DELESTRAINT Charles, Georges, Antoine [alias Vidal - Mars - Chevalier – Duchêne]

Par Dominique Tantin

Né le 12 mars 1879 à Biache-Saint-Vaast (Pas-de-Calais), exécuté sommairement le 19 mars 1945 au KL Dachau (Allemagne) ; général de Corps d’Armée ; commandant de l’Armée secrète des Mouvements Unis de Résistance (AS-MUR) ; Compagnon de la Libération.

Le général de brigade Delestraint (1938-1939).
Le général de brigade Delestraint (1938-1939).
Crédit : MémorialGenWeb.

Un homme du Nord, catholique et patriote, une vocation militaire
Charles Delestraint était le fils de Georges Antoine Charles Delestraint (1851-1947), né à Wazemmes, dans la banlieue lilloise, engagé volontaire en 1870-1871 à l’âge de 19 ans, âgé de 27 ans à la naissance de son fils Charles, employé d’usine dans la fonderie de cuivre de Biache sur l’acte de naissance (plus tard comptable et fondé de pouvoirs à Lille), domicilié à Biache, et de Marie Antoinette Legay (1841-1929) son épouse, originaire d’Arras, alors âgée de 32 ans, veuve de Louis-Edouard Pero, officier tué en 1870 ; elle avait eu trois enfants de ce premier lit ; Charles fut le seul enfant né du second mariage.
Delestraint effectua sa scolarité dans l’enseignement catholique, à l’école de Biache-Saint Vaast, puis chez les Pères Maristes, à Haubourdin-lès-Lille, au terme desquelles il fut reçu bachelier Lettres-Mathématiques en Juillet 1896.
Il choisit la carrière militaire, intégra une classe préparatoire de l’Ecole Sainte-Geneviève, 18 rue Lhomond à Paris, et fut reçu à Saint-Cyr en 1897. Il en sortit 12e sur 552 élèves en 1900.
Le Général, commandant l’Ecole porta sur lui une appréciation fort élogieuse, le 13 Septembre : "Tournure élégante, se présente très bien, nature très ouverte, très équilibré, beaucoup de cœur, d’entrain et de décision. Très bien doué et travailleur, sera un brillant officier qui a tout pour réussir".
Au cours du dernier trimestre 1900, Charles Delestraint entra au Tiers-Ordre de Saint François et devint le Frère Delestraint. Jusqu’à ses derniers jours, à Dachau, Charles Delestraint se montra un fervent catholique.
Il fut nommé sous-lieutenant par décret en date du 25 Septembre 1900 et affecté au 16° Bataillon de Chasseurs à Pied stationné à Lille où il habitait 29 rue André. Promu Lieutenant en 1902, il y exerça son commandement jusqu’à la fin de 1906. Pour présenter l’Ecole supérieure de guerre, il effectua des stages en 1906 - 1910
Alors en cure à Saint-Amand-les Eaux pour un traitement consécutif à une chute de cheval, il fit la connaissance de Raymonde Gillet, fille d’Emile Gillet, directeur- administrateur de l’établissement thermal de St-Amand-les-Eaux et de son épouse Céline née Coquelaer. Le mariage eut lieu dans la ville thermale le 4 Octobre 1910. Le couple s’installa à Lille. Deux filles naquirent de cette union, Odette, qui vit le jour à Lille le 24 août 1911, et Noëlla, Maria, Bibiane (son prénom usuel sera le dernier) le 2 décembre 1924 à Düsseldorf.
Le 23 décembre 1913, Delestraint fut promu au grade de capitaine et affecté au 151e Régiment d’infanterie de Reims. Le 18 mars 1914, il fut reçu à l’École supérieure de guerre, et envoyé en stage au 42e Régiment d’Artillerie puis au 28e Régiment de Dragons.

La Grande Guerre et une longue captivité
Le 31 juillet 1914, à la mobilisation, Delestraint fut affecté au 58° Bataillon de Chasseurs à Pied, unité de réserve nouvellement formée (52e Division de réserve, IVe Armée). Il y commandait la 9e Compagnie.
Lors de la retraite, dans la nuit du 24 au 25 août, il se distingua sur la Meuse, à Fumay, lors d’une contre-attaque couronnée de succès qui permit de retarder la progression allemande et de maintenir la liaison entre les 4e et 5e Armées françaises. Le 14 juin 1919, ce fait d’arme vaudra à Delestraint sa nomination au grade de Chevalier de la Légion d’honneur avec attribution de la Croix de Guerre avec palme et de la Croix de Guerre belge.
Charles Delestraint n’eut pas d’autres occasion de se distinguer au feu, puisqu’il fut capturé avec les survivants de son unité le 30 août 1914 lors d’un combat d’arrière-garde au Chesnoy-Auboncourt (Ardennes).
Après un passage à l’ambulance allemande de Mazerny suite à une blessure, puis un camp de transit, Delestraint fut transféré en Allemagne où il resta captif jusqu’au 3 décembre 1918, d’abord à l’Oflag d’Ingolstadt, Fort N°9, en Bavière, puis dans celui de Plassenburg près de Kulmbach, toujours en Bavière. Porté disparu le 30 août 1914, Delestraint ne fut considéré prisonnier de guerre que par l’avis officiel du 16 avril 1915 par l’intermédiaire de la Croix-Rouge. Il profita de sa captivité pour se perfectionner en allemand et en anglais, deux langues qu’il maîtrisa pleinement, ainsi que le russe.
De retour en France le 4 décembre 1918, il rejoignit sa famille à Lille. Le 4 avril 1919, il fut détaché au Grand Quartier Général de l’Est installé à Chantilly et mis à la disposition du Maréchal Pétain. Ce dernier lui remit les insignes de Chevalier de la légion d’Honneur le 22 juillet 1919.


