SERGEANT Émile alias Georges Dupire dans la Résistance.

Par Eric Panthou

Né le 1er avril 1902 à Fresnes-sur-Escaut (Nord), mort sous la torture le 15 août 1944 à Doyet (Allier) ; militaire de carrière ; résistant au sein des Forces françaises de l’intérieur (FFI), Libération-Sud.

Portrait d’Emile Sergeant

Fils de Nicolas, voiturier, né le 19 avril 1874 à Ecoust-Saint-Mein (Pas-de-Calais) et d’Amandine Fricaud, ménagère, née le 8 décembre 1878 à Folembray (Aisne), Émile Sergeant s’engagea comme volontaire pour deux ans dans l’armée en octobre 1921. Il en sorti caporal. Il était ajusteur au moment de son incorporation et habitait Escaupont (Nord). Libéré en juin 1923, il se réengagea pour deux ans en octobre 1925. Émile Sergeant était militaire de carrière au 27ème Régiment d’Infanterie, réengagé au 43 ème RI Valenciennes.
Il se maria à Bruay-sur-l’Escaut (Nord) le 19 juin 1926 avec Camille, Renée Pellion, fille du syndicaliste et socialiste Henri Pellion. Le couple habitait 6 rue Michel-Bellot à Sancoins (Cher) et eut deux enfants, Claude, né en 1927, et Nicole née en 1935.
En 1939, il était adjudant et fut démobilisé en octobre 1940. Il se retira alors à Sancoins (Cher).
Sous l’Occupation, il fut engagé à partir du 1er août 1941 comme garde voie des communications au grade de sous brigadier puis brigadier le 1er novembre 1941.
Des lors il cherche un meilleur poste car la voie ferrée qu’il gardait n’avait aucun intérêt stratégique. Le 13 avril 1942 il est nommé chef de district 3eme classe au ravitaillement à Sancoins. C’est à ce titre qu’il demanda une dérogation au sous-préfet de Saint-Amand-Montrond en mars 1943 pour un pistolet automatique cédé gracieusement par Michel Busquet de Caumont, lui aussi un militaire de carrière et une prochaine victime de la "police du maquis", tout comme Sergeant.

Émile Sergeant rejoignit la Résistance en septembre 1942, intégrant un groupe de Libération-Sud à Sancoins, en tant qu’adjoint au chef de section, Pierre Goin. Ce groupe dit Duruisseau était composé de plusieurs militants de la SFIO locale. C’est avec le soutien et l’entremise de sa belle-famille, socialisante, qu’Émile Sergeant intégra ce groupe. Il participa notamment à des récupération de parachutages et de transports d’armes. Son fils Claude, alors âgé de 16 ans, transmettait les messages à vélo entre son père et les autres membres de la section, transportait des armes dissimulées ou du ravitaillement. Dans les jupons de sa fille Nicole, Émile Sergeant dissimulait des lettres et télégrammes pour les partisans.
A partir du 3 août 1943, la Gestapo arrêta plusieurs membres du groupe mais Émile Sergeant ne put être arrêté à son domicile. Trois semaines plus tard, deux femmes furent relâchées. Le 27 août, deux hommes de la Gestapo vinrent de nouveau chez Émile Sergeant pour l’arrêter selon le témoignage de son épouse et du garde-champêtre ; mais prévenu à temps, lui et ses camarades purent s’enfuir et se cacher dans une ferme. Deux autres, se présentant comme agents du ravitaillement, vinrent de nouveau le chercher environ trois semaine après
Immédiatement licencié après le 27 août, il fut caché au hameau du Fief, commune de la Chapelle-Hugon (Cher). Durant cette période, il se rendit à deux rendez-vous dans le secteur de Saint-Pierre-le-Moutier avec deux chefs de la Résistance. Puis du 20 septembre au 22 octobre 1943 il fut caché chez M. Deville, fermier au Veudre (Allier), une vingtaine de kilomètres au sud, puis enfin chez M. Henri Serée, fermier à Neuville, jusqu’à son arrestation le 19 juin 1944. Chez Serée, il fut hébergé gracieusement en échange de ses services comme ouvrier agricole. Ce 19 juin, Sergeant fut arrêté par 4 hommes en civil qui déclarèrent à Serée qu’il avait hébergeait un traitre et qu’il aurait sûrement la visite de la Gestapo.
Serée assura que Sergeant avait toujours manifesté ses sentiments patriotiques et son souhait de rejoindre son groupe de résistants. Son épouse vint le visiter le 15 juin et il exprima le souhait de rejoindre un groupe de résistants et de se munir de son pistolet. Son fils lui apporta son arme le 16 juin et resta avec lui jusqu’au lendemain.

