NICOLAS Pierre [NICOLAS Eugène, Charles, dit]

Par Josette Ueberschlag

Né le 30 juin 1923 à Avignon (Vaucluse) ; mort le 25 octobre 2011 à Mondragon (Vaucluse) ; instituteur ; militant associatif, de l’ICEM et de l’OCCE ; militant du SNI (École émancipée).

Pierre Nicolas
Pierre Nicolas
à l’Ecole normale

Pierre Nicolas était le fils naturel de Charlotte Nicolas, âgée de 34 ans, venue à Avignon pour trouver du travail à la suite de la fermeture d’une usine cévenole de filature qui l’avait employée jusqu’alors.

Après le certificat d’études primaires, il entra à l’école primaire supérieure « Petit-Palais » à Avignon, où il obtint le brevet élémentaire, puis réussit au concours d’entrée à l’École normale d’instituteurs en 1941. Cette dernière étant fermée par le gouvernement de Vichy, il fut admis en classe de seconde au lycée Frédéric Mistral. Mais ses études furent interrompues, car il fut enrôlé le 1er juillet 1943 dans les Chantiers de Jeunesse. Il n’en sortit qu’un an plus tard (15 juin 1944) avec l’étiquette de « réfractaire » notée sur sa fiche matricule, parce qu’il avait refusé d’effectuer certaines tâches. Après la Libération, il fut mobilisé dans la zone des armées du 23 mars au 22 avril 1945, puis dans la France intérieure jusqu’au 8 mai 1945.

Il réintégra l’École normale d’instituteurs d’Avignon réouverte à l’automne 1945, qui dut former les trois promotions de normaliens des années de guerre. Cette quatrième année fut assortie par roulement, d’un stage au CREPS d’Aix-en-Provence, ce qui allégea d’autant l’effectif pléthorique de la classe.

Pierre Nicolas et plusieurs élèves-maîtres de sa promotion, notamment Pierre Constant, André Gente*, Lucien Perret, insatisfaits de l’enseignement scolastique et livresque qu’ils avaient subi, souhaitaient, à leur sortie de l’école normale, enseigner différemment, construire une école nouvelle, plus humaine, plus vivante et plus active pour les élèves. La section départementale du Syndicat national des instituteurs auquel ils adhérèrent, organisa à leur intention et à celle de tous les instituteurs, la venue de Célestin Freinet à la mairie d’Avignon en février 1946. Plusieurs d’entre eux décidèrent alors de se rassembler pour constituer un groupe de travail (GD 84) rattaché à l’ICEM (Institut coopératif de l’École moderne) et pratiquer dans leurs classes la pédagogie de Freinet en utilisant « l’imprimerie à l’école ».

Pour son premier poste, à la rentrée 1946, Pierre Nicolas fut nommé à Mondragon et y enseigna jusqu’à sa retraite en 1979. Les écoles publiques de ce gros village recevaient alors filles et fils de paysans et, plus tard, à partir des années 1950, les enfants des ouvriers travaillant à la construction du barrage de Donzère-Mondragon.
Il se maria en août 1947 avec une institutrice, Sylvette Charmasson (1925-2001), qui obtint un poste à Mondragon à la rentrée 1948. Le couple eut cinq enfants : Nadine (1948), devenue professeure des écoles ; Jacques (1951), médecin ; Mariette (1956), infirmière ; Jean-Christophe (1961), médecin ; Stéphane (1964), agent commercial. Son grand ami d’enfance, Lucien Perret, qui avait suivi le même parcours depuis l’école maternelle jusqu’à l’ENI, le rejoignit à Mondragon, trois ans plus tard.

Militant des « Amis de l’École émancipée », Pierre Nicolas sut gré à « son leader charismatique » Henri Sarda, pionnier du mouvement Freinet, de lui avoir ouvert les yeux en 1946 sur les combats à mener pour faire advenir une société plus juste, moins inégalitaire. Il découvrit un syndicalisme révolutionnaire visant à la transformation sociale. Selon son témoignage, « Manifester pour défendre l’école publique, laïque, démocratique et sociale », lui apparut comme nécessaire et en même temps incroyable pour quelqu’un qui sortait « de quatre ans de ghetto intellectuel sous le régime de Vichy ». Il poursuivit le combat en étant un moment élu minoritaire au conseil syndical de la section départementale du SNI dirigée par la majorité nationale, puis en tant qu’élu du personnel à la commission administrative paritaire départementale (CAPD), de 1958 à 1969.