L’entre-deux-guerres : l’avocat des chars
Promu chef de bataillon le 22 juin 1919, Charles Delestraint rejoignit l’École de Guerre où il avait été reçu en 1914 et il s’installa avec sa famille à Paris, 2 rue Antoine Roucher, dans le 16° Arrondissement. Les stages se succédèrent pour se terminer à la section technique des chars à Versailles. Delestraint y découvrit cette arme qui avait joué un rôle important en 1918 et prit rapidement conscience des possibilités nouvelles qu’elle offrait. Delestraint obtint le Brevet d’Etat-Major, le 7 Décembre 1920. Stagiaire à l’État-Major de l’Armée, il fut attaché au 2e Bureau, dans la Section des Armées étrangères jusqu’en mai 1923, chargé de suivre l’évolution militaire en Russie. La même année, il demanda à être versé dans les chars de combat. Il devint l’avocat des chars, non plus seulement comme arme d’accompagnement de l’infanterie, mais une arme qui était susceptible de révolutionner l’art de la guerre. Il se plaçait alors dans le sillage du général Estienne nommé inspecteur général des chars de combat et qui proposa dès 1921 que l’Armée française se dote d’un corps de combat blindé servant de force d’intervention. Il suivit les cours de la Division d’Instruction de Centre d’Etudes des Chars de Combat à Versailles de mai à septembre 1923. Estienne, qui y enseignait, connut et apprécia Delestraint.
Toutefois, on le sait, cette vision stratégique et tactique renouvelée resta l’apanage d’une petite minorité d’esprits non-conformistes. « La mécanisation de l’armée et l’emploi des chars ont donné lieu à une véritable querelle des anciens et des modernes. Elle a opposé en sourdine, au sein de l’Etat-Major, une poignée de spécialistes au cénacle des généraux vainqueurs de 1918 ». (Crémieux-Brilhac, Jean-Louis. Les Français de l’an 40. Tome 2 : Ouvriers et Soldats. Gallimard 1990 ; 715 pages. Page 383.)
En septembre 1923, Delestraint fut affecté au 517° Régiment de Chars de Combat, à l’Armée Française du Rhin en occupation en Allemagne. Accompagné de sa famille, il résida à Düren (Rhénanie) durant deux années.
Il rejoignit par la suite l’école d’application des chars de combat à Versailles, dont il exerça le commandement en second sous la direction du général Frère, et fut promu lieutenant-colonel en décembre 1927. En 1930, il fut affecté en tant qu’adjoint du général Bezu à l’inspection des chars. Fils spirituel du général Estienne, il prôna le développement du programme du char lourd B qui équiperait des divisions cuirassées engagées de manière autonome dans des opérations de rupture et d’encerclement. Le général Matter, alors directeur de l’Infanterie, lui rétorqua : « Le Char B ne m’intéresse pas ; ça n’est pas un char d’accompagnement d’infanterie ! » (La décision ministérielle et de l’Etat-Major du 12 Juillet 1920 rattachait les chars de combat à l’infanterie).
Promu colonel en 1932, il exerça le commandement d’unités de chars, d’abord à Vannes (505e RCC). En 1936, nommé général de Brigade, il prit à Metz le commandement de la 3e Brigade de chars, alors placée sous les ordres du général Giraud. C’est à Metz que son parcours croisa celui de Charles de Gaulle, autre avocat d’un emploi moderne des chars dont il avait en 1934 développé la théorie dans l’ouvrage intitulé « Vers l’armée de métier ». La 3° Brigade était composée de trois régiments de chars : le 507e à Montigny-lès-Metz, le 511e à Verdun et le 512e à Châlons-sur-Marne. Or le lieutenant-colonel de Gaulle fut nommé le 13 juillet 1937 à la tête du 507e et fut promu colonel le 24 décembre de cette même année. Il fut donc placé sous les ordres de Delestraint jusqu’en mars 1939. On aura noté beaucoup de similitudes dans les origines, les convictions et le parcours de ces deux hommes que la Résistance allait réunir de nouveau en inversant la hiérarchie. Ils apprirent à se connaître en ayant des contacts quotidiens, l’un et l’autre s’alarmant de la menace croissante de l’Allemagne hitlérienne, de la passivité française et de l’incapacité du haut-commandement français à prendre les mesures qui s’imposaient en matière d’armement, de tactique et de stratégie.
L’État-major restait attaché à la défense continue appuyée sur la ligne Maginot et à l’emploi des chars en accompagnement de l’infanterie comme en 1918, sans coordination avec l’aviation dont la modernisation et le développement accusaient un retard abyssal. L’historien François-Yves Guillin rapporte que « les incidents entre le Général Giraud, maintenant gouverneur de Metz, commandant le Corps d’armée, et le Colonel de Gaulle sont fréquents. Au cours de manœuvres, le Général Giraud se fait l’avocat de certains officiers supérieurs de l’Infanterie protestant de ne pas être protégés par les chars, trop en avant. De Gaulle réplique : "Quand les chars seront passés, il ne restera plus rien !" et devant l’approbation du Général de la Porte du Theil, Giraud, furieux, crie : "Vous, mon petit (sic) de Gaulle, tant que je commanderai le Corps d’Armée...". » (François-Yves Guillin, op. cit.). En 1939, Pétain préfaça le livre du Général Chauvineau intitulé « Une invasion est-elle possible ? » où l’auteur écrivait : « les grandes unités cuirassées appartiennent au domaine du rêve ».
Le 12 mars 1939, Delestraint, atteint par la limite d’âge, quitta son commandement et fut placé dans la 2° Section (Réserve) du Cadre de l’Etat-Major Général de l’Armée. Pour peu de temps…


