DEWEZ Sulpice

Par Yves Le Maner

Né le 30 septembre 1904 à Villers-Outréaux (Nord), mort le 3 mars 1974 à Gonesse (Val-d’Oise) ; savetier, menuisier, ouvrier métallurgiste ; militant communiste du Nord ; secrétaire du rayon de Denain ; conseiller général (1934-1940), député du Nord (1932-1942) ; il rompit avec le PC en 1939 et vota les pleins pouvoirs au maréchal Pétain en 1940 ; il rejoignit par la suite la Résistance et connut la déportation en Allemagne ; créateur et secrétaire général de la Confédération générale des syndicats indépendants (CGSI).

Sulpice Dewez
Sulpice Dewez
Assemblée nationale, Notices et portraits, 1936

Fils d’un cantonnier, Sulpice Dewez arriva à Denain (Nord) en 1910 avec ses parents, son père ayant obtenu une place d’employé d’octroi. Après avoir fréquenté l’école communale de cette ville, il fut quelque temps ouvrier savetier avant d’être placé comme ouvrier menuisier. En 1917, il quitta la région alors occupée et rejoignit un oncle maternel, sergent de ville à Paris qui l’initia aux idées socialistes. Revenu à Denain en 1922, il continua de s’intéresser à la politique et au syndicalisme, suivant en cela l’exemple de son père qui avait rejoint les rangs de la IIIe Internationale lors de la scission de 1920-1921. Il adhéra aux Jeunesses communistes et entreprit de se forger une solide culture politique. Au cours de l’hiver 1924-1925, la direction régionale des JC le chargea de développer une campagne antimilitariste dans les cellules des centres ouvriers du Nord. Malgré cet antécédent, il effectua son service militaire sans grandes difficultés en 1925-1926. Affecté au 91e régiment d’infanterie à Mézières (Ardennes), il fut libéré avec le grade de caporal. Il suivit alors les cours de l’« École léniniste » de Bobigny et, à son retour à Denain à la fin de l’année 1926, il assuma les fonctions de secrétaire des JC de cette ville. Propagandiste acharné, il remporta en 1927 un concours de correspondant ouvrier (Rabcor) du journal des JC, L’Avant-Garde et fut désigné pour se rendre à un congrès à Stuttgart suivi d’un séjour en URSS. Il ne put accomplir ce voyage, son passeport lui ayant été refusé. En 1928, il quitta ses responsabilités aux JC pour entrer au comité du sous-rayon de Denain du PC et il devint l’animateur du « Club artistique des ouvriers de Denain » qui effectua l’année suivante une véritable tournée dans le département du Nord en présentant une pièce intitulée « Peuple, tu dors ». Pour faire face à la très sévère crise interne qui ébranlait les organisations communistes du Valenciennois depuis 1929, le comité régional désigna Dewez pour prendre, au début de l’année 1931, les fonctions de secrétaire du rayon de Denain dont il était auparavant le secrétaire adjoint auprès d’A. Mercier. L’activité qu’il déploya aussitôt à son nouveau poste entraîna son congédiement des Forges et Aciéries de Denain. Sans travail, Dewez se chargea alors de l’organisation des comités de chômeurs de la vallée de l’Escaut qui regroupaient près de sept cents membres au début de 1932 et dont les effectifs allaient connaître une progression quasi géométrique dans les mois qui suivirent. Le Parti communiste le présenta au conseil général dans le canton de Denain le 18 octobre 1931. Le 13 juillet, il avait pris la tête d’une importante manifestation organisée à Denain par le PC, en criant à plusieurs reprises « Vivent les combattants des barricades de Roubaix », faisant ainsi allusion aux sérieux affrontements entre grévistes et policiers connus sous l’appellation de « l’affaire de la rue des Longues-Haies ». Déféré au tribunal de Valenciennes sous l’inculpation de « provocation au crime, de meurtre, pillage et incendie », il fut condamné le 26 août à un mois de prison avec sursis et 500 F d’amende. Il n’en poursuivit pas moins son action de propagandiste organisant d’imposantes manifestations de chômeurs les 17 décembre 1931, 5 et 22 janvier 1932 et se présenta comme candidat du PC aux élections cantonales d’octobre 1931. Correspondant local des journaux l’Humanité et L’Enchaîné (journal de la région communiste Nord-Pas-de-Calais), il fit paraître dans cette dernière publication un article où il reprenait son apologie des troubles de Roubaix. Poursuivi à nouveau, il fut condamné par le tribunal de Valenciennes le 18 février 1932, par défaut, à un an de prison ferme et 1 000 F d’amende. Il suivait alors, avec Jeannette Vermeersch*, les cours de l’« École léniniste supérieure » installée à la mairie de Saint-Denis. Il en sortit premier de la session avec « les félicitations du directeur des cours ». À son retour dans le Nord, le 13 avril, la direction régionale décida de le présenter aux élections législatives dans le but de le soustraire à l’application de la peine dont il était frappé. Il remplaça Henri Poix, initialement désigné, comme candidat du PC dans la 3e circonscription de Valenciennes. Son investiture fut difficile à obtenir car le bureau politique voulait présenter un mineur. Il mena rondement sa campagne, aidé par la venue en réunion de soutien de Bonte, Calas et Marty et, à la surprise générale, il l’emporta au second tour avec 13 693 contre 13 207 au candidat de droite, Macarez, grâce au désistement du syndicaliste Georges Dumoulin* qui représentait à cette occasion le Parti socialiste SFIO. Dewez utilisa aussitôt la sécurité que lui conférait son mandat parlementaire pour amplifier son action à la tête des chômeurs du Valenciennois ; l’immunité était toute relative puisqu’il fit l’objet, en octobre 1932, de poursuites émanant du Parquet de Béthune pour « outrages à commandant de la Force publique » lors d’une manifestation organisée à Lens (Pas-de-Calais). En août 1932, il avait été délégué par le comité central du PC pour enquêter sur la grève des mineurs belges.

