BROWN Léon, Charles [pseudonymes dans la Résistance : Leroy, Léon Brunet ; connu au Sipo-SD comme Charles Brown, inspecteur Charles]

Par Jean-Marie Guillon

Né le 27 avril 1920 à Nice (Alpes-Maritimes), abattu fin mai 1944 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; ingénieur radio ; membre de Franc-Tireur, inspecteur des groupes francs des Mouvements unis de la Résistance (MUR), agent du Sipo-SD de Marseille.

Fils de Willy Brown, d’origine américaine, et de Léonie Battist, Léon Brown s’établit dans sa ville natale comme industriel radio, co-dirigeant les établissements C.A.I.R.E. (Constructions et applications industrielles de radio-électricité), 7 rue Foncet. Marié, père d’un enfant, il résidait au 74 boulevard de Cessoles. Possédant une licence de radio amateur, il avait équipé son appartement en fonction de cette activité. Il se disait lieutenant aviateur. Il avait milité aux Jeunesses patriotes. Il s’engagea dans le mouvement Franc-Tireur, prenant la responsabilité d’un groupe franc composé de jeunes gens. Il avait fourni à leur chef de groupe, Édouard Alexander, quatre revolvers pour les équiper et surtout il les avait initiés au maniement des explosifs. C’est avec eux qu’il organisa une série d’attentats à Nice entre l’automne 1942 et le 17 mars 1943, date de l’arrestation de deux de ces jeunes par des policiers français alors qu’ils étaient en train de placer un pétard devant la devanture du magasin d’un Italien fasciste, rue de France. Les attentats précédents avaient visé d’autres boutiques fascistes, le siège de la Légion tricolore (19 octobre 1942), le journal Le Franciste, (3 novembre), une permanence de la Légion des combattants (16 novembre), le tunnel de Riquier (janvier 1943), des poteaux télégraphiques de l’armée d’occupation italienne au pont Saint-Laurent, etc. La perquisition effectué chez lui permit de découvrir un revolver et des produits pour confectionner des explosifs dans un entrepôt de sa société, mais Léon Brown put échapper à l’arrestation grâce à des policiers résistants, en particulier le commissaire Goubil de la Surveillance du territoire qui lui fournit une fausse carte d’identité au nom de Léon Brunet. Goubil et l’inspecteur Terrier déménagèrent les armes et munitions qu’il avait stockées. Brown fut condamné le 26 mai 1944 à cinq ans de travaux forcés par contumace et 10 000 francs d’amende par la section spéciale de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Il était allé se cacher à Toulon (Var) chez John Mentha, chef régional de Franc-Tireur. Il fut nommé là inspecteur régional pour les groupes francs des MUR. Au même moment, le Sipo-SD de Marseille décapita une partie de la Résistance non communiste régionale dans une affaire connue sous le nom de Flora qui lui avait été donné par l’initiateur de l’opération, Ernst Dunker dit Delage, sous-chef à la section IV. Brown fut arrêté à Toulon chez le colonel de réserve Duboin alias Camille (voir ce nom), chef régional de l’Armée secrète, le 28 avril 1943, et conduit avec lui à Marseille. Il apparaît dans le rapport Flora sous le numéro 39. Il était devenu agent double le 24 mai. Avec le matricule 133, il intégra l’équipe de Dunker, oeuvrant surtout avec Jean Jalabert et dans une mesure un peu moindre avec Jean Multon alias Lunel, secrétaire du chef régional MUR Bertin alias Chevance, qui avait été lui aussi « retourné » par Dunker. Dans le cadre de l’affaire Flora, Brown dénonça les résistants de Nice, membre du mouvement Combat, avec lesquels il avait pris contact comme inspecteur MUR, soit une vingtaine de personnes, dont le général Bardi de Fortou, arrêté le 25 mai, et Conrad Flavian, animateur de l’Amicale des anciens combattants étrangers, arrêté le 31 mai. Ces arrestations furent opérées par la police politique italienne, l’OVRA. Flavian écrira après la Libération avoir eu des doutes sur le comportement de Brown lors de son inspection à Nice. Dénigrant les chefs de la Résistance, les jugeant tarés ou incapables, il lui conseilla de contacter l’Intelligence Service pour obtenir des armes comme s’il voulait par là avoir des informations sur les services britanniques. Dès la fin mai, il suscita la méfiance de policiers résistants, ayant été vu, au moment des arrestations au sein de Combat, sortant des bureaux niçois de l’OVRA en