Par José Gotovitch
Sarzyna (Pologne), 18 avril 1908 – Uccle (pr. Brabant, arr. Bruxelles-Capitale ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 15 août 1981. Mécanicien, émigré en Belgique, membre des Brigades internationales en Espagne, Partisan armé, fonctionnaire polonais.
La biographie de Wojciech Gramatyka est exemplative à plus d’un égard. Elle témoigne d’abord de l’errance et de la précarité de la vie d’un émigré des années 1930 contraint à une quête incessante de travaux mal payés qui entraîne un « vagabondage » officiel d’usines en usines et de communes en communes à travers la Wallonie industrielle et Bruxelles, y compris des crochets forcés en France.
Une fois catalogué par la Police des étrangers comme dangereux car politisé à gauche, d’autant plus après son retour des Brigades internationales en Espagne, le parcours de Wojciech Gramatyka est suivi avec une attention jamais relâchée qui cumule les tentatives d’expulsion avec les emprisonnements occasionnels. Engagé très tôt dans la résistance, sans pour cela disparaître dans la clandestinité totale, il demeure l’objet d’une quête d’informations ininterrompue de la Police des étrangers qui concède seulement qu’il ne peut alors être expulsé. Décoré de plusieurs ordres belges pour ses actions de partisan, le harcèlement subi le renverra en Pologne. Carrière faite, et désirant revenir dans le pays qui l’a honoré, il essuie plusieurs refus du visa belge. Ayant quelque peu forcé la porte, il sera sauvé de l’expulsion ordonnée par l’octroi in extremis de la nationalité belge !! Ce cas est exemplaire du sort que réserva l’État belge à de nombreux ouvriers (mais aussi des intellectuels) étrangers, réfugiés avant-guerre, qui choisirent de prendre tous les risques pour défendre leur conception de la démocratie.
Né dans un petit village de Galicie, Wojciech Gramatyka émigre en France en 1928 pour des raisons essentiellement économiques en utilisant les papiers de son frère. Le travail dans une mine de fer de l’empire de Wendel à Ottange (département de la Moselle) lui parait trop lourd. Aussi après quelques mois, il gagne la Belgique où il est inscrit à Marcinelle (aujourd’hui commune de Charleroi, pr. Hainaut, arr. Charleroi) comme houilleur le 14 août 1928. Il travaille au puits n° 5 à Couillet (aujourd’hui commune de Charleroi). Mais dès septembre, on le retrouve à Marchienne-au-Pont (aujourd’hui commune de Charleroi), en octobre à Forêt (aujourd’hui commune de Trooz, pr. et arr. Liège), à Chaudfontaine (pr. et arr. Liège) en mars 1929, où il reçoit un visa de séjour définitif. Il exerce comme manœuvre aux Usines Goffart, dans une usine de zinc à La Brouck (Trooz), à la Fabrique de Fer de Marchienne-au-Pont, aux charbonnages L’Espérance à Montegnée (aujourd’hui commune de Saint-Nicolas, pr. et arr. Liège). En juin 1929, il est à Liège, rejoint Ougrée (aujourd’hui commune de Seraing, pr. et arr. Liège) en octobre, Seraing en novembre. Il touche entre 28 et 31 francs par jour, bientôt 40. En février 1930, doté d’une carte d’identité d’étranger, il est inscrit à Liège et travaille à Ougrée-Marihaye, cette fois pour six mois. Mais il déménage encore à Ougrée en mars, retour à Liège en juillet. Il y gagne 50 francs par jour.
C’est à Liège, sur la Batte, que Wojciech Gramatyka prend contact avec d’autres émigrés polonais et adhère au Secours rouge. Il diffuse son journal en polonais. Il se heurte aux gendarmes en manifestant le Premier mai.
En octobre 1930, Wojciech Gramatyka retourne vers Charleroi et s’installe à Havré (aujourd’hui commune de Mons, pr. Hainaut, arr. Mons), ensuite à Chapelle-lez-Herlaimont (pr. Hainaut, arr. Charleroi). En avril 1931, on le trouve à Carnières (aujourd’hui commune de Morlanwelz, pr. Hainaut, arr. La Louvière). Il travaille aux Charbonnages de Bascoup, ensuite à ceux de Marcinelle. Un rapport de gendarmerie le décrit comme ne s’occupant pas de politique, « sort peu, ne reçoit aucune visite ».
