DE PONTHIÈRE Charles, Joseph, Alexandre.

Par Paul Gérin

Liège (pr. et arr. Liège), 6 novembre 1842 – château de Montglyon, Argenteau (aujourd’hui commune de Visé, pr. et arr. Liège), 5 septembre 1929. Avocat, président de l’Union catholique puis de l’Union démocratique chrétienne de Liège, conseiller provincial de Liège, député démocrate-chrétien de l’arrondissement de Liège.

Fils de Alexandre de Ponthière (1815-1889) et Clémentine Walthéry (1818-1850), Charles de Ponthière naît dans une famille de la bourgeoisie locale qui compte sept enfants. Les annotations de lectures faites durant sa jeunesse prouvent sa sensibilité aux problèmes sociaux. Après des humanités gréco-latines au collège Saint-Servais, il entre à l’Université de Liège à l’aube de ses seize ans. Docteur en droit en 1862, à dix-neuf ans, il s’inscrit aussitôt au barreau tout en poursuivant, pendant deux ans, une spécialisation en sciences politiques et administratives. En 1874, il est administrateur de la Société liégeoise pour la construction et l’achat de maisons ouvrières. L’année suivante, il épouse Cécile Flore Victorine (1856-1938), la fille d’Eugène Sadoine, ingénieur, administrateur et directeur général des établissements Cockerill, libéral modéré, créé baron en 1885. Plusieurs enfants vont naître de cette union.

Vivant à Seraing (pr. et arr. Liège) durant les premières années de son mariage, Charles de Ponthière fonde dans cette localité ouvrière une société de Saint-Vincent de Paul afin d’aider les pauvres dans leur misère. Il reproche aux libéraux leur intolérance. Il est personnellement profondément convaincu de l’infaillibilité pontificale. C’est dans cet esprit qu’il s’inscrit au Parti catholique, dès qu’il s’installe à Liège en 1878, afin de mieux faire respecter les principes constitutionnels mis en péril, selon lui, par la victoire du Parti libéral aux élections législatives. Passant l’été au château de Cortil, propriété paternelle, située à Mortier (aujourd’hui commune de Blegny, pr. et arr. Liège), il y fonde, en décembre 1878, l’Association cantonale catholique afin de s’opposer à l’emprise croissante du libéralisme radical, inspiré par la famille Fléchet de Warsage.

En pleine « lutte scolaire », Charles de Ponthière se présente pour la première fois à Liège, en 1881, aux suffrages des électeurs communaux mais il échoue. En revanche, l’année suivante, il emporte le seul mandat à pourvoir au conseil provincial mettant ainsi fin à l’hégémonie libérale dans le canton de Dalhem. Il siège au conseil provincial jusqu’en 1900. Ce succès lui vaut immédiatement la présidence de l’Union catholique de Liège. Il est ému par les données récoltées par la Commission d’enquête sur la condition ouvrière, mise sur pied par le gouvernement après les grèves de 1886 et, en tant que président de l’Union catholique (la formation locale), il se sent obligé d’en saisir le comité. Selon lui, les préoccupations sociales s’imposent ; le problème scolaire est provisoirement réglé par la nouvelle majorité catholique, au pouvoir depuis 1884, alors que les griefs des travailleurs manuels à charge de beaucoup de patrons sont nombreux et sérieux. L’Union catholique répond par la mise à l’étude des propositions de son président mais une majorité déjà forte parvient à faire entrer dans l’oubli cette exhortation trop dérangeante.

Par ailleurs, Charles de Ponthière n’ignore pas le contenu de l’enseignement social que développe à l’époque l’abbé Antoine Pottier*. Il se sent particulièrement concerné par la tenue à Liège, en septembre 1886, du premier Congrès des œuvres sociales catholiques et le discours d’ouverture de l’évêque de Liège, Monseigneur Victor-Joseph Doutreloux, sur « les devoirs des classes dirigeantes ». Depuis 1882, de Ponthière ajoute à ses activités, celles d’administrateur des charbonnages d’Argenteau-Trembleur à Blegny.

La naissance de la démocratie chrétienne à Liège et sa structuration en Union démocratique chrétienne en 1893 vont provoquer l’opposition systématique des conservateurs, majoritaires d’ailleurs dans toutes les organisations catholiques. L’argumentation de ces derniers consiste au nom de la défense de l’Église à vouloir l’absorption et l’écrasement des démocrates dans l’Union catholique. Charles de Ponthière appartient à une minorité « unioniste » de catholiques qui, dans l’Union catholique, veulent l’entente avec le groupe démocrate. En désaccord avec la majorité conservatrice sur l’attitude à prendre lors des prochaines élections, il donne sa démission comme président en juin 1894.

