DI BARTOLOMEO Nicola, dit FOSCO, dit VIGO Emiliano, dit ROLAND

Par Pierre Broué, Rodolphe Prager

Né le 12 mars 1901 à Resina (Italie), mort le 10 janvier 1946 près de Naples ; ouvrier métallurgiste ; membre du Parti communiste italien à sa fondation ; exclu comme oppositionnel en 1928 ; bordiguiste puis trotskiste.

Nicola Di Bartolomeo - surtout connu sous le nom de Fosco dans les milieux trotskistes des années 1930 - adhéra en 1915 aux Jeunesses socialistes. Il devint membre du Parti communiste italien en 1921, à la fondation du parti. Condamné lourdement à cinq ans de prison en 1922 pour activité antimilitariste, il purgea effectivement quatre années et demie de détention. Il reprit son action dans le Parti à sa libération en juin 1926 mais ne resta que peu de temps en Italie. Ayant subi une nouvelle condamnation par contumace son Parti le fit passer à l’étranger et il dirigea en 1927 à Marseille les groupes communistes italiens de la Méditerranée. Arrêté, menacé d’expulsion en 1928, le Parti le transféra à Paris. Déjà en opposition avec la ligne de son parti en Italie à la suite du congrès de Lyon de 1926 et critiquant vivement la politique menée en Chine par l’Internationale communiste en 1927-1928, il soutint alors la fraction de gauche regroupée autour d’Amadeo Bordiga, ce qui conduisit à son exclusion du Parti communiste italien en 1928. À l’intérieur de la fraction bordiguiste, il défendit les positions trotskistes, notamment en ce qui concerne la défense de l’URSS et la politique de front unique telle qu’elle fut définie au cours des premiers congrès de l’Internationale communiste sous l’impulsion de Lénine. Au terme d’un débat de six mois, Di Bartolomeo rallia en 1931 la Nouvelle opposition italienne naissante créée par les anciens membres du bureau politique du Parti communiste italien, Pietro Tresso* et Alfonso Leonetti*. Une lettre de Leonetti à Trotsky affirmait qu’il avait adhéré à la NOI le 20 août 1931 sur la base du texte intitulé : Nous et la Fraction de gauche bordiguiste (Arch. Trotsky).
Tout en participant activement à la direction de la NOI, Di Bartolomeo qui travaillait dans des entreprises métallurgiques de la région parisienne, s’inséra profondément dans la lutte du mouvement ouvrier français, tant sur le plan politique au sein de la Ligue communiste (trotskiste) que sur le plan syndical. Ainsi, il fut délégué en mars 1933, au VIIIe congrès de la 20e Union régionale de la CGTU où il se fit au cours des débats, le porte-parole de la minorité syndicale. Des conflits surgis à l’intérieur de la Nouvelle opposition italienne en 1933 amenèrent son exclusion et celle de Tresso, décision aussitôt annulée à la demande de Trotski et du Secrétariat international du mouvement. Ces désaccords incitèrent Di Bartolomeo à créer son propre groupe dit Nostra Parola jusqu’en 1935. Conformément au tournant « entriste » dans les partis socialistes préconisé par Trotsky et l’organisation à cette époque, il rejoignit le Parti socialiste italien dans l’émigration et fit partie du Conseil national de cette formation comme porte-parole de son courant. Cette situation ne se prolongea guère, car il fut exclu dès 1936 avec la majorité de ses camarades pour travail de fraction trotskiste. Vivant sous des noms d’emprunt, depuis son arrestation au « premier mai rouge » de Saint-Denis de 1929 et son refoulement sur la Belgique, Di Bartolomeo fut découvert par la police à Paris et alla se réfugier au printemps 1936, en Espagne. Il fut arrêté à Barcelone pour absence de pièces d’identité, finalement libéré sans être expulsé du pays grâce à une campagne publique de la Confédération nationale du travail anarcho-syndicaliste et surtout du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) dont le principal dirigeant, Maurin, interpellera le gouvernement au parlement (Cortès). Il entretiendra des rapports suivis avec des dirigeants marquants du POUM, comme Nin et Andrade, anciens trotskistes, et ces contacts se firent plus étroits après les combats de rues du 19 juillet où il se trouva en armes aux côtés des militants de ce parti. Les volontaires étrangers commençant à affluer, Di Bartolomeo fut nommé par la direction du POUM, sur une suggestion de Nin, « délégué politique » pour le contrôle et la direction des groupes étrangers dépendant de ce parti, sans que pour autant il ait donné son adhésion au POUM, ni dissimulé sa qualité de trostskyste. Cette responsabilité l’exposa à bien des difficultés et des conflits et lui valut pendant des années, une avalanche de critiques et d’acerbes reproches auxquels il ne manqua pas de répliquer vivement.
