VESPÉRINI Marc-Marie

Par Hélène Chaubin

Né le 3 février 1894 à Cargiaca (Corse/Corse-du-Sud), mort le 28 février 1973 à Porto-Vecchio (Corse du Sud) ; exploitant forestier-charbonnier ; militant communiste ; résistant membre du Front National de Corse.

Une
Une "charbonnière"

Le père de Marc-Marie Vespérini, Antoine-Marie, était berger. Il aimait lire et
partait en campagne avec toujours un livre dans sa poche. Sans doute devait-il ce goût de la lecture à son propre père qui fut longtemps secrétaire de mairie de Zerubia, son village de la pieve de Scopamène : celui qui assumait cette fonction devait être capable de devenir le scribe de la collectivité.
Marc-Marie était l’ainé de ses huit enfants.
Il fit des études primaires, obtint le certificat d’études et devint charbonnier en
Alta Rocca, dans la grande forêt du Sartenais. L’Alta Rocca, ce bastion
montagneux du sud de la Corse, est enserré dans les massifs issus de la
surrection alpine de l’Incudine et de Bavella. L’industrie du charbon de bois,
alors très importante, demandait la présence constante des ouvriers : abattage du
chêne vert, transport des fûts, construction de la charbonnière puis combustion
lente à surveiller étroitement. Il fallait une demi-tonne de bois pour obtenir 100
kilos de charbon.
Marc-Marie Vespérini eut 20 ans en 1914. Mobilisé comme deuxième classe,
rapidement formé et initié au maniement du canon de 130, il fut envoyé au front,
sur la Meuse. Il survécut à cette longue guerre mais ne fut démobilisé que le 6
septembre 1919. Il fut blessé une première fois le 25 avril 1915 pendant le
combat des Éparges, du nom d’un village situé à une vingtaine de km au sud-est
de Verdun : c’était le début de la guerre de tranchées. Les Allemands tenaient
une forte position sur une crête que les Français attaquèrent à plusieurs reprises
dès le mois de février 1915. Les soldats, transformés en terrassiers, avaient
creusé des sapes et s’y terraient sous la pluie, dans la boue, entre deux assauts.
C’est en avril que les Français reprirent la crête ; ils la gardèrent jusqu’à la fin de
la guerre. Remis de sa blessure à la jambe, renvoyé au front, il participa encore
aux offensives de 1916 et de 1918 : il fut blessé de nouveau le 19 mai 1918 au
Mont Kemmel en Flandre belge. Ce lieu qui est de faible altitude (156m)
domine cependant la grande plaine, ce qui en fait un point d’intérêt stratégique.
Les Français y ont affronté des troupes d’élite allemandes et perdu plus de 5000
hommes. Le mont Kemmel pris par les Allemands en avril 1918 leur fut enlevé
seulement le 5 septembre.

