DOISNEAU Robert, Sylvain, Gaston

Par Anysia L’Hôtellier

Né le 14 avril 1912 à Gentilly (Seine, Val-de-Marne), mort le 1er avril 1994 à Paris (XIVe arr.) ; graveur lithographe puis photographe.

R. Doisneau.
R. Doisneau. "Autoportrait au Rolleiflex", 1947 ©Atelier Robert Doisneau. Avec l’aimable autorisation des ayants droit.

Son père, Eugène Léon Gaston Doisneau, commença comme vendeur de bicyclettes à Raizeux, près de Rambouillet. Il partit ensuite pour Paris puis devint métreur en couverture et plomberie chez monsieur Duval à Gentilly. Il y rencontra Sylvie Marie Duval, la fille de son patron, dont il tomba amoureux. Ils se marièrent en octobre 1909. Leur fils unique Robert vint au monde le 14 avril 1912. La famille était installée au 7, rue Montrouge à Gentilly.

Lorsque son mari partit au front, Sylvie Doisneau tomba subitement malade de la tuberculose. Pour tenter d’améliorer sa santé, elle fut envoyée avec son fils dans le château Le Mialaret à Neuvic, en Corrèze, loin des usines. À peine de retour à Gentilly, elle décéda en 1919. Gaston Doisneau se remaria avec une veuve de guerre qui avait déjà un fils du même âge que Robert, Lucien.

Après son certificat d’études, Robert Doisneau entra en 1925 à l’École Estienne, École supérieure des arts et métiers graphiques de Paris, boulevard Blanqui, pour y apprendre la gravure lithographique. Robert Doisneau a souvent confié qu’il n’avait pas aimé ses années à Estienne. La pédagogie y était en effet très archaïque pendant les années 1920. Le métier qu’il apprit était en voie de disparition, la technique consistant à graver à l’aide de pointes et d’échoppes la surface d’une pierre calcaire était devenue désuète. Quand il sortit de l’école, ce métier n’existait presque plus, remplacé par les procédés photomécaniques. Durant ces quatre années, il apprit tout de même à dessiner et à regarder, autant de compétences précieuses qui influenceront son œil de photographe.

Diplômé en 1929, reçu 24e sur 36, il fit ses premières armes dans un vieil atelier d’arts graphiques du Marais, celui de Xavier Vincent. Il le quitta rapidement pour rejoindre fin 1929 l’atelier d’arts graphiques Léon Uhlmann, rue Lecourbe, spécialisé dans la publicité pharmaceutique. Il y travailla comme dessinateur de lettres sur les étiquettes. La publicité utilisait chaque jour davantage la photographie. Dans cet atelier, Robert Doisneau assistait Lucien Chauffard dans le laboratoire photographique. Il y manipulait un gros et lourd appareil photo en bois 9x12. En parallèle, sur son temps libre, il commença à s’intéresser à la photographie grâce à l’appareil que lui prêta Lucien Larmé, son demi-frère. Plus tard, il remplaça Lucien Chauffard et prit ses premières photographies publicitaires.

En 1931, Doisneau fut engagé par André Vigneau comme opérateur dans son atelier personnel du 22, rue Monsieur le Prince à Paris. La rencontre avec ce photographe, dessinateur et sculpteur célèbre fut décisive pour Robert Doisneau. Grâce à lui, il découvrit l’avant-garde artistique en rencontrant de nombreux peintres et écrivains. À la même époque, il découvrit également la revue de Charles Peignot, Arts et métiers graphiques, une nouvelle approche de la photographie qui le bouleversa. Il y admirait les clichés de Germaine Krull, d’André Kertész, de Brassaï. Grâce à son oncle Auguste Gratien, maire de Gentilly, il obtint sa première commande pour le bulletin municipal de la ville. En 1932, grâce à André Vigneau, il vendit son premier reportage photographique réalisé au Marché aux puces de Saint-Ouen au journal quotidien, L’Excelsior, dirigé par Henri de Weindel, un des premiers médias à accorder une place importante à la photographie et au photojournalisme.

