BELLILI Mohand, Arab

Par Bernard Massera

Né le 24 janvier 1951 à Amagaz M’cisna (willaya de Bougie, Bedjaïa), Algérie ; ouvrier électricien ; militant syndicaliste CGT (1980-1984) puis CFDT (1984-2008) chez Chausson à Gennevilliers (Seine, Hauts-de Seine), délégué du personnel (1980- 1986) puis délégué au Comité d’établissement (1986-1998) et secrétaire du Comité de l’entreprise ETG (ex Chausson) (1998-2008).

Mohand Bellili en 2013,
Mohand Bellili en 2013,
lors d’une journée CFDT à la Bourse du travail de Gennevilliers (Hauts-de-Seine)

Fils de Khelaf Bellili, ouvrier, né en Algérie, et de Slaïm Houa, également née en Algérie, Mohand Bellili était l’ainé d’une fratrie de dix garçons et deux filles. Son père était venu travailler en France en 1946, s’était marié en 1950 à M’cisna et avait fait venir sa famille en France après la naissance, en Algérie, de ses deux premiers enfants. C’est ainsi que Mohand arriva en 1959, à huit ans, à Noisy-le-Sec (Seine, Seine-Saint-Denis) où il passa une partie de son enfance dans le café que sa famille avait pris en gestion jusqu’en 1964 avant d’aller s’installer à Clichy-La-Garenne (Seine, Hauts-de-Seine). Le café était un lieu de ralliement des Algériens originaires de la Basse Kabylie. Pendant la guerre d’Algérie il servait de lieu de rencontre, entre autres, pour le collectage de l’effort de guerre pour le compte du FLN. Son père y subit les contrôles au faciès, les descentes de la police, les bousculades, les coups de crosses. En 1961, un commando de l’OAS lança une grenade dans le café. L’expression violente d’un conservatisme colonialiste et de racisme marqua durablement Mohand Bellili.
Après avoir fréquenté l’école primaire de Noisy-le-Sec jusqu’en 1964, puis le collège Pasteur à Clichy-La-Garenne durant l’année scolaire 1965-1966, Mohand Bellili abandonna, à quinze ans, sa scolarité pour travailler sur les marchés et dans la restauration.
De 1969 à 1972, il fut embauché à Renault-Billancourt, au département 38 des petites presses, et suivit en même temps les cours de l’école Renault. Il y fit à nouveau l’expérience d’un certain racisme. En effet, réussissant parfaitement sa formation, il souhaita la poursuivre pour devenir électricien. Ses formateurs, sans raison objective, – ce qu’il ressentit comme le fait que pour eux ce n’était pas une profession pour un immigré – firent pression pour qu’il devienne grutier dans le bâtiment. Il passa néanmoins des tests qu’il sut avoir réussis mais on refusa de lui en donner les résultats. Il dut attendre plus d’un an pour avoir une proposition de formation d’électricien dans un Centre de formation pour adultes (CFPA), mais à Cherbourg dans la Manche. C’est ainsi qu’en fin 1972 il partit pour six mois et demi à Cherbourg où il obtint son CAP d’électricien.
À son retour, en 1973, il eut la désagréable surprise d’apprendre qu’il n’y avait pas de poste d’électricien disponible chez Renault. Ne voulant pas perdre ses acquis, Mohand Bellili donna sa démission et trouva un emploi d’électricien à la société MIR (Monteurs installateurs réunis) dont le siège était dans le XIXe arrondissement de Paris mais qui avait des chantiers dans toute la France. C’est ainsi que pendant 16 mois, il travailla sur un chantier à Mouy (Oise).
Le chantier terminé, Mohand Bellili travailla avec diverses sociétés d’intérim, dont la CRIT et Intérim Service, tout en cherchant un emploi stable. Il constata de nombreuses fois que lorsqu’il appelait par téléphone il obtenait facilement des rendez-vous mais que lorsqu’il se présentait il n’y avait plus de poste. Son physique de maghrébin semblait discriminant.
En septembre 1975, la CRIT proposa à Mohand Bellili une mission d’électricien à la Société des usines Chausson à Gennevilliers. Lorsqu’il se présenta, le responsable de l’accueil lui dit que l’établissement n’avait pas demandé d’électricien. La société Intérim Service remit à Mohand Bellili un courrier de Chausson demandant treize électriciens. Il revint avec ce document. Le responsable de l’accueil vexé ne put faire autrement que de l’envoyer passer le test de compétences en lui disant « tu es un malin, toi ! ». Il fut affecté en travail en équipe de 2 x 8 sur la chaîne des 404 Peugeot communément appelée secteur H de l’usine de Gennevilliers. Il dut assurer seul un poste prévu pour deux électriciens. Assumant plus que sa tâche, un emploi définitif lui fut finalement proposé. Le 1er janvier 1977, il fut embauché comme P2 électricien sur la chaine des véhicules utilitaires J7 et J9.
