MORTUREUX Pierre, Marie, Abel

Par François Honoré, Jean-Christophe Perignon

Né le 18 décembre 1921 à Pontarlier (Doubs), mort le 1er février 2020 à Chenôve (Côte-d’Or) ; prêtre du diocèse de Dijon (Côte-d’Or) ; premier aumônier diocésain de l’action catholique ouvrière.

Pierre Mortureux, 2018
Pierre Mortureux, 2018

Pierre Mortureux fut le petit fils de Léon Mortureux, maire de Savigny-le-sec (Côte-d’Or) pendant 28 ans, magistrat à Dijon qui démissionna en 1905 pour protester contre le décret d’inventaire des biens de l’Eglise, et de Ravier Gabrielle, mère au foyer catholique pratiquante.
Son père, Louis Mortureux né en 1880 fut ingénieur électricien, puis directeur adjoint de la société des forces motrices de l’Est. Sa mère, Anne Cyrot née en 1882, issue d’une famille beaunoise, fut mère au foyer.
C’est dans cette famille bourgeoise, habitant Besançon (Doubs), conservatrice et catholique pratiquante, où furent enseignés l’honnêteté, le sens du travail, le respect de l’engagement, la fidélité, que Pierre, troisième enfant d’une fratrie de six garçons, grandit.
Il fréquenta à Besançon l’école maternelle et primaire, puis le lycée Victor Hugo où il obtint son baccalauréat de philosophie. La découverte de l’incroyance de certains camarades et professeurs le marqua. Dès la quatrième, germa chez Pierre le désir d’une vie monastique ou sacerdotale pour se mettre au service de l’Eglise. Il fit partie des scouts et fréquenta l’abbaye d’Acey (Jura).
En 1939, il partit en vélo et en train avec un de ses frères se réfugier chez une tante à Lyon, puis à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), avant de revenir à Lyon (Rhône) en 1940, où il intégra de 1940 à 1942 la section de philosophie scolastique du séminaire universitaire de Lyon St. Sulpice. Cette période lui permit de rencontrer plusieurs intellectuels et philosophes réfugiés à Lyon : Emmanuel Mounier, fondateur de la revue Esprit, Jean Lacroix, Gabriel Marcel, André Latreille. Un prêtre de la Mission de France lui fit découvrir le monde ouvrier, les quartiers populaires, les mouvements d’action catholique : Cœurs vaillants, la LOC (Ligue Ouvrière Chrétienne) et la JOC (Jeunesse ouvrière Chrétienne).
Il découvrit avec intérêt l’institut du Prado, la création du journal Témoignage Chrétien et s’intéressa aux questions liées à la résistance et aux réfugiés. A la sortie d’une conférence organisée par Vladimir d’Ormesson contre le national-socialisme, Pierre participa à une manifestation devant une salle où les allemands tenaient une conférence antisémite.
En octobre 1942, Pierre fut appelé aux Chantiers de jeunesse de Clelles (Isère) où il fut affecté à l’abattage et au transport de bois pour faire du charbon de bois. Myope depuis la naissance, la réverbération de la neige lui brûla les yeux, il fut donc réformé en février 1943 et rejoignit Dijon. Pour échapper au Service du Travail Obligatoire, il se réfugia dans le village de Fontenelle-Montby (Doubs). Caché pendant un an par le curé de la paroisse sous une fausse identité, échappant aux rafles des allemands, il fit office de vicaire et anima le patronage local.
A la Libération en 1944, il rejoignit le grand séminaire de Dijon et fut ordonné prêtre par Monseigneur Sembel le 1er mars 1947. Au cours de ces trois dernières années, Pierre eut comme professeur le Père Jean Mouroux, théologien, devenu, par la suite, expert du concile Vatican II. Sa conception de l’incarnation du mystère chrétien, fondement de l’action catholique marqua Pierre.
Nommé vicaire à l’Eglise St. Michel de Dijon et fréquentant le milieu très populaire du quartier, il fit la connaissance du Père Henri Latour, autre partisan de l’action catholique, et responsable du patronage de l’Eveil. En 1952, Henri Latour, partant pour la paroisse St. Pierre, demanda que Pierre soit nommé aumônier du lycée technique Hippolyte Fontaine, à Dijon, et aumônier de la JOC et la JOCF.
En 1954, Pierre Mortureux fut nommé aumônier diocésain pour l’Action Catholique Ouvrière (ACO) ; il participa à la première rencontre nationale de 1954 à Issy-les-Moulineaux et, en août1957, il participa au rassemblement international de la JOC à Rome.
En amont du concile Vatican II, il participa à un groupe de réflexion autour de la revue catholique « La Quinzaine » avec le père Gauthier et le père Chenu. Il côtoya également une communauté de familles en monde ouvrier qui délégua un de ses membres, cadre dans le commerce, pour aller travailler dans une usine, où les femmes étaient exploitées, afin de les aider, en lien avec le syndicat, à se défendre.
Au cours d’un voyage en Allemagne en 1958, Pierre Mortureux perdit la vue ce qui l’obligea à rester dans le noir pendant huit jours. Il prit une année sabbatique qu’il mit à profit pour suivre, à St. Fons (Rhône) et à Lyon au sein du Prado, la formation des prêtres désirant exercer leur ministère auprès des plus pauvres. En lien avec la paroisse Ste Thérèse de Villeurbanne, il approfondit également sa découverte de l’action catholique ouvrière et du ministère des prêtres ouvriers. Au cours de cette année, il récupéra progressivement une partie de son acuité visuelle et en 1959, il fut nommé à Is-sur-Tille où il fonda les mouvements ACO, Jeunesse agricole chrétienne (JAC), Chrétiens en monde rural.