À cette époque, Charles de Ponthière espère encore convaincre les conservateurs de l’efficacité d’une entente électorale avec les démocrates. Il se trompe. Ouvert aux solutions préconisées par les démocrates-chrétiens, influencé par l’abbé Hislaire, curé de Saint-Remacle à Liège, scandalisé par les procédés utilisés par les conservateurs, pressé par Godefroid Kurth, il accepte, tout en restant membre du comité de l’Union catholique jusqu’en 1907, la présidence de l’Union démocratique chrétienne de Liège en 1897.
Charles de Ponthière a l’appui de Monseigneur Doutreloux. Ainsi il participe à la réunion importante des délégués diocésains, réunis en 1896 à l’archevêché de Malines (Mechelen, pr. Anvers-Antwerpen, arr. Malines) afin d’élaborer non seulement un programme social pour l’ensemble de l’Église de Belgique mais encore une ligne d’entente politique entre toutes les associations catholiques. Il va même deux ans plus tard, sur recommandation épiscopale, à Rome pour y trouver Léon XIII afin de développer ses idées sur l’entente politique entre catholiques. Il intervient même auprès de l’abbé Adolf Daens* pour que celui-ci se range dans la Ligue démocratique belge. L’enjeu des élections législatives se faisant notamment sur des modifications du régime électoral belge, il importe pour le Parti catholique de conserver sa majorité. Dans ce but, il œuvre pour l’entente entre démocrates et Union catholique. C’est dans ce climat tendu que de Ponthière œuvre en tant que député de l’arrondissement de Liège de 1900 à 1908 et de de 1912 à 1919.

Les relations de Charles de Ponthière avec le successeur de Monseigneur Doutreloux (décédé en 1901), l’évêque Martin-Hubert Rutten, sont pendant longtemps fort pénibles. L’intransigeance du nouvel évêque à l’égard des démocrates-chrétiens et son parti-pris évident pour les conservateurs, vont provoquer l’étonnement, la colère et l’amertume chez de Ponthière qui, dans son ressentiment contre les conservateurs, épousera davantage les positions démocrates-chrétiennes dans tous les domaines de leur action. Le nouvel évêque lui enlève en 1903 le mandat d’administrateur qu’il détenait dans la gestion de l’hôtellerie des Aumôniers du travail établie à Seraing et, de 1907 à 1910, interdit aux membres du clergé la lecture du journal liégeois, La Dépêche. Il faut savoir que ce quotidien démocrate-chrétien est en grande partie soutenu financièrement par de Ponthière. Sous l’influence conjuguée de G. Kurth, de l’abbé Pottier agissant sur place par l’intermédiaire du professeur Karl Hanquet, – tout cela conformément aux vœux du cardinal Mercier, archevêque de Malines, et des personnalités du Parti catholique national –, de Ponthière surmonte ses sentiments personnels.

À partir de 1910, moyennant des concessions réciproques, Charles de Ponthière accepte que l’Union démocratique chrétienne fasse alliance sur le terrain électoral avec l’Union catholique. Certains stratèges politiques ont par ailleurs songé en 1907 à nommer de Ponthière gouverneur de la province de Liège. En janvier 1913, de Ponthière est remplacé à la présidence de l’Union démocratique chrétienne par Paul Tschoffen*, ce qui répond aux vœux d’une majorité dont on perçoit la tendance déjà en 1911.

La Première Guerre mondiale prolonge le mandat parlementaire de Charles de Ponthière, dont en réalité beaucoup parmi les responsables politiques de la démocratie chrétienne et du parti catholique ne veulent plus. Il reçoit la présidence d’honneur de l’Union catholique de 1919 jusqu’à la fin de ses jours. Comme président des démocrates-chrétiens liégeois, il va régulièrement participer aux travaux de la Ligue démocratique et siège dans son bureau depuis 1899.

En 1905, Charles de Ponthière fonde, avec d’autres démocrates, une société coopérative sous la forme d’une société anonyme, L’Économie populaire. Une bonne partie du capital provient de sa fortune personnelle. Il va accentuer son combat politique et son action sociale en tenant compte des programmes des démocrates-chrétiens mais en prenant surtout pour objet la sauvegarde de la famille chrétienne dans la société industrialisée. Il déclare publiquement : « La reconstitution de la société, de la famille, dans le christianisme, voilà notre but, voilà où nous irons » (Gazette de Liège, 29 mai 1897, p. 1) et souvent il revient avec insistance sur cette idée.
C’est dans cette perspective que Charles de Ponthière préconise une politique de prévoyance sociale, d’organisation du travail, d’enseignement et du recrutement militaire. Déjà en 1895, avec quelques-uns de ses amis, il avait proposé au conseil provincial de Liège d’inviter les employeurs à veiller à ce que tous les employés soient affiliés à une caisse de secours contre la maladie, les accidents de vieillesse. À l’époque, il avait été semoncé par Charles Woeste, le chef de la droite conservatrice parlementaire qui lui reprochait d’avoir sacrifié au « pottiérisme » (l’idéologie développée par Antoine Pottier) les principes traditionnels du Parti catholique. Sans désemparer, il poursuit dans cette voie et dépose en 1901 une proposition de loi établissant la pension obligatoire des mineurs avec participation des travailleurs, des patrons et de l’État, laquelle inspirera la législation de 1911. De même, en 1903, il dépose des amendements à la loi sur les accidents de travail. Il va défendre l’obligation légale du repos dominical et intervient tout particulièrement lors de son adoption à la chambre en 1905 en faveur des employés de commerce. Il se désolidarise de la majorité qui, à la Chambre, refuse aux typographes le bénéfice du repos dominical. Il interpelle, par après, le ministre du Travail sur les détournements de la loi par le recours à des employés de commerce recrutés spécialement pour le dimanche et, par le biais de La Dépêche, attire à de nombreuses reprises l’attention de l’opinion sur cette situation.

