Par Daniel Grason
Né le 4 août 1900 à Saint-Étienne (Loire), mort le 5 avril 1977 à Pantin (Seine-Saint-Denis) ; tourneur-outilleur ; syndicaliste ; militant communiste de la Seine ; résistant ; déporté à Buchenwald (Allemagne) ; troisième maire adjoint de Pantin (1959-1965).
Fils de Pierre, vingt-huit ans, cultivateur, puis mineur, syndiqué et de Marie Marguerite Berthrault, vingt-quatre ans, ménagère, fervente catholique. Selon ses souvenirs recueillis par J. Boutonnet, l’influence de René Maurier le fit adhérer en 1927 à la cellule Gnome Rhône. Secrétaire de la section CGTU de l’entreprise, il fut renvoyé, puis embauché en 1928 chez Chaize où il assura le secrétariat de la cellule communiste. À nouveau renvoyé en 1929, il s’embaucha dans plusieurs petites entreprises avant d’obtenir du travail chez Renault puis à Saint-Étienne, sa ville natale.
Jean Doutre épousa Marie-Louise Le Guen, originaire de Concarneau dans le Finistère, le couple vivait 78 route des Petits-Ponts à Pantin (Seine, Seine-Saint-Denis).
Il revint dans la région parisienne en 1935 et entra chez Morane Saulnier où il fut secrétaire d’une section syndicale groupant trente-cinq adhérents en 1935 et deux cents après les grèves de juin 1936. Le patronat le renvoya à la suite des grèves de novembre 1936. Il entra à la Précision moderne puis chez un artisan de Puteaux.
Jean Doutre travaillait chez Gnome et Rhône quand éclata la guerre. Affecté spécial chez Morane Saulnier, il ne se rendit pas à son affectation mais travailla chez Lavalette et Bosch à Saint-Ouen. Responsable politique de son triangle communiste, il lança une action contre le rationnement et le travail le dimanche dans son entreprise. Devenu clandestin, Doutre fut responsable politique du secteur nord de Paris.
Il fut repéré par des inspecteurs de la BS1 alors qu’il rencontrait d’autres militants communistes. Son nom figurait sur des listes saisies sur Grellat, notamment son nom de guerre qui a été « Patin » puis « Bernard ».
Il a été interpellé le 24 juillet 1942 par deux inspecteurs de la BS1, fouillé, était saisi sur lui des listes des communes de la banlieue nord qui composaient le troisième secteur de la région Paris Nord, il détenait aussi plusieurs tracts : « revue de la presse libre », l’Humanité et La Vie du Parti. La perquisition de son domicile s’avéra infructueuse.
Deux documents manuscrits écrits par lui retenaient l’attention des policiers notamment celui qui portait en titre « À la population de Nesles » où un avertissement était adressé à la Gendarmerie. Un policier lui demanda « Qu’avez-vous à dire ? »
Il reconnaissait que les documents se rapportaient à son activité clandestine, et que les textes étaient de sa « main ». Il précisa « J’ai porté l’indication « Adresses personnelles des flics » dans le but que des tracts leur soient envoyés. » Il assuma le fait qu’il était responsable depuis « trois semaines environ du 3ème secteur » et que son pseudonyme était « Bernard ».
Il reconnaissait aussi avoir établi la liste où figuraient les noms de plusieurs gendarmes dont un brigadier. Il affirma qu’il avait l’intention de leurs envoyer des tracts du Front national. Un autre papier suscita l’intérêt des policiers, il y était fait mention de « l’achat d’une propriété, le Château de Brécourt, à côté de Labbeville, ligne de Valmondois à Marine. » Il répondit que ce papier lui avait été remis par « un camarade que j’ai rencontré à la Mairie de Saint-Ouen » dont il ignorait le « nom, le prénom et l’adresse. »
Au cours des filatures il avait été vu plusieurs fois avec les militants communistes Fernand Maillard et Parfait. Il ne le nia pas mais affirma « C’était uniquement pour nous entretenir de questions syndicales. » Maillard a été mis en sa présence, il affirma le reconnaître. Par contre, confronté avec Morel, Sandre et Marcel Duchet il fut catégorique, il ne les connaissait pas.
