DILLINGER Charles

Par François Uberfill

Né le 12 septembre 1920 à Bischheim (Bas-Rhin), mort le 26 février 1981 à Strasbourg (Bas-Rhin) ; militant de la JOC du Bas-Rhin (1945-1947) ; syndicaliste CFTC puis CFDT du Bas-Rhin puis de la région Alsace, secrétaire général de l’Union régionale d’Alsace (1957-1975), membre du bureau et du conseil confédéral (1955-1973).

Fils de Marcel Dillinger, agent SNCF et de Stéphanie Heilmann, Charles Dillinger, après avoir fréquenté l’école primaire de Schiltigheim, fit des études secondaires au collège privé Saint-Antoine de Phalsbourg. Il avait à peine travaillé une année en tant qu’employé du Trésor en Alsace annexée lorsque, le 25 octobre 1943, il fut incorporé de force dans l’armée allemande. Il ne fut libéré que le 5 juin 1945. À son retour de captivité, il découvrit la JOC reconstituée après la Libération. Il fut impressionné, au cours d’une session, par le témoignage de Théo Braun*. Dans les années d’après-guerre, qui virent redémarrer nombre de mouvements et d’associations, la JOC organisait de grands rassemblements et défilés dans les rues de Strasbourg : un meeting réunit 30 000 jeunes au Palais des fêtes. Dillinger devint permanent dès 1945, puis président fédéral de la JOC du Bas-Rhin entre 1945 et 1947. Avec ses camarades jocistes, il apprit à analyser la condition ouvrière régionale, prit conscience de l’identité ouvrière chrétienne et de l’existence d’une solidarité ouvrière profonde. En 1978, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la JOC/JOCF, l’équipe fédérale de Strasbourg s’adressa à lui pour lui demander d’écrire l’histoire du mouvement en Alsace, ce qu’il fit dans un ouvrage paru un an avant sa mort, De Wissembourg à Sélestat, 50 ans de JOC. Le 24 mai 1949, il épousa à Schiltigheim Lucienne Bauer, fille de René Bauer, agent des Eaux et Forêts. De cette union naquirent trois enfants.
Entré très tôt à la CFTC, il fut rapidement remarqué pour ses qualités d’organisateur : en effet, il avait mis en place l’organisation syndicale des fonctionnaires. En 1947, il devint permanent CFTC. Si l’organe de décision de la Fédération des syndicats chrétiens était le conseil, la « réunion des permanents » jouait un rôle essentiel dans l’organisation du travail. Dans les années 1960, la fédération salariait une dizaine de permanents, cinq à Strasbourg, cinq à Mulhouse. Il devint secrétaire général de la Fédération des syndicats chrétiens d’Alsace le 3 février 1957 et de l’Union régionale CFTC le 7 avril 1957. C’est à lui qu’incombait la charge de présenter le rapport d’activité lors des congrès régionaux, tâche dont il s’acquittait avec une grande minutie et beaucoup de rigueur.
Avec Théo Braun, il fut de ceux qui eurent à piloter au début des années 1960, au niveau de l’Alsace, la transformation du syndicat CFTC et à se prononcer sur la question de l’adhésion de la région à la nouvelle confédération sortie du congrès de 1964. En 1960, il fut élu membre du bureau et du conseil confédéral. Très réticent quant au rapprochement avec la CGT qu’il jugeait trop proche du PC, il déclara au congrès confédéral de février 1962 que « compte tenu de la différence de tempérament entre Paris et la province, nous demandons à la CFTC de revenir à une attitude plus saine et plus conforme à la mission de la CFTC qui est notre raison d’être : l’action syndicale ». Lorsqu’à la fin de l’année 1962, la confédération mit en place une « commission des sages » pour travailler sur la réforme des statuts, il fut l’un des organisateurs du week-end de réflexion tenu à Obernai les 2 et 3 février 1963, destiné aux présidents et aux secrétaires des syndicats et des unions locales d’Alsace et dont le but était de discuter le rapport de cette commission. À l’issue des travaux, il prit l’initiative, ce qui n’était pas prévu, de faire envoyer les rapports des six groupes de travail, assortis de remarques des principaux syndicats, ce qui surprit beaucoup les membres de la commission des sages mais leur fournit des indications précieuses sur l’état d’esprit de l’Alsace. Le