VAN ACKER Achille Honoré. [Belgique]

Par Rik Hemmerijckx

Bruges (Brugge, pr. Flandre occidentale, arr. Bruges), 8 avril 1898 − Bruges, 10 juillet 1975. Ouvrier puis permanent syndical, militant socialiste, député de l’arrondissement de Bruges, conseiller communal de Bruges, ministre, Premier ministre, ministre d’État, président de la Chambre des représentants, éditeur, rédacteur dans la presse socialiste, franc-maçon.

Achille Van Acker grandit dans un milieu défavorisé des quartiers populaires de Bruges. Son père, Gustave Van Acker, est vannier et sa mère, Arsène Léopoldine Pharazijn, dentellière. Achille est le quatrième d’une fratrie de douze enfants. Il quitte l’école des Xavériens à l’âge de onze ans pour aider son père. Le jeune Van Acker passe ses loisirs dans le patronage catholique du quartier. Son engagement social se manifeste assez tôt : il est actif dans une association antialcoolique et il sympathise avec la figure du prêtre, Florimond Fonteyne, un des premiers démocrates-chrétiens dissidents. En 1914, il est un des cofondateurs d’un cercle local pour la défense des droits flamands, le Bond voor de Verdediging der Vlaamse rechten.

Lors de l’occupation allemande de 1914-1918, Achille Van Acker s’enfuit vers le « Westhoek », zone transfrontalière située entre la Flandre occidentale et le département du Nord de la France : il passe rapidement sur le territoire français. Loin du Front, il travaille successivement comme batelier, débardeur, terrassier et briquetier. Astigmate, Van Acker est refusé comme soldat. De 1916 à 1918, il effectue son service militaire dans une fabrique de munitions au Havre (département de Seine-Maritime, France). Au cours de ces années, il développe une sympathie pour la social-démocratie.

Dès son retour en Belgique, Achille Van Acker adhère au Parti ouvrier belge (POB) à Bruges. Il milite également au sein de la section locale des Jeunes gardes socialistes (JGS) qu’il préside à la fin de 1919. Dès 1920, il est engagé comme propagandiste au Syndicat des travailleurs de fabrique. En 1921, il est nommé secrétaire de la Centrale générale du bâtiment, bois et industries diverses de la section de Bruges. En 1922, il devient secrétaire régional de la Fédération des syndicats de l’arrondissement de Bruges. En tant que syndicaliste, il entre également dans le conseil d’administration des coopératives locales : la SC De Zon (le Soleil) et la SC Gelijkheid (Égalité). Plus tard suivront les SC Werkerswelzijn (Bien-être ouvrier), Ontwaking (Réveil) et De Eendracht (l’Union).

Vu ses ressources modestes, Achille Van Acker travaille également comme voyageur de commerce et, pendant un certain temps, il tient une bouquinerie. En 1921, il se marie avec Anna Verhé dont il aura trois enfants. Durant les années 1929-1938, il gère, avec sa femme, une deuxième librairie ancienne à Bruges. En 1936, il se lance dans le monde de l’édition littéraire avec la maison d’édition De Garve. Van Acker cultive certaines ambitions littéraires : en 1926, il publie un recueil de poésie, Moederweelde (richesse d’une mère). Sur le plan personnel, on doit surtout mentionner son initiation en 1929 à la loge maçonnique, La Flandre, à Bruges.

Grâce à ses activités politiques et syndicales et ses articles dans la presse socialiste, Achille Van Acker obtient une certaine popularité. En novembre 1927, il succède à Camiel Mostaert comme membre de la Chambre des représentants. Benjamin à la Chambre − il n’a que vingt-neuf ans − , il gagne le respect de ses collègues par sa connaissance de la législation sociale. Il est surtout actif au sein des commissions des Travaux publics, du Travail et de la Prévoyance sociale. Lors de la grande crise économique des années 1930, il se profile surtout autour de la problématique du chômage et de la sécurité sociale. En 1933, il introduit une proposition de loi afin de créer un organisme de travaux publics en vue de combattre le chômage. En 1936-1937, Van Acker participe à la Commission d’étude pour la réforme de l’État dans le cadre de laquelle il dépose un avant-projet relatif à l’unification et à la généralisation des assurances sociales. Estimé de ses collègues, il est élu questeur de l’Assemblée en juin 1936. Durant cette période au Parlement, Van Acker ne sera jamais un grand orateur, ni un tribun éloquent. Il n’aime pas vraiment mettre son personnage en évidence. Il paraît qu’il n’a même jamais pris la parole lors des grands congrès de son parti avant la guerre.