Incarcéré, Jean Doutre comparaissait le 12 juin 1943 en compagnie de résistants impliqués dans la même affaire : Louis Bougon, Armand Wadé, Roger Becouret, Maurice Favre, Jeanne Pouzol, Pierre Pouzol, et Émile Pelletier. Quant à Jean Doutre il a été condamné à trois ans de prison et 1 200 francs d’amende.
Il séjourna dans les prisons de la Santé, Poissy, Melun, Châlons-sur-Marne, puis à Compiègne avant d’être déporté à Buchenwald le 12 mai 1944. Responsable politique de la première compagnie en contact avec la direction clandestine du camp. Responsable politique de la première compagnie en contact avec la direction clandestine du camp.
Il participa aux actions de solidarité à l’intérieur du camp qui étaient autant d’actes de résistance à la barbarie. Le 11 avril 1945 dans l’après-midi, l’armée américaine conduite par le général Patton libérait Buchenwald. Le Comité militaire clandestin international l’accueillit. Le Comité des intérêts français était composé de : Frédéric-Henri Manhès, Albert Forcinal, Marcel Paul, Robert Darsonville et Jean Lloubes représentaient les français au sein de ce comité précisa Olivier Lalieu dans son ouvrage La zone grise ? La résistance française à Buchenwald.
Dans 1945 La découverte, Annette Wieviorka soulignait : « C’est avec l’arrivée du résistant communiste Marcel Paul, en mai 1944, qui devient l’interlocuteur des dirigeants allemands, que le parti communiste français s’organise véritablement à Buchenwald et qu’il rassemble d’autres courants de la Résistance dans le Comité des intérêts français. Désormais, le Comité est à présent dans l’organisation de résistance du camp et peut protéger certains détenus. »
Sa femme témoigna le 23 avril 1945 devant une commission rogatoire. Elle déclara notamment : « Mon mari que j’ai pu voir pendant son séjour aux brigades spéciales avait été brutalement frappé, en effet il avait la tête enflée et un œil tuméfié. À la prison de la Santé il m’a déclaré qu’il avait été trois semaines sans pouvoir s’allonger. »
« Une perquisition négative a été effectuée à mon domicile, rien n’a été dérobé. »
Sur photographies elle reconnut deux inspecteurs, selon son épouse son mari s’adressa à l’un et aurait déclaré : « Je vous ai tout dit ce que j’avais sur la conscience, je ne puis rien vous dire de plus. »
Elle déposa plainte « contre les fonctionnaires » qui procédèrent « à son arrestation et notamment contre ceux qui se sont livrés à des sévices sur sa personne. »
Rentré en France le 30 avril 1945, Jean Doutre devint responsable permanent de la Bourse du Travail de Boulogne-Billancourt puis, à partir de 1948, responsable permanent des syndicats de Pantin, Aubervilliers, La Courneuve et du Bourget. Permanent à la Fédération des Métaux jusqu’en 1949, collaborateur du bureau confédéral de la CGT en 1950, il cessa toute activité en 1965 pour raison de santé. Conseiller municipal communiste de Pantin en 1959, il accéda à la fonction de maire adjoint.
Jean Doutre a été homologué au titre de la Résistance intérieure française (RIF), et Déporté interné résistant (DIR).
Il mourut le 5 avril 1977 à Pantin en Seine-Saint-Denis.
Par Daniel Grason
SOURCES : AN Z/4/80 dossier 536. – Arch. PPo. 77 W 5364-310721. – Bureau Résistance GR 16 P 191519. – J. Boutonnet, L’implantation du Parti communiste à Pantin, dans l’entre-deux-guerres, mémoire de maîtrise, Paris I, 1972, (cette notice reprend presque intégralement un passage du Mémoire de Boutonnet sur l’avant-guerre et après le 30 avril 1945). – Annette Wieviorka, 1945 La découverte, Éd. Seuil, 2015. – Olivier Lalieu, La zone grise ? La résistance française à Buchenwald, préface de Jorge Semprun, Éd. Tallandier, 2005. – Pierre Durand, Les Français à Buchenwald et à Dora, Éd. Sociales, 1977. – Livre-Mémorial, FMD, Éd. Tirésias, 2004. – AD de la Haute-Loire État civil numérisé 6 E 34/12 acte n° 3. – État civil de Saint-Étienne.