Son corps, ainsi que celui d’Yvonne Auclair, furent retrouvés le 14 mai 1945 dans le bois de Saulzet, commune de Doyet. Le 4 décembre 1944, au même endroit, on avait retrouvé le corps de Fernand Jonchière.
Comme il portait sur lui de faux papiers, on identifia dans un premier temps ce corps comme celui de Georges Dupire, ouvrier agricole, né le 1er avril 1902 à Tergnier (Aisne). Puis Émile Sergeant fut identifié par son épouse le 13 octobre 1945 après que son corps ait été exhumé du cimetière de Doyet. Jean Débordes indique à tort que Sergeant a "été abattu dans un combat contre les Allemands, le médecin faisant remonter la mort à cette date".
C’est un dénommé Paul Lacroix, prisonnier au camp où avait été interrogé puis exécuté Sergeant, qui après sa mort au fils de Sergeant ainsi qu’à son frère. Il n’a pas été témoin de l’exécution mais c’est en passant à côté d’une tombe fraichement creusée qu’un autre gardien lui appris que c’était celle d’un homme de Sancoins, ce qui lui fit déduire qu’il s’agissait de Sergeant.
C’est Emile Martinat, de Sancoins, qui apprit à l’épouse d’Emile Sergeant qu’il avait été tué et enterré dans la forêt de Tronçais, information reçue d’un FTP qui aurait ajouté qu’il s’agissait d’une erreur, selon le témoignage de madame Sergeant.

Selon les dossiers du SRPJ, il a été exécuté le 17 août 1944 à Doyet (Allier). Résistant au sein des FFI, il avait été rendu responsable (à tort) de l’arrestation d’un groupe appartenant à Libération-Sud ou, selon le rapport d’un gardien de la Paix de Montluçon ou d’un groupe de parachutistes alliés à Sancoins où il demeurait. Les parachutistes auraient été fusillés. En réalité, il s’agit du même groupe, le groupe "Duruisseau" de Sancoin et Saint-Amand-Montrond, appartenant à Libération-Sud et qui fut arrêté après des parachutages en juillet 1943. Le groupe avait été dénoncé en réalité par un agent provocateur travaillant au service du SD. 11 hommes du groupe, dont leur chef Fernand Duruisseau furent condamnés à mort dont 9 fusillés le 7 octobre 1943 à Bourges (Cher).