toute liberté avec deux hommes (il s’agissait de Dunker et de l’un de ses hommes de main) et le 20 juin dans les bureaux du Sipo-SD de Marseille, 401-403 rue Paradis. Ils commencèrent dès lors à le surveiller. Mais Brown s’abstint de dénoncer des résistants qui lui avaient été proches ou les policiers qui l’avaient aidé. Il reprit contact avec le commissaire Goubil, membre du réseau Ajax, et le renseigna sur d’éventuelles arrestations notamment dans le réseau de l’OSS (Office of Strategic Services) dirigé par Fred Brown (sans aucun lien avec Léon) que la « Gestapo » de Paris faisait particulièrement rechercher. Toutes les arrestations ne furent pas évitées, mais Goubil put faire prévenir le réseau Brown via le commissaire Hacq du réseau Ajax qui, auparavant, avait participé à ce réseau. La trahison de Léon Brown contribua à semer le trouble sur Fred Brown, parfois confondu avec lui, d’autant que son réseau était infiltré par le Sipo-SD par d’autres voies. Convoqué à Alger, Fred Brown eut quelque mal à se disculper. Cette confusion, les hésitations sur son nom (Brown ou Braun) contribuèrent à troubler les informations que l’on essayait d’avoir sur lui. De son côté, Léon Brown tenait des propos divers et variés à ceux qui le connaissaient. Disant avoir été libéré par la Gestapo grâce à un ancien ami du PPF, il affirmait aux uns que Londres ne l’intéressait plus, qu’il faisait du marché noir et gagnait beaucoup d’argent et aux autres que la Gestapo le surveillait, qu’il ne pouvait plus venir à Nice alors qu’il s’y rendait régulièrement pour voir sa famille. Il alla jusqu’à se présenter à l’intendance régionale de police de la ville le 2 août pour demander l’arrêt des poursuites contre lui dans l’affaire des attentats, arguant qu’il travaillait depuis 1941 pour le 2e bureau allemand à la suite de démarches faites pour s’engager dans la Légion des volontaires français contre le bolchevisme, qu’il avait infiltré la Résistance à Nice, négligeant de faire arrêter les jeunes pour remonter aux chefs, notamment à un certain Moulin qu’il prétendait avoir fait arrêter (information qu’il avait eu de Multon qui, lui, avait bel et bien conduit à cette arrestation). Mais le même jour, il alla voir des policiers résistants pour leur dire qu’il jouait la comédie. Il fut interpelé le 26 septembre à Nice chez lui le soir à cause de la lumière qui filtrait de son appartement, mais accueillit les agents de police, revolver au poing en se disant de la Gestapo. Pour les policiers résistants, il fallait se méfier de lui, c’était « un sujet néfaste et à faire disparaître au plus vite sans autre forme » (commissaire Goubil, 21 juin 1943) et, après son passage à l’intendance de police de Nice en août 1943, le réseau Ajax considérait qu’il était impossible de savoir qui il servait, étant capable de donner les mêmes preuves de loyalisme à la Résistance, aux Italiens et aux Allemands (25 novembre 1943). Ces policiers ne connaissaient certainement pas dans le détail son activité au sein de l’équipe Dunker. Après avoir piégé André Zenatti, radio-électricien marseillais, chef du service de renseignement de l’Armée secrète, grièvement blessé lors de son arrestation le 23 juin, il avait activement participé à l’infiltration du réseau de l’abbé Blanc à Marseille avec Jalabert et Pavia, un autre agent du Sipo-SD, qui avait abouti à l’arrestation d’une quinzaine de résistants le 27 août. Peu après, il avait contribué à remonter jusqu’à deux des adjoints de Fred Brown, Raymond Vincent alias Dick, abattu à Marseille par Thomas Ricci, homme de main de Simon Sabiani, le 10 septembre, et Max Delabre qu’il avait connu comme inspecteur des Groupes francs. À la fin du mois, il participa à l’arrestation du comte d’Andigné au château de Condillac (Drôme) où avait été hébergé une partie de l’équipe de Fred Brown. Il fit partie du groupe que Dunker mena avec lui à Lyon (Rhône) lorsqu’il fut provisoirement « prêté » au Sipo-SD local jusqu’au 30 novembre. Au début décembre, de retour à Marseille, il contribua avec Multon et Jalabert au démantèlement du poste Glaïeul (contre-espionnage du colonel Paillole) et à l’arrestation, le 11, de son chef le capitaine Morange (blessé par Multon). Mais Brown, peut-être ébranlé après une séance de torture, assura Morange de son aide et prévint l’un de