TËTEDOUX Jacques, Désiré

Par Gérard Boëldieu

Né le 9 juillet 1814 au Chevain (Sarthe), mort le 15 novembre 1905 à La Chartre (Sarthe) ; instituteur dans la Sarthe de 1838 à 1850 ; républicain ; condamné par la commission mixte de la Sarthe le 19 février 1852.

Au milieu des années 1830, Jacques Têtedoux résidait à Saint-Vincent-des-Prés (1241 habitants en 1836 ; dans le canton de Mamers) où son frère, François, né à Condé-sur-Sarthe (Orne) en 1808, était instituteur-secrétaire de mairie depuis 1831. Jacques était alors tisserand et étudiait pour entrer à l’École normale de la Sarthe, au Mans. Un autre frère, Noël, né à Condé-sur-Sarthe en 1812, était sous les drapeaux. Né à Gesnes-le-Gandelin (Sarthe) en 1798 du premier mariage de leur père, leur demi-frère, Louis, bachelier es lettres depuis 1818, ensuite maître d’études dans divers collèges normands (Rouen, Avranches, Alençon), s’apprêtait, muni d’un brevet élémentaire passé au Mans en 1834, à devenir instituteur communal-maître de pension à Fresnay, important chef-lieu de canton du nord-ouest de la Sarthe. [À sa retraite, en 1864, Il y laissa un excellent souvenir]. Leur père à tous, Louis Têtedoux, né à Gesnes-le-Gandelin en 1769, ancien militaire pensionné (artilleur), s’apprêtait à quitter la Sarthe pour s’installer à Paris, à l’Hôtel des Invalides. Sa deuxième femme, la mère de François, Noël et Jacques, Marie Fouet, née à Hesloup (Orne) en 1786, l’accompagnait.

Jacques Têtedoux entra à l’École normale d’instituteurs de la Sarthe en 1836, un des douze élèves de la troisième promotion. Il en sortit en 1838, muni du brevet élémentaire. Il laissa le souvenir d’un élève sérieux et travailleur.

Son premier poste fut Roëzé (1388 habitants en 1836), sur la Sarthe, au sud du Mans. Très mal reçu par le curé, protecteur d’un instituteur privé, un ecclésiastique nommé par l’évêque, Têtedoux débuta avec neuf élèves. Le curé lui interdisant de réunir garçons et filles, il donna des leçons au domicile de quelques parents ce dont le même curé se plaignit à son évêque. D’abord découragé, se voyant refuser tout retour dans l’arrondissement de Mamers auprès de ses frères, Têtedoux se ressaisit après le départ de l’instituteur privé. Il réussit à gagner la confiance des autorités locales et du maire. Le 9 septembre 1840, il épousa Madeleine Taron, née à Roëzé le 2 avril 1818, fille du sacriste. Mariage de courte durée car il devint veuf le 14 janvier 1842. L’année suivante, il passa à Noyen (2662 habitants en 1841), commune proche de Roëzé, où l’instituteur Lefaucheux, un ancien normalien de la première promotion, était « au plus mal avec les autorités locales ». À Roëzé, Têtedoux fut remplacé par son frère François qui y fut bien accueilli.

Il n’en fut pas de même pour Jacques Têtedoux à Noyen où, de notoriété publique, le clergé voulait des Frères et voyait d’un très mauvais œil tout instituteur laïque. Très vite Têtedoux fut dénoncé pour « conduite immorale ». Considérant le contexte local, l’inspecteur des écoles Solaire renonça à s’informer sur place : « l’autorité ecclésiastique triompherait si après une enquête, Têtedoux était jugé coupable. L’École normale serait attaquée car Lefaucheux et Têtedoux en sortent. J’aime donc mieux croire à l’innocence de cet instituteur » écrivait-il au Recteur le 9 avril 1844. Il proposa Têtedoux à Saint-Biez-en-Belin (696 habitants en 1841) dans le canton d’Écommoy, poste vacant depuis la mort du titulaire, fin décembre 1843.

Dans cette petite commune, Têtedoux affronta le maire qui avait confisqué son indemnité de logement (70 F) en vue de travaux de voierie. En 1845, deux camps se faisaient face : d’un côté Têtedoux appuyé par l’ensemble du conseil municipal opposé au maire, de l’autre le maire soutenu par la châtelaine, la baronne Dejean (1785-1864), épouse de Pierre baron Dejean (1774-1845), ancien militaire, ornithologue à Tours (noblesse d’Empire depuis 1808). Elle avait promis à l’instituteur une subvention qu’elle tardait à verser. Le 15 juillet 1845, la baronne se plaignit auprès de l’Inspecteur des écoles et demanda le renvoi de ce « maître d’école » qui, selon elle, avait « l’habitude partout où il demeure de diviser les habitants avec le conseil municipal ». Le 31 juillet, des habitants, l’adjoint en tête, signaient une pétition dénonçant les « actes de tyrannie » subis par des fillettes de l’école privée, école soutenue par la baronne, venues avec leurs frères et leurs mères souhaiter bon anniversaire à l’instituteur : faire dix croix sur le pavé avec la langue ; celle qui avait prononcé le compliment devant en outre se cogner la tête sur le sol. L’inspecteur des écoles proposa de placer Têtedoux, qui n’était à Saint-Biez qu’intérimaire, à Vibraye (3081 habitants en 1846) chef-lieu de canton dans l’arrondissement de Saint-Calais, où l’instituteur titulaire, son engagement décennal accompli, se destinait à la carrière d’agent des cours d’eau.

