MONNIER Ferdinand, Alfred.

Par Jean Puissant

Né à Ixelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale) le 2 juin 1854. Ouvrier pâtissier, ouvrier confiseur, libraire, militant socialiste, socialiste révolutionnaire, anarchiste.

Né de parents étrangers, des Français, Ferdinand Monnier – son nom est parfois orthographié Monier et il ne faut pas le confondre avec Léon Monniez – apparaît dans le bassin minier du Borinage (pr. Hainaut) en décembre 1878, dans le sillage de Louis Bertrand. Ce dernier a renoué avec la région à la suite d’une brochure Aux ouvriers mineurs belges, rédigée après une catastrophe minière. Monnier diffuse La Voix de l’ouvrier, hebdomadaire fondé en mai 1878, dont Bertrand est quasiment le seul rédacteur.

Ferdinand Monnier a vingt-quatre ans. Il est mentionné comme ouvrier confiseur, ex-pâtissier et il réside rue de Namur à Bruxelles. Il participe à des meetings de soutien à la grève qui se développe alors. Le procureur du roi de Mons (pr. Hainaut, arr. Mons) est d’avis de procéder à son arrestation en raison de la violence de ses propos. En mars 1879, il est à nouveau dans la région, où réapparaissent des sections de l’ancienne Association internationale des travailleurs (AIT), dont Léon Monniez devient l’animateur, voire un moment le secrétaire fédéral.

Ferdinand Monnier prend la parole lors d’un important meeting, annoncé par affiches dans l’est du bassin, à Jemappes, avec Louis Bertrand et Bartholomé ou Bartholoméy(i) – à moins qu’il ne s’agisse de Guillaume Bartholoméus –, puis à nouveau durant la grève qui suit la terrible catastrophe à la « sinistre fosse » de l’Agrappe à Frameries (pr. Hainaut, arr. Mons) le 15 avril 1879.

Ferdinand Monnier est donc dans la mouvance du Parti ouvrier socialiste belge (POSB) durant cette période. Mais on peut observer très précisément son basculement politique en août. Il participe alors aux réunions du Cercle démocratique (voir Arthur Duverger), nouvellement créé par des étudiants et des employés, des non-ouvriers donc. Toutes les factions politiques de la capitale s’y précipitent pour en prendre le contrôle : les réformistes (PSB), l’Association internationale des travailleurs (AIT) déclinante, les « blanquistes » (Emmanuel Chauvière) et les anarchistes. Le 13 du mois, il déclare vouloir suivre l’exemple des Nihilistes. Il tombe sous le charme du blanquiste, Emmanuel Chauvière. Ce dernier a vingt-sept ans, il a le prestige du « communard », une culture politique, le sens de l’excès, parle bien (des notes de police témoignent de l’admiration suscitée par son discours même chez des adversaires), tandis que son mentor, Louis Bertrand, âgé de vingt-trois ans, débute sa carrière de militant, il est pondéré (« trop peu belliqueux selon l’affirmation de Monnier) et ne sera jamais un orateur.

Dès le mois de septembre 1879, Ferdinand Monnier fréquente les Cercles réunis (CR) de Chauvière et le (15) octobre 1879, il figure dans l’organigramme de son Comité central, au titre de délégué des voyageurs de commerce et des employés, avec Winandie*. Il se prononce en faveur du suffrage universel (SU) avec mandat impératif, l’instruction obligatoire, le peuple armé capable de s’opposer à l’armée… Il est devenu étatiste autoritaire et révolutionnaire puisque c’est la Révolution qui permettrait ce programme. Il est toujours assidu au Cercle démocratique mais reprend une campagne de meetings dans le Borinage (Cuesmes, Jemappes, Quaregnon – pr. Hainaut, arr. Mons), où il est désormais connu. Son discours fait mouche (décembre 1879).
En mars 1880, un jury d’honneur, réunissant des représentants de toutes les fractions « socialistes », est réuni pour connaître de faits relevant de la lutte sans pitié qu’il mène contre L. Bertrand et le POSB. Par dix voix contre deux, Bertrand est « blâmé » pour avoir dénoncé les agissements de Monnier dans des cartes postales adressées dans le Borinage, tandis que de l’autre côté, on regrette les agissements de Monnier « mais nous l’excusons vu l’emportement de son caractère ». Il est vrai qu’à ce moment, le qualificatif de « mouchard » est utilisé par tout le monde dans tous les sens et que les nerfs sont à vif. Il est vrai aussi qu’il y a un et sans doute plus d’un « mouchard » infiltré dans ce petit milieu et que la police est informée en temps réel des rôles et paroles des uns et des autres. La qualité des informations indique qu’il est sans doute l’un d’entre eux. Personne n’a cherché ou n’a réussi à l’identifier, même s’il existe une présomption forte, affirmée par T. Durant dans son mémoire de licence (voir SOURCES), à savoir Égide Spilleux*, effectivement agent à Paris du préfet de police, Andrieux, en 1880, hypothèse non seulement possible, mais aussi probable, mais qui ce jour n’est toujours pas démontrée.

