DE POTTER Agathon. [Belgique]

Par Jean Puissant

Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 11 novembre 1827 − Saint Josse-ten-Noode (Bruxelles), 30 octobre 1906. Médecin, éditeur, diffuseur et défenseur de l’œuvre de Jean de Colins, fils de Louis de Potter.

Fils de Louis de Potter, publiciste libéral, futur membre du gouvernement provisoire de la Belgique en 1830, et Sophie-Eugénie Van Weydeveldt, dite Sophie de Champré, fille d’un « tapissier » brugeois, Agathon (le « bien » de Platon), éduqué par son père, est formé par la lecture de l’œuvre de Jean de Colins laquelle est relue avant publication par son père. Louis de Potter, devenu disciple de Colins, voire, comme le suggère son biographe Maurice Bologne, véritable co-générateur de l’œuvre de Colins], dans la mesure où il publie avant même ce dernier. Ce dernier nous apprend ainsi qu’« à mesure que je composais ce travail sur la science sociale, je l’envoyais à M. de Potter qui en prenait copie et s’en servait pour l’éducation de son fils… » (BERTRAND L., Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830, vol. 2, Bruxelles, 1907, p. 95). La brouille entre Colins et Louis de Potter (1848-1852) limite la portée de cette hypothèse de Bologne. En revanche le rôle du fils, Agathon, est indubitable, mais cette fois en termes de vulgarisateur, au sens de mettre à disposition du public par l’édition de l’œuvre, mais surtout par la traduction en langue simplifiée et de manière synthétique, des écrits de Colins.

En plus des études de médecine à l’Université libre de Bruxelles (ULB), Agathon de Potter effectue également des études musicales et obtient un premier prix au Conservatoire de Bruxelles. Il dispose grâce à son père d’une solide formation classique. À la sortie des études médicales, il est un moment interne à l’hôpital Saint-Pierre de Bruxelles lors d’une épidémie de choléra. Ce sera sa seule pratique de médecin.

Après ses études de médecine, dès 1854, en parfaite « communion intellectuelle » et durant toute son existence, Agathon De Potter, rentier, se consacre exclusivement à l’édition, la diffusion et la défense des écrits de Colins. On observe régulièrement dans les comptes rendus des associations rationalistes et ouvrières bruxelloises l’envoi d’ouvrages de Colins, pour lequel il est remercié. Malheureusement l’œuvre de Colins est particulièrement volumineuse et hermétique. On peut douter de leur utilisation formatrice pour leurs membres, excepté chez César De Paepe*, alors étudiant, puis typographe, mais par le canal de Jules Brouez, notaire montois, disciple de Colins. Néanmoins les contacts avec De Paepe se vérifient par la suite.

Après la mort de Jean de Colins en 1859, Agathon de Potter publie plusieurs études dont Économie sociale en 1874, véritable introduction à la pensée de Colins. En 1875, avec l’aide du cercle colinsien de Mons, notamment de J. Brouez, J. Bourlard, avocat et père de son épouse, il crée à Paris la revue, La Philosophie de l’avenir - Revue du socialisme rationnel (1875-1914), qui est placée sous la direction du journaliste Frédéric Borde (1841-1911). Cette publication a pour fonction essentielle d’exposer et de défendre la pensée de Colins. C’est peut-être la disparition de sa mère Sophie, usufruitière de la fortune familiale, qui lui permet de disposer désormais de confortables revenus dans ses entreprises éditoriales. Cette fortune est constituée d’importantes propriétés foncières en Flandre occidentale, qui paradoxalement le conduisent à défendre, en toute conscience et conviction, la propriété collective du sol puis la nationalisation du sol qui devient l’axe principal de la revue au 20e siècle (voir plus loin). Il est en effet plus attentif au contenu économique que métaphysique de la pensée de Colins, comme le souligne, le titre de son œuvre majeure, Économie sociale, éditée en deux volumes en 1874. C’est ce qui lui vaut d’ailleurs sa présence dans L’Hydre du socialisme en Belgique, caricature parue dans La Bombe du 21 juin 1879.

Sur proposition de Jules Brouez, Agathon de Potter finalise la publication de l’œuvre monumentale de Colins, Science sociale, tomes VI à XIX, entre 1882 et 1896. En 1884, tout en continuant à collaborer à La Philosophie de l’avenir, il oriente ses soutiens, à l’incompréhension et au désespoir de Borde, vers une nouvelle revue créée par Jules Brouez, La Société nouvelle (1884-1897), confiée par le notaire montois à son fils Fernand. A. de Potter collabore également à cette revue, dont le spectre est beaucoup plus large et accueille des auteurs d’opinions diversifiées. Pour sa part, de Potter multiplie les correspondances, y compris à des personnalités en vue, pour mettre en valeur Jean Colins et ses théories, espérant susciter des réactions, les articles dans La Revue trimestrielle libérale de Bruxelles (années 1860), les revues d’inspiration « colinsienne », nombreuses et éphémères en France, et polémique courtoisement mais avec vigueur.

