et recherches), et suivit l’entrainement nécessaire pour cette mission. Avant de partir, il écrivit une longue lettre aux enfants de sa sœur, dont il faisait ses héritiers, se préoccupant leur avenir, donnant des conseils pour leur éducation (ne pas trop les couver, sélectionner de bonnes lectures, encourager le goût du voyage). Il recommandait en particulier l’éducation physique, avouant et regrettant de n’être pas sportif. Sachant sa mission de grande importance, mais « périlleuse », n’étant pas sûr d’en revenir, cette lettre était une sorte de testament où il retraçait son parcours en Résistance et donnait les raisons de son engagement. C’est ce document qui sert de base à la connaissance que l’on peut avoir de son activité clandestine.
Parti de Bari (dans les Pouilles, en Italie), il fut parachuté en Allemagne ou en Autriche le 8 avril 1945. Son dernier message radio, le 17 avril, indiquait que tout allait bien et qu’il se dirigeait vers Salzburg. D’après Fernand Jean, il avait été parachuté pour « essayer de sauver des prisonniers, et surtout des déportés qui risquaient l’extermination ». Selon Louis Coste, il serait parti en mission avec un officier allemand, un déserteur récupéré à Apt par la SAP R2. Le 6 mai 1945, fut émis son avis de disparition. Il fut déclaré décédé le 17 avril 1945 par la première chambre du tribunal civil de première instance de Grasse, le 2 août 1950. Il avait écrit à ses neveux : « La vie ne vaut d’être vécue que dans un climat de dignité et d’enthousiasme » et il la terminait par un extrait du poème d’Alfred de Vigny, « La mort du loup » :
« Pleurer, gémir, crier sont également lâches.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le sort a voulu t’appeler
Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler. »
Homologué à titre posthume sous-lieutenant en 1945, il fut décoré de la Freedom Medal. Son nom figure sur le monument des déportés d’Antibes. Une stèle à sa mémoire fut inaugurée à Lagarde d’Apt à l’initiative du Souvenir Français le 29 juin 2013.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article226472, notice THOMAS Charles, Léon, Emmanuel [pseudonymes dans la Résistance Carrère, Chaldéen, Nestor] par Jean-Marie Guillon, version mise en ligne le 23 avril 2020, dernière modification le 26 juillet 2021.

Par Jean-Marie Guillon

SOURCES : Association historique du Pays de Grasse, Devoir de mémoire. Occupation, Résistance, Libération à Grasse et en pays de Grasse, Grasse, TAC-Motifs des Régions, 2008, p. 206. ⎯ Fernand Jean, J’y étais, récits inédits sur la Résistance au pays d’Apt, Cavaillon, Association des Médaillés du Vaucluse, 1987, p. 157. ⎯ Louis Coste (dir.), La Résistance du pays d’Apt, de la Durance au Ventoux. Historique, Apt, 1974, rééd. 1982, p. 157-162. — Jean-Paul Jouval, Mémorial des victimes des communes du canton d’Apt. Seconde Guerre mondiale, Indochine, Algérie, Apt, Le Souvenir français, 2017, p. 280-283. — renseignements fournis par Grégoire Georges-Picot.

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