Dans une lettre du 31 mars 1880 publiée dans Les Droits du Peuple, Ferdinand Monnier officialise sa rupture avec La Voix de l’ouvrier de Louis Bertrand, pourtant évidente depuis plusieurs mois. Le journal Les Droits du Peuple (avril 1880) concurrence désormais La Voix de l’ouvrier et prend sa place dans de nombreuses maisons boraines. Monnier est un des collaborateurs et également le diffuseur. Louis Bertrand, qui a milité avec lui, puis avec qui il s’est violemment opposé, écrit dans ses Souvenirs d’un meneur socialiste (vol. 1, p. 202) : c’est « un dévoyé, un exalté » qui a travaillé, avec Chauvière, à la désaffiliation des sections boraines du POSB (Parti ouvrier socialiste belge).

Le 11 avril 1880, un congrès des sections boraines à Cuesmes (aujourd’hui commune de Mons, pr. Hainaut, arr. Mons), en l’absence des « réformistes », crée une Fédération boraine : dont Ferdinand Monnier en est confirmé secrétaire alors que Monniez a donné sa démission. Le 23 mai, une importante manifestation se tient à Frameries pour accueillir 22 délégués des Cercles réunis bruxellois. Le Borinage est divisé, à la réunion du 4 juillet, à la manifestation du 15 août en faveur du suffrage universel à Bruxelles à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance belge, Monnier représente trois sections (Cuesmes, Jemappes, Frameries) tandis que Duverger et Bartholomeus en représentent cinq (l’ouest du bassin). Mais le 21 juillet, les CR refusent d’y participer puisqu’elle demandera la réforme à la classe bourgeoise et qu’elle est donc « antirévolutionnaire ». En fin de compte, les CR sont néanmoins présents en groupe, qui fait le coup de poing en chantant La Carmagnole, Ça ira. Monnier est arrêté pour avoir crié « Vive la révolution ». Il est relâché, le commissaire responsable considérant que l’on est dans le cadre de la liberté d’expression constitutionnelle.

Entretemps, les CR veulent créer une « Union révolutionnaire » en Belgique. Ils convoquent un Congrès révolutionnaire socialiste le 19 septembre 1880 à Bruxelles. Ferdinand Monnier fait partie de la commission d’organisation. L’objectif, comme l’avaient tenté les réformistes avec la création du POSB en 187), est d’unifier les diverses tendances socialistes sous la houlette des CR. Il est impossible de connaître le nombre de groupes représentés par 40 à 45 délégués selon Les Droits du Peuple, ou 62 selon D. Deweerdt. Pour sa part, Louis Bertrand, présent au congrès, indique que seuls six délégués de province y participent : trois pour Verviers et un pour Ensival, un pour Liège, un pour Jemappes. Un rapport de police note la participation de douze groupes de province. Le conseil général élu compte des représentants des CR, dont Chauvière et Monnier, des anarchistes bruxellois, ainsi qu’un internationaliste, Eugène Steens* qui a obtenu le plus grand nombre de voix, à savoir vi,gt-huit. Les groupes gardent leur autonomie conformément aux règlements de l’Internationale antiautoritaire. Un second congrès se tient à Verviers le 25 décembre 1880. Il aurait réuni environ 300 personnes, 26 groupes représentés (selon la police), 35, selon J. Moulaert (voir Sources). Un troisième congrès, à Cuesmes le 30 mars 1881, aurait réuni 40 groupes, dont 24 venant de Bruxelles, dont 12 CR au moins, représentés par 28 délégués. Y est préparé le congrès international de Londres (juillet 1881), qui marque la fin de l’Internationale anti-autoritaire.

