DUFFULER Lucien, Eugène

Par Yves Le Maner, Michel Pigenet

Né le 21 août 1908 à Dunkerque (Nord), mort le 22 avril 1977 à Fleury-Mérogis (Essonne) ; docker ; syndicaliste et militant communiste du Nord, secrétaire général du syndicat CGT des ouvriers du port de Dunkerque (1938-1968) ; résistant FTP ; conseiller général (1945-1951).

Fils d’un « ouvrier du port » et d’une ménagère, le père de Lucien Duffuler docker sur le port de Dunkerque, fut mobilisé en août 1914 et sa mère fut obligée de s’embaucher sur le port comme voilière pour nourrir ses enfants. Pratiquement livré à lui-même, le jeune Lucien n’eut guère le loisir de fréquenter l’école et, lorsqu’il commença à travailler, il ne savait ni lire ni écrire. Mis au travail dès l’âge de dix ans au prix d’une falsification du livret de famille, il fut manœuvre pendant cinq ans dans une raffinerie, puis dans un atelier de mécanique et enfin dans une scierie. En 1923, son père étant devenu marinier, il travailla sur la péniche familiale mais il préféra au bout de quelques mois se faire embaucher comme docker sur le port où il avait joué pendant toute son enfance. Membre du syndicat des ouvriers du port, il ne commença réellement à militer qu’après le lock-out de 1926 au cours duquel il entra en contact avec des militants unitaires. Sympathisant du Parti communiste, il adhéra au Secours rouge international en 1927 et prit part à la lutte des dockers de Dunkerque contre le nazisme naissant en refusant avec ses camarades le déchargement des navires à Croix gammée après l’accession de Hitler au pouvoir en 1933. Réduit au chômage par le lock-out de 1933-1934, Duffuler dut travailler pendant près d’une année dans la batellerie avant d’être réintégré au port. Il prit sa carte au PC au début de l’année 1935 et, dès le mois de mai, il figurait sur la liste communiste présentée aux élections municipales. Élu trésorier de la cellule du port à la fin de l’année 1935, il accéda à la direction de la section communiste de Dunkerque en 1937. La même année, il entra au comité du syndicat CGT réunifié des employés du port pour y assumer les fonctions de convoyeur, c’est-à-dire de surveillant de l’application des conditions de travail et de sécurité figurant dans les conventions collectives élaborées lors du mouvement de grève de 1936.

Lucien Duffuler, arrivé avant-dernier de la liste soumise aux suffrages des adhérents, entra au conseil syndical en 1936. Il prit la tête de l’organisation en mars 1938, après que son prédécesseur, Huyghes, ait quitté le PCF. En novembre 1939, celui-ci s’associa à Geus pour critiquer le refus opposé par le nouveau secrétaire à toute condamnation du Pacte germano-soviétique. L’élection d’un nouveau bureau entraîna l’élimination de Duffuler ainsi que de l’ensemble des syndicalistes communistes.

En 1938, à l’issue d’une sorte de coup d’État interne, il parvint, avec l’aide des militants communistes, à évincer les anciens dirigeants confédérés (tel Geus) et devint secrétaire général du syndicat, poste qu’il devait conserver jusqu’en 1968 à l’exception des cinq années de guerre que subit Dunkerque.

Arrêté le 30 août 1939 à l’issue d’une distribution de tracts saluant le Pacte germano-soviétique, Lucien Duffuler fut relâché au bout de quelques jours et il s’efforça alors d’entrer en contact avec certains dirigeants du PC réfugiés en Belgique. Continuant à travailler sur le port, il entreprit de mettre sur pied l’organisation clandestine du PC dans la région dunkerquoise. Dès la fin de 1940, il tentait, sans grand succès, d’inciter les dockers à perturber le chargement des trains en partance pour l’Allemagne et il encourageait les sabotages. Arrêté par la Gestapo le 3 septembre 1942, il fut incarcéré au fort de Huy (Belgique) d’où il parvint à s’évader. Il rejoignit alors la région d’Arras (Pas-de-Calais) où il s’intégra aux mouvements de Résistance animés par les militants communistes. Mais, à la suite d’une dénonciation, il fut à nouveau arrêté en mars 1943, mais cette fois par la police française. Traduit devant la Section spéciale du tribunal de Douai, il fut condamné à trois ans de prison et incarcéré à la maison d’arrêt de Cuincy (Nord) avant d’être transféré à Éperlecques (Pas-de-Calais) où il fut employé à la construction d’une base de lancement de V 1. À l’automne 1943, il réussit une seconde évasion et rejoignit les rangs des FTP. La direction nationale du FNR l’envoya alors dans l’Aisne afin d’y organiser militairement les maquis en cours de constitution et, dès décembre 1943, il participait à la constitution du Comité départemental de Libération de l’Aisne. À la Libération, il fut nommé responsable du CDL pour la ville de Saint-Quentin.