1939-1940
Le 1er septembre 1939, Delestraint fut rappelé à l’activité. Brièvement affecté au commandement des chars de la 7e Armée de Giraud à la frontière belge, il fut appelé au GQG des armées du Nord-est du Général Georges installé à la Ferté-sous-Jouarre et lui-même placé sous l’autorité du commandant en chef, le général Gamelin installé à Vincennes. Nommé au commandement des « réserves de chars », Delestraint reçut pour mission de « hâter la fabrication et l’organisation des engins en nouvelles unités. » Il eut fort à faire. Le char lourd B1bis ne sortait des usines qu’au rythme de 20 par mois et si la France, en mai 1940, disposa d’un parc de chars équivalent à celui de la Wehrmacht en quantité et en qualité, la majorité des chars resta disséminée dans les unités en accompagnement de l’infanterie. En effet, si la création de divisions cuirassées avait été acceptée in extremis par l’Etat-Major, la première ne commença à être constituée qu’à partir de septembre 1939, les 2e et 3e ne le furent qu’au printemps 1940 ; De Gaulle ne se vit confier la création de la 4e qu’en avril 1940. En conséquence de quoi, face à dix Panzerdivisionen parfaitement entraînées et bénéficiant d’un soutien aérien efficace, ces 4 grandes unités manquèrent d’entraînement, d’équipement radio, d’autonomie en carburant et de coordination avec une aviation d’assaut notoirement insuffisante.
Pendant les 8 mois de la Drôle de Guerre, Delestraint s’efforça de promouvoir l’emploi des chars en grandes formations en coordination avec l’aviation, mais souvent en vain. « Ainsi, rapporte un journal, quelques semaines avant l’offensive allemande, en avril 1940, au cours d’une manœuvre au camp de Satory, il expose cette théorie devant de nombreux officiers supérieurs. Dès qu’il a terminé, le général très étoilé, "qu’il vaut mieux ne pas nommer" dit le journaliste, reprend la parole pour s’adresser à l’aréopage : "A présent, Messieurs, redescendons des nuages ! ..." (François-Yves Guillin, op. cit.). Le 16 avril, il reçut le commandement de la réserve de chars.
Le 10 mai, les Allemands déclenchèrent la Blitzkrieg. En quelques jours, ils percèrent les défenses françaises dans les Ardennes et foncèrent vers la Manche. Delestraint fut placé à la tête de la 2e Division cuirassée, puis, le 24 mai, il prit le commandement du groupement cuirassé regroupant les 2e et 4e Divisions cuirassées. De Gaulle, à la tête de la 4e contre-attaqua en vain à Montcornet, puis fin mai à Abbeville. Promu général de brigade, il fut appelé au gouvernement par Paul Reynaud le 5 juin et nommé sous-secrétaire d’État à la Guerre.
Du 5 au 10 juin, les défenses françaises sur la Somme et l’Aisne furent percées et les panzers déferlèrent vers le sud. Le gouvernement se replia à Bordeaux et le 17 juin, Pétain qui a succédé à Reynaud demanda les conditions d’armistice. Ce dernier fut signé le 22 et entra en vigueur le 25.
Dans la débâcle, Delestraint parvint à ramener les restes de ses divisions jusqu’au camp de Caylus en Tarn-et-Garonne. Le 18 juin, faisant étape à Valençay, il fut l’un des rares à entendre l’appel à la Résistance du Général de Gaulle. Promu général de Division, il fut aussitôt rendu à la vie civile par le décret du 15 juillet du nouveau régime de Vichy. Devant l’impossibilité de revenir dans le Nord, lui et sa famille établirent leur domicile dans l’Ain, un département dont le commandement militaire avait été attribué au Général Keller, ancien inspecteur des chars. Ils louèrent un appartement à Bourg-en Bresse, 41 boulevard Voltaire.
Delestraint, quittant son commandement, s’adressa à ses hommes dans ces termes : "La France s’écroule aujourd’hui dans un désastre effroyable. La veulerie générale en est la cause. Il dépend de nous, cependant, il dépend de vous surtout, les jeunes, que la France ne meure pas. De grands soucis, de durs sacrifices, dont nous ne mesurons pas encore toute la portée, nous attendent. Allons au-devant de ces nouvelles épreuves avec courage, avec énergie, avec confiance. Ainsi que nous le disait si bien l’Abbé, dimanche dernier, la Résurrection glorieuse de Pâques a suivi de près le sanglant et douloureux calvaire du Vendredi Saint. Si nous conservons la foi dans les destinées de notre pays ; si nous nous comportons en Français, et non avec une mentalité de chiens battus ou d’esclaves ; si nous savons vouloir, la France ressuscitera un jour, elle aussi du calvaire présent. En vous faisant les adieux je dis à tous courage, je répète à tous, confiance, confiance encore, confiance toujours. " Il puisait dans sa foi et son patriotisme des motifs d’espérer. En appelant ses subordonnés à ne pas se complaire dans une « mentalité de chiens battus ou d’esclaves », il s’inscrivait déjà en rupture avec la résignation larmoyante à la défaite de Vichy.


Vers la Résistance
« Si aucune pièce officielle datant de 1940, bien entendu, n’atteste les sentiments de Charles Delestraint à cette époque, une enquête après la Libération de 1945 est pratiquée pour déterminer l’appartenance éventuelle de Charles Delestraint à la France Libre. Une décision du Ministère de la Guerre du Gouvernement provisoire de la République précise que le Général Delestraint a été rappelé à l’activité au titre des Forces Françaises Libres, à partir du 15 Juillet 1940. » (François-Yves Guillin, op. cit.). Il s’agit d’une date d’homologation qui ne correspond pas à un engagement formalisé dans la France libre, mais de la reconnaissance d’une adhésion précoce à l’esprit de Résistance et à l’action initiée par l’Appel du 18 juin. Cette adhésion est corroborée par le témoignage de François-Yves Guillin qui fit la connaissance de Charles Delestraint lors de son installation à Bourg-en Bresse et qui deviendra son agent de liaison lorsqu’il sera étudiant en médecine à Lyon. Dans un texte autobiographique, Guillin relate une rencontre avec le général au début de septembre 1940 : « Je descendais l’avenue d’Alsace-Lorraine de Bourg-en-Bresse, je vis ma mère près de la poste. Elle parlait à un couple que je ne connaissais pas. Comment connut-elle madame Delestraint ? Je l’ignore. Je m’approchai et fus présenté. De ce moment, je garderai toujours un souvenir privilégié. Le Général me parla en me regardant dans les yeux. Il me parla de notre devoir de refuser la défaite, de penser à la "reprise de la lutte", de la préparer dans les esprits des Français, il me parla du général de Gaulle qu’il connaissait bien, assez pour savoir qu’il fallait lui faire toute confiance. Il me parla de la Grande Bretagne qui continuait la lutte et résistait aux attaques de la Luftwaffe. »
Delestraint exprima ouvertement ses convictions dans le cadre des réunions des anciens des chars qu’il travaillait à rassembler, ce qui lui attira le rappel à l’ordre suivant dans une lettre datée du 27 Février 1942, provenant du Chef de Cabinet du Secrétariat d’Etat à la Guerre de Vichy, « Mon Général, Le Maréchal a appris qu’au cours de conversations privées vous manifestiez ouvertement votre désapprobation de sa politique et votre hostilité envers certains membres de son Gouvernement. Je suis chargé de vous prévenir que vos propos ont été rapportés et de vous inviter, ne serait-ce que dans votre intérêt, à apporter plus de prudence et de réserve dans l’expression de vos opinions. Veuillez agréer, mon Général, etc. Signé R. »