compte rendu général du week-end insistait sur quelques points : l’attachement au pluralisme syndical, l’attention accordée à la construction européenne et à l’aide au Tiers-monde, l’insistance pour le maintien de l’adhésion de la CFTC à la Conférence internationale des syndicats chrétiens. En effet, à partir de 1963, Dillinger, tout comme d’ailleurs Théo Braun, craignait la scission et faisaient le reproche à Sauty* et à Tessier* de se désintéresser complètement des efforts de l’Alsace pour amender le projet des nouveaux statuts. Au conseil national confédéral des 20 au 23 février 1963, Dillinger et Haas (syndicat des cadres du Haut-Rhin) demandèrent un vote sur le maintien de la référence à la morale chrétienne qui n’obtint que 8 voix, alors que le « non » en recueillit 33. Les nouveaux textes furent adoptés à cette majorité : l’Alsace s’était rangée dans le rang des « contre ».
Au congrès confédéral d’Issy-les-Moulineaux où les nouveaux statuts furent approuvés par 70 % des mandats, Dillinger et Braun firent tout leur possible pour conserver l’unité des syndicats de la région. En rendant compte du congrès au bureau de l’Union régionale le 9 novembre, Dillinger déclara : « Nous sommes tous pour un syndicalisme inspiré par la morale sociale chrétienne. Au congrès, nous avons défendu loyalement notre point de vue. Le vote démocratique ayant été contre nous, il faut nous incliner. Sauty et ses camarades dissidents sont dans une fausse position et ne constituent pas une équipe valable. Si nous les soutenons, ce sera pure perte. Nous ne pourrons donc faire œuvre utile qu’en adhérant à la CFDT. D’ailleurs il faut convenir que notre particularisme ne peut pas indéfiniment se défendre. »
Dillinger s’en tint strictement à cette ligne de conduite qu’il défendit aussi longtemps qu’il resta en responsabilité et dont il ne dévia jamais. Au lendemain du congrès régional des 15-16 mai 1965 qui, à une large majorité, se prononça en faveur de la nouvelle CFDT, Dillinger fut élu à l’unanimité secrétaire général de l’Union régionale, alors que Théo Braun était réélu président. Au mois de septembre de la même année, le conseil de l’UR lui confia la responsabilité de la « commission organisation » qui eut un rôle stratégique dans le fonctionnement du syndicat et dans la mise en œuvre des décisions. Enfin, lorsqu’en 1968, Théo Braun quitta la présidence de l’Union départementale du Bas-Rhin pour assurer la présidence de la Banque fédérative du Crédit mutuel en Alsace, il prit sa succession, tout en restant membre du bureau confédéral.
Au cours de ces années de profonde mutation, Charles Dillinger eut la lourde charge de mettre en œuvre la nouvelle orientation confédérale. Son action, jusqu’en 1975, fut marquée par le souci constant de tenir la balance égale entre ceux qui regrettaient l’évolution de 1964-1965 et ceux qui poussaient à aller de l’avant. Il conservait au fond de lui-même le souhait de pouvoir rétablir un jour l’unité syndicale entre les organisations divisées. C’est pourquoi il reprocha vivement au bureau confédéral d’avoir pris la décision de quitter la Conférence internationale des syndicats chrétiens, information qu’il découvrit dans la presse. Dans sa lettre du 27 mai 1967 à Georges Levard*, président de la CFDT, il lui reprocha de n’avoir pas respecté la parole donnée et de « donner ainsi raison à ceux qui nous ont quittés et ne nous ont pas suivis dans l’évolution et notamment notre décédé Henri Meck* ». Et il ajoutait : « En effet depuis le congrès de 1964, nous n’avons cessé d’insister sur le fait que la CFDT était la seule continuatrice de la CFTC et que l’ensemble du bureau confédéral était garant pour l’avenir que nous ne quitterions pas la CISC. Or, aujourd’hui, tout est remis en cause. » Au-delà de la référence chrétienne, c’est également le souci de la solidarité avec le Tiers-monde, qu’il avait appris durant ses années à la JOC qui le firent réagir ainsi.
