DOBZYNSKI Charles

Par Ioana Popa

Né le 8 avril 1929 à Varsovie (Pologne), mort le 26 septembre 2014 à Vincennes (Val de Marne) ; poète, romancier, traducteur, critique littéraire et de cinéma ; militant du PCF, rédacteur en chef de la revue Europe

Charles Dobzynski naquit dans une famille juive qui émigra en France, pour des raisons économiques, en 1930. Son père, petit artisan dans le textile, et sa mère, couturière, l’élevèrent dans un esprit très « intégrationniste », allant de pair, entre autres, avec la perte progressive du polonais, langue pratiquée par la famille, même si le yiddish reste pour lui la langue maternelle. Malgré leurs origines modestes, ses parents lui transmirent « le goût de la culture » : c’est, par exemple, sa mère qui, connaissant par cœur beaucoup de poèmes en russe, en polonais ou en yiddish, l’initia à la poésie, ou encore, qui l’incita, alors qu’il était très jeune, à la lecture. Charles Dobzynski fut néanmoins contraint d’interrompre ses études pendant la guerre et la clandestinité à laquelle toute la famille, qui faillit de peu être déportée, fut astreinte. Il les reprit temporairement en 1945, dans un collège technique, mais il fut néanmoins contraint de les arrêter à nouveau, à la fin de son cursus primaire, en raison de la mort de son père en 1946, ce qui l’obligea de s’occuper du petit atelier de tricot mécanique de ce dernier jusqu’en 1949 et de recourir, à défaut de pouvoir poursuivre sa scolarité, à des pratiques d’autodidaxie.
Charles Dobzynski publia son premier poème en 1945 dans Jeune Combat, journal de la Jeunesse juive de France issu de la Résistance. Comptant parmi les nouveaux entrants en littérature à la fin de la guerre, il fit partie du groupe des jeunes poètes rassemblés alors autour de Louis Aragon et d’Elsa Triolet et socialisés poétiquement et politiquement lors des samedis du Comité National des Ecrivains. Entrés pratiquement au même moment en littérature et au Parti communiste, ces apprentis poètes ont fait de Paul Éluard et, peut-être plus encore, de Louis Aragon, leurs figures emblématiques. L’attrait exercé à la fois par la poésie engagée et par le « modèle » de militantisme incarné par le PCF à la Libération renforça, en l’occurrence, une politisation déjà ébauchée dans la famille : le père de Charles Dobzynski, sioniste de gauche au début des années 1920, s’était rapproché par la suite du Parti communiste, sans en devenir pour autant membre. (Charles Dobzynski resta, quant à lui, membre du PCF jusqu’au tournant des années 1980, le quittant à l’occasion de la guerre d’Afghanistan).
Le véritable lancement littéraire de Charles Dobzynski survint cependant en décembre 1949, lorsque Paul Éluard présenta quelques-uns de ses premiers poèmes dans la rubrique « La poésie des inconnus » des Lettres françaises. Deux ans après, ce fut à Elsa Triolet de préfacer son recueil de poèmes Notre amour est pour demain, paru chez Seghers, et de le recenser dans les pages de la même revue, sous le titre « Charles Dobzynski, un enfant du siècle ». Enfin, Louis Aragon consacra le jeune poète à travers sa préface au recueil Une tempête d’espoir, paru en 1952, toujours chez Seghers, tout en rendant également possible l’entrée de Charles Dobzynski dans la presse communiste. En effet, c’est sur sa proposition que ce dernier entra d’abord comme stagiaire au quotidien Ce Soir en 1950, où il fit ses premières armes de journaliste, pour devenir dès 1954, chroniqueur de cinéma aux Lettres Françaises (sous le pseudonyme de Michel Capdenac), puis chef de la rubrique cinéma de la revue. Toujours en 1954, Dobzynski partagea, avec Henri Pichette, la Bourse de création du Comité National des Écrivains. Enfin, vers la même époque, Dobzynski côtoya également Tristan Tzara et le Lettrisme, groupe dont il fut cependant exclu en raison d’un de ses poèmes, jugé non-conforme aux canons dictés par Isidore Isou.