Il reçut en particulier, début août 1936, la visite de Jean Rous* émissaire du Secrétariat international du Mouvement pour la IVe Internationale, avec lequel les rapports prirent un mauvais tour à partir de différends d’ordre tactique concernant le POUM et, surtout, en raison des relations qu’entretenait Di Bartolomeo avec le groupe animé en France par Raymond Molinier*. Une séparation de fait se produisit parmi les trotskistes étrangers arrivés en Espagne. Di Bartolomeo anima un petit groupe qui publia à partir de février 1937 le bulletin II Soviet. Il eut d’assez bonnes relations avec un autre délégué du Secrétariat international de la IVe Internationale, Erwin Wolf arrivé à Barcelone en mai 1937, qui se préoccupera vainement de regrouper les forces trotskistes et à l’activité et la vie duquel le Guépéou mit fin par son enlèvement perpétré fin juillet.
À son retour en France, en janvier 1938, Di Bartolomeo rallia le Parti communiste internationaliste animé par P. Frank et R. Molinier. Il collabora régulièrement à La Commune, l’hebdomadaire édité par ce parti, développant une chronique des événements d’Espagne, dénonçant la répression stalinienne à l’encontre des révolutionnaires. Il mena campagne, particulièrement, en septembre 1938, contre le procès intenté aux dirigeants du POUM. Ayant été mis en cause dans le réquisitoire du procureur, il adressa une lettre aux autorités judiciaires demandant à être entendu comme témoin. Il reprit les accusations lancées contre lui pour les réfuter publiquement au cours d’un meeting organisé par le PCI en octobre à Paris. Par ailleurs, il participa activement aux délibérations du comité central du PCI et à l’activité de l’organisation. En marge de la conférence de fondation de la IVe Internationale des pourparlers s’engagèrent en septembre 1938, entre les dirigeants trotskistes des États-Unis, Cannon et Shachtmann, mandatés par Trotsky et une délégation menée par Frank et Molinier dont faisait partie Di Bartolomeo, en vue d’une possible unification des groupes trotskistes français. Ses interventions vigoureuses furent remarquées. En décembre 1938 il adhéra au Parti socialiste ouvrier paysan de M. Pivert avec l’ensemble de son organisation et milita dans la section de Saint-Ouen. Cette expérience fut encore de courte durée puisque le 3 juin 1939 Di Bartolomeo fut exclu du PSOP à la requête de M. Pivert, en même temps que les membres du bureau parisien des Jeunesses socialistes ouvrières et paysannes, tous trotskistes du « groupe Molinier ».
En prévision de la guerre, l’organisation avait décidé de transférer à l’étranger une partie de sa direction dont Frank, Molinier, et Di Bartolomeo qui se rendit à Bruxelles en juillet 1939 muni d’un faux passeport. Il entreprit, ensuite, un voyage en Angleterre avec sa compagne « Sonia » pour s’y concerter avec l’une des organisations trotskistes, la Workers International League et envisager l’installation à Londres de la délégation à l’étranger du PCI. Revenu pour un court séjour à Paris, il fut surpris par la déclaration de guerre. Tentant de franchir rapidement la frontière belge, il fut interpellé et détenu à la prison de Lille puis transféré au camp disciplinaire du Vernet. Après la conclusion de l’armistice une commission italienne visita le camp et il put se faire libérer mais ne jouit que peu de temps de la liberté avant d’être arrêté de nouveau, remis aux autorités italiennes qui le déportèrent dans l’île Isola Tremiti. Les prisonniers s’y organisèrent en collectivités politiques conformes à leur engagement. Le groupe communiste fut de loin le plus nombreux. En collaboration avec un jeune militant du PCI français retrouvé sur place, Di Bartolomeo parvint à rassembler un groupe trotskiste d’une quinzaine de personnes qui constituèrent, après leur libération du camp fin 1943, le noyau de la nouvelle section italienne de la IVe Internationale.
Nicola Di Bartolomeo fut libéré de l’île de Tremiti en 1943. Dans le Sud « libéré », il entra au PSI pour y organiser un travail de fraction et représenta ce travail dans l’organisation syndicale nouvellement créée à Naples, la CGL alors dirigée par des communistes oppositionnels, Enrico Russo - ancien bordiguiste et ancien chef de la colonne Lénine du POUM sur le Front d’Aragon - Libero Villone - qu’il avait connu à Tremiti - et Vincenzo Iorio. Il en devint l’un des principaux dirigeants : l’historien italien Antonio Alosco n’a pas identifié en lui le vieux trotskiste et le prend pour un « socialiste un peu particulier ». Le 29 décembre 1943, au premier conseil général des ligues (syndicats) reconstituées, Di Bartolomeo devint membre de la commission exécutive de la Bourse du Travail de Naples, qui comptait déjà 26 « ligues » et 15 000 adhérents.