À cette époque de sa carrière militante, Sulpice Dewez se partageait entre Paris et le Nord où il cumulait d’importantes responsabilités : chef des Groupes de défense antifasciste du Valenciennois, il était également secrétaire de la Fédération du Nord de la « Confédération générale des petits paysans et cultivateurs » (affiliée à la CGTU) et passait pour un bon connaisseur des problèmes agricoles. Mais sa tâche principale restait la direction des comités de chômeurs par le biais desquels le PC reconstituait ses effectifs dans la région de Valenciennes. En novembre 1933, il rejoignit les « marcheurs de la faim » à Clermont-sur-Oise et les accompagna en direction de Creil et de Paris. Après avoir participé aux premiers balbutiements du « front commun » avec les socialistes qui suivirent le 6 février 1934, Sulpice Dewez fut envoyé par le CC du PC en Espagne en juillet 1934 pour rétablir la liaison avec les organisations espagnoles et obtenir des renseignements sur les luttes ouvrières en cours. Il participa notamment aux travaux du plénum du CC du PC espagnol. À son retour à Denain, il fut élu conseiller général du canton de Valenciennes-sud aux élections d’octobre 1934, devançant de justesse son rival habituel, Macarez, avec 4 724 suffrages contre 4 644. Réélu à la députation en mai 1936, mais cette fois avec une avance confortable (17 651 voix contre 10 221 à Macarez), Suplice Dewez intensifia sa participation au travail parlementaire. Il fit partie de plusieurs commissions (assurance et prévoyance sociales, armée, régions libérées, mines et force motrice) et intervint à de nombreuses reprises dans les débats portant sur les conditions de travail et sur les affaires de défense nationale ; il dénonça en particulier la pénétration des thèses fascistes dans l’encadrement de l’armée et les conditions d’hygiène déplorables que connaissaient les conscrits. Cependant, à partir de 1937, il multiplia les missions pour le compte du CC du PC, et il semblerait notamment qu’il ait été l’un des premiers responsables français des Brigades internationales opérant en Espagne. En septembre 1938, il effectua une tournée de propagande en Afrique du Nord, en liaison avec la guerre d’Espagne et il se rendit pour une dernière mission dans ce pays en mars 1939. Puis, en avril-mai-juin 1939, par le moyen des bateaux de la « Compagnie France Navigation », il organisa l’évasion des militants communistes espagnols internés dans les ports d’Oran et d’Alger ainsi que dans les camps de Médevine et Maknassif en Tunisie.

Son attitude à l’annonce de la signature du Pacte germano-soviétique est mal connue. L’armée l’avait mobilisé le 1er septembre 1939. Selon le témoignage d’Henri Fievez recueilli par Guillaume Bourgeois : « Sulpice Dewez est mobilisé et revient en permission : il me voit personnellement et, croyant que je pourrais peut-être avoir peur puisque le décret (d’interdiction du PCF) venait d’être pris, me recommande de rester très ferme, de rester fidèle au Parti jusqu’au bout. Quinze jours plus tard, la Chambre se réunit et Dewez (...) brutalement demande la parole et renie le PCF » (op. cit., Annexes, p. 15). Des sources affirment qu’il donna sa démission du groupe communiste de l’Assemblée nationale le 3 septembre 1939, décision qu’il confirma par une lettre à la Présidence de la Chambre en date du 11 octobre 1939. Or, il semble que Dewez n’avait pas rompu avec ses collègues avant la séance du 9 janvier 1940, où, sur dix députés communistes présents, six dont Dewez se levèrent pour saluer l’Armée.