Chef de l’Armée secrète des Mouvements Unis de Résistance (MUR)
La création des MUR fut l’aboutissement de l’action de Jean Moulin, parachuté en janvier 1942 avec l’ordre de mission suivant du général de Gaulle : "Je désigne Jean Moulin comme mon représentant et comme délégué du Comité National Français pour la zone non directement occupée de la métropole. Il a pour mission de réaliser dans cette zone l’unité d’action de tous les éléments qui résistent à l’ennemi et à ses collaborateurs. Il me rendra compte directement de l’exécution de sa mission". Il s’agissait d’abord de rassembler les trois principaux mouvements et leurs groupes francs : Combat (Henri Frenay), Libération-Sud (d’Astier) et Franc-Tireur (Jean-Pierre Lévy). Jean Moulin y parvint, non sans difficultés, en raison des rivalités de personnes, des divergences et de l’esprit d’indépendance des mouvements et de leurs chefs. En octobre 1942, à Londres, fut actée la création d’un comité de coordination des mouvements de zone non occupée et d’une Armée secrète regroupant leurs forces groupes francs. Dès le mois d’août, sur la recommandation d’Henri Frenay, Charles Delestraint avait été contacté pour commander l’Armée secrète et il avait donné son accord. Le 4 août 1942, Jean Moulin reçut de Londres un message actant cette nomination : « Charles à Charles, d’accord ». Connu et apprécié de De Gaulle, il était l’un des rares officiers généraux dont l’état d’esprit ne laissait aucun sur la réponse qu’il apporterait à cette sollicitation. Le 22 octobre 1942, De Gaulle écrivit à Delestraint en commençant sa lettre d’accréditation par ces mots : " Mon Général, on m’a parlé de vous…J’en étais sûr."
Cette nomination prit effet le 11 novembre 1942… le jour de l’invasion de la zone sud par les Allemands. Ainsi, à 63 ans, le général de division se rangeait sous les ordres de son ancien subordonné et se lançait, sous le pseudonyme de Vidal, dans l’aventure de l’action clandestine dont il ignorait tout mais dont il connaissait les risques…
Le chef de l’Armée secrète établit son poste de commandement à Lyon – « la capitale de la Résistance » (De Gaulle) –, travailla en collaboration étroite avec Jean Moulin, mais il entra immédiatement en conflit avec Henri Frenay, le chef de Combat, de retour de Londres le 18 novembre. D’une part, le capitaine breveté d’EM qui apportait à l’Armée secrète les combattants les plus nombreux et les mieux organisés estimait que le commandement – sinon de jure, au moins de facto - de l’AS lui revenait de droit. D’autre part, Delestraint entendait exécuter les ordres du chef de la France Libre : séparation du politique et du militaire, des MUR et de l’AS, - ce qui privait Frenay de tout pouvoir décisionnel sur l’AS - et mise en réserve des forces de l’AS en vue du débarquement, alors que Frenay prônait l’action immédiate.
Le 27 novembre 1942, à Collonges-au-Mont d’Or, dans la propriété de Martin-Chauffier, eut lieu sous la présidence de Jean Moulin, la réunion des chefs des trois grands mouvements de la Zone Sud : Henri Frenay, Emmanuel d’Astier de la Vigerie et Jean-Pierre Levy en présence du Général Delestraint. « Membre du Comité à titre consultatif, il est présenté à tous comme Chef de l’Armée Secrète. Après quelques mots de Max [Moulin] qui salue la réalisation d’une coordination qu’il appelait de ses vœux est évoquée la directive du 2 octobre au cours de la conférence de Londres à laquelle assistaient Charvet [Frenay] et Bernard [d’Astier] et qui a en effet consacré sa réalisation. On aborde la question de l’Armée Secrète : la désignation des chefs militaires nationaux et régionaux. Tout de suite, Charvet prend la parole et " a alors demandé au Comité de prendre en considération qu’étant donné l’inexpérience inévitable bien que provisoire de Vidal en matière d’A.S. et sa méconnaissance des cadres régionaux comme du travail clandestin..." il propose "d’être en permanence auprès de Vidal le représentant du comité et [...] reconnu comme le représentant du Comité auprès de Vidal, et en outre de procéder lui-même à la préparation d’outils : l’intensification du recrutement, l’encadrement et l’armement, à charge pour lui de rendre compte à Vidal de l’état d’avancement des régions A.S ». (François-Yves Guillin, op. cit.).
Lors de cette réunion fut discutée la composition de l’état-major de Vidal. Frenay prit le poste de chef d’état-major, mais par la suite il dut y renoncer pour celui de délégué du comité de coordination auprès de l’AS. Toutefois, ce fut le polytechnicien François Morin-Forestier (Méchin), qui avait exercé la même fonction à la tête des groupes francs de Combat, qui sera désigné. L’unanimité se fit sur la nomination du capitaine Joseph Gastaldo (Galibier), venant de Combat mais proche de Delestraint, à la tête du 2e Bureau. Plus tard, Frenay fera confier le 3e Bureau à René Hardy (Didot). Furent aussi désignés les inspecteurs des régions parmi les responsables militaires des mouvements : Henri Aubry (Combat), Raymond Aubrac et Maurice Kriegel-Valrimont (Libération).
En décembre 1942, Delestraint adressa aux combattants de l’AS son Ordre Général N°1 de prise de commandement :
"Commandement de l’Armée Secrète aux Cadres et Militants de formations paramilitaires des Mouvements de Résistance ".
"Par ordre du général de Gaulle j’ai pris, à la date du 11 Novembre 1942, le commandement de l’Armée Secrète. A tous, j’adresse mon cordial salut. Dans les circonstances présentes, l’ennemi installé partout en France, l’union de nos forces est un devoir impérieux.
« Combat", "Libération", "Franc-Tireur" l’ont compris, et leurs formations paramilitaires constituent dès à présent le noyau de l’Armée Secrète dont j’ai pris le commandement. L’instant est proche où nous pourrons exercer notre action. L’heure n’est plus aux atermoiements. Je demande à tous une stricte discipline militaire. Nous lutterons ensemble contre l’envahisseur, sous les ordres du général de Gaulle et aux cotés des alliés, jusqu’à la victoire. Le Chef de l’Armée Secrète : Vidal".