Les années 1932/1933 sont peu claires. Lors d’une démarche administrative effectuée en 1977 en Belgique, Wojciech Gramatyka déclare avoir travaillé chez un agriculteur à Havré-ville jusqu’à son retour en Pologne en 1934. Mais lors d’une interview ultérieure, il évoque les menaces d’expulsion de Belgique qui le poussent à retourner en France où, pour des raisons non définies, il passe trois mois en prison, à Troyes (département de l’Aube) et Besançon (département du Doubs), à l’issue desquels, en 1934, il retourne dans son village en Pologne, « voyage payé par le consulat ». Nous ne disposons d’aucune information sur son activité pendant les deux années qui précèdent le voyage clandestin qu’il entame en 1936, sans papiers, – il se fait passer pour un réfugié russe blanc – pour rejoindre l’Espagne. Le lien et l’engagement politique n’ont donc pas été rompus.
Wojciech Gramatyka traverse dans les pires conditions la Tchécoslovaquie, l’Autriche et l’Allemagne pour atteindre Mulhouse (département du Haut-Rhin, France). Il y est pris en charge par le Comité d’aide à l’Espagne et gagne enfin Paris, la rue Mathurin Moreau, où s’effectue l’engagement pour les Brigades internationales. Intégré aux effectifs polonais, il atteint Figueras en Catalogne le 1er mai 1937, avec environ deux cents volontaires, ayant franchi les Pyrénées par de petits sentiers. Après un très court écolage militaire – il n’a pas fait de service militaire –, il intègre la XIIIè Brigade, Bataillon Tchapaïev, Compagnie Mickiewicz. Il adhère alors au Parti communiste espagnol. Il participe immédiatement aux combats et est blessé en octobre 1937 à Brunete (Madrid). Opéré à l’Escurial, il est ensuite affecté au service de presse des Brigades.
Durant les derniers mois, Gramatyka a souvenir de la méfiance qui entoure les Polonais suite à la dissolution de leur parti et l’élimination de ses dirigeants à Moscou mais aussi en Espagne.
Évacué en train, Wojciech Gramatyka débarque en août 1938 à Paris, où l’Amicale des volontaires de la liberté lui apporte son aide, mais il est rapidement refoulé par les Français vers le Grand-Duché de Luxembourg qui le refoule en Belgique en janvier 1939 ! Il retrouve manifestement ses contacts antérieurs, notamment par le Comité d’aide aux combattants volontaires, car il est soigné – toujours illégal – du 14 au 28 janvier à l’Hôpital Brugmann (Bruxelles). Il apprend ensuite au consulat polonais que son « engagement dans une armée étrangère » lui a valu la perte de sa nationalité polonaise.
S’ensuit alors jusqu’à la guerre, une succession ininterrompue de logements clandestins, principalement à Bruxelles, d’arrestations, de mises à la frontière, de retours illégaux, de ré-arrestations, notamment à Saint-Gilles (Bruxelles) du 4 au 10 mai 1939, avec notification d’expulsion… En septembre, Wojciech Gramatyka trouve momentanément refuge, travail (vacher) et inscription à la commune, sous pression des organisations paysannes qui manquent de main d’œuvre. Il demeure à « la Ferme d’en bas » chez un agriculteur de Sommière (aujourd’hui commune d’Onhaye, pr. Namur, arr. Dinant). Il y est néanmoins arrêté et emprisonné le 9 octobre 1939 et comparait en décembre devant une commission de la Sûreté. Celle-ci relève qu’illégal, Gramatyka fréquentait à Bruxelles « des éléments communistes et autres individus suspects » et qu’il a notamment assisté à des réunions d’étrangers anciens d’Espagne en juillet et en septembre 1939. Cette fois, la guerre sévissant aux frontières, la décision d’expulsion est conditionnée par une hypothétique autorisation d’un pays d’accueil ! Dans l’attente, il réside à Bruxelles. Durant toute cette période, il bénéficie de la solidarité des avocats et organisations communistes et … de la curiosité commanditée des organes de police.
