CHAZELAS Jean, alias Capi [Dictionnaire des anarchistes]

Par Gérard Monédiaire

Né le 1er juillet 1882 à Chamberet (Corrèze), mort le 16 février 1963 à Chamberet ; anarchiste de tendance individualiste ; jardinier, occasionnellement menuisier. Insoumis à la mobilisation générale en 1914, exilé en Espagne puis aux États-Unis d’Amérique.

Jean Chazelas naquit dans une famille de paysans très pauvres, il fut orphelin de père à l’âge de huit ans. Il émigra à Paris où il fréquenta des milieux anarchistes, il fit de même en Limousin. Il pratiquait l’émigration pendulaire, faite d’allers-retours entre la capitale et sa commune de naissance.
C’est à l’occasion d’un séjour à Chamberet qu’agacé par les propos de prêtres missionnaires de passage, il s’inspira en 1903 de la « propagande par le fait » en précipitant un engin explosif par une fenêtre de l’église pendant une célébration. La presse locale titra « Une bombe à Chamberet », alors que selon la mémoire locale la « bombe » était dosée de manière à ne pas être meurtrière.
Il effectua normalement son service militaire à Tulle, après avoir été à deux reprises ajourné par le Conseil de révision, vraisemblablement à raison de sa taille modeste (1,53 m), trait alors caractéristique des Limousins comme le relève Onésime Reclus dans La France à vol d’oiseau (1908).
En 1910 il participa, aux côtés d’Henri Zisly, à la souscription permanente en faveur de L’Insurgé-Organe hebdomadaire des révolutionnaires du Centre, une des feuilles de Limoges animées par le cordonnier anarchiste Armand Beaure. La même année L’Insurgé fit paraître l’annonce suivante : « À vendre : très bons pistolets automatiques (genre browning), prix 38 francs (port en plus) ».
Le 16 septembre 1914 Chazelas fut officiellement déclaré insoumis, comptant ainsi au nombre des libertaires effectivement insoumis, au total peu nombreux. Il se réfugia à Barcelone dans un premier temps, sans doute grâce à des réseaux. Il y trouva un passage à destination de New York où il débarqua en 1917. En 1920 il était salarié en qualité de menuisier en Louisiane au sein de l’important couvent des Ursulines à la Nouvelle-Orléans (une forme de « reprise individuelle » ?). Il envoya depuis les États-Unis une somme de 131 francs pour contribuer aux efforts visant à obtenir la sortie de prison d’E. Armand (L’en dehors n° 1, 31 mai 1922). Puis il résida un temps dans la Sierra Nevada à Newcastle, avant de se fixer à Burlingame, banlieue huppée de San Francisco. Jusqu’en 1935 il y exerca une activité indépendante de jardinier-horticulteur, accessoirement de menuiserie. Il mit à profit son exil américain pour s’embarquer jusqu’à Cuba en 1929, pour des motifs qui n’ont pu être éclaircis.
En 1935 il fut automatiquement relevé de l’insoumission en raison de son âge (53 ans). Il quitta alors la Californie et fit immédiatement retour à Chamberet où il défraya la vie locale jusqu’à son décès célébré civilement, tout en poursuivant son activité de jardinier, et en vivant en concubinage notoire avec une veuve de guerre. Il tira par exemple un coup de feu sur le garde-champêtre de la commune qui lui avait dérobé des fruits tombés à terre, transforma son domicile en un lieu de discussions avec notamment des militants communistes alors dominants dans le Limousin des « paysans rouges », porta systématiquement la contradiction en défendant les idéaux libertaires à l’occasion de chaque réunion publique organisée localement, sabota les initiatives qui lui déplaisaient, etc. Il fit l’objet d’une visite domiciliaire des gendarmes de Treignac (chef-lieu de canton), sans conséquence. Sa bibliothèque personnelle impressionnait ceux qui étaient reçus chez lui.
N’ayant jamais abandonné sa culture « paysanne », il se signala aussi au motif des deux vaches dont il avait fait l’acquisition et qu’il menait paître chaque jour sur les bas-côtés des routes et chemins, les traitant davantage comme des animaux familiers, de compagnie, que comme des animaux domestiques.
Pendant l’Occupation il participa résolument à la Résistance, compte tenu de son âge en qualité de « légal », résistant qui affecte un mode de vie sans histoire mais qui aide activement clandestins et maquisards, ceci dans la zone du « Maquis Guingouin » (voir Georges Guingouin). Ayant caché chez lui différents objets qui lui avaient été confiés par le responsable local communiste de la Résistance, sa maison fut perquisitionnée suite à une dénonciation en 1944 par la police du régime de Vichy, sans succès. En juillet 1944 son neveu Louis Mafreix, qui l’avait rejoint en Californie en 1926, fut raflé par la Milice qui appuie les opérations de « nettoyage » conduites en Limousin par un régiment de la SS ; il décèdera à Buchenwald.
Après-guerre, compte tenu de l’effondrement du franc français et de la forte valorisation du dollar américain, Jean Chazelas vécut dans une relative aisance. En effet il avait laissé de l’argent (ou de l’or) aux États-Unis, sans doute par précaution. Il profita de cette ironie de l’Histoire pour faire édifier une étable modèle destinée à ses deux vaches, poursuivant pour ce qui le concerne un mode de vie marqué par la sobriété.
Surnommé très tôt Capi (en occitan « Un gars à qui on ne la fait pas » ou par antiphrase « Un gars pas pourri »), il était notoire à Chamberet qu’il ne se séparait que rarement de son « rigolo » (arme de poing en argot vieilli).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article227834, notice CHAZELAS Jean, alias Capi [Dictionnaire des anarchistes] par Gérard Monédiaire, version mise en ligne le 17 mai 2020, dernière modification le 14 juillet 2021.

Par Gérard Monédiaire

SOURCES : Archives départementales de la Corrèze, et archives diverses. — Gérard Monédiaire, Capi, insoumis, Bassac, Éditions Plein Chant, collection Précurseurs et militants, 2019. 320 pages, dont 29 illustrations.

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