Après son arrestation, Émile Sergeant fut conduit dans une ancienne ferme abandonnée transformée en camp de prisonniers près du bois de Sauzet, commune de Doyet (Allier). Les hommes dirigeants le camp sont membres du maquis Police FFI, commandés par le capitaine Charles Rodenburger alias Roden. Selon un témoin de son exécution, le chef du groupe était surnommé Jacky et exerçait auparavant la profession de secrétaire de police Faubourg Saint-Pierre à Montluçon. Il s’agit de Jacques Chignagué. La plupart des membres de la "Police du maquis" étaient issus de la police qu’ils avaient choisi de quitter, plus ou moins tardivement, pour basculer dans la résistance. C’est mi juillet 1944 que ce groupe "Police du maquis" se déplaça de son camp initial hameau de la Longe, à proximité de la forêt de Soulongis, sur la commune de Louroux-Bourbonnais pour s’installer dans cette ancienne ferme du bois de Sauzet. Il y avait là au moins une dizaine de détenus dont Émile Sergeant, le philosophe et ancien secrétaire d’État sous Pétain, Jacques Chevalier, ainsi que le socialiste allemand arrêté par erreur, Kurt Khobbe. Selon le témoignage de ce dernier les conditions de vie des prisonniers étaient bonnes. Certains, comme lui, bénéficiaient d’un traitement particulier s’assimilant à une semi liberté. Chignagué mena l’enquête pour déterminer si Sergeant était bien coupable. C’est surtout sur la base des éléments fournis par mademoiselle Lagarde et une madame Clément, accusant Sergeant, qu’il mena l’interrogatoire de Sergeant. Il confronta Sergeant avec André Duciot, Monsieur Lacroix et une madame Clément. Chignagué assura avoir envoyé un rapport à l’état major département à ce propos, préconisant d’attendre la fin des hostilités pour recueillir d’autres témoignages pour établir la culpabilité de Sergeant. Il reconnu n’avoir aucune preuve formelle mais une conviction. C’est ensuite que Sergeant a été transféré au camp de Sauzet sous la direction de Rodenburger (homologué FFI au sein de l’état-major des MUR de l’Allier pour la période du 1er octobre 1943 au 6 septembre 1944). Le gardien de la Paix Pierre Thollet, affecté à l’unité de Chignagué, déclara également que ce sont quatre maquisards de Sancoins venus interroger Sergeant qui seraient responsables de sa mort le jour même.

Les éléments sur les circonstances du décès d’Émile Sergeant ne sont pas tous concordants. On dispose d’un volumineux dossier sur l’"affaire de Tronçais" aux archives de la Justice militaire au Blanc qui contient plusieurs pièces le concernant. L’enquête du juge d’instruction de Montluçon en juillet 1945 entendit plusieurs des témoins mais pas les principaux suspects de l’assassinat d’Émile Sergeant. Il est attesté que ce dernier avait été arrêté par la police du maquis et été détenu dans un camp de prisonniers à Sauzet (Allier), qu’il a été interrogé par deux policiers dont l’inspecteur Costilhes puis torturé -peut-être accroché à une poutre- sans doute par 4 ou 5 maquisards arrivés dans le camp. Les hommes du camp du bois de Sauzet commirent bientôt des exactions au camp de Tronçais au lendemain de la Libération. Selon un rapport de la Justice militaire, les auteurs de l’assassinat d’Émile Sergeant seraient des maquisards venus du Cher.
Les recherches menées aussi bien par Jean-Paul Perrin que par Henri-Ferréol Billy attestent de l’absence de liens entre la "Police du maquis" coupable de nombreuses exécutions sommaires et tortures et les FTP. Les relations entre les deux groupes ont au contraire été particulièrement tendues au futur camp de Tronçais.