Le 10 mai 1940, Wojciech Gramatyka est l’un des milliers d’étrangers « suspects » – dont d’innombrables Juifs allemands – arrêtés en Belgique et qui aboutiront dans les camps du Sud-Ouest de la France après un voyage chaotique et éprouvant. Il parvient à se libérer et revient à Bruxelles où un employé communal accepte de l’inscrire comme ukrainien, réfugié russe. En juin 1940, il est à Schaerbeek (Bruxelles). Il reprend contact avec des amis communistes et cherche de l‘emploi. C’est ainsi qu’il est embauché pour divers travaux à l’OBLA, librairie soviétique à Bruxelles demeurée active mais sous étroite surveillance de l’occupant allemand. II participe à la liquidation des ouvrages russes et polonais particulièrement auprès des ouvriers étrangers autour des charbonnages. La Sûreté le recherche toujours et demande que la commune où il résiderait – l’occupant est désormais présent – lui notifie son expulsion le 24 septembre 1940, sans l’interner, avec obligation de présentation hebdomadaire sous peine d’internement ! Mais Gramatyka trouve ensuite du travail au champ d’aviation d’Evere (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale) comme aide-mécanicien et suit à Courcelles (pr. Hainaut, arr. Charleroi) l’atelier qui l’emploie. C’est là qu’il retrouve Raoul Baligand et Edmond Vandenheuvel*, deux anciens d’Espagne, qui l’associent définitivement à ce qui deviendra le Corps de Charleroi des Partisans armés.
Ainsi, Wojciech Gramatyka participe en septembre 1941 aux premiers sabotages à l’usine de moulage et réparation d’avions de Courcelles, au dynamitage de la Centrale électrique de Marchienne. En novembre, il prend part à l’attentat contre le local rexiste de Charleroi. Suite à cette action, l’occupant offre une prime de 500.000 frs pour la découverte des auteurs. En avril, il est de l’équipe qui procède à l’attaque du Bois du Cazier à Marcinelle : l’enlèvement de 300 kilos de dynamite. Après la rafle parmi les Partisans armés de Charleroi dénoncés par un agent infiltré, Gramatyka passe au Corps de Bruxelles où il s’illustre lors d’attaques contre les locaux de Rex (parti d’extrême droite) et des Gardes wallonnes. En décembre 1942, il est blessé et est opéré clandestinement à l’Hôpital Saint-Pierre par le docteur René Dumont, ancien d’Espagne actif lui aussi au sein des Partisans armés.
Commandant de compagnie, Wojciech Gramatyka fait partie du commando qui commet un attentat lors d’un meeting rexiste au Palais des Sports en janvier 1943. La même année, il assure l’élimination de deux collaborateurs, dont un policier, et concourt à la libération d’un responsable des Partisans armés tombé aux mains des Allemands et hospitalisé à l’hôpital d’Etterbeek. Il assure des dynamitages de lignes de chemin de fer autour de Bruxelles. Il participe enfin à la libération de la Belgique, notamment aux combats sur le canal d’Arendonk en septembre 1944.
Pendant toute cette période, et jusqu’à fin aout 1944, comme « apatride, réfugié russe » et serrurier de profession, Wojciech Gramatyka est officiellement inscrit successivement à six adresses bruxelloises. Au vu et su de la police, il partage sa vie avec son amie juive, Reizea Vinitchi, née à Kichinev le 30 août 1912, inscrite elle aussi, officiellement, à Saint Gilles, avenue du Roi. Arrivée en Belgique en décembre 1929, elle a entamé des études commerciales à Gand (Gent, pr. Flandre orientale, arr. Gand). En 1938, elle s’est installée à Saint-Gilles, inscrite comme dactylographe.