En 1962, le père Charles Bouzerand, curé de Montbard (Côte-d’Or), se retirant à la maison du clergé, demanda à être remplacé par un prêtre du Prado. Pierre fut nommé à Montbard et rejoignit les pères André Blandin et Félix Sernesson. En soutien aux grévistes de 1968, il participa aux manifestations, ce que les traditionalistes lui reprochèrent. Il fut marqué par la différence d’analyse des évènements entre les membres des équipes d’ACO et des équipes d’ACI de cadres. L’accentuation de ses problèmes de vue l’obligea à renoncer à la conduite automobile ; ne pouvant plus se déplacer, il demanda à l’évêque de lui confier un autre ministère. Ce dernier lui proposa, compte tenu du parcours de Pierre, de l’intégrer à l’équipe d’accompagnement des jeunes qui rentraient au grand séminaire de Dijon, pour les aider à s’ouvrir à une dimension apostolique et s’enraciner dans la vie des hommes. Mettant en application ses recommandations, il travailla à Dijon, au cours des vacances scolaires, comme agent hospitalier à l’hôpital du Bocage, puis à Champmaillot, établissement de gériatrie.
En lien avec le mouvement « Concertation » auquel participaient laïcs chrétiens et prêtres pour mettre en œuvre les orientations du concile Vatican II, Pierre fut écarté du grand séminaire. Nommé à Chenôve en 1970, il vécut en HLM avec le père Roger Garnier qui décéda au bout de dix-huit mois.
Il commença de participer, avec ses confrères prêtres, à la vie de « Dijon Sud », doyenné qui faisait dans le diocèse figure d’avant-garde.
En 1972, il fut nommé remplaçant à l’église Sainte Chantal, avant de rejoindre en 1978 Saint Vincent de Paul situé dans le quartier de la Manutention, réputé très pauvre.
Laissant sa place en octobre 1979 à un jeune prêtre, Michel Bralet, aumônier de la JOC et qui souhaitait vivre sur ce quartier, Pierre partit vivre en HLM à Chenôve. Il intégra l’équipe de prêtre de la paroisse de Chenôve, avec Jean Louet, Pierre Laffage, Pierre Stolz, équipe qui confia de plus en plus de responsabilités aux laïcs et les associa à la pastorale. Il accompagna des équipes d’ACO jusqu’en 2018. Afin de se tenir informé de la vie du mouvement, il se fit, dès 1970, enregistrer par différentes communautés religieuses le journal « Témoignage ACO » sur des cassettes. Une équipe de laïcs prit le relais sur Dijon en 2002 pour enregistrer sur cédérom via les studios de la station RCF (Radio chrétienne francophone) de Dijon. Très rapidement, il proposa au mouvement d’organiser un abonnement spécifique pour les malvoyants. En 1995, il perdit complètement la vue et suivit une formation à Marly-Le-Roi (Yvelines) pour apprendre le braille et à vivre sans ses yeux A l’invitation du père Cauchois, il intégra, au sein du groupement des intellectuels aveugles ou amblyopes, le groupe « Les amitiés Pouget ».
En 1990, Pierre, déchargé de paroisse mais restant aumônier au centre de rééducation fonctionnelle des Rosiers et au foyer des personnes âgées Georges Sand à Chenôve, continua de militer à travers multiples associations : le Cri, au service des victimes de la prostitution, le mouvement de la Paix, France Palestine Solidarité, Groupe d’amitié et de dialogue entre chrétiens et musulmans, Vie libre pour venir en aide aux alcooliques, l’Association syndicale des familles, Voir ensemble. Très sensible à la question de l’accueil, sur le sol français, des migrants et des demandeurs d’asile, il participa chaque mois à Dijon au cercle du silence, manifestation silencieuse disposée en cercle, place François Rude, afin de protester contre l’enfermement des sans-papiers dans des centres de rétention administrative et exiger des conditions d’accueil plus humaines.

Lors du conseil municipal de Chenôve qui s’est tenu deux jours après la mort de Pierre Mortureux, Thierry Falconnet, maire, lui rendit hommage soulignant son « attachement aux valeurs de la République… sa présence à la vie de la cité…proche des plus pauvres, des exclus, des étrangers, des migrants, des handicapés. » avant de conclure par « Il était un homme de paix de dialogue et d’amour… ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article228095, notice MORTUREUX Pierre, Marie, Abel par François Honoré, Jean-Christophe Perignon, version mise en ligne le 24 mai 2020, dernière modification le 27 mai 2020.

Par François Honoré, Jean-Christophe Perignon

Pierre Mortureux, 2018
Pierre Mortureux, 2018

SOURCES : Écrits de Pierre Mortureux du 1er mars 1980. — Enregistrement radiophonique de juillet 2017 émission « En toute liberté » sur RCF Parabole. — Entretien avec Pierre Mortureux en 2018. — Articles de presse du « Bien Public ». — Allocution de Thierry Falconnet, maire de Chenôve, le 3 février 2020. — Association bourguignonne des amis du Maitron.

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