Achille Van Acker est également actif dans la politique locale de Bruges. Élu au conseil communal en octobre 1926, il y siège de janvier 1927 à 1970, à l’exception des périodes allant de 1941 à 1944 et de 1958 à 1964. Van Acker va essayer d’élargir l’audience traditionnelle du parti ouvrier brugeois. À partir de 1932, l’organe régional socialiste se présente comme un Vlaamsch Weekblad (hebdomadaire flamand), dont il est le rédacteur en chef. Néanmoins, la carrière politique de Van Acker sera surtout axée sur le plan national : il ne sera jamais échevin ou bourgmestre.

Durant les années d’occupation 1940-1944, Achille Van Acker disparaît de la scène publique, mais il sort renforcé de cette période : il est devenu un des hommes forts de la politique belge. Au début de l’Occupation, il est en contact avec l’ancien président du POB, Henri De Man, et est tenté par l’idée d’une reprise syndicale. Mais assez vite, il démissionne de ses fonctions publiques. En 1941, il rejoint les rangs du Parti socialiste clandestin. Il parcourt le pays sous le nom de « Monsieur André ».
Durant cette période, Van Acker s’implique dans les discussions autour d’un Pacte Social avec des représentants du patronat, des syndicats et des hauts fonctionnaires (voir Henri Fuss). En septembre 1944, il sort de la clandestinité en tant que président du Parti socialiste belge (PSB).

À la Libération, le 26 septembre 1944, Achille Van Acker devient ministre du Travail et de la Prévoyance sociale dans le gouvernement d’union nationale dirigé par le catholique Hubert Pierlot. Le 28 décembre, il soumet au Parlement son fameux arrêté-loi concernant la sécurité sociale des travailleurs. Ce système intégré, englobant les allocations de chômage, les pensions de retraite, l’assurance maladie et invalidité, les allocations familiales et les congés payés, est obligatoire pour les ouvriers et les employés du secteur privé et constitue une innovation importante dans le domaine de la protection sociale. Dès lors, Van Acker est dénommé « père de la sécurité sociale en Belgique ».

En 1945-1946, c’est sous la conduite d’Achille Van Acker que la relance économique de la Belgique est entamée. Il forme un premier gouvernement « unitaire » composé de catholiques, de libéraux, de socialistes et de communistes le 12 février 1945, puis un second actif d’août 1945 à janvier 1946. Il y combine le poste de Premier ministre avec celui de ministre du Charbon. En lançant la « bataille du charbon », il restera dans les mémoires sous le surnom d’« Achille Charbon ». Son troisième gouvernement (mars-juillet 1946) est placé sous le signe de la « bataille des prix », mais il tombe prématurément en suite d’une interpellation d’Henri Rolin*.

Durant ces années, Achille Van Acker se personnifie vraiment avec la politique de son gouvernement. Il est réputé pour sa façon décidée d’agir : l’expression « d’abord j’agis, puis je réfléchis » est restée une de ses devises célèbres. Sur le plan économique, la politique des gouvernements Van Acker est assez pragmatique. Il y a bien un certain dirigisme économique, mais pas de nationalisation. Néanmoins, l’inflation est endiguée et la production industrielle se rétablit assez vite. Il doit aussi faire face à des tensions au sein du mouvement socialiste : il entre plusieurs fois en conflit avec l’aile gauche de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB – syndicat interprofessionnel), notamment avec André Renard.