La fin des années 1960 vit arriver de jeunes militants qui se firent élire dans les conseils et les unions départementales : Marcel Clément* pour l’UD du Bas-Rhin, François Staedelin* pour l’UD du Haut- Rhin. Ils imprimèrent un autre style de réflexion et d’autres modes de décision et d’action syndicale. Il devint ainsi de plus en plus difficile de coordonner les actions et les décisions des deux UD et la fonction de secrétaire régional en pâtit sérieusement. Dillinger, qui ne recherchait pas les affrontements et qui ne partageait pas toujours en son for intérieur les nouvelles orientations, abandonna peu à peu ses responsabilités et se retira des instances syndicales en 1975, au moment où Jean Kaspar* fut élu secrétaire de l’Union régionale. Notons pour terminer, et c’est presque une exception parmi les responsables CFTC alsaciens des années 1950 et 1960, que Charles Dillinger ne s’est jamais laissé tenter par la politique et qu’il ne fut jamais candidat aux élections cantonales. Il fut nommé en mars 1966 membre de section du Conseil économique et social (section du Plan et des investissements).
La volonté de Charles Dillinger d’œuvrer à la promotion de la classe ouvrière l’amena à s’engager dans de nombreuses organisations régionales. Il fut membre du conseil d’administration de la Caisse primaire d’assurance-maladie de Strasbourg de 1962 à son décès et président de cet organisme de 1963 à 1971. Il fut également membre du conseil d’administration de la Caisse régionale d’assurance-maladie de Strasbourg de 1972 à 1979, membre de la commission administrative des hôpitaux de Stephansfeld et de Hoerdt de 1948 à 1973, de l’hospice de Bischwiller de 1948 à son décès, membre du conseil d’administration du Centre hospitalier de Strasbourg et de la clinique Adassa de 1973 à 1980, membre du conseil d’administration du Sanatorium départemental du Haut-Rhin à Colmar de 1953 à 1980, président du Comité d’action sociale en faveur des travailleurs migrants de 1975 à son décès. Lorsqu’en juillet 1964 furent mises en place les Commissions de développement économique et régional (CODER), il fut, ainsi que Théo Braun, nommé titulaire au titre de la CFTC. Il fut également membre de l’Association de développement et d’industrialisation de la Région Alsace (ADIRA) de 1966 à 1973, membre du comité de gestion de l’Institut du travail de Strasbourg. Membre du Conseil économique et social de 1969 à 1974, il exerça également les fonctions de représentant permanent de la Confédération mondiale du travail auprès du Conseil de l’Europe. Enfin, il fut longtemps membre actif, puis président entre 1979 et 1981, du Centre d’études et d’action sociale d’Alsace (CEAS), devenu ensuite Secrétariat social d’Alsace, un organisme de formation des chrétiens engagés dans l’action sociale. Ses multiples activités lui laissaient encore le temps de s’investir dans la vie de son quartier, l’Esplanade, un nouveau quartier qui se construisit dans les années 1960-1970 sur l’emplacement de l’ancien quartier militaire. C’est ainsi qu’il accepta la présidence du conseil de surveillance de la Caisse mutuelle (CMDP) de Strasbourg-Esplanade et qu’il fut, entre 1964 et 1975, le premier président du conseil de fabrique de l’église de la Sainte Trinité (Esplanade) qui fut ouverte au culte en 1966 et dont il eut à superviser le financement.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article22730, notice DILLINGER Charles par François Uberfill, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 6 mars 2019.

Par François Uberfill

ŒUVRE : De Wissembourg à Sélestat, 50 ans de JOC. Témoignages recueillis par Charles Dillinger, supplément aux Équipes sociales d’Alsace, Strasbourg, 1979, 358 p.

SOURCES : Frank Georgi, L’invention de la CFDT, 1957-1970, Éd. de l’Atelier, 1995. — Nouveau Dictionnaire de Biographie alsacienne, fascicule 8, 1986, p.663-664, notice d’Eugène Kurtz. — François Igersheim, « De la CFTC à la CFDT en Alsace », in De la CFTC à la CFDT. — L’évolution confédérale. L’adhésion de l’Alsace, Almémos, Strasbourg, 2004. — François Uberfill, Les Congrès régionaux des 15 et 16 mai 1965, même ouvrage.

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