Pour en revenir à Ferdinand Monnier, il évoque à plusieurs reprises des armes, le fait qu’il serait armé. En novembre 1881, il est expulsé comme étranger, alors qu’il se pense belge et aurait fait son service militaire. De fait, il revient en Belgique et vit rue de Stassart à Ixelles (Bruxelles), mais ne figure plus dans les documents de police. Il réapparaît en 1885, il tient une librairie-périodiques, à la rue de Rollebeek dans le quartier des Sablons à Bruxelles, où de nombreux anarchistes ont vécu et vivront. Signalé comme indigent, il fréquente les milieux anarchistes rencontrés lors de l’épisode « Union révolutionnaire » en 1880, qu’il a définitivement rallié sans doute après le retour de Chauvière à Paris en 1882.
En février 1885, lors de l’agitation des sans travail, Monnier intervient lors d’un meeting de Jean Volders : « … Ah le Suffrage universel, il s’agit bien de cela ! Allons droit au but, à la bourgeoisie, c’est elle que nous devons tuer ». Il est applaudi.

Ferdinand Monnier fait partie du groupe, composé d’Égide Govaert, Ferdinand Pintelon, Henri Wysmans, Xavier Stuyck et Alexandre Colignon, qui crée l’hebdomadaire Ni Dieu, ni maître (mai 1885-mai 1886), qui remplace le parisien L’Insurgé. À la suite de l’interpellation d’anarchistes français, il est condamné pour violences sur la police en juillet 1885.
En mars 1886, à la suite des émeutes à Liège (pr. et arr. Liège), Monnier gagne la Cité ardente avec Henri Wysmans. Il parle à Dison (pr. Liège, arr. Verviers) où il est brièvement arrêté et emprisonné. De retour à Bruxelles, il participe sans doute à la confection d’un manifeste violent incitant à la « reprise » dans les galeries du Centre (pr. Hainaut) et au quartier Léopold (quartier aristocratique et bourgeois). Léon Defuisseaux* défend son frère, Alfred*, inculpé et condamné pour Le Catéchisme du peuple, accusé d’anarchisme en publiant un « 2e Catéchisme du peuple » qui prend ses distances avec l’anarchie en attaquant vivement les anarchistes. La réplique vient d’un Catéchisme d’un anarchiste. Réponse au sieur Léon Defuisseaux, qui ne doit pas être étranger à Monnier.

Lors de la manifestation du Parti ouvrier belge (POB) en faveur du suffrage universel en 1886, Ferdinand Monnier sort un tract à 6.000 exemplaires, qui dénonce l’illusion de la lutte politique, saisi par la police. En novembre, il est cette fois condamné à trois mois de prison par la Cour d’assises du Brabant. Il est membre de l’Avant garde républicaine. Monnier continue à diffuser la littérature anarchiste dans sa boutique, notamment Le Cri des opprimés d’Émile Chapelier, publié en 1896 à Charleroi (pr. Hainaut, arr. Charleroi), auquel il collabore.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article227050, notice MONNIER Ferdinand, Alfred. par Jean Puissant, version mise en ligne le 2 mai 2020, dernière modification le 2 mars 2021.

Par Jean Puissant

SOURCES : BERTRAND L., Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830, t. 2, Bruxelles, 1907 – WOUTERS H., Documenten betreffende de geschiedenis der arbeidersbeweging ten tijde van de Ie Internationale (1866-1880), deel III, Leuven-Paris, 1970 (Cahiers du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, 60) – PUISSANT J., L’évolution du mouvement ouvrier socialiste dans le Borinage, Gembloux, réédition, 1993 – MOULAERT J., Le mouvement anarchiste en Belgique (1870-1914), Ottignies-Louvain-la-Neuve, 1996 – DURANT T. , « Les Cercles réunis », contribution à l’histoire des groupes blanquistes bruxellois autour de 1880, Mémoire de licence en histoire ULB, Bruxelles, 2007-2008 – DUPUY R., « Monier (ou Monnier) Ferdinand », dans Dictionnaire des anarchistes, Site Web : maitron.fr.

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