Henri Frenay empêcha la diffusion de ce texte, défiant l’autorité de Vidal.
Le 26 janvier 1943, lors d’une réunion à Miribel, le Comité de Coordination des mouvements devint le Comité directeur des Mouvements Unis de Résistance (M.U.R) ou "Directoire". L’Armée secrète en était le bras armé. En principe, les deux organisations étaient directement subordonnées à De Gaulle, par l’intermédiaire de Jean Moulin, son délégué, exerçant la présidence du Directoire, et de Delestraint nommé par De Gaulle à la tête de l’AS. Mais la répartition des responsabilités au sein du directoire donna à Frenay l’espoir de reprendre le contrôle de l’AS : il devint commissaire aux affaires militaires, considérant que Vidal lui était subordonné, tandis que d’Astier prenait en charge les affaires politiques et Jean-Pierre Levy les renseignements, la sécurité et les moyens matériels.
Delestraint ne se résignait pas à ce que l’AS ait une direction bicéphale, ni a fortiori d’avoir à rendre des comptes à Frenay, et il comptait bien en appeler au Général de Gaulle : l’AS dépendait-elle des MUR ou bien était-elle, en métropole, l’armée de la France combattante, composante des forces armées alliées, appelée à s’étendre à la zone nord ? Il lui fallait aussi obtenir de la France combattante et des Alliés la livraison d’armes, la plupart de celles qui avaient été camouflées par l’Armée d’Armistice étant tombées entre les mains des Allemands. Enfin se posait la question de l’encadrement des futurs maquis, la majorité des officiers de l’ex-armée d’armistice, d’obédience giraudiste, rejoignant la nouvelle Organisation de Résistance de l’Armée (ORA) dont les contacts avec les MUR restaient sans résultat.
C’est dans ce contexte de crise à la tête de l’AS et face à une évolution préoccupante des évènements en Afrique du Nord (mise en place par les Américains d’un pouvoir néo-vichyste, avec Darlan puis Giraud) et dans l’hexagone désormais totalement occupé où Vichy intensifiait la collaboration (envoi de travailleurs en Allemagne – STO instauré le 16 février1943, précédé en 1942 par la Relève et la réquisition de la main-d’œuvre, qui provoqua un afflux de réfractaires – « L’Allemagne ou la montagne » - que la Résistance n’était pas préparée à prendre en charge) que De Gaulle convoqua Delestraint et Moulin à Londres. Ils y parvinrent le 13 février 1943 dans un Lysander qui avait décollé de Ruffey-sur-Seille (Jura).
Alors que Moulin et de Delestraint séjournaient à Londres jusqu’au 19 mars se déroulait la mission Arquebuse (Passy)-Brumaire (Brossolette) en zone nord (27 janvier-16 avril) avec pour objectif d’y coordonner l’action des mouvements. Suivant les nouvelles instructions du 21 février apportées par Passy, ce dernier et Brossolette devaient créer un Conseil de la Résistance réunissant les mouvements des deux zones et les partis et les syndicats qui participaient à la Résistance ou la soutenaient. Brossolette – hostile aux partis, rejetés également par les mouvements - convainquit Passy d’ignorer ces instructions, et leur mission aboutit à la création le 26 mars d’un Comité de coordination des principaux mouvements de zone nord : Ceux de la Résistance, Ceux de la Libération, Front national, Libération-Nord, Organisation Civile et Militaire.
Lorsque De Gaulle revit Moulin et Delestraint qu’il avait quitté à Abbeville en pleine débâcle, il revenait de Casablanca, et il avait plus que jamais besoin du soutien de la Résistance intérieure face aux Américains et à Giraud. Pour cela il lui fallait hâter l’unification de la Résistance – d’où les nouvelles instructions – et pouvoir compter sur une confirmation par celle-ci de sa légitimité à représenter la France en guerre.
De Gaulle confirma donc l’autorité de Delestraint à la tête de l’AS et étendit son commandement à la zone nord. Delestraint prit contact avec les chefs militaires alliés et semble les avoir convaincus de l’efficacité potentielle de l’Armée des Ombres dans la perspective d’un débarquement, à condition qu’on lui en donnât les moyens. Les maquisards étaient présentés comme une armée de parachutistes déjà en place, pouvant atteindre un effectif de 50 000 hommes.
Mais, alors que les MUR, le 3 mars, adressaient un appel pressant à Londres – aux Alliés et à la France combattante – pour demander des armes et de l’argent afin d’accueillir et d’équiper les réfractaires, et annonçaient leur intention de déclencher une insurrection à brève échéance, les Alliés firent savoir à De Gaulle et Delestraint qu’il était hors de question de ravitailler une armée de 50 000 hommes et totalement prématuré de déclencher une insurrection, le débarquement ne pouvant être envisagé avant le printemps de 1944. Il fallait donc réduire (et non stopper) l’action immédiate à des opérations ciblées limitant les risques pour les résistants et les civils. Ces opérations étaient menées par des corps francs de l’AS et, en toute indépendance, par les FTPF et FTP-MOI.
Par ailleurs, à l’initiative de Vidal, fut adopté le plan « Montagnard » qui permettrait, au jour J, à des unités alliées parachutées de venir épauler les maquisards regroupés dans le Vercors (un projet en discussion avant le départ de Delestraint). Des plans visant à paralyser les communications lors du débarquement furent étudiés. Enfin, des missions du SOE devenait apporter une aide pour former, équiper et encadrer les maquis.
Durant son séjour londonien, Delestraint fut témoin de la remise de la Croix de la Libération à Jean Moulin par De Gaulle. Ce dernier annonça à Vidal sa promotion au grade de général de corps d’armée.
Dans la nuit du 19 au 20 mars 1943, un Lysander ramena Delestraint et Moulin en France. Fin mars 1943, l’État-Major de l’Armée Secrète fut constitué
Les semaines suivantes, le conflit Frenay – Delestraint ne cessa de s’aggraver autour des questions de commandement de l’AS et de l’organisation de l’action, Charvet dénonçant l’attentisme de Vidal aux ordres de Londres. Or Jean Moulin, dans son rapport du 4 Juin, écrira : "Il semble que les intentions du Général Vidal aient été également quelque peu déformées. Il n’a jamais été dans ses projets d’interdire d’une façon absolue aux militants de l’A.S. de se livrer à aucune activité en attendant le jour J. Le Général sait très bien que ce serait pratiquement impossible" ; il ajoutera : "Au point de vue militaire, la Résistance française ne peut être considérée que comme un élément, entre bien d’autres, de la lutte entreprise par les Alliés contre l’Axe. Elle doit entrer strictement dans le cadre fixé par l’E.M. allié si l’on veut que la France reprenne un rôle dans la lutte commune. A ce titre, vous êtes le chef militaire des Français sans réserves ni restrictions. Aussi, est-il pénible à nombre d’entre nous d’entendre Nef [Frenay], comme il l’a fait au cours d’un des derniers C.D., déclarer en propres termes : "Le Général de Gaulle a agi avec légèreté et a commis une erreur en nommant Mars commandant en chef de l’A.S., sans restrictions, ni réserves". (Rapport de Moulin au B.C.R.A, François-Yves Guillin, op. cit.).
Après avoir visité le Vercors, Delestraint se rendit à Paris pour participer le 12 avril 1943 à une réunion avec Moulin, Passy, Brossolette, Yeo Thomas et des représentants des mouvements de la zone nord représentées dans le nouveau comité de coordination, réunion à laquelle assistèrent aussi des représentants des FTP. Passy confirma le rattachement des groupes paramilitaires de zone nord à l’AS sous le commandement de Vidal. Les FTP dénoncèrent l’attentisme de l’AS.
Mais en définitive, dans les semaines précédant son arrestation, la situation évolua au détriment du général Delestraint. D’une part, « Jean Moulin ayant ordonné à l’AS de ne pas s’occuper des maquis » (François Marcot, Dictionnaire, op. cit, p. 210), Henri Frenay proposa, à la mi-avril, la création d’un nouvel organisme, le Service Maquis (qui deviendra le Service national Maquis), autonome, sur lequel Charvet comptait avoir la main. D’autre part, le 21 mai 1943, l’« Instruction personnelle et secrète » de De Gaulle à Delestraint reconnaissait que « le principe de la nécessité des actions immédiates est admis », mais surtout que celles-ci « sont presque toujours à l’initiative des mouvements et de leurs organisations locales. » Le chef de la France combattante devait tenir compte de l’évolution sur le terrain. « La poursuite de la lutte armée en zone nord par les communistes, et surtout la multiplication des maquis en zone sud conduisent De Gaulle à prendre acte de l’importance grandissante de formations militaires vouées à l’action immédiate (groupes francs, maquis), et dont le commandement ne peut être que décentralisé. » (Bruno Leroux, Dictionnaire, op. cit. pp. 402-403). Ainsi, Delestraint fut-il nommé « général inspecteur » en charge des réservistes de l’AS et il ne devait prendre le commandement effectif des forces paramilitaires de la Résistance qu’au jour J.