Lors de la disparition des Lettres Françaises en 1972, Dobzynski entra à Europe, dont il fut d’abord secrétaire, puis rédacteur en chef, aux côtés de Pierre Gamarra (devenu le directeur de la revue, après avoir lui-même assuré d’abord la fonction de rédacteur en chef). Il continua d’y publier sa chronique de cinéma sous le même pseudonyme de Michel Capdenac jusqu’en 1983 et, cette fois sous son vrai nom, une chronique mensuelle sur la poésie, poursuivie jusqu’aujourd’hui (alors qu’il continue d’appartenir au comité de rédaction depuis la reprise de la direction de la revue par Jean-Baptiste Para).
Parallèlement à son œuvre littéraire, consistant en plusieurs ouvrages de prose (romans, nouvelles, essais) et surtout, en de nombreux recueils de poésie, Charles Dobzynski déploya, à partir du milieu des années 1950, une intense activité de traduction. Elle consista, d’une part, en des traductions directes, faites à partir de langues connues. — en l’occurrence, l’allemand et le yiddish -, dont les conditions d’apprentissage ont tenu pour beaucoup à la socialisation primaire de Dobzynski (le yiddish étant sa langue maternelle et l’allemand lui ayant été transmis par son père pendant la guerre) : Dobzynski traduisit ainsi notamment Reiner Maria Rilke et une anthologie de poésie yiddish, dont les trois éditions connurent un grand succès, atteignant environ 20 000 exemplaires. D’autre part, cette activité prit la forme des traductions-adaptations (consistant, en l’absence de la connaissance proprement dite de la langue à partir de laquelle on traduit, en un travail de mise en forme poétique des mots-à-mots) : ce fut le cas, entre autres, de la traduction du poète polonais Adam Mickiewicz, le recours à la traduction-adaptation à partir de la langue de son pays d’origine s’expliquant, en l’occurrence, par les circonstances biographiques particulières de la trajectoire de Dobzynski. Enfin, Charles Dobzynski est lui-même un écrivain dont certains des poèmes furent traduits dans une douzaine de langues, tandis que trois de ses livres sont parus respectivement en japonais, en tchèque et en turc.
En outre, Dobzynski collabora à plusieurs revues - Cinéma, Corps écrit, Faites entrer l’infini, Domaine yiddish. Revue trimestrielle de littérature juive et surtout, Action poétique. - et participa à la rédaction du journal mensuel Aujourd’hui poème depuis sa création, en 1998. En 1986, il reçut le Grand prix de la science-fiction française pour le volume de nouvelles Le Commerce des mondes, et en 1992, le prix Max Jacob pour son recueil de poèmes La vie est un orchestre, contenant des poèmes inspirés, entre autres, par Dieppe, la ville que Dobzynski a choisie comme seconde résidence depuis 1985. Membre de l’académie Mallarmé et du jury du prix Apollinaire (qu’il préside depuis 2005), Charles Dobzynski se vit décerner la distinction de chevalier des Arts et des Lettres par le Ministère de la Culture. En 2004, le festival poétique de Curtea de Arges en Roumanie lui a décerné son Grand prix international de poésie, tandis qu’en 2005, l’Académie Goncourt lui a attribué sa Bourse Goncourt de poésie Adrien Bertrand, pour l’ensemble de son œuvre.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article22772, notice DOBZYNSKI Charles par Ioana Popa, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 12 octobre 2021.