En 1933-1934, il dût partir pendant douze mois faire son service militaire à Strasbourg au sein du Ier régiment des chasseurs à pied. Il en revint plus antimilitariste que jamais. À son retour, il fallait trouver du travail. Robert Doisneau entra le 12 avril 1934 au service photo des usines Renault à Boulogne-Billancourt grâce à Lucien Chauffard, devenu chef de service photo de cette entreprise. Ce fut à cette période que Robert Doisneau rencontra Pierrette Chaumaison. Ils s’épousèrent le 28 novembre 1934 et en 1937 s’installèrent dans un atelier de peintre, place Jules-Ferry à Montrouge. Ils eurent deux filles : Annette et Francine. Pendant cinq ans, il photographia les ateliers de l’usine Renault, les foules d’ouvriers, les chaînes de montage...et réalisa quelques photographies commerciales. Il y découvrit un univers qu’il n’oubliera jamais, celui des travailleurs, avec leur fraternité et leur dignité. Pendant les grèves de 1936, malgré une solidarité avec le mouvement, il n’osa photographier les grévistes de peur de passer pour un indicateur. Même si ce travail lui permettait d’apprendre les bases de la photographie d’illustration, ce rôle de photographe officiel l’ennuyait profondément. En juin 1939, il fut renvoyé pour cause de retards répétés.

Robert Doisneau décida alors de se consacrer entièrement à ses propres travaux photographiques. En 1939, il s’inscrivit au registre des métiers en tant qu’artisan photographe reporter. À l’affût des nouvelles techniques, il testa un procédé de photographie couleurs : l’autotype carbro mais ce ne fut guère concluant. Très vite, Ergy Landau, la collaboratrice de Lucien Chauffard qui avait ouvert un studio porte d’Ivry, le recommanda à Charles Rado, fondateur et directeur de l’agence Rapho, une grande agence parisienne. Il lui proposa un contrat de photographe indépendant et lui commanda en 1939 un reportage sur la descente en canoë de la Dordogne.

La guerre interrompit brutalement ces débuts très prometteurs. Mobilisé sur le front de l’est au début de la guerre, il tomba malade. Il fut réformé en mars 1940 et rentra à Paris. Il chercha du travail pour faire vivre sa famille. En juin, à l’arrivée des troupes allemandes, il quitta la capitale et se réfugia pendant quelques mois dans une ferme de Saint-Sauvant dans le Poitou. Les commandes se faisaient très rares. Il fabriqua notamment des cartes postales à partir de ses photographies de monuments napoléoniens et les vendit au musée de l’Armée des Invalides. Il réalisa quelques reportages pour la revue Vrai où travaillait le graphiste Maximilien Vox. Pour ce dernier, il photographia des scientifiques pour illustrer un ouvrage sur « l’intelligence française » dirigé par Laure Albin Guillot et préfacé par le maréchal Pétain, ce qui allait à l’encontre de ses convictions et de son activité « souterraine ». Il fut réfractaire au Service du travail obligatoire (STO). Contacté par un certain « Monsieur Philippe » (il découvrira plus tard qu’il s’agissait du peintre Enrico Pontremoli), il réalisa tout au long de l’Occupation toutes sortes de faux papiers pour la Résistance, grâce à ses talents de graveur-lithographe. Il découvrit au soir de la Libération qu’il faisait partie du même réseau que Roger Vailland. Entre deux commandes et deux travaux clandestins, il capturait quelques scènes de la vie quotidienne sous l’Occupation : queues devant les boutiques, refuges dans le métro durant les alertes, etc. Pendant ces années noires, Doisneau fit une rencontre importante, celle de Paul Barabé dit Baba. Concierge de son immeuble, Barabé brûla la liste des communistes de Montrouge et évita ainsi leur arrestation par la Gestapo. Touché par cet acte de bravoure, Doisneau l’embaucha en tant qu’assistant pour faire ses tirages et les livraisons.

En août 1944, il photographia la Libération de Paris, notamment les FFI à Belleville. Ses photos eurent du succès et furent largement publiées, notamment dans des journaux américains. Il fut alors contacté par l’ADEP, une agence coopérative fondée dans les années 1930 sous le nom d’Alliance-Photo. Cette agence regroupait des photographes comme Henri Cartier-Bresson, Robert Capa, Pierre Jahan, les frères Séeberger ou Jean Roubier. Elle assura la diffusion de ses clichés sur la Libération de Paris. Entre fin 1944 et le début 1945, il prit 48 photos de la reconstitution de l’activité des imprimeurs clandestins, pour illustrer le numéro de mars 1945 de la revue le Point de Pierre Betz, édition consacrée aux imprimeries clandestines de la Résistance qui permirent la diffusion de tracts, affiches et journaux durant la guerre. La rencontre avec Pierre Betz en 1945 fut cruciale, Doisneau devint son photographe attitré pour la revue littéraire le Point jusqu’en 1960. Betz lui ouvrit la porte de Picasso, celle de Georges Braque, de Jean Lurçat, d’Henri Laurens, de Marcel Gromaire et de Colette… En 1945, il rencontra également Blaise Cendrars, à Aix en Provence.