L’arrestation.
Au cours du premier semestre 1943, la police allemande porta, on le sait, des coups très durs à la Résistance, avec l’aide de la police de Vichy en vertu des accords Bousquet-Oberg. Le 4 Juin 1943, dans un rapport à André Philip, Jean Moulin écrivit : "Le Général Delestraint fait en ce moment un travail considérable. Mais il le fait pratiquement seul et prend des risques excessifs du fait qu’il n’est pas secondé. Aujourd’hui, j’ai au point de vue civil, et quoiqu’on en ait dit, un état-major solide avec un suppléant qualifié dans chaque zone, et des secrétariats qui fonctionnent. Reste l’A.S. Le temps presse" ; il ajoutait « Je suis recherché maintenant tout à la fois par Vichy et la Gestapo qui, en partie grâce aux méthodes de certains éléments des Mouvements, n’ignore rien de mon identité ni de mes activités. Je suis bien décidé à tenir le plus longtemps possible, mais si je venais à disparaître, je n’aurais pas eu le temps matériel de mettre au courant les successeurs » (François-Yves Guillin, op. cit.).
Le 27 mai 1943, Kaltenbrunner, chef du RSHA, avait adressé un rapport de 28 pages sur l’Armée secrète à Von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères. Ce rapport, présenté à Hitler le 4 juin, se fondait sur l’exploitation d’archives saisies en mars 1943 par des policiers français et des arrestations opérées par la Sipo-SD à Lyon depuis le mois de février. Par ailleurs, l’introduction dans la Résistance de VertrauensManner (V-Manner), hommes de confiance, agents doubles, était d’une efficacité redoutable. Ce rapport prouve que l’organigramme de l’AS était connu des Allemands.
Le 5 juin, Delestraint monta dans le train pour Paris. Le 9, il fut arrêté.
Le voyage à Paris de Delestraint s’inscrivait dans la préparation du transfert de la direction des MUR et de l’AS dans la capitale alors que le processus d’union de la Résistance des deux zones avait abouti grâce aux efforts de Jean Moulin. Le 27 mai 1943, il avait présidé la première réunion du Conseil National de la Résistance (CNR) au 48 rue du Four à Paris (VIe arr.). Delestraint devait être accompagné de son chef d’état-major, le commandant Gastaldo pour y rencontrer les chefs militaires de la zone Nord. Le 27 mai, Vidal chargea son chef de cabinet, Aubry, de prévenir René Hardy (Didot) – chef du 3e Bureau de l’AS - du rendez-vous qu’il lui fixait à Paris, le Mercredi 9 Juin à 9 heures, à la sortie de la station de métro La Muette, à l’angle de la rue de Passy et de la rue de la Pompe. Aubry rédigea un message en clair pour Hardy et le remit à Madame Raisin, sa secrétaire, à charge pour elle de le déposer dans la boite aux lettres de Madame Dumoulin, 14 rue Bouteille à Lyon, boite qui était celle de Résistance-fer, c’est-à-dire de René Hardy. Or cette boite aux lettres était « brûlée » grâce aux informations données par Multon (alias Lunel), résistant d’origine poitevine passé au service de la police allemande et surveillé par René Moog de l’Abwehr, et les aveux de Georges Ranoux à la Milice. Madame Dumoulin avait été arrêtée le 24 mai, et son appartement transformé en souricière où les visiteurs étaient « accueillis » par Madame Edmée Delestraz, résistante devenue agent de la Sipo-SD de Lyon commandée, on le sait, par Klaus Barbie, épaulée par trois agents de la Gestapo. La lettre fut déposée et récupérée par la Gestapo. Aubry apprit que la boite aux lettres était brûlée dès le 28 mai, mais omit d’en avertir Delestraint.
Le 7 juin, Moog et Multon prirent le train à Perrache pour Paris. Multon reconnut Hardy qui se rendait au rendez-vous avec Delestraint. Hardy fut arrêté en gare de Châlons-sur-Saône. Il fut conduit devant Barbie, puis relâché. Il dissimulera son arrestation à ses camarades et sera présent à la réunion de Caluire le 21 juin 1943.
Arrivé dans la soirée du 5 juin à Paris, Delestraint s’installa dans un appartement sis au 35 boulevard Murat (XVIe arr.). Du 6 au 8 juin, il eut plusieurs rencontres avec Pierre Dalloz, Gastaldo, des responsables de la OCM et de Ceux de la Résistance. Le 9, comme chaque matin, Delestraint se rendit à la messe à Notre-Dame-d ’Auteuil puis il se dirigea seul, à pied, sans aucune protection, par l’avenue Mozart vers le métro La Muette pour son rendez-vous avec Hardy à 9h où l’attendaient des agents de l’Abwehr et du SD
Vidal fut immédiatement reconnu par Kramer, un agent de l’Abwehr. Un taxi s’arrêta à sa hauteur. En descendirent Moog et un agent français de la police allemande, René Saumande (PPF). Moog aborda Delestraint en lui disant : "Mon général, vous attendez Didot. Il n’a pas voulu venir ; il a jugé que l’endroit est trop dangereux. Nous devons vous conduire auprès de lui au métro Passy". Sans méfiance, Delestraint monta dans la voiture qui le conduisit rue des Saussaies au siège de la Sipo-SD. Quelques instants plus tard, Gastaldo et Théobald furent arrêtés au métro rue de la Pompe.
Delestraint fut interrogé cinquante heures de suite. Arrêté porteur de ses papiers personnels, il se contenta de reconnaître qu’il était le chef de l’AS envoyé par le général de Gaulle. Il fut ensuite conduit à la prison de Fresnes. Il fut reconduit chaque jour à Paris, avenue Foch, pour de nouveaux interrogatoires.
Le 26 juin arrivèrent à Paris les résistants arrêtés à Caluire. Aubry, qui avait été durement interrogé à Lyon, se serait montré très prolixe, avant d’être libéré en novembre 1943.
Delestraint fut transféré quelques temps à la villa du chef de la Gestapo Karl Boemelburg à Neuilly-sur-Seine avant d’être ramené à Fresnes où il occupait la cellule 101 au 2e étage. Il disposait d’un régime de faveur, avec un fauteuil à sa disposition, une glace au mur, et son épouse reçut l’autorisation de lui rendre visite avec son petit-fils. Il put assister à la messe et rencontra le RP Riquet.
La procédure suivie contre Delestraint relevait du décret Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard, NN) entré en vigueur le 7 décembre 1941. Aucune nouvelle n’était donnée sur ces prisonniers qui devaient disparaitre dans la nuit et le brouillard. Les Tribunaux militaires n’avaient qu’un rôle d’instruction, et les prévenus devaient être déférés, pour l’ouest de l’Europe, devant l’un des Tribunaux du Peuple (Volksgerichtshof), celui de Cologne ou celui de Breslau. La condamnation à mort était quasi systématique.
L’instruction du procès du général Delestraint fut confiée au capitaine Roskothen. Ce dernier, conseiller à la Cour d’Appel d’Essen, fut, de 1941 à 1944, conseiller au Tribunal Militaire Allemand du Commandement du Grand Paris, Section B, 11 et 11bis rue Boissy d’Anglas, (8°) où il exerça alternativement les fonctions de Juge d’Instruction (Examinator) et de Président. Selon André Lassagne, Roskothen était "Un type digne". Pour François-Yves Guillin, « c’est grâce en grande partie à lui que le docteur Dugoujon et le colonel Lacaze [arrêtés à Caluire] ont été libérés, et qu’ont été retardés les renvois devant le Tribunal du Peuple de Breslau (ce qui équivalait à autant d’exécutions) de Delestraint, Gastaldo et Lassagne qui s’étaient chargés de toutes les responsabilités pour sauver ceux qui pouvaient l’être. » L’instruction concernait dix membres de l’AS et cinq officiers de l’ORA. Les interrogatoires eurent lieu à Fresnes. Au terme de l’instruction, Delestraint et dix autres prévenus furent déférés devant le Tribunal du Peuple de Breslau pour « intelligence avec l’ennemi ».