L’épouse d’Émile Sergeant entama des démarches pour retrouver son mari. Dès le 29 juin 1944 elle se rendit chez Monsieur Serée qui avait hébergé son mari. Le 10 juillet, elle se rend à Cérilly (Allier) où des hommes se prétendant de la police reconnaisse détenir son mari, sans autre précision. Elle apprit qu’il avait disparu après avoir été confronté avec deux personnes, vers le 20 juillet. Le 25 août 1944, elle retourna à Cérilly où un FTP la conduit à la gendarmerie. Là, après avoir déclaré qu’elle cherchait son mari, elle fut arrêtée. Elle vit bientôt le capitaine Rodenburger qui l’insulta et la menaça de la garder prisonnière au motif qu’elle aurait pénétré au sein du camp. Elle essaya de convaincre ces policiers du maquis de l’innocence de son mari, ignorant toujours son sort. Elle établit la liste des membres de la Police du maquis présents au camp de Sauzet. Début août 1944, elle reçut des menaces d’une boulangère de Sancoins, preuve que certaines personnes croyaient encore à une trahison d’Émile Sergeant plus d’un an après sa disparition. Madame Sergeant fit une main courante suite à ces menaces. Après qu’on lui ait rapporté que son mari pouvait avoir été arrêté pour avoir livré un parachute dont il avait assuré la réception, Madame Sergeant déclara que c’était faux puisqu’elle détenait encore ce parachute. Rodenburger envoya deux hommes à lui le récupérer le 2 septembre 1944. Elle écrivit de nouveau au capitaine Roden le 9 octobre 1944. Dans une lettre au procureur le 4 novembre 1944, madame Sergeant ignore encore le sort de son mari même si elle a eu vent des rumeurs sur son exécution.
Le 13 novembre 1944, elle écrivit au procureur de la République à Moulins pour signaler enlèvement de son mari. Le 25 novembre, à la demande du procureur de Saint-Amand-Montrond, la gendarmerie de Sancoins procéda à une enquête pour retrouver Sergeant, bientôt imitée par les gendarmeries de Doyet et Cérilly en décembre. Le 8 janvier, madame Sergeant fut informée des résultats de l’enquête.
Le 7 février, furent interrogés deux détenus à Vichy, André Duciot et Georges Drevon. Ces deux hommes en particulier Drevon firent des déclarations expliquant les circonstances de la mort d’Émile Sergeant. Selon Drevon, Henri Costilhes, inspecteur de Police, alias lieutenant Henri, inspecteur adjoint de Jacques Chignagué, procéda à l’interrogatoire de Sergeant en lui liant les poignets avec une corde, qui, passée par dessus une poutre, servit à suspendre Sergeant au-dessus du sol. Dévêtu de sa veste, celui-ci fut roué de coups de nerfs de bœuf pendant une heure bien qu’il persistait à crier son innocence. Finalement, toujours selon Drevon, Costilhes aurait poignardé Sergeant avec son cran d’arrêt en plein cœur. Drevon était dans la cour et a entendu les coups de nerfs de bœuf puis a vu le corps de Sergeant évacué. Chignagué n’était pas présent selon Drevon. Costilhes récusa ces accusations, affirmant que c’étaient 4 maquisards arrivés pendant l’interrogatoire qui frappèrent Sergeant pendant 5 minutes, ce qui suscita sa mort une heure plus tard.
Ce sont les témoignages recueillis dans le cadre de cette dernière enquête qui établit que c’est un groupe de FTP de Cérilly qui avait livré Émile Sergeant à la police du maquis, sans être responsable de la suite des événements.