Il rejoignit de nouveau l’agence Rapho qui redémarrait en 1946 grâce à Raymond Grosset. Il y resta toute sa vie. Il y côtoya Willy Ronis, Sabine Weiss, Janine Niepce, Jean-Philippe Charbonnier, Édouard Boubat. Tous représenteront la photographie dite « humaniste ». Robert Doisneau faisait également partie du Groupe des XV fondé à Paris en 1946. Ces quinze photographes avaient pour objectifs de faire reconnaître la photographie comme moyen d’expression artistique à part entière ainsi que la sauvegarde du patrimoine photographique français. Les quinze membres principaux sont Marcel Bovis, Yvonne Chevallier, Jean Dieuzaide, Robert Doisneau, André Garban, Edith Gérin, René-Jacques, Pierre Jahan, Henri Lacheroy, Lucien Lorelle, Daniel Masclet, Philippe Pottier, Willy Ronis, Jean Séeberger et René Servant. Le groupe fut dissous en 1957. Les photographies faites par les membres du groupe avaient en commun la représentation de scènes de rue témoignant de la vie quotidienne et traditionnelle des Français, ce qui les rapprochait de la photographie humaniste. En 1947, il remporta le prix Kodak, destiné à récompenser les jeunes talents. Les reportages s’enchainaient, Robert Doisneau travaillait beaucoup pour la presse au lendemain de la guerre, comme par exemple Action l’hebdomadaire communiste dirigé par Pierre Courtade, La Vie Ouvrière, organe de presse de la CGT, mais aussi Regards, Point de vue – images du monde, Réalités, Match ou encore le magazine américain Life. Il fut également sous contrat avec Conde Nast pour le magazine de mode féminin Vogue entre 1949 et 1951. Grâce à lui, Sabine Weiss décrocha un contrat pour Vogue et il la fit entrer à l’agence Rapho. En 1950, dans le cadre d’une commande d’un reportage sur l’amour à Paris pour le magazine Life, Doisneau réalisa Le Baiser de l’Hôtel de ville. Cette photographie ressortira avec grand succès dans les années 1980 et deviendra une image iconique du Paris des années 1950. Robert Doisneau continuait par ailleurs à photographier le monde des travailleurs, comme les mineurs de Lens, les chaînes de montage ou les dactylos chez Renault ou encore les concierges, les sidérurgistes, les égoutiers et les dockers.

Dans cette euphorie des années d’après-guerre, tout en travaillant quotidiennement pour répondre aux commandes, Robert Doisneau réussissait à prendre des photographies personnelles qui feront son succès, circulant obstinément « là où il n’y a rien à voir », privilégiant les moments furtifs et les bonheurs minuscules au cœur de la banlieue parisienne, son univers favori. Dans les années 1950, la renommée de Robert Doisneau gagna ainsi du terrain et dépassa les frontières françaises. Ses expositions se multiplièrent en France et à l’étranger. En 1951, il exposa au Museum of Modern Art de New-York avec Cartier-Bresson, Brassaï, Izis et Boubat dans une exposition intitulée « Five french photographers ». Une exposition personnelle fut même organisée à l’Art Institut of Chicago en 1954. En 1956, Robert Doisneau reçut le prix Niépce, nouvellement créé.

Dans les années 1960, la photographie en France connut un certain déclin. Les commandes diminuèrent, la vie quotidienne se compliqua pour Robert Doisneau qui pouvait tout de même compter sur sa collaboration avec la revue hebdomadaire la Vie ouvrière et avec Point de vue. Il fit également des reportages à l’étranger, notamment pour les magazines Life et Fortune, à New York, Hollywood, Palm Springs, Montréal... Il réalisa un reportage en URSS pour le numéro spécial « 50 ans de réalisations soviétiques » publié en 1967 par La vie ouvrière.