À l’inspecteur de la Sûreté qui interroge régulièrement le commissaire de police sur le comportement de Wojciech Gramatyka, ce dernier répond qu’il est de « bonne conduite et de bonne moralité ». Il s’assure aussi de ses moyens d’existence, Gramatyka opérant des déménagements pour sa propriétaire, brocanteuse alors installée au numéro 1, rue Hottat dont il occupe une mansarde pour 50 francs par mois. De décembre 1943 et jusqu’à fin août 1944, pas moins de six demandes seront formulées par la Sûreté, s’attirant à chaque fois la réponse favorable du policier local ! Ce qui n’empêchera pas cette même Sureté d’enjoindre au commissaire ixellois de notifier à Gramatyka, « élément indésirable », le refus de s’établir dans le pays et l’ordre de le quitter dès que les circonstances le permettront ! D’ici-là, l’intéressé devra être soumis à une surveillance spéciale… Le dernier rapport est réclamé en date de 25 août 1944 !!!
C’est dire que les véritables activités « terroristes » de Wojciech Gramatyka s’insèrent à la perfection dans une activité honorable mais l’acharnement de cette Police des étrangers en temps d’occupation nazie a des accents pour le moins ambigus !
Ainsi, intervenant dans cette trajectoire héroïque comme un épisode burlesque qui aurait pu avoir des conséquences tragiques, une péripétie liée à l’acharnement déployé révèle une parfaite coopération de ces services belges avec les instances nazies. Wojciech Gramatyka est arrêté sur commission rogatoire de la Police polonaise, transmise par la Sicherheitzpolizei (donc la SS) de Cracovie aux autorités judiciaires belges : il serait impliqué dans un vol. La justice polonaise transmet son « casier judiciaire » : trois amendes et six semaines d’arrêts échelonnées entre 1924 et 1935 (!) avec ce commentaire : « La rumeur publique prétend qu’il était en contact avec la propagande communiste et, de ce chef, il était placé sous surveillance ». Il aurait cependant quitté Sarzyna en 1937 ou 1938 pour une destination inconnue !
Le Kriminalkomissar de la Sipo interroge donc Bruxelles. Sur quoi, Gramatyka est écroué le 18 avril à Forest (Bruxelles), laquelle prison fournit photographies et relevés anthropométriques. Mais la photo révèle l’erreur sur la personne ! Le dossier est clôturé le 30 mai. Le procureur du Roi émet une ordonnance de non-lieu le 21août ! Quatre mois d’incarcération pour rien. Mais rien n’a percé de ses activités réellement subversives !
Sitôt libéré des combats à la frontière, Wojciech Gramatyka revient à Bruxelles où il se marie le 27 janvier 1945 avec son amie, Reizea Vinitchi. Il apprend ainsi qu’il a récupéré sa nationalité polonaise. Réopéré en août 1945 de sa blessure de guerre (laparotomie), Gramatyka travaille désormais en liaison directe avec le Consulat, pour l’Union des patriotes polonais, organisation liée au gouvernement polonais dit de Lublin, pour lequel il mène une active propagande parmi les nombreux Polonais présents en Belgique. Il y exerce diverses fonctions pratiques et est un moment éditeur responsable de l’organe de cette organisation, L’Unité Nationale. Sa femme est active à Solidarité Juive, organisation animée par les communistes juifs, qui déploie alors une intense activité sociale. Ce lien officiel met Gramatyka à l’abri des efforts tenaces de la Sûreté qui, en août 1945, estime toujours « qu’il y a lieu de mettre fin aux agissements de Wojciech Gramatyka et de l’interner jusqu’au moment où nous pourrons le renvoyer en Pologne…... »
En juin 1947, le ménage Gramatyka quitte volontairement Bruxelles et rejoint Varsovie. Jusqu’à sa retraite en 1972, son parcours est assez mouvementé. Il le justifiera par après en invoquant la suspicion qui pèse sur lui du fait de son long séjour en Occident. Cependant, Wojciech Gramatyka débute ce parcours en travaillant deux ans au secrétariat de l’Association des anciens volontaires des Brigades internationales en Espagne. Envoyé ensuite à l’école de la Milice (police), il en sort adjudant et est affecté à Stettin (Szczecin, Poméranie occidentale, Pologne). Transféré à Varsovie en 1953, il intègre ensuite, comme responsable, le service du personnel dans deux entreprises métallurgiques successives (machines textiles et automobiles). Preuve de confiance des autorités, il est, dans l’une d’elles, secrétaire de la section du Parti ouvrier unifié polonais (communiste) avant d’être choisi en 1955 pour l’École du Comité central de ce parti ! Ayant dû interrompre le cursus pour raison de santé, il travaille pendant plusieurs mois à Francfort-sur-le-Main (Hesse, République fédérale d’Allemagne, aujourd’hui Allemagne) auprès du conseiller commercial du consulat. On peut s’interroger sur la nature exacte de ses fonctions. Quoi qu’il en soit, en 1961 on le trouve au Bureau central de normalisation du Ministère du Commerce extérieur où il demeure jusqu’à la pension. Il aura donc exercé pendant près de vingt-cinq ans des fonctions dans l’appareil d’État.