Une procédure fut lancée le 6 avril 1945 dans le cadre d’une commission rogatoire contre Sergeant pour atteinte à la sécurité extérieure de l’État suite aux nombreux témoignages mettant en cause Émile Sergeant par d’anciens camarades ou épouses de camarades arrêtés et fusillés ou déportés. Sergeant était à cette date considéré comme en fuite.
Selon le réquisitoire définitif du Commissaire du gouvernement le 3 septembre 1945 contre Emile Sergeant, considéré encore comme en fuite, et contre son épouse, alors en mandat de dépôt, c’est l’épouse de Duruisseau qui aurait été à l’origine des fausses accusations portées contre Émile Sergeant. Les Allemands auraient déclaré avoir arrêté le groupe Duruisseau suite aux dénonciations de Sergeant raconta Duruisseau à son épouse avant d’être fusillé. Selon l’épouse Duruisseau, son mari avait pleine confiance en Sergeant jusque là bien que des membres d’autres groupes de résistance l’avaient averti d’être prudent à son encontre. Sergeant est également accusé par la femme de Clément, un autre membre du groupe arrêté. Selon elle, les Allemands étaient au courant de toutes les conversations que son mari avait eu avec Sergeant et deux autres gendarmes le soir de leur arrestation. On trouve également les dépositions écrites de trois membres du groupe Duruisseau (Jubier et les deux cousins Blanc) qui incriminent Sergeant, sans aucune preuve mais seulement du fait que selon eux il n’avait pas été arrêté comme les autres membres. Or, les Allemands ont bien cherché à l’arrêter. Robert Michelon, lui aussi membre du groupe, émit des doutes sur Sergeant au motif qu’un parachute aurait disparu lors d’une opération de récupération de parachutage. A l’inverse, plusieurs témoignages accordent leur confiance à Sergeant.
Le fait qu’il n’était pas de la région, que militaire il a pu faire preuve d’autoritarisme dans certains opérations, et qu’il a pu échapper à l’arrestation des Allemands a pu jouer en sa défaveur. Les Allemands ont-ils essayé de manipuler les résistants arrêtés en faisant croire que le traître était celui non arrêté parmi eux ? C’est possible si on prête foi au témoignage de la veuve Duruisseau.
Aussi bien la commission d’épuration en 1947 que les travaux d’historiens établissent que c’est le dénommé Roger Picault alias le Chimpanzé pour la Résistance ou Pierre Rissler pour les Allemands qui est à l’origine de la dénonciation du groupe Duruisseau à partir du 3 août 1943. Picault avait infiltré le groupe Libération-Sud et aurait notamment eu vent d’un parachutage par une indiscrétion involontaire d’Émile Sergeant.
Selon son épouse, une des deux femmes du groupe Libération-Sud arrêtées début août 1943 puis relâchées trois semaines plus tard, surprise qu’Émile Sergeant n’ait pas été arrêtée l’aurait dénoncé à la Gestapo. Après avoir mené sa propre enquête, elle écrivit qu’un dénommé Joly, secrétaire de mairie à Sagonne (Cher) fut "le premier et le plus acharné" des accusateurs contre son mari.
Prêtant foi à ces accusations, c’est un groupe de résistant FTP qui toujours selon son épouse l’aurait arrêté. Il était alors caché dans une ferme. Cette arrestation aurait eu lieu en juin 1944 selon son épouse. Mais comme ce n’est pas un groupe FTP mais bien le maquis Police qui est l’auteur de son exécution, on peut avoir des doutes sur l’implication des FTP dans cette affaire. Dans la demande d’attribution de la mention mort pour la France pour Emile Sergeant, sa famille, en 1947, continue d’écrire qu’il a été exécuté par un groupe de FTP.

Camille Sergeant entama dès la procédure judiciare lancée contre son mari des démarches pour réhabiliter celui-ci puis ensuite la mémoire de celui-ci, confrontée au silence de ceux qui le savaient innocent. Elle demanda notamment au juge qu’on interroge Pierre-Mary Paoli, gestapiste français de Bourges et tortionnaire bien connu afin de connaître ses informateurs à Sancoins. Paoli était celui qui fut chargé de l’arrestation du groupe Duruisseau. Camille Sergeant a obtenu l’assurance que dès le 8 février 1946 Paoli avait été interrogé à ce propos mais on refusa de lui communiquer le PV de l’interrogatoire. On l’assura néanmoins oralement que Paoli avait indiqué que non seulement son mari n’avait pas trahi mais qu’il était bien recherché depuis longtemps car militaire et potentiellement dangereux. Dans un courrier du 2 ami 1949 au sous directeur administratif Haut commissariat au Ravitaillement, elle donne le nom de celui qui aurait dénoncé, Roger Picault sur la base des déclarations de Paoli, innocentant ainsi son mari. Dans les différentes confrontations de Paoli avec des témoins, c’est toujours Picault qui est présenté comme le dénonciateur, mais Paoli ne nie pas le fait que Picault ait pu recueillir des informations d’un autre résistant. Dans une seule de ces confrontations il déclare que ces informations ont pu être obtenues de Sergeant, sans aucune preuve, mais dans une volonté évidente de faire coïncider son témoignage avec ce que soupçonne le témoin présent, Angéline Lagarde, considérée par madame Sergeant comme l’une si ce n’est la principale accusatrice de son mari.
Camille Sergeant continua son combat pour réhabiliter son ex mari et après avoir respecté le délai de 35 ans qu’on lui avait indiqué, elle écrivit de nouveau à la Justice en 1983 pour obtenir copie de l’interrogatoire de Paoli.