En 1979, Mohand Bellili devint membre de la commission Vacances - Jeunes du Comité inter- entreprises (CIE) des usines Chausson et adhéra à la CGT. En 1980 il accepta de se présenter aux élections des délégués du personnel alors que son chef de service lui proposait de devenir « chef d’équipe ». Sa promotion fut instantanément stoppée.
En tant que délégué du personnel, il se battit contre les propos et attitudes racistes. Il se fit remarquer en organisant plusieurs débrayages sur ce sujet. Progressivement, il devint un des principaux leaders CGT du secteur H de l’usine, mais ses revendications le mirent rapidement en porte à faux avec les positions de son syndicat.
En janvier 1982, la CFDT organisa un débrayage d’une demi-heure pour soutenir le syndicat polonais Solidarność. Seuls quelques militants CGT, dont Mohand Bellili, décidèrent d’y participer.
Le 14 janvier 1983, les OS de Chausson se mirent en grève pour la dignité, les salaires et les qualifications, dans le même mouvement que ceux de Citroën Aulnay et de Talbot Poissy. Mohand Bellili et un autre militant de l’usine H furent les seuls de la CGT à s’engager dans le mouvement. La CGT était divisée sur l’attitude à adopter face à une grève qu’elle qualifiait de grève des OS. Compte tenu de la présence de quatre ministres communistes au gouvernement, il ne s’agissait pas de paraître opposé à la politique du PCF. Pour tenter de limiter l’action, la direction de la CGT organisa un vote pour ou contre la grève, ouvert à l’ensemble du personnel, y compris aux chefs de service. Louis Viannet alors secrétaire confédéral de la CGT vint lui-même à la Bourse du Travail de Gennevilliers avec Alain Brugnago, secrétaire de l’Union départementale CGT, pour faire, en vain, reprendre le travail. Mohand Bellili s’investit totalement dans cette grève. Il rédigea un ensemble de tracts avec la CFDT, ce qui lui fut vivement reproché par sa direction syndicale. Terminée le 16 février, la grève laissa des traces et un profond malaise au sein de la CGT. Aux élections des délégués du personnel de mars, la CFDT recueillit 47,57% des voix dans le secteur H, faisant un bond de 16,73 points et dépassa la CGT (44,22%). En janvier 1984, Mohand Bellili et neuf autres militants CGT dont Alain Martinez, Mohamed Boudrari, François Ochando, Abdelkader Arfane, adressèrent un courrier très critique à leur fédération. La réponse ne se fit pas attendre : les mandats furent retirés aux auteurs de la lettre. Après un tract d’explication, neuf des dix élus CGT dont Mohand Bellili, avec plusieurs autres militants rejoignirent la CFDT. Aux élections du Comité d’établissement de décembre 1984 la CFDT devint la première organisation syndicale. Alain Martinez, passé à la CFDT, en devint le secrétaire. Prenant ensuite la responsabilité du Comité inter entreprise Chausson, Alain Martinez fut remplacé comme secrétaire du Comité d’établissement par Medhi Chellah, nouvel adhérent CFDT d’origine marocaine.
En 1986, Mohand Bellili fut élu au comité d’établissement. Il continua à y assurer, sous l’étiquette CFDT, la présidence de la commission logement du comité d’établissement de Chausson Gennevilliers, fonction qu’il avait occupée dès qu’il avait été élu CGT. Il continua à y mener la lutte contre toutes formes de discrimination en faisant obtenir des prêts et des logements à égalité de droits, n’hésitant pas à bousculer les pratiques et les organismes de logement.
En 1988, une grève sur les salaires se déclencha. Le conflit était encore hésitant lorsque la direction, de nuit, avec un commando d’une centaine de cadres, entreprit de sortir des outils de presse. Mohand Bellili, avec d’autre militants, parmi lesquels Bernard Massera, Philippe Delaunay, Mohammed Boudrari, Medhi Chellah, Baghdad Bachiri, tentèrent, mais en vain, de s’y opposer physiquement. Cette action de la direction contribua à renforcer la grève qui dura cinq semaines avec occupation de l’usine, sur la revendication de 1000 Francs pour tous. Mohand Bellili et Mohamed Boudrari en furent les principaux animateurs sur le secteur H de l’usine. Après cinq semaines, la direction ne proposait toujours qu’une augmentation de salaire de 114 Francs et une prime de 1000 Francs. Devant l’essoufflement de la grève et le risque d’une reprise du travail dans la division, la CFDT et la CGT appelèrent à la reprise pour assurer un retour au travail dans l’unité et en même temps.