Marc-Marie avait 25 ans lorsqu’il sortit de cette terrible épreuve sur les champs
de bataille les plus exposés, sans avoir été récompensé par l’attribution d’un
grade.
Il avait été ainsi confronté à 20 ans à ce que les historiens et anthropologues
considèrent aujourd’hui comme un cas extrême de violence sociale .
L’expérience n’altéra pas le comportement de cet homme intelligent et tolérant.
Il resta passionné par la politique, anti-gaulliste parce que fidèle, obstinément, à
la vision qu’avait eue son parti des objectifs de la Résistance.
Revenu en Corse, il épousa Marie Blanche Leonetti le 23 juillet 1921 à Olivese
(Corse-du-Sud). Marie Blanche Leonetti était née le 16 août 1893 à Olivese,
village situé à une trentaine de km de Serra di Scopamène. Le couple eut quatre
enfants : Françoise-Antoinette, Marie-Catherine, Jean René et Baptistine Marie Louise. Les trois premiers naquirent à Zerubia, village tout proche de Serra de
1922 à 1928 ; et la dernière en 1931 à Serra-di-Scopamène. L’ainée, Françoise Antoinette, avait donc 20 ans quand l’occupation italienne de la Corse
commença.
Marc-Marie Vespérini était un militant communiste, clairement hostile au
système clanique qui prévalait dans l’île, et particulièrement au très influent
conservateur François Pietri, député de Corte, président du conseil général de
Corse, qui vota en faveur des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain le 10 juillet 1940 et devint en octobre 1940 ambassadeur de France en Espagne, poste occupé par Pétain jusqu’en mai 1940.
Marc-Marie Vespérini avait 46 ans quand la Deuxième Guerre mondiale avait
éclaté. La Corse était un enjeu de la guerre en Méditerranée : Mussolini la 3
considérait comme une terre irredente. Marc-Marie Vespérini qui était
communiste, était résolument hostile au projet fasciste. Le Parti communiste
avait à peine 300 adhérents dans la Corse de 1939 et très vite, dès septembre
1939, après la dissolution de leur parti, plusieurs des dirigeants furent internés
ou mutés sur le continent. Cependant, malgré leur isolement, les cellules
communistes corses survécurent, s’opposèrent à Vichy, et s’isolèrent en ne
cédant pas à la tentation du maréchalisme. Dans toute l’île se formaient des
groupuscules souvent animés par le seul esprit patriotique. C’est par le journal
communiste devenu clandestin, Terre corse, que fut diffusée l’idée d’un
rassemblement populaire qui n’exclurait que les collaborateurs. Marc-Marie
Vespérini s’engagea parmi les premiers dans une structure cloisonnée qui allait
devenir le Front national : la base en était constituée de groupes limités à 5
hommes.
En juillet 1942, Arthur Giovoni le responsable politique du Parti communiste insulaire, rejoignit le village d’Azilone et choisit l’action clandestine.
Mais le recrutement du Front National ne devint massif qu’avec l’occupation italienne en novembre 1942. C’était la plus dense des occupations en territoire français, avec l’arrivée de plus de 80 000 hommes pour une population qui n’atteignait
pas 200 000 habitants. Dès le 12 novembre, le sud fut occupé par la division
Cremona, des bataillons côtiers et une légion de Chemises noires venue de
Sardaigne par Bonifacio. Cette occupation fut renforcée quand les Allemands, en
juin 1943, installèrent au sud de Corte une brigade d’assaut SS prête à une
jonction avec la 90e Panzer encore stationnée en Sardaigne. Dès lors, la
résistance civile ne suffisait plus. Il fallut se préparer au combat. Mais il était
impératif non seulement de recruter, mais aussi de se procurer des armes et de
construire une structure solide si les résistants ne voulaient pas se contenter
d’une fronde. Ils ne parvinrent à ce dernier objectif qu’en avril 1943, à la
réunion de Porri en Casinca. Le cloisonnement à la base en groupes de 5
personnes fut maintenu. Mais le Front National, dirigé par un comité
départemental, fut édifié comme une pyramide, avec des comités
d’arrondissement et de canton.
Serra-di-Scopamène avait alors un peu plus de 1000 habitants. Le Front National
de Corse, mouvement d’inspiration communiste, recruta dans ce canton environ
200 hommes et put compter sur l’appui d’une population majoritairement
favorable. Plusieurs membres de la famille Vespérini furent des résistants actifs :
Antoine, le père de Marc-Marie Vespérini, Joseph son frère, Lucie sa sœur qui
ravitaillait le maquis et assurait des liaisons comme le faisaient aussi son fils
Jean et sa nièce Catherine Vespérini-Arneodo.
À Serra-di-Scopamène, dès les débuts de l’occupation, les premiers groupes
résistants de cinq hommes s’étaient formés avec Marc-Marie Vesperini, l’un des
chefs de groupe, Alphonse Vincentelli, son frère Joseph Vespérini, François
Susini, Antoine Susini, Pierre-Jean Milanini ; quatre autres étaient originaires
d’Aullène : Angelin Natali, Angelin Poli, Angelin Chiaroni, Marcel Benedetti .
Deux de ces hommes, Angelin Chiaroni et Pierre-Jean Milanini dénoncés,
arrêtés, furent jugés le 28 août 1943 à Bastia pour espionnage militaire par le
Tribunal militaire italien en même temps que Jean Nicoli et Jérôme Santarelli.
C’était la dernière séance du Tribunal militaire italien qui siégeait depuis le 28 mars. Ils furent condamnés à 24 ans de réclusion (peine exécutable en Italie) ;
mais ils s’évadèrent, le premier pendant son transfert, put rejoindre les
antifascistes italiens ; le second interné dans une prison romaine s’en évada à la
faveur des combats.
Les résistants de Serra dépendaient du comité d’arrondissement de Sartène
constitué par Jean Leandri, Simon -Toussaint Mary, Noël Galeazzi, Joseph
Tramoni qui comptaient parmi les initiateurs du Front national corse.
Quant aux armes, elles leur arrivèrent par air et par mer grâce aux Missions de
la France Libre. L’une, préparée à Londres, conduite par Fred Scamaroni, était arrivée en janvier 1943, mais ne survécut que jusqu’à l’arrestation et la mort de
Fred Scamaroni en mars. C’est l’action de l’autre mission, organisée à Alger par
le général Giraud, qui fut déterminante. Dès février 1943, la première livraison
d’armes fut faite par le sous-marin Casabianca. Dans le sud, le premier
parachutage, le 16 juin 1943, fut fait à Sio dans la vallée du Valinco proche de
Sartène. Les radios venus avec les missions prenaient contact avec Londres et
Alger. Toutes les liaisons étaient périlleuses. Les résistants avaient choisi les
terrains de parachutages. Le plus proche de Serra-di-Scopamène, situé sur le
plateau du Cuscione, portait le nom de code « Ours » : les deux messages y
annonçant des parachutages furent « les ours se suivent et ne se ressemblent
pas » et « Octave n’est pas très malin ». En un lieu dit Cuciupurla situé à 1092m
d’altitude et qui domine le village de Serra-di-Scopamène, une grotte accueillit
parfois les résistants et leur servit aussi de cache d’armes. Mais ils furent
souvent appelés assez loin de leur village ; ainsi ceux de Serra-di-Scopamène
participèrent à plusieurs réceptions d’armes par mer au Travo sur la côte
orientale. Il y avait environ 60 terrains en Corse, les parachutages
s’intensifièrent en juillet. Il fallait éviter les patrouilles italiennes, transporter et
cacher les armes : mitraillettes, fusils-mitrailleurs, grenades, munitions. Marc Marie Vespérini apportait à la résistance corse l’expérience précieuse d’un
ancien combattant. Malgré le refus de l’attentisme qu’il partageait avec tous les
communistes, il ne souhaitait pas encourager des initiatives individuelles
exécutées sans aucune directive, qui amenaient une intensification de la
répression.
Le 17 juin, les hommes du contre-espionnage conduits par leur chef Virginio
Sias réussirent à surprendre des chefs de la Résistance sud réunis à la Brasserie
Nouvelle à Ajaccio. André Giusti et Jules Mondoloni furent tués. Jean Nicoli, responsable du comité cantonal ne dut la vie qu’à son retard . Le 27 Jean Nicoli et Jérôme Santarelli qui préparaient un nouveau débarquement d’armes furent
arrêtés.
Quand la capitulation de l’Italie fut annoncée à la radio le soir du 8 septembre
1943, le comité d’arrondissement d’Ajaccio était réuni en présence de Maurice
Choury, membre du comité départemental, qui prit l’initiative d’appeler à
l’insurrection, conformément à la décision, prise au mois d’août, de ce Comité.
Cela signifiait la distribution immédiate des armes restées cachées. Elle fut faite
le 9. Les actions armées étaient prévues le matin du 10. Pour Marc-Marie
Vespérini et ses camarades de Serra-di-Scopamène la mission, en attente des
secours d’Alger, était de bloquer les Allemands cantonnés dans l’Alta Rocca
d’empêcher leur jonction avec les forces allemandes arrivées de Sardaigne qui
déjà occupaient Bonifacio et Porto-Vecchio, de tenir le carrefour de Levie.
Les groupes de résistants de Serra-di-Scopamène agirent immédiatement pour
isoler Quenza où les Allemands maintenaient un important dépôt. Isolement par
la destruction des lignes téléphoniques et le barrage des routes : ainsi, le 11, un
convoi allemand fut stoppé sur la route de Zérubia petit village situé à 4 km de
Serra. Pour Marc-Marie Vespérini et ses compagnons, la journée du 15
septembre fut décisive : il s’agissait, avec les résistants de Zonza et de San
Gavino-di-Carbini. de s’emparer du dépôt de Quenza ou de le détruire. Que
feraient les Italiens ? Le gouvernement du Maréchal Badoglio venait de décider
que désormais l’Italie considérait l’Allemagne comme une ennemie. Il était clair
que les Chemises noires n’accepteraient pas cette décision. Mais il n’en fut pas
de même des officiers du Regio Esercito. Le général Ticchioni qui était à
Aullène, d’abord hésitant, fut sollicité par le lieutenant Pietri un jeune officier
d’active qui dirigeait en ces journées les patriotes armés. Ticchioni disposait de
batteries. Il céda et les résistants eurent ainsi un soutien de l’artillerie italienne.
Marc-Marie Vespérini a été de ceux qui étaient favorables à cet accord avec les
Italiens qui ne faisait pas l’unanimité. Or, cette alliance permit la reddition de 7 200 Allemands. Le dépôt de Quenza fut pillé par la population. Marc-Marie
Vespérini qui fit preuve en cette circonstance d’un rare désintéressement, ne
rapporta qu’un casque allemand de la bataille.

