DUBIEF Henri

Par Nathalie Raoux

Né le 16 juin 1910 à la Maternité Port-Royal, Paris (XIVe arr.), mort le 23 février 1995 à Cachan (Val-de-Marne) ; maître d’internat, instituteur, professeur agrégé d’histoire, inspecteur général de l’Instruction publique ; historien du mouvement ouvrier ; proche de l’ultra-gauche de 1929 à 1936.

Henri Dubief était issu, par son ascendance paternelle, d’une famille de la bourgeoisie parisienne ayant toujours compromis sa position sociale par des opinions de gauche ou d’extrême gauche : son père fut secrétaire de Marcel Sembat*, son grand-père milita pour la République et se convertit au protestantisme, son aïeul était blanquiste. Son grand-père maternel, picard, fut garde républicain puis employé des wagons-lits ; sa grand-mère maternelle était issue d’une famille du Jura bernois, venue de Picardie au XVIe siècle.
Après des études secondaires au Lycée Marceau de Chartres, H. Dubief s’inscrivit à la Sorbonne et soutint, en 1932, un DES d’histoire, sous la direction d’Albert Mathiez* au sujet duquel il aimait raconter cette anecdote, rapportée par Maurice Agulhon et Jacqueline Lalouette : « Jeune homme, lui avait dit le terrible Mathiez, vous viendrez me voir chez moi, rue Vergniaud, au n° 93. Le tapis est rouge ; je demeure au premier étage, à gauche. » La mort de son père le contraignit à abandonner ses études pour subvenir aux besoins de sa mère et il devint alors maître d’internat à l’école professionnelle Dorian puis instituteur avant d’être nommé, en 1939, adjoint d’enseignement au lycée Condorcet.
Henri Dubief avait adhéré aux Étudiants socialistes en 1927. Il fit partie de leur commission exécutive puis fut membre des Jeunesses socialistes et de la SFIO (Ve section) qu’il quitta après les élections municipales de 1929. Il milita alors, et jusqu’à la guerre, dans l’ultra-gauche, à l’ombre de Jean Dautry*, d’abord sur des positions luxembourgistes, puis anarchisantes.
À son retour du régiment en octobre 1935, il rejoignit le groupe Contre-Attaque, nouvellement créé par les « souvariniens », groupés autour de Georges Bataille*, et par les surréalistes rassemblés autour d’André Breton*. Ils se définissaient dans leur Manifeste comme « union de lutte des intellectuels révolutionnaires » s’adressant « à tous ceux qui, par tous les moyens et sans réserve, sont résolus à abattre l’autorité capitaliste et ses institutions politiciennes » (« Contre-Attaque. Union de lutte des intellectuels révolutionnaires », in Tracts et déclarations surréalistes, t. I, p. 281). Il y fut le secrétaire du groupe Sade, situé Rive droite, tandis que Bataille et Breton animaient, Rive gauche, le groupe Marat. Membre actif, Henri Dubief rédigea, en collaboration avec Jean Dautry et pour l’unique numéro des Cahiers de Contre-Attaque, un article intitulé « Pour un mouvement paysan autonome », dont la problématique était ainsi définie : « Parler de révolution et laisser de côté la question paysanne, c’est manquer de conscience révolutionnaire. Résoudre la question paysanne avec des formules sans contenu - se contenter d’unir la faucille au marteau, le mot paysan au mot ouvrier - c’est vouloir faire la Révolution comme les sorciers nègres font la pluie. » (« Les cahiers de "Contre-Attaque", déclaration collective, novembre 1935 » in Tracts surréalistes, p. 284.)
Il signa les principales déclarations du groupe comme, par exemple, le tract « Sous le feu des canons français et alliés », rédigé par Jean Dautry, à l’argumentaire quelque peu ambigu et que Breton qualifia de « fasciste ». Il revint, de manière critique, sur cette première anicroche à la brève union-réconciliation de Breton et de Bataille et nota : « Il y avait à ce moment des reflets de l’expérience fasciste chez Georges Bataille et ses amis. Plus tard, l’influence du néo-paganisme est patente à Acéphale. L’accusation de fascisme portée par les Surréalistes n’est cependant pas fondée et on ne saurait classer cette action et ces idées dans les fascismes de gauche, mais il est vrai que, selon Georges Bataille, « il faut savoir s’approprier les armes créées par ses adversaires » et il est exact que l’expression surfascisme, dans le sens du fascisme surmonté, était maladroitement forgée et, pour André Breton et ses amis une intolérable provocation, qu’elle parût soit une référence insolente, soit un hommage indésirable. L’hommage était en effet dans l’intention de Jean Dautry qui inventa le mot. » (Textures, juin 1970.)
Cependant, et contrairement à Jean Dautry, à la dissolution du groupe, il suivit Bataille, Caillois, Leiris dans l’expérience d’Acéphale, « société secrète » ou « conjuration sacrée », en faveur de laquelle G. Bataille déclara : « Il est temps d’abandonner le monde des civilisés et sa lumière. Il est trop tard pour tenir à être raisonnable et instruit [...] Secrètement ou non, il est nécessaire de devenir tout autres ou de cesser d’être. » (G. Bataille, « La conjuration sacrée » in Acéphale, 24 juin 1936.) Sans jamais avoir publié dans la revue du même nom, il se sépara d’Acéphale lors de sa transformation, en 1937, en « Collège de Sociologie ».
L’engagement d’Henri Dubief ne se limita pas, toutefois, aux seules organisations d’intellectuels qu’il s’agisse des divers groupes fondés par Georges Bataille, de La Lutte des jeunes de Bertrand de Jouvenel, journal auquel il collabora quelque temps, ou encore du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, dont il fut membre. Il fut, en effet, également militant de base au Centre syndical d’action contre la guerre et à la section française de Solidarité internationale antifasciste (SIA), créée en avril 1938 et dont Louis Lecoin* et Nicolas Faucier* étaient les responsables. Antimilitariste - il avait d’ailleurs refusé d’être EOR - il approuva la signature des accords de Munich.
Fait prisonnier en mai 1940, Henri Dubief créa le mouvement de résistance du Stalag III B avec trois communistes, un commissaire de police franc-maçon et un magistrat alors bergeryste. Il adhéra au PC en octobre 1940 pour s’en séparer en 1943.
À son retour en France en 1945, il reprit ses études, réussit l’agrégation d’histoire et fut nommé au lycée d’Évreux en 1947, puis en 1948 au lycée Claude Bernard (Paris) qu’il quitta en 1952 pour le lycée Henri IV, où il fut chargé des classes préparatoires en 1961. Enfin, il exerça, de 1972 à 1977, les fonctions d’inspecteur général de l’Instruction publique.
Henri Dubief n’eut, durant ses premières années de professorat, que de petites responsabilités locales au SNES, au S2 de Paris de la FEN et à l’éphémère FEN-CGT. Il abandonna toutes ses responsabilités syndicales en 1950-1951, au moment où il obtint un congé de longue durée en raison d’une tuberculose contractée lors de sa captivité. Il n’eut plus aucune activité politique ou syndicale, même si, comme le notent M. Agulhon et J. Lalouette, « Mai 1968 le vit dans la rue, du côté qui n’était pas celui de "l’ordre" ».
Dès lors, il se consacra entièrement à son œuvre d’historien dont le mouvement ouvrier et le protestantisme furent les thèmes centraux, se retrouvant parfois. Ainsi, lui qui avait été éduqué dans un climat à la fois athée par son père et protestant par son grand-père, et qui s’était « converti » au protestantisme à la fin des années 1930, s’attacha-t-il tout particulièrement à « ceux des libertaires - les frères Élie Reclus* et Élisée Reclus*, entre tous, qui, comme lui, devaient une part de leur engagement au protestantisme » (M. Agulhon, J. Lalouette).
Sa femme, née Lise Level, qu’il épousa le 24 août 1946 à Paris (XVe arr.), avait appartenu dans sa jeunesse au mouvement surréaliste avant de devenir conservateur au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article23027, notice DUBIEF Henri par Nathalie Raoux, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 25 octobre 2008.