À la fin des années 1980, la situation économique de la société se dégrada du fait des stratégies internationales des deux actionnaires principaux, Renault et Peugeot, qui inclurent la disparition de Chausson. Les plans de restructuration se succédèrent transférant ou supprimant des établissements et des milliers d’emplois.
En 1991, le secteur H de l’usine de Gennevilliers fut fermé. L’ensemble du personnel fut muté sur le secteur G de cette même usine et Mohand Bellili arriva ainsi à l’atelier d’emboutissage.
Le 13 septembre 1993, l’entreprise déposa son bilan. Durant toute l’année 1994 les travailleurs de Gennevilliers et de Creil se battirent pour une solution industrielle ou à défaut pour des plans sociaux qui garantissent à chacun un emploi réel ou un avenir sécurisé. Mohand Bellili fut parmi les principaux animateurs de ces mobilisations.
Un plan social, salué comme exemplaire, fut obtenu pour les travailleurs de Creil. L’établissement de Gennevilliers devint le 19 décembre 1995 filiale Renault à 100 %, sous le nom de ETG (Entreprise de tôlerie de Gennevilliers).
Encore fallait-il obtenir des garanties pour assurer l’avenir de ses salariés. Mohand Bellili donna la ligne de conduite de l’action : « Pacifique mais ferme ! ». Mobilisations et actions coup de poings se suivirent : occupations de sites Renault, du Conseil d’État le 12 mars 1998 puis à nouveau le 9 juin 1998, pour obtenir la désignation d’un négociateur officiel du gouvernement. Le 29 octobre 1998, les « Chausson » envahirent le Sénat. Au directeur de cabinet du président du Sénat, qui accepta de recevoir une délégation annonçant que le président « était indisponible », Mohand Bellili répondit : « Les sous-fifres, y’en a marre. On est prêts à se faire charger par la police. Ce qu’on veut, c’est la présidence ou rien du tout ! » Le président du sénat, Christian Poncelet, finit par recevoir la délégation et accepta d’intervenir auprès du Premier ministre.
La même année, Mohand Bellili devint le secrétaire du Comité de l’entreprise ETG.
Le 25 mars 1999, plus de 350 travailleurs manifestèrent devant le siège de Renault. La direction Renault accorda de nouveaux reclassements en région parisienne et une augmentation des indemnités de départ. Après un débat prolongé, Mohand Bellili, fut le porte-parole de la CFDT, qui proposait de soumettre au vote de l’Assemblée générale sa position en faveur de la signature. Celle-ci recueillit la quasi-unanimité des voix. Fort d’une mobilisation qu’il parvint à maintenir à un haut niveau, aidé de Bernard Massera, Mohand Bellili négocia pour les plus âgés restant sur le site des formations adaptées et des mesures conséquentes de départ en retraite. En avril 2007, l’entreprise ferma ses portes. Bénéficiant d’un régime de pré-retraite lui maintenant sa fonction de délégué du personnel, Mohand Bellili, avec les quelques derniers salariés, put quitter fièrement l’entreprise avant de faire valoir ses droits à la retraite en avril 2008.
Soucieux de son village natal, Amagaz, Mohand Bellili assura la coordination de l’Association « Amagaz en France », chargée de collecter des fonds pour le développement du village, développement piloté sur place en Algérie par une association « Amagaz » locale où il s’investit également fortement en étant présent sur place plusieurs mois par an.
Mohand Bellili s’était marié avec Boussaïd Tassadit le 5 juillet 1969. Le couple eut trois garçons : Abdelkader, Bachir et Samir, et une fille, Sonia.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article232631, notice BELLILI Mohand, Arab par Bernard Massera, version mise en ligne le 5 octobre 2020, dernière modification le 22 avril 2021.

Par Bernard Massera

Mohand Bellili en 2013,
Mohand Bellili en 2013,
lors d’une journée CFDT à la Bourse du travail de Gennevilliers (Hauts-de-Seine)

SOURCES : Bernard Massera et Daniel Grason, Chausson une dignité ouvrière, préface de Michel Verret, Éditions Syllepse, 2004. — Lutte Ouvrière n° 1561, 12 juin 1998. — Entretiens avec Mohand Bellili, 26 septembre et 29 octobre 2019.

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