Il se rendit à Bari pour prendre part comme délégué des exilés au deuxième conseil national du PSI. C’était à ce moment - 29 janvier 1944 - que s’y tenait un « congrès » syndical organisé par le PCI pour tenter de liquider la CGL. Avec un groupe de militants de Naples de cette dernière, il déjoua la manœuvre et fit adopter une motion en faveur de l’unité syndicale.
Au congrès de Salerne de la CGL de Naples, les 18, 19 et 20 février 1944, il présenta une motion qui fut votée à l’unanimité, pour « la transformation radicale de la société à travers la socialisation des grands moyens de production et d’échange ». Au lendemain de la reconstitution, au début de juin 1944, de la CGIL et en dépit des manœuvres du PCI dirigées essentiellement contre la CGL, il prit position pour l’adhésion de la Bourse du Travail de Naples à la CGIL, en août 1944, en invoquant la nécessité de ne pas entraver l’unité syndicale.
Entré au PSI pour y développer une activité révolutionnaire dans un milieu de jeunes militants qui semblait propice, il chercha pendant toute cette période à rétablir un lien avec la IVe Internationale. Ayant pris un contact avec un marin américain proche du Workers Party, il entra en correspondance avec le dirigeant de ce dernier, Max Shachtman, l’un des organisateurs de la scission trotskiste de 1940. Le 15 décembre 1943, il fit parvenir au secrétariat international de la IVe Internationale un manifeste programmatique intitulé « Adresse aux Travailleurs du Monde », qu’il avait signé de son pseudonyme de Rolando au nom du « centre national provisoire pour la construction du Parti communiste internationaliste ». Il prit contact avec un dirigeant du Socialist Workers Party affilié à la IVe Internationale, Charles Curtiss, puis avec le militant du RCP Charles van Gelderen, mobilisé dans l’armée britannique. Son petit groupe était surtout implanté dans les Jeunesses socialistes mais il avait recruté plusieurs communistes d’opposition, dont Libero Villone, qui, ancien bordiguiste, avait été en 1943, l’un des animateurs, lors de la « scission de Montesanto », de la fraction communiste napolitaine qui refusait l’autorité de l’appareil et de ses permanents parachutés.
C’est en compagnie de Charles van Gelderen, en juillet 1944, que Di Bartolomeo rencontra Romeo Mangano, un ancien dirigeant de la vieille Fédération des Pouilles du PCI, demeuré proche des bordiguistes, dirigeant de la Bourse du Travail à Foggia où il avait une grande influence parmi les travailleurs. Tournant le dos non seulement au travail à l’intérieur du PSI - dont il allait être exclu à la fin de l’année - mais également à la « Frazione » qui regroupait communistes et socialistes exclus sur la gauche de leurs partis respectifs, il pensa trouver une voie rapide vers la construction d’un nouveau parti dans un accord avec Mangano. En octobre 1944, le journal II Militante publia le programme d’action du Partito Operaio Comunista, qui demanda au Secrétariat international son affiliation à la IVe Internationale, et dont Di Bartolomeo fut un dirigeant jusqu’à sa mort.
Il mourut brusquement le 10 janvier 1946 des suites d’un furoncle qui n’avait pu être traité convenablement faute de médicaments adéquats. Il était hors de question de déposer le corps à l’église et l’on redouta des incidents à Resina où il n’y avait jamais eu d’obsèques civiles. Une partie de la population, outrée, ferma ses volets. Sur sa tombe fut gravé l’insigne de la IVe Internationale.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article22687, notice DI BARTOLOMEO Nicola, dit FOSCO, dit VIGO Emiliano, dit ROLAND par Pierre Broué, Rodolphe Prager, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 25 octobre 2008.

Par Pierre Broué, Rodolphe Prager

SOURCES : Arch. Trotsky, Harvard, documents d’exil, n° 1038 et 2666. — La Vérité, 31 mars 1933. — La Commune, de 1938, articles consacrés à l’Espagne. — La Vérité, n° 2, juin 1938, n° 4, mai 1939 ; n° 6, août 1939. — Léon Trotsky, La Révolution espagnole 1930-1940, Éd. Minuit, Paris 1969. — Antonio Alosco, Alle Radici del sindicalismo, Sugar Ed., 1979. — Pietro Bianconi, La CGL sconosciuta, Sapere, 1975. — Les congrès de la IVe Internationale, t. 2, La Brèche, Paris, 1981. — Témoignages de V. Gervasini. — Renseignements recueillis par J.-M. Brabant. — Éléments du dossier de police de Nicola Di Bartolomeo fournis par Virginia Gervasini. — Renseignements sur son activité en Italie après septembre 1943 fournis par Serge Lambert.

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