ses adjoints. Brown, Jalabert, Multon et leurs comparses femmes, notamment Blanche Dimeglio (autre résistante retournée), tentèrent de préparer leurs arrières et préparèrent l’évasion de Morange et du colonel Mollard, chef national du CDM (Camouflage du matériel), emprisonné lui aussi à Marseille. Ils exigèrent que Morange leur garantisse d’avoir la vie sauve, mais le projet échoua. Jalabert, Brown et la dactylo de Dunker prirent la fuite le 29 janvier avec l’argent - 800 000 francs – que Dunker avait « récupéré » lors d’une arrestation. Celui-ci affirma d’ailleurs que Brown et ses complices, qui ne rechignaient pas, eux aussi, à voler leurs victimes, étaient surtout intéressés par l’argent du CDM entreposé par Mollard dans son château de La Penne d’Agenais (Lot-et-Garonne). Multon, qui était dans le coup, transmit à Dunker une lettre dans laquelle Brown et Jalabert disaient vouloir quitter le service, tout en assurant n’avoir jamais porté préjudice à Dunker et n’avoir pas l’intention de le faire. Multon, que Dunker soupçonnait, disparut lors d’une mission à Toulouse et passa en Espagne, puis en Afrique du Nord. Le Sipo-SD transmit une demande de recherche des trois hommes à la police française en précisant que l’on pouvait les abattre à vue. Sous le nouveau nom de Louis Bertrand, Brown revint régulièrement à Nice, fit déménager sa famille et l’installa aux environs de Brive-la-Gaillarde (Corrèze), affirma à des connaissances avoir une dizaine de millions acquis avec Dunker après la libération du propriétaire des Galeries Lafayette. Il tenta de renouer avec la Résistance dès le début février. Au commissaire Goubil qui le rencontra dans le train le 25 mars entre Toulon et Les Arcs (Var), il confirma avoir quitté la Gestapo fin janvier et avoir eu des contact avec des chefs de la Résistance en qui il n’avait pas confiance. Il l’interrogea sur des policiers résistants, lui dit avoir écrit ses « mémoires » depuis son entrée à la Gestapo et avoir réuni de la documentation sur le KdS de Marseille. Recherché par la Gestapo, il était caché vers Paris, mais voulait passer à la dissidence avec Jalabert. Dans son compte rendu, Goubil estimait qu’il était toujours au service de la Gestapo qui cherchait sans doute à l’utiliser pour s’infiltrer en Afrique du Nord. Dans un rapport du 18 mars 1944, il le présentait comme un « individu très entreprenant, semble même inconscient, sympathique et d’autant plus dangereux » ; quatre jours après, un télégramme de Londres faisait savoir que l’on estimait « prudent de le descendre ou bien si possible sans qu’il sente un soupçon l’aider financièrement » à le faire passer en Afrique du Nord (Multon avait-il bénéficié de la même filière ?). Mais Jalabert fut arrêté à la frontière espagnole. Prévenu qu’il était incarcéré par le Sipo-SD à Perpignan (Pyrénées-Orientales), Dunker le récupéra et Jalabert lui fournit les diverses adresses parisiennes de Brown. Elles se révélèrent fausses quand l’équipe se rendit à Paris, mais Jalabert donna aussi l’adresse du bureau de poste où Brown se faisait adresser son courrier boulevard Hausman. Piégé par Dunker, Brown s’y fit prendre. Ramenés à Marseille, Jalabert et lui furent liquidés par le Sipo-SD à la fin mai (d’après Dunker) ou fin mai-début juin (d’après Goubil). Leurs corps ne furent pas retrouvés, peut-être avaient-ils été jetés dans le Vieux-Port comme le fut quelques après celui de Jean Grimaldi ?

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article228214, notice BROWN Léon, Charles [pseudonymes dans la Résistance : Leroy, Léon Brunet ; connu au Sipo-SD comme Charles Brown, inspecteur Charles] par Jean-Marie Guillon, version mise en ligne le 26 mai 2020, dernière modification le 26 mai 2020.

Par Jean-Marie Guillon

SOURCES : SHD GR 28 P 9 1083. ⎯ Arch. justice militaire, jugement Tribunal militaire de Marseille du 24 janvier 1947 (Dunker). ⎯ Arch. dép. Bouches-du-Rhône 8 W 29 et 2663 W 2 (affaire Alexander), 58 W 20 (dossier Dunker). ⎯ C.-L. Flavian, Ils furent des hommes, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1948, p. 153, 265-266. ⎯ Guillaume Vieira, La répression de la Résistance par les Allemands à Marseille et dans sa région (1942-1944), Aix-en-Provence, Université d’Aix-Marseille, 2013.

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