DOIGNON Louis

Par Gilles Morin

Né le 27 décembre 1883 à Chef-Boutonne (Deux-Sèvres), mort le 11 octobre 1975 à Chef-Boutonne ; haut fonctionnaire ; militant socialiste et franc-maçon ; maire et conseiller général de Chef-Boutonne (1951-1958) ; Grand maître de la Grande Loge de France (1933-1934, 1935-1938, 1952-1955, 1961-1963).

Louis Doignon débuta dans la vie professionnelle comme fonctionnaire des PTT. Il fut initié le 15 décembre 1906 aux « Amis de l’Ordre » à Niort, atelier lié à la Grande Loge de France, qui portera ensuite le n° 98 à la Grande Loge nationale française.
Louis Doignon fit très tôt la connaissance de Bernard Welhoff, alors Grand maître de la Grande Loge de France, qui le pressa de venir à Paris. Il s’y installa en 1919 et milita activement en faveur de la Grande Loge. Peu après, Gaston Vidal, membre de la Grande Loge, devint sous-secrétaire d’État et, sur intervention de Bernard Welhoff, Louis Doignon entra dans son cabinet, puis rejoignit ensuite celui de Rio, ministre de la Marine marchande. Dans ces deux cas, il partagea son action entre la Grande Loge et le cabinet. Il appartint ensuite au cabinet de Joseph Paul-Boncour. Il était alors vénérable de la loge Diderot.
Louis Doignon se spécialisa dans les questions du travail, au service de la main-d’œuvre, puis dans les assurances sociales. Chef adjoint à l’office régional de la main-d’œuvre de Paris, il se vit confier le 24 octobre 1925, les fonctions de chef de l’office régional dont était alors chargé le chef de l’Office central de la main-d’œuvre (Journal officiel du 27 octobre 1925, p. 10272). En 1930, il fut pressenti pour mettre sur pied les structures de l’administration des assurances sociales, ancêtre de la Sécurité sociale, qui venaient d’être créées. Il s’impliqua beaucoup dans ce travail. En 1939, il fut nommé directeur au ministère du Travail.

Durant cette période, Louis Doignon militait dans les milieux radicaux. Il se présenta sans succès comme candidat du Parti républicain socialiste et du Parti radical et radical socialiste aux élections municipales du 3 mai 1925 dans le quartier de Plaisance. Il fut encore chef adjoint du cabinet de Justin Godart au ministère du Travail.