La jonction prévue des forces allemandes échoua donc, d’autant plus que le
lendemain 16 septembre une colonne blindée allemande venue de Porto-Vecchio, retardée par les barrages et les patriotes de Sotta au tunnel d’Usciolo,
puis au col de Bacino, stoppée par la destruction du pont de la Roja, ne put
arriver avec les chars à Levie : le combat y opposa les résistants de l’Alta Rocca,
appuyés par une section de grenadiers italiens, aux Chemises noires et aux
fantassins Allemands qui avaient réussi à pénétrer dans Levie. La bataille prit fin
le 17 avec la décision des Allemands de revenir à Porto-Vecchio, non sans avoir
fusillé à Carbini deux prisonniers, Louis Pini de Levie et Jérôme Comparetti, de
Bonifacio.
En 1945, la cellule de résistants dirigée par Marc-Marie Vespérini rédigea un "cahier de doléances" à l’occasion des États généraux de la Renaissance française, un rassemblement national initié par la Résistance intérieure dans la lignée des aspirations du CNR. Ce cahier de la commune de Serra-di-Scopamène, s’il fustigeait "70 ans de politique claniste" responsable des retards économiques de l’Alta Rocca, s’attachait surtout à décrire les besoins de l’agriculture et, d’autre part, à souligner que l’électrification du canton ne pouvait être assurée par le seul barrage d’Ocana : il était demandé qu’un nouveau barrage fût érigé sur le Rizzanese. Le vœu fut accompli, bien plus tard, en 2013.