A la Libération, ses nombreux mandats politiques et syndicaux locaux ne détournèrent pas Duffuler des affaires de la Fédération des Ports et Docks près de basculer du coté des anciens « unitaires ». A l’occasion du congrès de 1946 qui officialisa le changement de majorité, il fut propulsé au bureau fédéral. Nommé, l’année suivante, au Bureau central de la main-d’oeuvre en charge de contrôler l’embauche des dockers, il fut arrêté plusieurs semaines et inculpé, à la fin de la grève de 1948, pour entrave à la liberté du travail. Son mauvais état de santé, à l’origine de plusieurs opérations, limita sa participation effective aux différentes instances où il siégeait et rejaillit sur le fonctionnement de son syndicat. Ces questions furent évoquées lors des assises fédérales de 1950. L’une des principales et plus anciennes difficultés rencontrées par l’organisation à Dunkerque tenait à la tradition locale du travail au rendement. Interrogé à ce propos, en 1955, par le Havrais Thomas, il admit avoir échoué, en 20 ans, à convaincre ses syndiqués d’y renoncer. « Je me suis mis dans la tête d’entraîner mes camarades pour mettre un terme à ces cadences, je te garantis que j’y arriverai... », ajouta-t-il à l’adresse de son interpellateur. Ses déboires en la matière ne l’empêchèrent pas d’exprimer un point de vue très critique sur la ligne suivie par la Fédération des Ports et Docks. Dès 1952, il manifesta son désaccord en s’abstenant au moment du vote du rapport d’activité fédérale qu’il jugeait

Mais, dès octobre 1944, Duffuler fut rappelé par la direction de la fédération communiste du Nord qui lui confia la charge de reconstituer le PC en Flandre intérieure, entre Lille et la poche de Dunkerque encore tenue par la Wehrmacht. Élu président du comité local de Libération lors de la capitulation des troupes allemandes en mai 1945, L. Duffuler entreprit de remettre en marche la section communiste et l’Union locale CGT dont il fut secrétaire de 1945 à 1949. Conseiller général de Dunkerque-Ouest de 1945 à 1951, il siégea pendant de longues années à la commission administrative de l’Union départementale des syndicats du Nord et fut membre du bureau national de la Fédération CGT des Ports et Docks. Il fut orateur à la deuxième séance du 33e congrès de la CGT, à Ivry en 1961.