Robert Doisneau a eu tout au long de sa vie des liens très étroits avec les écrivains. Il rencontra Jacques Prévert et Robert Giraud en 1947. Jacques Prévert était le complice de ses déambulations dans Paris, il devint l’un de ses plus fidèles amis. Robert Giraud fut quant à lui son guide dans le monde de la nuit parisienne. Grâce à ce dernier, il rencontra et photographia des tatoués, des voleurs, des marginaux, des prostituées, etc. Il réalisa son premier livre en 1949 avec Blaise Cendrars, La Banlieue de Paris, le succès ne fut pas au rendez-vous. Dans les années 1980, il rencontra Daniel Pennac. Ensemble, ils sortirent deux livres, La Vie de famille et Les Grandes Vacances, qui furent de grands succès. Il écrivit également un livre avec Maurice Baquet, comédien et violoncelliste, qui sera son grand ami pendant près de 57 années. Après plus de 30 ans de recherche d’un éditeur, Ballade pour violoncelle et chambre noire‎ sortit aux éditions Herscher en janvier 1981.

À partir des années 1970, la photographie connut un nouveau départ en France, Robert Doisneau renoua avec le succès, en France comme à l’étranger. La famille Doisneau s’agrandit, avec l’arrivée de ses quatre petits-enfants. En 1971, Robert Doisneau fit le tour de France des musées régionaux avec Jacques Dubois. En 1973, François Porcile réalisa le film documentaire Le Paris de Robert Doisneau, puis Poète et piéton en 1981. Robert Doisneau fut l’invité des Rencontres d’Arles en 1975. En 1979, le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris présenta une exposition Doisneau : « Paris, les passants qui passent ». Il reçut en 1983 le Grand Prix national de la photographie, une véritable consécration. En 1984, le célèbre photographe fut décoré de la Légion d’honneur. La même année, avec 28 autres photographes, il participa à la Mission photographique de la DATAR (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale). L’objectif de cette commande publique était de « représenter le paysage français des années 1980 ». Pour ce reportage, Doisneau fit des photos couleurs des immeubles et des villes nouvelles de la banlieue parisienne. En 1992, Sabine Azéma, avec qui il partagea une amitié complice, réalisa le film Bonjour, Monsieur Doisneauqui fut diffusé à la télévision le jour de ses 80 ans . De 1980 à 1994, pas moins de 24 livres furent publiés sur Robert Doisneau. Une grande exposition fut montée au Moma d’Oxford en 1994, elle fut présentée au musée Carnavalet l’année suivante. Elle connut un très grand succès comme celle de 2006, Paris en liberté, présentée à l’Hôtel de ville de Paris.

Quelques mois après sa femme Pierrette, Robert Doisneau décéda à Paris le 1er Avril 1994.

Véritable incarnation de la photographie humaniste française, Robert Doisneau a laissé derrière lui plus de 450 000 clichés, une œuvre pleine de vie et de poésie.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article226641, notice DOISNEAU Robert, Sylvain, Gaston par Anysia L’Hôtellier, version mise en ligne le 25 avril 2020, dernière modification le 27 avril 2020.

Par Anysia L’Hôtellier

R. Doisneau. "Autoportrait au Rolleiflex", 1947 ©Atelier Robert Doisneau. Avec l'aimable autorisation des ayants droit.
R. Doisneau. "Autoportrait au Rolleiflex", 1947 ©Atelier Robert Doisneau. Avec l’aimable autorisation des ayants droit.

ŒUVRE : bases de données en ligne des œuvres photographiques : Atelier Robert Doisneau ; Gamma Rapho.

SOURCES : Arch. de Paris, Registre des élèves de l’école Estienne, cote 3751W/40-42. - Arch de la Préfecture de police de Paris, cote 77 W 2489 297600.- Robert Doisneau, À l’imparfait de l’objectif, souvenirs et portraits, éditions Babel, 1995, 188 p. — Jean-Claude Gautrand, Robert Doisneau, Éditions Taschen, 2014, 540 p.
AUDIOVISUEL : Clémentine Deroudille. Robert Doisneau : le révolté du merveilleux. Jour 2 fête, 2015, 77 mn. - Clémentine Deroudille et Mydia Portis-Guerin. Libre cours : Robert Doisneau du 26 et 27 juillet 2014, France Culture, 59 mn x 2.

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