Marc-Marie Vespérini vécut à Serra-di-Scopamène jusqu’au décès de son
épouse en 1961 ; puis se partagea entre ses enfants jusqu’à son décès à 79 ans et
ne renia jamais ses convictions communistes. Si on excepte les périlleuses
années de la Première Guerre mondiale pendant lesquelles Marc-Marie Vespérini
fut appelé à combattre jusque dans les Flandres belges, toute sa vie s’inscrivit
dans le périmètre de l’Alta Rocca. Une région d’accès difficile, très forestière,
desservie par des routes sinueuses et étroites. Elle aura été pour les résistants une
zone de refuge que les Italiens n’ont jamais pu contrôler. Elle aura été aussi le
réduit auquel se sont heurtées en septembre 1943 les troupes allemandes : faute
d’arriver à franchir l’Alta Rocca, elles n’ont pas pu accéder à Ajaccio sur la côte
ouest avant que n’arrivent les secours venus d’Alger.
Pour son engagement dans la Résistance, Marc-Marie Vesperini a été
homologué avec le grade de lieutenant dans le corps des FFI.

Marc-Marie Vespérini était un homme intègre, respecté de tous. Avant de
mourir, il a tenu à réitérer sa volonté de ne pas avoir de service religieux pour
ses obsèques. À sa fille aînée qui regrettait sa décision, le prêtre a répondu :
« Vous n’auriez tout de même pas voulu qu’il termine sa vie par un acte de
lâcheté ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article232407, notice VESPÉRINI Marc-Marie par Hélène Chaubin, version mise en ligne le 25 septembre 2020, dernière modification le 20 décembre 2020.

Par Hélène Chaubin

Une "charbonnière"
Une "charbonnière"
Marc-Marie Vespérini au début de la 2ème guerre
Marc-Marie Vespérini au début de la 2ème guerre
Carte de l'Alta Rocca
Carte de l’Alta Rocca
Serra- di- Scopamène vu du Cuscione
Serra- di- Scopamène vu du Cuscione
Haut plateau du Cuscione, au point dit Cucciupurla, au-dessus de Serra
Haut plateau du Cuscione, au point dit Cucciupurla, au-dessus de Serra
La grotte , cache d'armes et refuge de Cucciupurla.
La grotte , cache d’armes et refuge de Cucciupurla.
Marc-Marie Vespérini, dans les années 1960
Marc-Marie Vespérini, dans les années 1960
Barrage du Rizzanese
Barrage du Rizzanese

SOURCES : Arch. privées famille Vespérini-Vincentelli. — Arch. privées Maurice Choury. — Entretiens Hélène Chaubin et José-Marc Vincentelli, petit-fils de Marc-Marie Vespérini, septembre 2020. — Général Fernand Gambiez, Libération de la Corse Hachette, 1973, 417 p. — Hélène Chaubin, Corse des années de guerre, Paris Tiresias, 2005, 140 p. — Ufficio Storico dell’ Regio Esercito, Roma Tribunal Militaire Italien, Bastia, 1943, Sentences.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
fiches auteur-e-s
Version imprimable