Par Nathalie Raoux

ŒUVRE : « L’administration de la Bibliothèque nationale pendant la Commune » Le Mouvement Social, n° 37, 1961, p. 30-43. — Henri Dubief et al., « Legs Hélène Brion » Le Mouvement Social, n° 44, 1963, p. 44 — La Réforme. Lausanne, 1965 — Le Syndicalisme révolutionnaire, Paris, Colin, 1969 (Collection U) — Henri Dubief et al., Politique de Bataille. Numéro spécial de la revue Textures, juin 1970, 80 p. — Les Anarchistes (1870-1940). Paris, Colin, 1972 (textes choisis et présentés par H. Dubief) — La Réforme et la littérature française. Carrières-sous-Poissy, La Cause, 1972, 77 p. (textes publiés par H. Dubief) — Le déclin de la IIIe République, 1929-1938. Paris, Seuil, 1976, 171 p. — Henri Dubief et al., La Commune de 1871.

SOURCES : Notes d’Henri Dubief, 1982. — Maurice Agulhon, Jacqueline Lalouette, « Hommage à Henri Dubief » in Revue d’Histoire du XIXe siècle, n° 12, 1996, p. 65-66. — Henri Dubief, « Témoignage sur Contre-Attaque », Textures, n° 6, 1970. — Tracts surréalistes et déclarations collectives, t. I, Losfeld, 1980. — Acéphale. Religion, Sociologie. Philosophie. Paris, Jean-Michel Place, 1995 (réédition). — Vincent Duclert, Nécrologie, Jean Jaurès, janvier-mars 1995, n° 135. — Notes de Dominique Parcollet.

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