En 1957, il se prononça contre le rapport moral de la fédération CGT des Ports et docks auquel il reprochait de ne pas refléter les luttes menées dans les ports et de contenir des appréciations erronées, voire d’être en contradiction avec les résolutions du précédent congrès. Estimant insuffisants, notamment sur les salaires et les jours fériés, les résultats inscrits dans le.protocole d’accord récemment conclu avec les patrons de l’UNIM, il affirma que le secrétaire fédéral n’aurait jamais dû le signer. Convaincu que la guerre d’Algérie dominait tous les autres problèmes, il se prononça pour une « action vigoureuse » en faveur de la paix. De retour de Leipzig où venait de se tenir le congrès de la FSM, Duffuler insista sur la forte impression produite sur lui par l’expression de la « solidarité internationale », l’ampleur des réalisations sociales constatées en RDA, l’annonce du lancement du premier satellite artificiel, la présence des peuples coloniaux et de syndicalistes algériens qui l’avaient assuré qu’ils ne combattaient pas le peuple français. Après avoir prôné, en 1962, la disparition progressive des inimitiés et des rancoeurs, il ne renouvela pas moins ses critiques, deux ans plus tard, contre un rapport fédéral trop timide, à ses yeux, dans l’analyse de la situation politique, préalable indispensable à l’appréciation correcte des résultats revendicatifs. Proche de l’aile contestataire formée autour des syndicalistes communistes marseillais, il s’efforça d’opposer l’orientation défendue par Désiré Brest à celle de la Confédération en matière de revendications salariales et sur retraites. Si les pièces du réquisitoire ne devaient plus guère changer au cours des années suivantes, Duffuler ne craignit pas, peu avant le congrès de 1966, de bousculer les procédures en vigueur dans la Fédération par l’envoi d’une lettre circulaire à tous les syndicats. Celle-ci, attaque en règle de Brest et de son dauphin supposé, Dufour, réclamait leur destitution. L’offensive se poursuivit à l’occasion d’une séance de la commission exécutive où le syndicaliste dunkerquois avança le nom de son adjoint, Roger Gouvart, pour remplacer le secrétaire général. Furieux de ce que le compte rendu de la réunion ait censuré cette proposition, Duffuler la reformula devant le congrès en vantant les qualités de son camarade. Prématurée, la démarche heurta la majorité des délégués qui confirmèrent leur soutien à Brest. Le changement ’attendu se produisit au lendemain des événements de 1968. Une fois encore, Duffuler sonna la charge contre le secrétaire général, auteur d’un rapport qui, préparé avant les grèves, retardait sur la situation. Intransigeant, le syndicaliste nordiste parla de « mièvrerie », déplora la « pauvreté » du document, son incapacité à tracer des perspectives. Duffuler alla plus loin en revenant sur la manière dont Brest avait conduit les négociations nationales avec les employeurs et l’ajournement de la discussion sur la durée du travail. Sûr, cette fois, de traduire le sentiment de beaucoup, il témoigna de « l’amertume » des délégués, « traités comme des manoeuvres ». « Nous n’avons pas été fiers du porte-parole (..) que nous avons invité à se taire à plusieurs reprises », révéla-t-il. A l’attention des militants hésitants, il invita ses camarades à se défier de leur « excès de sentimentalité ». « Le départ de Brest diminue-t-il en quoi que ce soit les sentiments que nous portons à ceux qui ont repris le flambeau ? », interrogea-t-il avant de porter l’estocade. Le congrès lui donna satisfaction, sur quoi, lui-même décida, avec son retrait du bureau fédéral, de se démettre de toutes ses responsabilités nationales. Cinq ans auparavant, la Fédération des Ports et Docks lui avait décerné la médaille réservée « aux vaillants de la vieille garde », pour son rôle dans la période 1940-1947.

Il cessa toute activité syndicale et politique en 1968. Lucien Duffuler vivait retraité dans sa ville natale en 1975.

Marié en mars 1929 à Dunkerque, divorcé en 1954, il se remaria en décembre 1954 toujours à Dunkerque.

Il mourut le 24 avril 1977 et fut enterré à Dunkerque le 28 avril 1977.Treize ans plus tard, le 9 mai 1990, les dockers déçus par le refus du maire de Dunkerque de rendre hommage à cette figure du mouvement ouvrier local, débaptiseront, le temps d’une manifestation symbolique et en présence de représentants de la CGT et du Parti communiste, la rue du Ponceau pour la renommer rue Lucien-Duffuler.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article23209, notice DUFFULER Lucien, Eugène par Yves Le Maner, Michel Pigenet, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 16 février 2014.

Par Yves Le Maner, Michel Pigenet

SOURCES : Centre des , archives contemporaines : 870150, art. 132 ; 890 151, art. 12. — Archives de la Préfecture de police, dossier 63591. — Le Réveil des Ports de mai juin 1936. — L’Avenir des Ports de décembre 1948 ; novembre 1952 ; décembre 1965. — Congrès de la Fédération nationale des Ports et Docks des 19-22 mars 1946 (Paris) ; 22-24 juin 1950 (Paris) ; 17-18 mai 1955 (Paris) ; , 24-25 octobre 1957 (Paris) ; 18-19 mai 1960 (Paris) ; 13-14 juin 1962 (Paris) ; 17-18 juin 1964 (Paris) ; 22-23 juin 1966 (Paris) ; 20-21 juin 1968 (Paris). 1 Le Réveil du Nord, 1er septembre 1939. — La Vie ouvrière, nº 875, 7 juin 1961, p. 2. — M. Tibier, mémoire de maîtrise, Lille III, 1975, op. cit. — J.-M. Fossier, Zone Interdite, op. cit. — L’Humanité, 28 avril 1977. — État civil de Dunkerque. — J.-P. Hernandez, Alors au port t’en souviens-tu ? Edit Hernandez, Dunkerque, 1987.— L. Hislaire, Dockers, corporatisme et changement, Transports actualités-GEP Communication, 1993.

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