Il s’associa, avec ses camarades de tendance, à tous les combats contre la guerre d’Algérie, et pour la formation d’un État algérien indépendant. Le 28 janvier 1961, le ministre des Armées, Pierre Messmer, déposa plainte contre la revue L’École émancipée, au motif qu’un article rédigé par un jeune normalien, intitulé « Une aiguille dans le désert », renfermait des « éléments constitutifs de délits de provocation à la désobéissance de militaires et d’injures envers l’Armée ». Henri Sarda, en tant que directeur-gérant de la revue, fut convoqué devant le tribunal de grande instance à Avignon le 5 octobre 1961. Pierre Nicolas participa à l’importante manifestation unitaire de solidarité avec l’inculpé, sur le thème : « Nous souhaitons en Algérie, la défaite du colonialisme français et la victoire totale du peuple algérien. »

Comme Sarda et ses camarades de tendance dans le département, il s’opposa au "noyautage" de l’ÉÉ par l’OCI (Organisation communiste internationaliste), qui ne se manifesta en Vaucluse qu’en 1968. La liste présentée par l’ÉÉ aux élections au conseil syndical en décembre 1968, « Pour défendre l’esprit de Mai, pour promouvoir de larges mouvements de masse », sur laquelle il figurait, indiquait clairement qu’il y avait incompatibilité entre l’appartenance à l’ÉÉ et à toute structure telle que la Fédération des comités d’alliance ouvrière.

L’engagement de Pierre Nicolas dans la défense de la laïcité fut continu. Afin d’entraîner une majorité de la population mondragonnaise, il mena le combat avec l’amicale laïque du « Sou des écoles de Mondragon », vieille association créée en 1881 à l’initiative de Jean Macé et de la Ligue de l’enseignement, dont il fut un artisan de la renaissance.

Gérée par ses adhérents, cette société laïque, respectueuse de fraternité, d’égalité hommes-femmes, œuvrait auprès des habitants en vue de promouvoir la culture sous toutes ses formes. Pierre Nicolas lui adjoignit une section USEP (Union sportive de l’enseignement du 1er degré) rattachée à la Fédération des œuvres laïques (FOL), et une coopérative scolaire dans l’esprit de la pédagogie Freinet, rattachée à l’Office central de la coopération à l’école (OCCE). Pierre et Sylvette Nicolas œuvrèrent au sein de cette amicale, en organisant compétitions sportives, fêtes, voyages, rallyes, commémorations… voire événements et manifestations protestataires. Lors de la lutte contre la loi Debré votée fin décembre 1959, les adhérents de l’amicale firent du porte-à-porte pour faire signer la pétition lancée par le Comité national d’action laïque (CNAL), en se mobilisant derrière son président, L. Sabatier, le maire et les conseillers municipaux, ainsi qu’aux côtés des directeurs des trois écoles : maternelle (Sylvette Nicolas), primaire-garçons (Pierre Nicolas), primaire-filles (Mme Aldon). Le département du Vaucluse recueillit 95 095 signatures, soit la majorité absolue de l’électorat (170 849), ce qui le classa au 14e rang national.

Pierre Nicolas, au sein de la FOL, durant près de vingt ans, fut conseiller au comité technique de l’USEP. Siégeaient avec lui dans les années 1950, Camille Février, André Gente, René Grosso, Henri Sarda, ainsi que d’autres instituteurs militants assumant des responsabilités syndicales importantes. Membre du Centre laïque des auberges de jeunesse (CLAJ) à la fin de la guerre, il déclarait dans L’École émancipée du 19 mars 1955 : « À mon avis, seul le mouvement ajiste laïque répond aux principes révolutionnaires […] d’un mouvement d’éducation sociale, revendicatif dans tous les domaines : loisirs, transports, service militaire, paix et salaires. »

À partir de 1961 et jusqu’à sa dissolution en 1987, il fut président d’une coopérative de consommation, dite du pain, fondée en 1906 par les paysans qui, à l’époque, l’approvisionnaient en farine.

Non encarté au PCF, Pierre Nicolas votait communiste, bien qu’il dénonçât les dérives staliniennes de l’URSS. Il fut élu conseiller municipal de Mondragon lors de l’élection complémentaire de 1967, fut ensuite régulièrement réélu, mais ne se représenta pas aux élections de 1995.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article230721, notice NICOLAS Pierre [NICOLAS Eugène, Charles, dit] par Josette Ueberschlag, version mise en ligne le 29 juillet 2020, dernière modification le 31 janvier 2022.

Par Josette Ueberschlag

Pierre Nicolas
Pierre Nicolas
à l’Ecole normale
jeune instituteur
dans les années 1960

ŒUVRE : Articles dans Bibliothèque du travail avec Robert Grosso et Lucien Perret : « Donzère-Mondragon », n°166, oct. 1951 ; « La peine des hommes à Donzère-Mondragon », n°167, oct. 1951 ; avec le Groupe vauclusien de l’École moderne, « Le Vaucluse, jardin de Provence », n° 435, 10 juin 1959.— Avec Lucien Perret, « Les mouvements de jeunesse », L’École émancipée, n°14, 19 mars 1955, p. 164-165.

SOURCES : État-civil d’Avignon et d’Issirac (Gard). — Fiche matricule, classe de recrutement 1943. –Bulletins de la section départementale du SNI du Vaucluse. — L’Ecole émancipée, n° spécial sur « La guerre d’Algérie (1954-1962), avril 1963. — Archives privées. — René Grosso, Histoire de la Fédération des œuvres laïques de Vaucluse, éd. FOL de Vaucluse, 1981. — Renseignements fournis par sa fille Nadine, épouse de Jacques Calvet, et par Jacques Brunel.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
fiches auteur-e-s
Version imprimable