Il ne rejoignit d’ailleurs le groupe parlementaire de l’Union populaire française créé par les démissionnaires communistes que le 16 février 1940.

Le 16 janvier 1940, lors de la discussion du projet de loi visant à la déchéance des élus communistes, il déclara : « Ensemble nous sommes aujourd’hui obligés de reconnaître tout ce qu’a d’odieux l’agression contre la République finlandaise (...) Je pense qu’il est de mon devoir de dire aux ouvriers français (...) « Il faut lutter, il faut vaincre, il faut travailler pour empêcher l’envahisseur d’entrer sur notre territoire, il faut gagner la guerre contre Hitler ». Par un vote en date du 20 février 1940, l’Assemblée décida qu’il ne serait pas fait application de la loi de déchéance qui frappait les députés communistes contre Sulpice Dewez. Le même jour, ce dernier donnait à son opposition au PC une dimension idéologique dans un article paru dans Syndicats. L’Humanité clandestine du 24 mai 1940 l’attaqua frontalement dans un article intitulé "Au pilori les rénègats" : Le nommé Dewez avait fait l’objet d’un blâme sévère du Comité Central à cause de son intempérance et d’histoires malpropres. Pas étonnant qu’il soit passé au service de la police qui les ’tenait’."

Poussant sa logique politique jusqu’à son terme il vota, le 10 juillet 1940, le projet de loi constitutionnelle accordant les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. L’évolution de Suplice Dewez fut alors prise dans la contradiction d’une hostilité violente au PC et d’un refus d’accepter l’occupation allemande. Réfugié à Cintegabelle (Haute-Garonne) depuis l’invasion allemande, il serait entré en contact avec les dirigeants du POPF, Gitton* le revendiquant parmi ses adhérents. Son nom figurait avec celui de son ami Lucien Raux* parmi les signataires de l’appel « Aux Ouvriers communistes » qui fut publié dans plusieurs journaux collaborateurs, ainsi dans le Grand Écho du 1er septembre 1941. Le POPF utilisa également la signature de Dewez dans la « Deuxième lettre aux ouvriers communistes » (1942). Dewez avait pourtant rompu avec les amis de Gitton dès 1940 et il contesta l’emploi de son nom. Après la Libération il gagna un procès contre un résistant qui l’accusait d’avoir appelé à la collaboration. En fait Dewez avait été assigné à résidence à Aurignac où il échappa à un attentat (rafale de mitraillette), puis, à Fronton (Haute-Garonne) où il s’intégra à la résistance locale. Arrêté en juin 1944, (il aurait été contraint de se livrer pour éviter la prise de vingt otages) il fut déporté à Buchenwald d’où il fut rapatrié en mai 1945 avec une pension d’invalidité à 100 %. Ses faits de Résistance lui valurent de nombreuses décorations (Croix d’officier de la Légion d’honneur, Croix de guerre, etc.). Mais, lorsqu’il se rendit dans son ancien fief électoral, il se heurta à une violente résistance des militants communistes locaux et fut même malmené. Ses démêlés avec ces derniers se traduisirent par de nombreux procès, sanctionnés à son avantage par la justice. Pour défendre ses positions, il fit paraître à Denain, un périodique intitulé Travail et Liberté et tenta, sans succès, de se rapprocher du Parti socialiste SFIO.

En 1947, Dewez créa avec Moutardier, Boucher et Parsal un « Comité d’Études économiques et syndicales » qui se transforma en octobre 1949 en « Confédération du Travail indépendante » puis en Confédération générale des syndicats indépendants, le dénominateur commun étant un anticommunisme absolu. Suplice Dewez en assura le secrétariat général jusqu’à sa mort et siégea au Conseil économique de 1951 à 1959 au titre des syndicats indépendants. En 1950, il avait été élu administrateur de la Caisse primaire centrale de Sécurité sociale de la région parisienne, où il s’était établi dans une commune de la banlieue Nord, Goussainville.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article22654, notice DEWEZ Sulpice par Yves Le Maner, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 16 décembre 2010.

Par Yves Le Maner

Sulpice Dewez
Sulpice Dewez
Assemblée nationale, Notices et portraits, 1936

SOURCES : Arch. Nat. F7/13129, F7/13261, F7/13265. — Arch. Dép. Nord, M 35/8, M 37/85, M 37/90B, M 149/86, M 154/195B. — Arch. Jean Maitron. — La Voix du Nord, 6 mars 1974. — J. Joly, Dictionnaire des parlementaires, op. cit. — Louis Guéry, Les Maîtres de l’UNR, 1959, p. 131-140, 149. — Guillaume Bourgeois, mémoire de maîtrise, op. cit. et thèse de IIIe cycle, Nanterre, 1983.

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