SCARPELLI Charles, Vincent

Par Renaud Poulain-Argiolas

Né le 27 décembre 1908 à Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône), mort le 26 septembre 1978 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; poinçonneur ; syndicaliste CGT ; militant communiste de Port-de-Bouc ; résistant ; responsable de la section clandestine du Parti communiste sous l’Occupation ; membre du comité de Libération de la ville, puis conseiller municipal de Port-de-Bouc de 1945 à 1965 ; militant du sport ouvrier.

Charles Scarpelli, Souscription pour le journal La Marseillaise
[Arch. mun. Port-de-Bouc]

Charles Scarpelli était le fils d’un couple d’immigrés italiens : Annibal Scarpelli, né à Firenzuola (province de Florence) en Toscane, et Clotilde née Servello, originaire de Palerme, en Sicile. Avant la naissance de Charles, ils avaient vécu dans le hameau des Fosses, à Saint-Jean-Cap-Ferrat (Alpes-Maritimes), où le père avait été employé comme mineur. Ils s’étaient établis par la suite à Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône), probablement parce que les Chantiers et Ateliers de Provence (CAP) embauchaient. Le couple avait aussi une fille, Angèle, plus jeune que son frère de deux ans. En 1931, les Scarpelli étaient domiciliés rue Albert Rey, dans le quartier de la Lèque. Annibal et Charles travaillaient aux CAP, le père comme ajusteur, le fils comme chaudronnier.

En mars 1935, Annibal Scarpelli, devenu machiniste, fut naturalisé français. Charles, membre de la CGT et poinçonneur aux CAP, adhéra cette année-là au Parti communiste. Il participa à toutes les actions menées dans son entreprise à partir du moment où il rejoignit ces organisations. Après la dissolution du PCF en septembre 1939, il fut des premiers militants de Port-de-Bouc qui continuèrent à le faire vivre, sans pour autant être ciblé par la chasse aux communistes menée par le gouvernement de Vichy.

Mi-janvier 1941, une réunion secrète se tint chez Jean Nunez, dans le quartier Saint-Jean. Charles Scarpelli était présent, ainsi que Louis Vallauri (qui allait bientôt fonder avec d’autres le journal communiste La Marseillaise) Sauveur Pastourel, François Caparros et John Vella. Ils y discutèrent notamment des moyens de mettre sur pied une nouvelle organisation.
Suite à plusieurs vagues de perquisitions dans les rangs communistes et à l’arrestation de Sauveur Pastourel, le rôle de Scarpelli devint central. La direction régionale clandestine du Parti communiste lui demanda d’assurer la responsabilité de la section de Port-de-Bouc, fonction qu’il exerça jusqu’à la Libération.
Hors de la sphère politique et syndicale, Scarpelli était connu pour être un boute-en-train, faiseur de « galéjades », particulièrement sur les terrains de boules, où il était apprécié autant pour son tempérament que pour son jeu. Il était célibataire et vivait avec sa mère et sa sœur. Discret dans les milieux militants, s’exprimant rarement dans les réunions, sa personnalité tranchait avec l’image qu’on se faisait le plus souvent d’un communiste. Bénéfice probable de ce trait de caractère, son nom ne fut jamais cité dans les rapports de police. À partir de 1942, la police ne réussit d’ailleurs pas à causer de pertes importantes dans les rangs des militants locaux.

L’efficacité des réseaux à passer entre les mailles des filets tendus par les autorités n’aurait pas été due qu’à la chance, mais aussi à une grande expérience de la stratégie de la troïka (du triangle) et de son cloisonnement par les militants ainsi qu’à l’extrême prudence de Scarpelli lors des recrutements qu’il effectuait. Paradoxalement, les archives policières ne mentionnent pas de distributions de tracts ou d’affichages du Parti communiste local durant l’année 1942. Pourtant, à défaut de pouvoir participer à une vraie résistance de masse, les organisations liées au parti avaient été intégralement remises sur pied dès avril et des responsables nommés à leur tête. Parmi les proches de Scarpelli on peut citer : Louis Vallauri, à la direction du Front national, Armand Peynichou, à celle de la CGT, François Caparros, reconstituant les Jeunesses communistes, René Rieubon, chargé de créer le syndicat autorisé par Vichy pour en faire un moyen de lutte officieux.
En novembre, la Kriegsmarine, voulant utiliser les infrastructures déjà en place et augmenter son potentiel militaire, prit le contrôle des CAP. Une garnison allemande y fut postée et la main d’œuvre employée accrue. Si bien qu’à partir de 1943 l’entreprise était redevenue la première de Port-de-Bouc. De part sa fonction de poinçonneur, Scarpelli était en contact étroit avec les ouvriers, ce qui dût l’aider à repérer de nouvelles recrues potentielles. Les effectifs des militants communistes augmentèrent avec ceux des ouvriers des chantiers, ce foyer devenant le premier pôle de résistance local.