Le passé résistant de Wojciech Gramatyka en Belgique n’est pas oublié. Il est fait Chevalier de l’Ordre de la Couronne avec palme, il reçoit la Croix de guerre 1940 avec Palme ainsi que la Médaille de la Résistance. Sa femme étant décédée en aout 1970, il épouse le 24 décembre 1971, Maria Zmuda, une infirmière, née à Tarnow le 14 décembre 1924, elle-même fille et veuve de résistants. Mais c’est là que réside sans doute la source des éventuelles difficultés dont il se plaindra : tant le père, le mari précédent et sa femme elle-même ont fait partie de l’Armia Krajowa, la résistance liée au gouvernement polonais de Londres. Tous trois, à des degrés divers, ont subi la répression du gouvernement de la Pologne populaire : elle et son père arrêtés en 1946, condamnés respectivement à un et dix ans de prison ; son mari, épousé en 1952, journaliste et sociologue, est arrêté par les « services » en 1969 et « mystérieusement » retrouvé dans la Vistule. La stabilité du régime communiste polonais chancelle depuis les révoltes de Poznan en 1956. Les réformes successives de Gomulka et de Edward Gierek ne parviennent ni à stabiliser l’économie ni à calmer les colères ouvrières et étudiantes.
Ce climat n’est sans doute pas étranger à la phase ultime qu’imprime Gramatyka à sa trajectoire : elle va durer dix ans, dix années d’efforts ininterrompus pour … revenir en Belgique.
En décembre 1968, Wojciech Gramatyka introduit une première demande de visa pour effectuer un séjour de trois mois en Belgique afin de « revoir d’anciens amis ». Il donne en effet le nom d’un de ses camarades partisans qui l’hébergerait. Il se qualifie lui-même de « rentier ». Mais la gendarmerie belge réagit immédiatement et négativement : elle soupçonne un « danger d’établissement ». Le dossier de l’indésirable d’antan est toujours bien ouvert.
En 1969, nouvelle demande, nouveau refus. Mais en novembre 1970, par divers subterfuges et détours par l’Allemagne et la France et l’obtention de visas de transit, Wojciech Gramatyka atteint Bruxelles et se présente aussitôt au bureau du Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU (Organisation des Nations unies) pour bénéficier du statut. Mais la Sûreté veille et le statut lui est refusé en avril 1971. Divers anciens camarades des Partisans armés l’hébergent à nouveau. Retour donc au pays. Deux fois encore, en mars 1974 et en avril 1976, il séjournera un mois en Belgique sans succès ! Mais en octobre 1977, nanti d’un visa touristique, Gramatyka embarque, seul, à Varsovie dans le train direct Moscou-Ostende et débarque à Bruxelles le 15 octobre où il est hébergé rue Hôtel des Monnaies chez son camarade des Partisans armés, Christian De Backer. Une nouvelle demande est déposée auprès du Haut-Commissariat des réfugiés de l’ONU. Parallèlement, il introduit une demande de révision de sa pension de résistant dans la mesure où il apprend que sa pension polonaise ne lui sera pas transmise en Belgique. D’ailleurs, les mois passant, sa femme est l’objet, à Varsovie, de pressions et menaces insistantes de la milice et de la justice quant à l’absence prolongée du mari. Des subterfuges lui sont même suggérés pour le faire revenir. N’y accédant pas, elle réussit à se procurer à grands frais un passeport et s’embarque à son tour pour Bruxelles qu’elle atteint le 9 aout 1978. Ils sont inscrits à Anderlecht (Bruxelles) en décembre. Le couple est déclaré VIPO et pris en charge par le CPAS (Centre publica d’aide sociale).