La déportation
En mars 1944, Delestraint, Gastaldo et Lassagne furent transférés à Compiègne, puis déportés dans un convoi de 70 à 80 prisonniers, tous NN. Mais au lieu d’être immédiatement dirigés vers la Silésie, Delestraint et ses compagnons furent acheminés au camp du Struthof-Natzweiler en Alsace. Delestraint y resta détenu du 10 mars au 4 septembre 1944. Il semble qu’au printemps 1944, le tribunal de Breslau était surchargé de travail et le cas Delestraint fut mis en attente. A leur arrivée, les Français furent affectés aux blocks 11 et 12 réservés aux NN. Tous eurent le crâne rasé et Delestraint reçut le n° matricule 7839. En tant qu’officier supérieur, il fut dispensé des travaux forcés et devait rester dans le block 11, sans aucun contact. Toutefois, Delestraint bénéficia de la protection de deux déportés, Franz Guthmann, le Blockältester, (doyen de bloc), d’origine autrichienne, et Hans Gasch, social-démocrate allemand, qui distribuait les vêtements aux déportés à leur arrivée. Guthmann permit à Delestraint d’échapper à l’isolement en allant travailler clandestinement au triage des vêtements à l’Effektenkammer (barraque d’habillement). Dénoncé, Delestraint fut renvoyé au block 11 et risquait d’être transféré au camp de Brieg (camp pour Juifs et politiques, annexe du camp de Gross-Rosen) près de Breslau. Delestraint échappa à ce transfert en étant hospitalisé au Revier (infirmerie) et déclaré intransportable. Gasch affirma avoir donné au général des pilules qui avaient provoqué une forte fièvre. Par la suite, Delestraint tomba réellement malade en raison d’un abcès péri-articulaire de la hanche gauche. Le maintien du général au Revier lui permit d’échapper à plusieurs transferts.
C’est au Revier qu’il fit la connaissance du docteur Pierre Suire, un résistant niortais arrêté le 5 mai. Il reçut aussi le soutien de résistants communistes, à l’instar de Roger Linet, responsable FTPF de l’Île-de-France, lequel envisageait d’organiser une résistance pour sauver Delestraint au cas où les SS voudraient exterminer les détenus avant l’évacuation du camp.
Les Alliés approchant, les Allemands organisèrent l’évacuation du camp du 1er au 4 septembre. Ils assassinèrent effectivement 107 membres du réseau Alliance et plusieurs dizaines de maquisards des Vosges, mais les notabilités échappèrent au massacre, et Delestraint fut transféré à Dachau dans un convoi de 905 détenus qui arriva à destination le 6 septembre. Il fut affecté au block 24, avec pour voisin de lit superposé le lieutenant Robert Sheppard, du SOE. Dans le désordre de l’évacuation, Delestraint devint un déporté anonyme parmi de nombreux déportés français, provisoirement oublié des Allemands. Edmond Michelet reconnut le chef de l’AS comme représentant des Français à Dachau et se mit à ses ordres. Afin de le protéger, les Français parvinrent à le faire admettre temporairement au Revier, mais il dut le quitter en janvier 1945 pour le block 25. Ce même mois, Delestraint participa à la création du Comité International de Dachau.
Ses compagnons ont rapporté que Delestraint lisait Péguy dans un volume de la Pléiade que le docteur Suire lui avait procuré, l’Évangile, et s’entretenait avec Monseigneur Piguet, l’évêque de Clermont. Il assistait clandestinement à la messe dite par le R.P. Riquet.
Le 13 janvier 1945 arriva à Dachau une note de Berlin en date du 6 janvier qui réduisait le nombre de Français NN arrivés de Natzweiler de 630 à trente, parmi lesquels Delestraint, mis à la disposition du tribunal de Breslau par une note du 18 novembre 1944. Mais la comparution devant le Tribunal du Peuple fut différée pour des raisons que l’on ignore, jusqu’à ce que la décision soit prise à Berlin d’abattre Delestraint à Dachau.
Cette décision intervint à la suite d’un incident lors d’un appel au cours duquel Delestraint attira l’attention d’un gradé SS. Interpelé, il déclara être général de l’armée française, et avoir eu De Gaulle sous ses ordres. L’officier SS en aurait informé Berlin et aurait reçu l’ordre de transférer Delestraint à l’Ehrenbunker, le bunker d’honneur réservé aux personnalités. Selon le docteur Suire, le transfert serait intervenu en mars. Selon le témoignage d’un gendarme résistant déporté à Dachau, Delestraint, pressentant une exécution, aurait quitté les rangs en lançant aux SS : « Vous pouvez bien m’abattre, mais vous avez perdu la guerre ! » (récit de M. Pierre Dumet rapporté par sa fille Nicole).
Au bunker, Delestraint retrouva Monseigneur Piguet et le pasteur Niemöller. En principe, il lui était interdit de sortir, mais Delestraint put bénéficier avec d’autres personnalités de massages quotidiens. Il put revoir ses amis qui constatèrent que sa santé s’améliorait grâce à une meilleure nourriture, et qu’on lui avait rendu ses effets civils, son alliance et sa montre. Delestraint, informés grâce à la radio clandestine des déportés, suivait l’évolution des opérations, savait la victoire proche et dit à Sheppard lors de leur dernière entrevue : « C’est la fin, mon petit, nous avons gagné. Si dans ce qui va se passer nous nous perdons dans la foule, rendez-vous à Paris ! ».