Sous le gouvernement Huysmans (coalition socialiste, libérale et communiste) d’août 1946 à mars 1947, Achille Van Acker préfère se tenir à l’écart, mais il est de nouveau présent au sein des gouvernements Spaak III et IV de mars 1947 à juin 1949 (coalition socialiste – sociale-chrétienne) en tant que ministre des Communications. C’est sous ce mandat qu’il débute l’électrification du réseau ferroviaire et lance un plan pour entamer la construction d’un métro à Bruxelles. En février 1948, il intervient pour briser la grève des postiers bruxellois et arrêter une campagne d’agitation communiste. En mai 1948, Van Acker reçoit le titre de docteur honoris causa de l’Université de Lille pour son rôle majeur dans la reconstruction de la Belgique.

Dans les années d’après-guerre, de 1944 à 1950, Achille Van Acker est confronté à un autre problème, la question royale. La controverse autour de l’attitude du roi Léopold III pendant la guerre est l’épée de Damoclès de la politique belge de l’après-guerre. La question royale se pose dès la chute du IIIe Reich en mai 1945 et la libération du roi Léopold III à Strobl (Salzbourg, Autriche). Van Acker se rend plusieurs fois à Sankt Wolfgang en Haute-Autriche afin de convaincre le Roi de poser un geste de réconciliation. Face au refus de Léopold III, Van Acker essaie en vain de trouver une solution. Les catholiques démissionnent du gouvernement et Van Acker est obligé de réorganiser sa coalition. Finalement, lors d’un entretien, le 7 juillet 1945, Van Acker fait comprendre au Roi qu’un retour est devenu impossible. Le roi déménage, avec sa famille, en Suisse. La question royale reste en suspens jusqu’en 1950.
Le retour du roi Léopold, à la fin juillet 1950, provoque des protestations massives. La gauche socialiste-communiste-libérale s’oppose à ce retour. Une grève générale éclate. Les opposants se mobilisent lors d’une marche sur Bruxelles. Craignant une situation de guerre civile, Achille Van Acker intervient, avec Paul-Henri Spaak, pour trouver une solution de compromis : le roi abdique et son fils, Baudouin, monte au trône. Au sortir de cette crise, Van Acker a désormais la stature d’un homme d’état.

Le gouvernement Van Acker IV (coalition socialiste-libérale) d’avril 1954 à juin 1958 doit faire face à la guerre scolaire. La politique de promotion de l’enseignement officiel du gouvernement provoque des protestations catholiques massives. Finalement, la polarisation sera endiguée avec la signature du Pacte scolaire en 1958.

Le gouvernement Van Acker est aussi confronté à des tensions sociales. Il doit composer avec la Confédération des syndicats chrétiens (CSC), offensive qui réussit à emporter la semaine des cinq jours en 1955. En juin 1957, la Centrale des métallurgistes de Belgique (CMB) déclenche une grève pour obtenir le double pécule sur les jours de congé. Achille Van Acker désapprouve publiquement la grève, dirigée par André Renard. Entre les deux, il y a une certaine animosité. Face au programme des réformes de structure de la FGTB, propagé par André Renard, Van Acker se tient à l’écart, considérant les nationalisations comme peu réalistes.

Sur le plan international, Achille Van Acker soutient Paul-Henri Spaak dans une politique d’ouverture envers l’Union soviétique. En octobre 1956, en pleine Guerre froide, il dirige une délégation du gouvernement belge lors d’une visite à Moscou. Il est toujours Premier ministre lorsque la Belgique organise l’Exposition universelle de 1958 au Heysel à Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), l’apogée de la modernité et de la société de consommation.

En septembre 1957, Achille Van Acker est fêté à Bruges avec un cortège impressionnant. Toutefois son socialisme pragmatique est de plus en plus critiqué par la gauche socialiste. Les élections de juin 1958 sont un échec pour Van Acker, les socialistes sont relégués dans l’opposition. En décembre 1958, au moment où le Congrès du PSB se range derrière le programme des réformes de structure de la FGTB, Van Acker semble politiquement isolé. Pendant l’hiver de 1960-1961, au moment où André Renard se met en évidence comme le leader wallon de la grève générale contre la « loi unique », Van Acker cherche des solutions de compromis. Attaché à l’unité de la Belgique, il se montrera toujours un adversaire du fédéralisme.