L’année 1979 se passe en démarches diverses pour le couple qu’un avocat représente désormais auprès de la Justice et de la Police des étrangers, en même temps qu’est entamée une procédure de demande de naturalisation.
L’année 1980 est décisive. Les demandes de pension pour la blessure de guerre, de prolongation de visa pour visiter des amis se heurtent toutes à des refus. La constance de la Police des étrangers, oserions-nous dire son acharnement envers celui qui pourrait être considéré comme un héros de la résistance, est « admirable ». Un ordre de quitter le pays est émis depuis le 15 mai, avec dernier délai au 29 juillet 1978 à minuit. Mais il ne peut leur être remis ! Car – et ici nous frisons le Grand guignol –, l’agent chargé de cette mission avoue piteusement : « l’intéressé n’a pu être contacté. Il ne répond pas aux convocations. Lorsqu’il est chez lui, il ne veut pas ouvrir » (29 juillet 1980). Dernière dérobade stratégique : le couple se fait hospitaliser en section psychiatrique ouverte à la clinique du docteur Derscheid, d’août à octobre 1980 !!!
Mais quand l’ordre de les rapatrier est malgré tout délivré par le Ministre, un coup de théâtre final rend la mesure caduque : la Chambre des représentants fait de Wojciech Gramatyka un citoyen belge par naturalisation ordinaire !!! L’acte est noté par l’Échevin de l’État civil d’Anderlecht le 2 octobre 1980 !!
Une victoire chèrement acquise par un homme qui, par deux fois, a mis en danger sa vie pour combattre le fascisme. Ses adversaires les plus tenaces et constants, du début à la fin, il les a trouvés au sein des « forces de l’ordre » d’un État qui s’affichait démocratique.
Wojciech Gramatyka jouit une année à peine d’une situation enfin apaisée : le 15 août 1981, il s’éteint à Uccle. Et sa femme, sans plus d’attaches en Belgique, regagne la Pologne moins d’une année après son décès.
Par José Gotovitch
SOURCES :
Mes remerciements vont à de nombreuses personnes et institutions. Au départ d’une interview de Wojciech Gramatyka réalisée en 1976 en Belgique, la manifestation du Bois du Cazier prévue en octobre 2020 consacrée à l’enlèvement, en avril 1942, de 300 kilos de dynamite, opéré par les Partisans armés, fut l’occasion de retracer l’itinéraire complet de l’un de ses auteurs.
En Belgique, le Musée de la résistance m’a fourni les éléments du parcours partisan de Wojciech Gramatyka. Merci à M. Samuel d’avoir bravé le confinement pour me transmettre des pages indispensables à la connaissance du résistant. Les AGR (Mr Philippe Strubbe) purent me livrer les stupéfiantes 327 pages (!) du dossier « Wojciech Gramatyka » de la Police des étrangers dont notre texte fait comprendre les raisons. (Administration de la Sûreté Publique, Police des étrangers n° 1525928).L’Administration communale d’Anderlecht a confirmé officiellement quelques dates essentielles.
La mémoire de Frank Caestecker m’orienta vers les dossiers constitués à l’Archiwum Akt Nowych de Varsovie où Me Malgorzata Krol a bien voulu me transmettre les éléments essentiels des dossiers émanant de l’Association des anciens militants ouvriers (archives du Parti communiste polonais) et de l’Association des anciens d’Espagne relatifs à Wojciech Gramatyka.
Merci à Anne Morelli, à Jozef Laptos et Edgard Gunzig qui m’ont permis de me faire comprendre de nos collègues polonais et de traduire leurs écrits (2/1582 ; 2/1485/2/200).