L’exécution, le 19 avril 1945.
L’ordre d’exécution aurait été donné par Kaltenbrunner, peut-être en représailles à la mort du général von Brodowski, abattu par une sentinelle française à la citadelle de Besançon.
Dans la soirée du 18 avril arriva à Dachau Armand Mottet, arrêté en tant qu’agent de liaison de Résistance – Fer. Il fut conduit à l’Ehrenbunker où il fut interné avec Delestraint et Monseigneur Piguet. Venant d’Oranienburg, il avait fait étape à Berlin où il avait été mis en présence de Kaltenbrunner. Celui-ci lui avait demandé s’il avait été en relation avec Delestraint et Hardy. Mottet se confia à Delestraint qui était convaincu que Hardy était responsable de son arrestation et qui espérait qu’il serait démasqué et jugé.
Le 19 au matin, Delestraint servit la messe dite par Monseigneur Piguet. Au cours de l’office, il fut appelé par deux officiers SS. L’adjudant SS Eichberg avait reçu tôt le matin l’ordre d’exécuter Delestraint signé du lieutenant-colonel SS Schäffer. On fit entendre au général qu’il s’agissait d’un transfert préalable à sa libération. Il quitta l’Ehrenbunker avec sa valise. Il fut conduit près des crématoires et abattu d’une balle dans la nuque avec d’autres prisonniers. Les témoignages divergent sur les conditions précises de l’exécution. Un kapo reçut l’ordre d’incinérer le corps avec ses effets.


La mémoire

Par le décret du 17 novembre 1945, la Croix de la Libération fut décernée à titre posthume au général Delestraint. En novembre 1946, Edmond Michelet inaugura la plaque commémorative apposée au 35 boulevard Murat à Paris et le nom du Général Delestraint fut donné à une rue proche de ce domicile. À Vannes, une rue et une caserne portent son nom. D’autres villes – Lyon notamment – honorèrent ainsi la mémoire du chef de l’AS. Une association à sa mémoire fut créée en 1985. Le 10 novembre 1989, une inscription à sa mémoire fut inaugurée au Panthéon. En 1990, le nom du général Delestraint fut donné de la promotion de Saint-Cyr.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article229303, notice DELESTRAINT Charles, Georges, Antoine [alias Vidal - Mars - Chevalier – Duchêne] par Dominique Tantin, version mise en ligne le 17 juin 2020, dernière modification le 9 août 2022.

Par Dominique Tantin

Le général de brigade Delestraint (1938-1939).
Le général de brigade Delestraint (1938-1939).
Crédit : MémorialGenWeb.
Photos anthropométriques prises par la Sipo-SD (septembre-octobre 1943)
Photos anthropométriques prises par la Sipo-SD (septembre-octobre 1943)
Crédit : réserve citoyenne

SOURCES : François-Yves Guillin, Le Général Delestraint dans la Résistance, Premier chef de l’Armée secrète, Thèse pour le Doctorat en Histoire présentée devant l’Université Lumière-Lyon II le 17 octobre 1992, version en ligne consultée en juin 2020. — François-Yves Guillin, notice biographique de Charles Delestraint en ligne. —Récit autobiographique de François-Yves Guillin. — Notice biographique de Charles Delestraint sur le site de l’Ordre de la Libération. — Dictionnaire historique de la Résistance (François Marcot, dir.), Paris, Laffont, 2006 ; Mouvements Unis de résistance, John Sweets, pp. 132-134 ; Armée secrète, François Marcot, pp. 165-167 ; Delestraint, Charles, Bruno Leroux, pp. 402-403. — Pierre Suire, Il fut un temps, préface du R. P. Riquet, Niort, Soulisse-Martin, 1947. —MémorialGenWeb. — Mémoire des Hommes. — Service historique de la Défense, Vincennes GR 16 P 169903 et Caen SHD/ AC 21 P 631567. — Actes de naissance et de mariage, registre matricule militaire en ligne.

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