Ministre d’État depuis décembre 1958, Achille Van Acker est désigné comme président de la Chambre des représentants en avril 1961. Avec sa maîtrise inégalée du règlement parlementaire et son humour assez particulier, il continue à en diriger les travaux jusqu’en mars 1974. Respecté par les différentes fractions et réputé pour sa discrétion, il pratique l’art du compromis comme aucun autre. Il profite de cette période pour publier ses mémoires de jeunesse et deux recueils de poésie.

Après une carrière de quarante-sept ans, Achille Van Acker quitte le Parlement à l’âge de septante-six ans. Il meurt dans sa ville natale en juillet 1975.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article230509, notice VAN ACKER Achille Honoré. [Belgique] par Rik Hemmerijckx, version mise en ligne le 23 juillet 2020, dernière modification le 8 novembre 2023.

Par Rik Hemmerijckx

ŒUVRE : Moederweelde, Brugge, 1926, 38 p. − Une politique scientifique pour la nation : rapport introductif, Bruxelles, Goemaere, 1957, 39 p. − De sociale voorzorg 1907-1957, Brussel, De Sociale Voorzorg, 1957, 23 p. − « De School », dans De Vlaamse Gids, 1962, p. 161-162 − Drie Sterren, Brugge, Die Keure, 1963, 20 p. − Herinneringen : jeugd in oorlogstijd, Antwerpen, Ontwikkeling, 1967, 173 p. − Herinneringen – Kinderjaren : opgroeien in het volkse Vlaanderen van 1900, Antwerpen, Ontwikkeling, 1966, 221 p. − Puntdichten en grafschriften, Tielt, Lannoo, 1968, 95 p. − De duivel in spreekwoord en gezegde, Heule, UGA, 1976, 228 p.

SOURCES : Bruges, Archives de l’État, archives Achille Van Acker − AMSAB, fonds Achille Van Acker − Institut Émile Vandervelde, dossier biographique Achille Van Acker − CEGES, dossier Achille Van Acker − FISCHER G., Achille Van Acker. L’idéaliste réaliste, Bruxelles, Labor, 1957, 75 p. − VERCLEYEN J., Témoignage sur Achille Van Acker. La campagne électorale de 1946, Bruxelles, La Générale ouvrière socialiste, 1967, 95 p. − DECLERCK R. (réd.), Liber Amicorum Achiel Van Acker, Bruges, Orion, 1973, 249 p. − FLORQUIN J., « Achille Van Acker », dans Ten huize van… 3, Brugge, Orion, 1974, p. 297-341 − GROOTAERS J., Achiel Van Acker in het Parlement, 1927-1974, Brussel, Belgisch Instituut voor Wetenschap der Politiek, 1975, 142 p. − STEEVENS D., De streek van lage lonen en lange uren : 100 jaar socialisme in het arrondissement Brugge, 1885-1939, Sint-Kruis, Herrebout, 1985, 176 p. − SPITAELS G., « Achille Van Acker, père de la sécurité sociale », dans VAN DER VORST P. (ed.), Cent ans de droit social belge, Bruxelles, Bruylant, 1986, p. 119-146 − WITTE E., BURGELMAN J.-C. & STOUTHUYSEN P. (red.), Tussen restauratie en vernieuwing : aspecten van de Belgische naoorlogse politiek (1944-1950), Bruxelles, 1989 − VANTHEMSCHE G., La sécurité sociale. Les origines du système belge. Le présent face à son passé, Bruxelles, De Boeck, 1994, 200 p. − CUVELIER L., De schrijvende Achiel van Acker, Minister van Staat 1898-1998 : handschriften en literair werk, Brugge, Van Acker Stichting, 1998, 122 p. − GALLE M. & LOCCUFIER S. (réd.), Facetten van honderd jaar politieke, economische en sociale geschiedenis, Herdenking geboorte Achiel Van Acker, 1898-1998, Brussel-Brugge, VUBPress-Van Acker Stichting, 2000, 165 p. − HEMMERIJCKX R., « Achille » Van Acker, dans Nouvelle Biographie nationale de Belgique, vol. 8, Bruxelles, Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, 2005, p. 363-366 − WITTE E., MEYNEN A., LUYTEN D., Histoire politique de la Belgique de 1830 à nos jours, Bruxelles, Samsa, 2017, 582 p.

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