L’enquête de la Justice militaire indiqua dès les débuts de l’enquête sur assassinat en juillet 1945 qu’aucune preuve n’existait pour confirmer les accusations graves portées contre Sergeant. Au cours de sa réunion du 27 février 1947, la commission départementale d’épuration et de justice a adopté la motion suivante : « La commission départementale d’épuration et de justice après avoir recueilli les témoignages de témoins oculaires au sujet de l’exécution du nommé Sergeant de Sancoins, a acquis la certitude que c’est Picault qui a dénoncé le groupe auquel appartenait Sergeant et que celui-ci n’est aucunement coupables des faits qui lui ont été reprochés et, en conséquence, demande que tout soit mis en œuvre en vue de la réhabilitation de sa mémoire.". Cette motion fut publiée dans la presse locale et transmise à la veuve Sergeant.
Le 5 juin 1947, le vice-président du Comité départemental de Libération, Marcel Soubret, établit une attestation pour la veuve d’Émile Sergeant, indiquant que les renseignements recueillis par la Commission d’Épuration ne permettaient pas d’affirmer que l’exécution de son mari par les FFI était justifiée et donc que son exécution n’était pas infamante.

En 1947, la commission régionale de reconnaissance des titres de Résistance reconnut Émile Sergeant comme FFI, mais le fait qu’il ne soit pas à cette date reconnu comme "Mort pour la France", empêchait cette reconnaissance. Le 22 novembre le général de corps d’armée lui délivra à titre posthume une homologation de FFI avec prise de rang au 6 juin jusqu’au 11 août 1944. Il est indiqué qu’il a été dans la résistance organisée à partir de septembre 1942 au sein de Libération sud, sous la responsabilité de Duruisseau.
Après avis du préfet du Cher en 1950, le Ministère des Anciens combattants a reconnu Émile Sergeant "Mort pour la France" après son décès le 15 août 1944 à Doyet, "exécuté sans raison apparente par un groupe FTPF".
Malgré les démarche de sa veuve et la demande de la commission départementale d’épuration, le nom d’Émile Sergeant ne figure sur aucun monument commémoratif et sa mémoire n’a pas été réhabilitée. En témoigne notamment l’ouvrage édité en 2008 par Association des amis du Musée de la Résistance et de la Déportation de Bourges et du Cher qui indique à tort que les accusations portées contre Émile Sergeant -désigné ici comme Émile S.- n’ont jamais été éclaircies.
Au sortir de la guerre, de fortes tensions existèrent entre plusieurs des anciens membres du groupe, notamment après le retour de déportation de l’un d’entre eux, le gendarme Satin. Voulant savoir ce qu’il était arrivé aux membres du groupe, l’une des résistantes arrêtée puis relâchée en août 1943 par la Gestapo lui donna sa version des faits, incriminant Émile Sergeant. Le gendarme répliqua alors avec colère qu’ils avaient commis une erreur très grave erreur en croyant Émile Sergeant capable de trahison car le SD de bourges n’avait eu de cesse de questionner les personnes arrêtées sur les membres de la section qui avait pu fuir la rafle de Sancoins, notamment Émile Sergeant. La discussion dégénéra et dès lors Satin fut mis à l’index par cette femme qui lui a interdit les lieux de commémoration et la reconnaissance de ses collègues gendarmes. La Section des Déportés de Sancoins s’est émue dans plusieurs communiqués de presse de cette mise à l’index de son président, Monsieur Satin.