Têtedoux fut des instituteurs qui accueillirent la Seconde République avec enthousiasme. Pendant les événements révolutionnaires de février 1848 une salle de son école devint club politique où il s’exprima. Le 23 juin suivant, alors que les ouvriers parisiens commençaient à se soulever après la dissolution des Ateliers nationaux, Têtedoux, sans prévenir le maire de Vibraye, confia son école à deux de ses moniteurs âgés respectivement de 13 ans et demi et de 14 ans et demi, et partit pour Paris. Le 25 juin, vers 4 heures du soir, quai des Ormes où s’élevait une barricade, il fut blessé au visage. Il perdit son œil gauche. De retour à Vibraye début juillet, il rendit compte à ses supérieurs : « … si j’ai exposé ma vie c’était pour l’Ordre, c’était pour sauver la Famille et la Société. Si j’ai répandu mon sang, c’était pour le salut de la République ». Il tint à signaler avoir été « frappé revêtu de (son) uniforme de la garde nationale ». À Vibraye et ses alentours une polémique s’engagea. Le 7 juillet, le maire contredit Têtedoux officiellement : « Monsieur Têtedoux a été blessé dans les rangs des insurgés ». En outre, il demandait que l’inspecteur des écoles de la Sarthe vienne enquêter sur celle de sa commune où l’autorité des moniteurs avait été méconnue pendant l’absence de l’instituteur.
Venu à Vibraye le 13 juillet, l’inspecteur des écoles Dalimier, en poste dans la Sarthe depuis la fin de 1847, reprocha à Têtedoux ses « oublis du devoir » : absence sans autorisation ; durée de celle-ci qui excéda les huit jours d’un congé réglementaire ; abandon de son école. En conséquence, Dalimier proposa sa comparution devant le comité d’instruction de l’arrondissement. Pour l’exemple, ajoutait-il, car, Têtedoux avait alors dans la Sarthe de « nombreux imitateurs ». La réunion du comité d’arrondissement se tint à Saint-Calais le 4 août en présence de Dalimier. Contrairement aux prévisions d’une partie de l’opinion publique et de l’inspecteur, Têtedoux fut félicité pour sa conduite « irréprochable » (il avait prévenu de son absence des membres du comité local), fut recommandé à la sollicitude de l’autorité supérieure et soutenu contre les calomnies.
En juillet-août des Parisiens témoignèrent par écrit en faveur de Têtedoux : un commissaire de police, des gardes nationaux, le médecin qui lui avait prodigué les premiers soins. Au titre de récompense nationale, il lui fut alloué une pension annuelle de 800 F, confirmée lors du vote de « la loi du 13 juin 1850 concernant les Citoyens qui ont reçu des blessures dans les journées de Mai et de Juin 1848, en combattant pour la défense de l’Ordre, de la Liberté et de la Société menacée […] ». Dans la Sarthe, ceux qui continuaient de mettre en doute la parole de Têtedoux déplorèrent l’attribution de cette pension. En décembre 1848, après l’élection présidentielle, alors qu’il prétendait avoir voté pour le général Cavaignac, défenseur de l’Ordre en juin, la rumeur publique soutenait qu’il avait voté pour Ledru-Rollin. Dans un contexte politique de plus en plus réactionnaire, une part de l’opinion publique peignit Têtedoux en « démagogue exalté tenant des conciliabules ».
En 1849, circulèrent des bruits relativement à sa position d’instituteur. Ils visaient à obtenir son départ de Vibraye. On l’accusa d’être responsable de la révocation, le 28 février, de l’instituteur de Saint-Calais, Jacques Desgrouas « qui avait été signalé comme moins religieusement attaché aux devoirs nombreux de sa profession depuis qu’il s’était fait l’intime ami du sieur Têtedoux ». On évoqua sa conduite dans ses postes précédents : « immoralité » à Noyen ; envoi de lettres, qualifiées d’« odieuses », à la baronne Dejean à Saint-Biez. De son côté, l’inspecteur Dalimier relevait son absence de tout principe religieux, ce dernier étant à ses yeux la « première garantie de la soumission au devoir et au gouvernement, condition qui devrait être inséparable des fonctions d’instituteur ». Le 8 février 1850, le comité d’arrondissement de Saint-Calais prononça l’éloignement de Têtedoux hors du département. Ce que ce dernier refusa en invoquant son inamovibilité selon la loi Guizot.
Le 9 mars dans une lettre à Dalimier, Têtedoux donna une version de l’affaire de Saint-Biez, finalement réglée, selon lui, dans son intérêt et de celui de son successeur, ajoutant : « ma conduite a été celle d’un homme d’honneur qui pour ne pas prêter son concours à deux fripons a refusé d’être le secrétaire de l’ex-maire ». Désigné dans cette lettre « injuste accusateur », Dalimier réagit vivement en promettant de demander au préfet d’appliquer la loi Parieu (11 janvier 1850) qui avait supprimé l’inamovibilité des instituteurs. Accusé d’insoumission, suspendu avec privation de traitement pour six mois par le comité d’arrondissement, menacé de révocation, Têtedoux quitta Vibraye en avril. Il s’établit à La Chartre, chef-lieu d’un canton voisin, jouxtant le Loir-et-Cher et l’Indre-et-Loire, où il se mit un temps au service de l’école privée ouverte par son collègue Edme Magnin révoqué le 5 mars 1850.