Partisan de l’enseignement obligatoire, Charles de Ponthière réclame au nom des libertés d’enseignement et des cultes la subsidiation intégrale par l’État. Il est partisan d’un enseignement professionnel et ménager. Il s’oppose au service militaire obligatoire et souhaite l’extension du volontariat dans un projet de loi qu’il dépose en 1901. Comme d’autres hommes politiques de son époque, il est persuadé de la nécessité de lutter par la loi contre l’alcoolisme. Il préconise l’exploitation commerciale de la production par une société fermière.

Comme président de l’Union démocratique chrétienne, Charles de Ponthière va défendre le syndicalisme et recommande son développement chez les mineurs, les métallurgistes et les menuisiers. Selon lui, « ... le syndicat n’impose pas la pratique du culte, mais doit exiger le respect de la religion et des convictions religieuses » (Union démocratique chrétienne. Section des syndicats, Liège, 1905, p. 13-14). Le syndicat doit se garder d’être au service d’un parti politique mais, en revanche, la politique doit servir l’union professionnelle (La Dépêche, 24 mars 1906, p. 2). Il défend la création et l’existence des syndicats purement ouvriers, tout en étant réticent sur la formule liégeoise des syndicats libres, il ne la combat néanmoins pas (La Dépêche, 6 avril 1907, p. 1 ; Gazette de Liège, 10 avril 1907, p. 1 ; La Dépêche, 28 juin 1907, p. 1).

Charles de Ponthière publie des articles et des livres sur les problèmes sociaux de son époque. En 1900, il collabore régulièrement au périodique démocrate-chrétien, La justice sociale et le bien du peuple liégeois, édité à Bruxelles. Il traite assez régulièrement de sujets fort variés dans La Dépêche sous son nom ou sous le pseudonyme de Lambert d’Avroy. Il écrit aussi dans des périodiques français d’action sociale comme l’Association catholique, La quinzaine. Il publie encore en 1919 et en 1921 deux essais d’allure sociologique dans lesquels il établit une espèce de bilan de son idéologie plus théorique que pratique. Il y exprime sans doute la pensée sociale de catholiques qui, à l’intérieur du Parti catholique, apparaissaient comme les représentants de la démocratie chrétienne.

Charles de Ponthière est détenteur de plusieurs décorations : Croix civique de première classe, commandeur de l’Ordre de Léopold, commandeur de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, chevalier de la Légion d’honneur.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article228764, notice DE PONTHIÈRE Charles, Joseph, Alexandre. par Paul Gérin, version mise en ligne le 3 juin 2020, dernière modification le 5 juin 2020.

Par Paul Gérin

ŒUVRE : outre sa collaboration à la presse démocrate-chrétienne liégeoise, il publie : Contrat de travail et juste salaire, Liège, 1891 – Le problème social, s.l., 1893 – Unions professionnelles, s.l., 1897 – Pensions ouvrières, s.l., 1898 – Organisations sociales. Charité, Justice, Propriété. Extrait de l’Association catholique, Paris, 1899 – L’instruction primaire en Belgique, Liège, 1902 ; 3ème édit., Vottem, 1910 – Le contrat collectif du travail, Liège, 1911 – Essai de sociologie, t. XLIV et LIII, Liège-Paris, 1919 – Éléments sociologiques et économiques, Namur, 1921.

SOURCES : GÉRIN P., Catholiques liégeois et question sociale (1833-1914), Bruxelles-Paris, 1959 – GÉRIN P., « La démocratie chrétienne dans les relations Église-État à la fin du XIXe siècle. L’action de Mgr. Doutreloux » dans dans BRAIVE G., LORY J. (dir.), L’Église et l’État à l’époque contemporaine. Mélanges dédiés à Msg Aloïs Simon, Bruxelles, 1975, p. 255-288 – GÉRIN P., Presse populaire catholique et presse démocrate chrétienne en Wallonie et à Bruxelles (1830-1914), Louvain, 1975 (Cahiers du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, 80) – LORIAUX F. (dir.), Luttes sociales et actions politiques. Le Mouvement ouvrier chrétien de Liège-Huy-Waremme 1850-1980, Liège, CARHOP-CIEP Liège-Huy-Waremme, 2012, p. 12-33.

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