Agathon de Potter publie en 1885 La peste démocratique, ouvrage dans lequel il dénonce les mouvements violents que pourraient entrainer les luttes pour les réformes sociales. Il y rappelle que Colins pense à une révolution rationnelle venue d’en haut, qui, pour des raisons métaphysiques, transformerait la société en collectivisant la terre. Il se rend compte que cette position théorique, si elle entraine des adhésions et parfois un intérêt courtois, risque de ne jamais connaître un début de réalisation. Il se rallie alors à l’idée de « nationaliser » progressivement les terres, partagées par d’autres courants d’opinion, par suppression de l’héritage foncier qui irait à la communauté représentée par l’État et conduirait à terme à la disparition de la propriété privée du sol et des infrastructures de production. Agriculteurs et entrepreneurs deviendraient ainsi de simples locataires du bien commun. Les revenus de la location serviraient au fonctionnement de l’État et à l’établissement de ce qu’on appelle aujourd’hui une sécurité sociale généralisée. La revue, où « socialisme rationnel » prend de plus en plus d’importance, se rallie à la création de la Ligue pour la nationalisation du sol (1901). Fouriéristes, certains agrariens et colinsiens se retrouvent dans ce mouvement, mais aussi socialistes comme les belges Louis Bertrand, Guillaume De Greef, Hector Denis, Henri La Fontaine, Émile Vandervelde*, qu’il a réussi à intéresser.

En 1904, Agathon de Potter plaide en faveur d’une organisation internationale. En décembre, les sections de Bruxelles et de Mons (« colinsiennes ») adressent une pétition aux deux Chambres demandant, qu’en attendant la nationalisation intégrale du sol, le bassin houiller de Campine (pr. Limbourg) devrait être déclaré « propriété nationale », le sol constituant « une matière première absolue, qui, contrairement au capital, n’est pas le résultat du travail accumulé, mais la condition de tout travail productif » (voir RENS I., OSSIPOW W., Histoire d’un autre socialisme. L’École colinsienne (1840-1940), Neuchâtel, 1979 p. 100). Cette initiative est soutenue par les représentants socialistes, en vain.

À noter également, qu’en opposition à Frédéric Borde, tenté par l’antisémitisme, Agathon de Potter témoigne d’une ferme opposition à ce racisme et prend la défense d’Alfred Dreyfus. « L’antisémitisme s’explique jusqu’à un certain point de la part des conservateurs, des exploiteurs, de la classe privilégiée. Mais ce qui passe la compréhension, c’est que certains socialistes, très peu nombreux d’ailleurs, ont donné dans le grossier panneau que les conservateurs leur tendaient. » (1898, cité dans RENS I., OSSIPOW W., op. cit., p. 66).

Agathon de Potter, sans descendance, fait de son secrétaire et collaborateur, Félix Guillaume, son principal héritier, sous réserve de legs particuliers frappés de conditions, une rente viagère à Frédéric Borde, qui cesse donc en 1911, à ses deux domestiques, et pour la nue-propriété à l’Académie royale de Belgique pour la création d’un prix portant son nom au bénéfice de chercheurs de sciences exactes, à l’exclusion explicite des sciences humaines, « À l’égard desquelles l’ Académie des sciences de Belgique, comme toutes les autres d’ailleurs, est par essence incompétente ». Il est également destiné à encourager les découvertes concernant les maladies professionnelle et à faciliter la publication des résultats des recherches de « travailleurs intellectuels, capables, mais pauvres ». Le prix Agathon de Potter, triennal, est attribué depuis 1919.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article227053, notice DE POTTER Agathon. [Belgique] par Jean Puissant, version mise en ligne le 2 mai 2020, dernière modification le 22 mars 2024.

Par Jean Puissant

ŒUVRE : Notamment De l’instruction obligatoire comme remède aux maux sociaux, Bruxelles, 1866 − La logique, Bruxelles, 1866 − Économie sociale, 2 vol., Bruxelles, 1874 − Contribution à l’étude des maladie mentales. La peste démocratique (Morbus democraticus), Bruxelles, 1884.

SOURCES : WOUTERS H., Documenten betreffende de geschiedenis der arbeidersbeweging (1853-1865), Leuven-Paris, 1966 (Cahiers du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, 40) − RENS I., Introduction au socialisme rationnel de Colins, Neuchâtel, 1968 − RENS I., « Colins de Ham (Jean-Guillaume) », dans Biographie nationale, t. XXXVII, Bruxelles, 1971-1972, col. 168-191 − RENS I., OSSIPOW W., Histoire d’un autre socialisme. L’École colinsienne (1840-1940), Neuchâtel, 1979 − MAITRON J. (notice revue et complétée par GRANDJONC J.), « Colins Jean de », dans Site Web : maitron.fr.

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