Après le coup d’État du 2 décembre 1851, désigné comme socialiste et républicain dangereux, Têtedoux fut traduit devant la commission mixte de la Sarthe, qui, le 19 février 1852, le condamna à la peine d’internement hors de la Sarthe. Il s’installa dans le Loir-et-Cher, successivement à Troo où il resta quinze jours, ensuite à Montoire. Le 5 décembre 1852, il rédigea une lettre de soumission. Le 2 février 1853, sa peine fut commuée en surveillance à son domicile. À cette date, le préfet demanda au ministre de l’Intérieur le retrait de la pension de Têtedoux. On ne sait s’il eut gain de cause. Signalons toutefois que la profession le plus souvent attribuée à Têtedoux par la suite est : rentier. Revenu dans le canton de La Chartre, Têtedoux s’établit à Marçon dans une portion qui fut, plus tard, rattachée à La Chartre. Son degré d’instruction et sa facilité de parole, lui valurent d’être considéré par des autorités locales influentes et la police comme la cheville ouvrière du parti républicain.

En janvier 1854, lui furent confisqués son fusil et son permis de chasse pour l’Indre-et-Loire, ce dernier délivré sur fausse adresse et sans qu’ait été révélée sa condition politique. Peu après, à l’occasion d’une perquisition domiciliaire, il réaffirma n’avoir jamais « professé les opinions qu’on lui a supposées ». En 1858, en application de la loi de Sûreté générale, le général de la Commission mixte demanda son internement, mais il ne fut, semble -t-il, pas inquiété. En 1866, il co-fonda un « Cercle de l’Union », association qui se proposait de contribuer à l’éducation et aux loisirs de la jeunesse par la lecture de journaux et quelques jeux d’agrément. Sous la IIIe République, dans le cadre de la loi de Réparation nationale du 30 juillet 1881, Têtedoux se vit attribué une pension de 600 F.
Son père mourut le 13 juillet 1856 à Paris, sa mère à Alençon le 5 décembre 1871. Il se remaria à La Chartre le 19 janvier 1863 avec Angélique Derré, sans profession, née à La Chartre le 5 avril 1826. Elle mit au monde une fille mort-née le 7 février 1865 et mourut quatre jours plus tard. Au Mans, le 10 avril 1866, il épousa une veuve, Louise Brossard, propriétaire dans cette ville, née à Conlie (Sarthe) le 20 décembre 1814. De nouveau veuf (lieu et date inconnus), il eut pour dernière femme, dès avant 1901, Virginie Raccouard née à La Chartre le 18 avril 1861.
Les obsèques civiles de Jacques Têtedoux eurent lieu à La Chartre le 16 novembre 1905. Dans leur bulletin, les Libres penseurs sarthois le présentent ainsi : « ancien instituteur, victime du coup d’État de 1851 ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article227674, notice TËTEDOUX Jacques, Désiré par Gérard Boëldieu, version mise en ligne le 14 mai 2020, dernière modification le 14 mai 2020.

Par Gérard Boëldieu

SOURCES : État civil de Le Chevain, Gesnes-le-Gandelin, Roëzé, Marçon, La Chartre, Le Mans (communes de la Sarthe) ; de Condé-sur-Sarthe, Hesloup, Alençon (communes de l’Orne). — Arch. Dép. Sarthe : 1 T 90, 1 T 153, 1 T 483, 1 T 491, 1 T 577, 1 T 1022 (Sur la carrière d’instituteur de Têtedoux) ; M 422-423-424, M 429 (condamnés par la Commission mixte, recours en grâce, loi dite « de Sûreté générale » de 1858). — Arch. Nat. F15 4212 (Loi dite « de Réparation » de 1881.— Bulletin des lois de la République française, n° 282, p. 751 : loi du 13 juin 1850 (Jacques Têtedoux signalé p. 764).— Richefeu P. « Louise Texier, baronne Dejean (1785-1864), châtelaine de Chardonneux, bienfaitrice de Saint-Biez-en-Belin », La Province du Maine, 1974, p. 306. — La Raison, bulletin trimestriel de la Libre-Pensée de la Sarthe et de la région de l’Ouest, no 22, Nivôse An CXIII, Janvier 1906.

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