Ce n’est qu’en 1954 que la Justice rendit son verdict sur l’"affaire de Tronçais" qui avait concerné d’autres exécutions. 7 officiers et gardes FFI avaient été inculpés notamment pour complicités d’assassinats, attentats à la pudeur avec violence sur 26 détenus parmi lesquels 4 décédés sur place. La Commission régionale d’homologation des FFI de Clermont-Ferrand qui avait décidé en 1953 la non – homologation de Police du maquis, ce qui excluait l’application de la loi d’amnistie du 16 août 1953, revint sur sa décision le 25 février 1954, ouvrant ainsi le champ à l’amnistie. Ainsi, le tribunal permanent des forces armées de Lyon prononça finalement l’amnistie des accusés -parmi lesquels Jacques Chignagué, qui avait arrêté Sergeant- 12 octobre 1954.
Son épouse déplora en 1949 que son mari ne puisse être réhabilité judiciairement, n’ayant pas été condamné dans ce cadre.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article226553, notice SERGEANT Émile alias Georges Dupire dans la Résistance. par Eric Panthou, version mise en ligne le 23 avril 2020, dernière modification le 12 septembre 2022.

Par Eric Panthou

Portrait d’Emile Sergeant
Lettre du vice-président du Comité départemental de Libération, Marcel Soubret.

SOURCES : SHD Vincennes, GR 19 P 3/7 : liste nominative des membres de l’Etat-major MUR Allier. — SHD Vincennes, GR 16 P 545410, dossier Émile Sergeant. — AVCC Caen, AC 21 P 155385, dossier Émile Sergeant. — Arch. dép. du Cher. 3 W 201-469, 3 W 151 : déposition de Paoli dans l’affaire Sergeant, 1 W 463-1044, dossiers Émile Sergeant communiqués par investigations de Christine Koenig — Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 1296 W 1542 communiqués par investigations de Christine Koenig. —Jean Débordres, L’Allier dans la guerre 1939-1945, éditions de Borée, Clermont-Ferrand, 2000, p. 282. — La Résistance dans le Cher : 1940-1944, Association des amis du Musée de la Résistance et de la Déportation de Bourges et du Cher, 2008, 350 p. —Information communiquée par Pascal Gibert qui mène des recherches en vue d’une thèse sur l’Épuration en Auvergne. — Généanet. — Mail d’Henri-Ferréol Billy, le 26 juin 2020. — Mail de Christine Koenig, petite-fille d’Émile Sergeant, le 19 juin 2020. — La nouvelle République du centre, 3 mars 1947. — Archives militaire Le Blanc, DCAJM, Dossier sur l’"affaire de Tronçais". — André Touret, Montluçon, 1940-1944 : la mémoire retrouvée, éditions Créer, 2001, 325 p. — D. Arnold, La Milice Française dans le Cher, l’Indre et la Nièvre Historique succinct et fiches biographiques de ses principaux responsables, Archives départementales du Cher, 2013 [en ligne]. — Lettre de Camille Sergeant au juge d’instruction de Bourges, le 4 février 1946 ; attestations de Pierre Coin, Jean Bariau, Marcel Soubret ; lettre du Ministère des Anciens combattants, 1950 ; lettre du Secrétaire d’État au président de la commission d’homologation des grades FFI, 1947 ; notes manuscrites de Camille Sergeant ; lettre de Kurt Khobbe à Camille Sergeant, 4 septembre 1945 (archives Jean-Gabriel Sergeant). — Jean-Paul Perrin, Pages d’Histoire... l’Épuration en région montluçonnais (1944-1949), mise à jour juin 2020 : https://vudubourbonnais.wordpress.com/2019/11/29/page-dhistoire-l-epuration-en-region-montluconnaise-1944-1949/. — Mails de Jean-Gabriel Sergeant à Eric Panthou, les 28 juin, 1er juillet 2020 et 9 septembre 2022. — Mail de Christine Koenig, petite-fille d’Émile Sergeant, le 19 juin 2020 et le 25 octobre 2020.

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