Louis Doignon devint surtout l’un des principaux dignitaires maçonnique français. En 1923, il entra au conseil fédéral de la Grande Loge, puis devint Grand maître adjoint (1925, 1927, 1930, 1933). Il fut élevé à la dignité de Grand maître deux fois avant l’Occupation en 1933-1934, puis de 1935 à 1938. Il s’efforça d’intégrer la Grande Loge de rite écossais dans la maçonnerie internationale et pour cela posa la question de son rapport au religieux. Il déclarait en 1938 : « Depuis 1877, les francs-maçons de France se sont malencontreusement détachés de ce qui constitue la force de la Maçonnerie, c’est-à-dire son traditionalisme. [...] En arriverons-nous à rétablir sur l’autel des vénérables - pour la seule raison qu’il s’agit d’une coutume traditionnelle - la Bible que nos anciens étaient accoutumés de trouver ? Question, mes frères, que notre méditation collective a fait naître. Questions qu’il vous appartient de résoudre et que vous résoudrez, j’en suis sûr, en les considérant, non pas sous l’angle restreint, mais en les situant sur le plan international où l’Écossisme doit toujours se placer. »
Cette même année, il déclara au congrès de l’AMI, qui se tenait Lucerne : « Donc, la croyance en Dieu ne fait pas, ne peut pas faire question. Elle est obligatoire, l’athéisme étant incompatible avec la qualité de franc-maçon. Il faut croire en Dieu. Mais qu’est-ce que Dieu ? Est-ce limitativement le Dieu de la Bible ? Évidemment non. Évidemment non, puisqu’à la Bible posée sur l’autel du vénérable, au titre de "livre de la loi sacrée", est venu s’ajouter le Coran, dans celles des loges coloniales anglaises, qui comptent parmi leurs membres des frères musulmans. Si les mêmes loges s’incorporaient des ressortissants d’autres cultes, des Parsis par exemple, elles seraient ainsi déterminées logiquement à ajouter sur l’autel le Zend Avesta à la Bible et au Coran. »
Dans son ouvrage Servitude et grandeurs maçonniques (Grande Loge de France, 1939, page X), il faisait une référence explicite à sa volonté « de réintégrer la Grande Loge de France dans la chaîne d’union écossaise [...] pour replonger une obédience maçonnique au jaillissant torrent de ses origines ».
Selon Henry Coston, Louis Doignon militait dans les organisations pour le rapprochement franco-allemand au début des années trente. Il aurait été trésorier de la délégation permanente des sociétés françaises pour la paix en 1930. Mais, après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, il fut partisan d’organiser un barrage au nazisme. Président de l’Association maçonnique internationale, il fut signataire d’une adresse au président Roosevelt pour une action commune afin de sauver la paix mais, probablement par anticommunisme, il prit une position en retrait sur le soutien de la maçonnerie aux républicains espagnols au convent de Prague en 1936, proposant la motion finale, confiante dans le triomphe de la liberté et de la démocratie et le respect de la tolérance.
Le 3 octobre 1940, le journal Le Matin le jour même où il annonçait "le statut des juifs est promulgué", déclarait à la Une, "M. Louis Doignon, directeur des assurances sociales relevé de ses fonctions. Ce F..., nous l’avons récemment prouvé, s’était institué le protecteur du F... André Marty".
Pendant la guerre, dénoncé par les Allemands et par Vichy, il dut se cacher, et se réfugia en Dordogne, où il aurait eu des contacts avec des francs-maçons résistants (André Combes ne le cite pas dans son histoire de la maçonnerie sous l’Occupation). Rentré à Paris à la Libération, retraité, Louis Doignon se consacra entièrement à la Franc-maçonnerie et à son activité politique locale dans les Deux-Sèvres comme militant socialiste.
Il fut élu maire SFIO de sa commune natale, Chef-Boutonne, le 19 octobre 1947, puis réélu en 1953 et 1959. Il présidait l’assemblée départementale des maires des Deux-Sèvres en 1951-1956 (au moins) et était membre du comité national de l’Association des maires de France en novembre 1953.
Il fut ensuite conseiller général SFIO de Chef-Boutonne en 1951-1958. Il prit le siège au communiste Remondière en octobre 1951 en bénéficiant de toutes les voix modérées, mais fut battu au renouvellement de 1958. Selon le préfet, il fit l’objet de la part d’un de ses concurrents d’une « campagne violente frisant la diffamation ». Celui-ci ne faisait pas mystère qu’il ne se présentait que pour le faire battre, l’accusant de lui avoir retiré son mandat de vétérinaire-sanitaire. Louis Doignon fut encore candidat aux élections législatives de 1951 et 1956 (premier de la liste à cette dernière) et fut délégué au congrès national de la SFIO de juillet 1949 et 1950. Au congrès fédéral de 1950, il présenta un rapport sur les coopératives de production et de consommation, où il observait que nombreuses étaient celles qui s’étaient transformées en entreprises commerciales exonérées d’impôts, mais qui cependant pratiquaient des prix qui n’étaient pas inférieurs aux autres.
De nouveau Grand maître de la Grande Loge de 1952 à 1954, il reformula son grand dessein de réintégrer son obédience dans la « régularité ». En 1953, il réussit à faire replacer la Bible sur les autels. Des contacts furent ensuite pris entre la Grande Loge de France et la Grande Loge nationale française, pour parvenir à la fusion des deux obédiences. Mais, écrivait Baylot dans son hommage à Louis Doignon, ils échouèrent sur pression du Grand Orient de France, notamment par le canal des loges de province. Il exerça un ultime mandat de Grand maître entre 1961 et 1963. Le Monde du 18 septembre 1962 présentait son action comme Grand maître en la mettant en parallèle avec celle de Jacques Mitterand* au Grand Orient : « M. Louis Doignon, directeur général honoraire au ministère du Travail, a été lors de son premier mandat de Grand maître l’un des promoteurs du rapprochement entre la Grande Loge de France et la Franc-maçonnerie américaine. Il fut aussi l’un des participants du premier colloque de Vincennes. On peut penser que les tendances politiques antinomiques de ces deux nouveaux dirigeants de la Franc-maçonnerie française ne contribueront pas à resserrer les liens assez lâches qui subsistent entre leurs obédiences respectives. »
Deux jours plus tard, Le Monde publiait un communiqué de la Grande Loge, faisant savoir que son grand maître, Louis Doignon, n’avait jamais participé au colloque de Vincennes des partisans de l’Algérie française « ni à titre personnel, ni comme membre de la Grande Loge, celle-ci étant apolitique ». Le Monde ajoutait : « M. Doignon, ancien conseiller général socialiste des Deux-Sèvres, et candidat de ce parti aux dernières élections législatives, n’a pas participé, en effet, aux réunions de Vincennes organisées autour de MM. Bidault et Soustelle. Il a été toutefois, avec MM. Robert Lacoste, Max Lejeune, Lauriol, Morice et Marçais, l’un des signataires du manifeste de juin 1960 pour le maintien de l’Algérie dans la République française. »
Louis Doignon quitta, avec environ un millier de ses frères en 1965 la Grande Loge de France pour adhérer à la Grande Loge nationale française lorsque fut effectué le rapprochement entre le GOF et la Grande Loge.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article22788, notice DOIGNON Louis par Gilles Morin, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 16 janvier 2020.

Par Gilles Morin

ŒUVRE : Recherche des possibilités et des moyens de rapprochement entre les diverses puissances maçonniques régulières du monde, Rapport présenté au Convent maçonnique international de Lucerne 1, 2, 3 et 4 septembre 1938. Impr. A. Montourcy, septembre 1938. — Servitude et grandeur maçonnique, 1939, Grande Loge de France.

SOURCES : Arch. Nat., F/1cII/126, 299, 318, 323 ; F/1cIII/1344 ; F/1cIV/155. — Arch. PPo, 1W1041/51765. — Archives de l’OURS, correspondances Charente-Maritime, lettre du 19 juin 1959 et dossiers Deux-Sèvres. — Profession de foi aux élections législatives de 1956. — A. Miroir, La franc-maçonnerie et la guerre d’Espagne, 1936-1939. — Notes de Denis Lefebvre.

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