Par Ioana Popa

ŒUVRE : Recueils de poésie. La Question décisive, Seghers, 1950. — Dans les jardins de Mitchourine, Seghers, 1951. — Notre amour est pour demain, Seghers, 1951. — Amour de la patrie, Seghers, 1953. — Une tempête d’espoir, Bordeaux, Éditions Art-Vulc, 1953. — Chronique du temps qui vient, Lyon, les Écrivains réunis, 1954. — Au clair l’amour, Seghers, 1955. — D’une voix commune, Seghers, 1962. — L’Opéra de l’Espace, Gallimard, 1963. — Capital terrestre, Éditeurs français réunis, 1975. — Un Cantique pour Massada et Callifictions, Éditeurs français réunis, 1976. — Arbre d’identité, Mortemart, Rougerie, 1976. — Daniel sur la lune, Éditions la Farandole, 1977. — Table des éléments, Belfond, 1978. — Traduit en justice, Saint-Laurent-du-Pont, le Verbe et l’empreinte, 1980. — Délogiques, Belfond, 1981. — Fablier des fruits et légumes, Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1981. — Quarante polars en miniature, Mortemart, Rougerie, 1983. — Cyrille et le chameau Méthode, Messidor, 1987. — La Vie est un orchestre, Belfond, 1988. — L’Escalier des questions, s.l., D. Bedou, 1988. — Les Heures de Moscou, Messidor, Trois rivières (Quebec), Écrits des forges, 1989. — Alphabase, Mortemart, Rougerie, 1992. — Albert Féraud : forgeron de l’imaginaire, Fragments, 1993. — Fable Chine, Mortemart, Rougerie, 1996. — Les premiers de la glace : les animaux du Grand Nord, Chaillé-sous-les-Ormeaux, le Dé bleu, Trois-Rivières, (Québec), les Écrits des forges, 1996. — Géode, s.l., Éditions PHI, 1998. — Les Choses n’en font qu’à leur tête, Saussinès, Cadex éditions, 1998. — Journal alternatif, Creil, Bernard Dumerchez, 2000. — L’Escalier des questions, Coaraze, l’Amourier éditions, 2002. — L’Escalier des questions, Coaraze, L’Amourier éditions, 2003. — Corps à réinventer, Éditions de la Différence, 2005. — Le Réel d’à côté, Coaraze, l’Amourier éditions, 2005
Romans, nouvelles, essais : Couleur mémoire, Éditeurs français réunis, 1974 (réédition Chamvres, Nykta, 1997). — Taromancie, Éditeurs français réunis, 1977. — Contes à raconter (avec Pierre Gamarra, Claude et Jacqueline Held et all.), La Noria, 1980. — Le Commerce des mondes, Messidor 1985. — Que Jeunesse se passe, Scandéditions, 1993. — Lavoir de toutes les couleurs, Saussinès, Cadex éditions, 1995. — Le monde yiddish : littérature, chanson, arts plastiques, cinéma. Une légende à vif, Montréal, l’Harmattan, 1998. — L’Escalier des questions, Coaraze, L’Amourier éditions, 2002. — Hantise du lieu. La réalité d’à côté, Coaraze, l’Amourier éditions, 2005. — Corps à réinventer : fictions, Éditions de la Différence, 2005
Traductions, adaptations. Adam Mickiewicz, Adam Mickiewicz, pèlerin de l’avenir (traduit du polonais), Éditeurs Français Réunis, 1956. — Cinq poètes polonais (traduit du polonais avec Pierre Gamarra, François Kerel, René Lacote, Pierre Seghers), Seghers, 1956. — Dora Teitelboim, Ballade de Little-Rock (traduit du yiddish), Lyon/Paris, Les Écrivains réunis, 1959. — Attila Jozsef, Poèmes choisis (traduit du hongrois), Budapest, Corvina, Éditeurs Français Réunis, 1961. — Dora Teitelboim, Le Vent me parle yiddish (traduit du yiddish), Seghers, 1963. — Nazim Hikmet, Anthologie poétique (traduit du turque), Éditeurs français réunis, 1964 (rééd. Temps actuels, 1982 ; Scandéditions, 1993). — György Somlyo, Souvenir du présent (traduit du hongrois avec Eugène Guillevic), Seghers, 1965. — Le Miroir d’un peuple, anthologie de la poésie yiddish, 1870-1970 (traduit du yiddish), Gallimard, 1971 (rééd. Éditions du Seuil, 1987 ; Gallimard, 2000). — Rafael Alberti, Mépris et merveille : édition bilingue (traduit de l’espagnol avec Victor Mora), Éditeurs français réunis, 1974. — Jacques Burstein-Finer, Dans une forêt imaginaire : contes et poèmes (traduit du yiddish), Éditions Vendôme Opéra, 1975. — Miguel Angel Asturias, Le Grand diseur : poèmes (suivi de) Exercices poétiques en forme de sonnets sur des thèmes d’Horace (traduit de l’espagnol avec Claude Couffon et Julian Garavito), Éditeurs français réunis, 1975. — Dora Teitelboïm, Ce temps de sable mouvant : poèmes (traduit du yiddish), Éditeurs français réunis, 1975. — Vladimir Maïakovski, Le Nuage en pantalon, (traduit du russe avec Paulette Heilbronn), Éditeurs français réunis, 1977 (rééd. Pantin, le Temps des cerises, Trois-Rivières (Québec), les Écrits des forges, 1997). — Jacques Burstein-Finer, Sentiers d’espérance (traduit du yiddish), Nogent-sur-Oise, Éditions HALAF, 1979. — György Somlyo, Que cela. Choix de poèmes (1962-1985) (traduit du hongrois), Belfond, 1986. — Abraham Sutzkever, Où gîtent les étoiles : œuvres en vers et en prose (traduit du yiddish avec Rachel Ertel), Éditions du Seuil, 1988. — Rainer Maria Rilke, Les Sonnets d’Orphée  : édition bilingue (traduit de l’allemand), Messidor, 1989 (rééd. Éditions de la Différence, 1997). — Nazim Hikmet, C’est un dur métier que l’exil. Anthologie poétique (traduit du turque), Pantin, le Temps des cerises, 1999. — Péretz Markish, Le Monceau et autres poèmes (traduit du yiddish), Éditions de l’Improviste, 2000. — Ferenc Juhasz (traduit du hongrois), Choix de poèmes, Honfleur, Oswald, s.d.

SOURCES : Ioana Popa, La Politique extérieure de la littérature. Une sociologie de la traduction des littératures d’Europe de l’Est (1947-1989), thèse de doctorat, Paris, École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2004. — Ioana Popa, « Politique et poésie au service de la traduction : les "poètes-traducteurs" communistes », Études de lettres, Université de Lausanne, n° 1-2, « Circulation internationale des littératures », juin 2006, p. 113-150.

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