Selon des évaluations faites par l’historien Jean Domenichino, en février 1944, les membres des organisations clandestines des chantiers (Parti communiste, CGT, Front national) représentaient plus du tiers de la main-d’œuvre. Leur influence était plus grande encore en tenant compte de leurs nombreux sympathisants. Dotés d’un journal clandestin propre à leur entreprise à partir du mois de mai, ils élargirent les thématiques abordées, enrichissant les questions de politique générale (sur l’unité de la Résistance, la libération du pays, l’avenir de la nation...) par d’autres relevant des conditions de vie qui inspirèrent majoritairement l’action clandestine.
Même si les appels à participer à une action étaient signés du nom d’une organisation, il était difficile de déterminer avec précision qui du Parti communiste, du Front national ou de la CGT la menait sur le terrain. Car les tracts de chacune de ces structures étaient reçus par les responsables des autres, qui les faisaient relayer par leurs propres membres. Dans tout cela il y avait une constante : Charles Scarpelli était toujours en début de chaîne.
C’est un ouvrier d’une entreprise sous-traitante qui lui apportait de Marseille les tracts de différents mouvements. Scarpelli raconta en 1976 à Jean Domenichino leur mode de communication : « Je me rendais tous les matins à l’arrivée du train de Marseille qu’empruntait mon contact, Vincent Condorelli. Avec lui, on avait établi un code. S’il portait sa « biasse » (son sac) qui contenait son repas, à la main gauche, c’est qu’il avait du matériel à me donner. S’il la portait de la main droite, c’est qu’il n’avait rien. Dans le premier cas, je me rendais chez « Yoke » [Marius Grosso - dans un café de l’actuel quai de la Liberté] pour récupérer les tracts. » Cet exemple illustre le fonctionnement des organisations alliées au Parti communiste, dans lesquelles chaque résistant avait un contact appartenant à sa structure, elle-même dirigée par un membre du parti.

Conscients de leur force, les dirigeants clandestins organisèrent plusieurs actions aux CAP. Le 12 mars 1944, une grève de protestation éclata contre la qualité de la soupe servie par les Allemands. Une autre, le 22 mars, réclamant une hausse des salaires, se solda par une augmentation de 15 %. Le 18 avril, trois moteurs de chalands-porteurs furent sabotés à l’explosif par Charles Scarpelli et Cyrille Blaya. Il semble que les résultats des enquêtes menées par les représentants des autorités allemandes auraient été biaisés par leur volonté d’échapper à une affectation punitive sur le front de l’Est par leur hiérarchie. Ils préférèrent attribuer la responsabilité des désordres à Jules Crétinon, maire vichyste de Port-de-Bouc. Ce dernier, quoique foncièrement anti-communiste et nationaliste, mentit au commandant de la Kommandantur en affirmant qu’il n’y avait aucun communiste parmi les récents grévistes des chantiers. Il connaissait néanmoins les convictions politiques des ouvriers. Les valeurs patriotiques du maire sauvèrent peut-être les organisations clandestines du démantèlement, évitant une triste fin à Scarpelli et aux autres responsables.
Le 26 mai enfin, une grève eut lieu avec pour mot d’ordre l’amélioration de la qualité du ravitaillement. Cette dernière fut massivement suivie parmi les ouvriers, dans un contexte où la sanction pour fait de grève était la déportation. Ces événements donnèrent du prestige aux responsables de la Résistance locale des chantiers, aussi bien aux yeux de leurs collègues qu’à ceux de la population.

C’est par conséquent sans grande surprise que le comité de Libération qui dirigea la ville à partir du 20 août compta en son sein plusieurs ouvriers des CAP, tous ses membres étant communistes ou sympathisants. La direction régionale du PCF demanda à Scarpelli de présider le comité. Refusant, ce dernier proposa que cette responsabilité fût confiée à René Rieubon. Charles Scarpelli fit tout de même partie du comité. La passation de pouvoir entre le maire vichyste et le comité de Libération s’effectua dans un calme et une courtoisie assez exceptionnels au vu du contexte. Candidat sur la liste communiste lors des élections municipales d’avril 1945, il fut élu conseiller municipal dans l’équipe de René Rieubon et continuellement réélu lors des scrutins d’octobre 1947, avril 1953 et mars 1959. Il ne siégeait plus au conseil municipal en 1965.

Charles Scarpelli fut inhumé au cimetière de Port-de-Bouc.

Pour faire honneur à sa passion pour la pétanque, la municipalité construisit en 1987 un boulodrome auquel elle donna son nom. De plus, il existait encore en 1989 un concours de boules nommé « Souvenir Charles Scarpelli », organisé chaque année par la plus ancienne société de boules locale, "La boule dorée".

Francis Olive, artiste lié à la commune, réalisa une fresque représentant Scarpelli devant le boulodrome.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article232116, notice SCARPELLI Charles, Vincent par Renaud Poulain-Argiolas, version mise en ligne le 17 septembre 2020, dernière modification le 30 août 2022.

Par Renaud Poulain-Argiolas

Charles Scarpelli
Charles Scarpelli
[extrait de Port-de-Bouc 1944-1975]
Charles Scarpelli, Souscription pour le journal La Marseillaise
[Arch. mun. Port-de-Bouc]
Fresque de Francis Olive représentant Charles Scarpelli devant le boulodrome à son nom
[photo de Renaud P-A, août 2022]

SOURCES : Arch. mun. Port-de-Bouc. — Arch. Dép. Alpes-Maritimes, Recensement de la population, Saint-Jean-Cap-Ferrat, 1906 (Filae). — Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, Recensement de la population, Port-de-Bouc, 1931, 6M 511. — Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 10 mars 1935 (67e année, N°59), p. 2871 (BNF-Gallica). — Port-de-Bouc 1944-1975 : 30 ans de gestion municipale au service de la population, Ville de Port-de-Bouc, 1975 [photographie]. — Jean Domenichino, Une ville en chantiers : La construction navale à Port-de-Bouc, 1900-1966, Edisud, 1989 (pp. 174 à 186). — Site Match ID, Acte n°12/528 N, Source INSEE : fichier 1978, ligne n°42621.

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