MASEREEL Frans, Laurent, Wilhelmina, Adolf, Lodewijk.

Par Rik Hemmerijckx

Blankenberghe (pr. Flandre occidentale, arr. Bruges-Brugge), 30 juillet 1889 – Avignon (département du Vaucluse, France), 3 janvier 1972. Artiste engagé, graveur, peintre, illustrateur, pacifiste, humaniste, libertaire, sympathisant du communisme et du mouvement ouvrier.

Frans Masereel grandit dans une famille de la bourgeoisie francophone catholique de Gand (Gent, pr. Flandre orientale, arr. Gand). Son père, François Masereel, est rentier, et sa mère, Louisa Vandekerckhove, s’occupe du ménage. En 1888, le couple déménage vers la petite ville portuaire de Blankenberghe. C’est là-bas que les trois enfants du couple naissent : Frans en 1889, Robert en 1891 et Marie-Louise en 1893. En février 1894, la famille Masereel retourne à Gand, où le père, François, décède quelques mois plus tard. En 1897, la mère de Frans se remarie avec Louis Lava, un gynécologue, originaire de Gand, francophone, libéral et libre penseur. La famille s’élargit encore avec un fils, Félix, et une fille, Lucie. Sous l’influence de Louis Lava, le petit Frans passe de l’école catholique à l’école moyenne et, en 1905, à l’Athénée de Gand. Élève pas vraiment brillant, il quitte l’Athénée pour étudier à l’École de typographie de 1906 à 1909). De plus, il suit les cours de dessins et de peinture à l’Académie des Beaux-Arts, toujours à Gand, de 1907 à 1910.

Comme jeune artiste, Frans Masereel se lie d’amitié avec l’artiste gantois, Jules De Bruycker. Ce dernier lui apprend la technique de la gravure. Il lui fait découvrir les quartiers pauvres de la ville et développe chez lui une sensibilité pour le social. Masereel est impressionné par le leader socialiste gantois, Edouard Anseele, et se nourrit des idées émancipatrices du socialisme et de l’anarchisme. En littérature, il s’imprègne de la poésie d’Émile Verhaeren.
En 1908, Masereel est exempt du service militaire, mais il rejoint la Garde civique de la ville de Gand. En 1909, il effectue un premier voyage à Paris. L’année suivante, il fait la connaissance de Pauline Imhoff, une française, divorcée avec une fille, habitant à Gand ; il l’épousera en février 1921. Ensemble, ils font un voyage de plusieurs mois en Tunisie en 1910. En juillet 1911, Frans Masereel s’installe, avec Pauline et sa fille, à Paris. Il participe au Salon des indépendants et fait la connaissance de l’écrivain anarchisant, Henri Guilbeaux, et de l’écrivain Léon Bazalgette. Il publie ses premiers dessins satiriques dans l’hebdomadaire, Les Hommes du Jour, et réalise également ses premiers bois.

En août 1914, au moment où éclate la Première Guerre mondiale, Frans Masereel retourne directement en Belgique. Comme il est rayé des registres de population de la ville de Gand, il n’est pas mobilisé. Il réalise plusieurs dessins de la ville détruite de Termonde (Dendermonde, pr. Flandre orientale, arr. Termonde), mais, au début d’octobre 1914, il est déjà de retour à Paris. Choqué par les destructions en Belgique et les crimes de guerre allemands, Frans Masereel se trouve sous l’influence du patriotisme belge. En janvier 1915, il publie ses impressions dans La guerre en Belgique (voir Œuvre). D’un point de vue artistique, ses dessins font preuve d’un certain conventionnalisme. Toutefois, sous l’influence de Henri Guilbeaux, il commence à sympathiser avec l’action pacifiste que l’écrivain français Romain Rolland mène à partir de la Suisse neutre. Ainsi Frans Masereel, Pauline et sa fille, sont amenés à quitter le territoire français en juillet 1915 pour rejoindre Guilbeaux en Suisse. Il s’engage comme volontaire à l’Agence des prisonniers de guerre à Genève. Pour survivre, il travaille comme garçon de café. Lors de ces années, il entame l’illustration d’un choix de poèmes du poète belge, Émile Verhaeren. Dès début 1916, il s’affirme de plus en plus comme l’illustrateur principal de plusieurs revues pacifistes, Demain (1916-1918), Les Tablettes (1916-1919), et du journal La Feuille (1917-1920).

Comme illustrateur et caricaturiste, Frans Masereel s’avère être un adversaire redoutable des militaristes, nationalistes, colonialistes et industriels de guerre. Avec ses linos et ses bois, son style change radicalement : il devient le maître du noir et blanc et s’approche de l’expressionnisme. En 1917, il publie une première sélection de ses illustrations pacifistes sous le titre Debout les morts, suivie la même année par Les morts parlent. Ses images qui dénoncent la guerre sont tellement fortes qu’elles seront rééditées en Allemagne, en Russie et aux Pays-Bas.
À cause de son engagement pacifiste et son refus de se conformer aux lois militaires de la Belgique, Frans Masereel est considéré comme déserteur par les autorités belges. Jusqu’au début de l’année 1929, l’accès au territoire de la Belgique lui sera refusé.

Le talent exceptionnel de Frans Masereel se confirme avec l’édition en 1918 d’un livre d’images, 25 images de la passion d’un homme, récit d’un prolétaire révolté qui amène le monde ouvrier vers l’affranchissement. Plusieurs images de ce livre seront régulièrement reproduites et deviendront des classiques de l’iconographie socialiste et révolutionnaire. Mais, malgré sa sympathie pour la cause révolutionnaire – en mai 1917, il réalise la couverture pour la brochure Salut à la Révolution russe –, Masereel tient fort à son indépendance. Pendant toute sa vie, il refusera d’adhérer à un parti politique. Cette position va lui amener l’amitié inconditionnelle d’un Romain Rolland, dont il fait la connaissance en octobre 1917. En 1919, Masereel est un des signataires de la Déclaration d’indépendance de l’esprit de Rolland. Il y a aussi l’auteur autrichien, Stefan Zweig qu’il rencontre en novembre 1917 à Zürich (Suisse) : ils deviendront des amis pour la vie.

Artiste engagé, Masereel veut développer son œuvre au-delà des images pacifistes ou politiques. En 1919, il publie à compte d’auteur un roman graphique, Mon livre d’heures, où fantaisie et éléments biographiques sont entremêlés. Pour l’artiste, c’est une sorte de libération personnelle, un hymne au vitalisme et à l’indépendance d’esprit, avec pas mal d’humour, des farces, de la tendresse et de la poésie. Dans le même esprit, il publie en 1920 un autre livre, Idée, sa naissance, sa vie et sa mort, une ode à la libre pensée qui ne se laisse pas enchainer.

En 1919, ensemble avec l’écrivain français René Arcos, un des membres du groupe de l’Abbaye, Frans Masereel crée une petite maison d’édition à Genève (Suisse), Le Sablier. Les auteurs du fonds ont tous un lien avec le milieu du pacifisme ou de l’idéalisme humaniste : Romain Rolland, Pierre-Jean Jouve, Georges Duhamel, Charles Vildrac, René Arcos, Andréas Latzko, Walt Whitman, Émile Verhaeren, Maurice Maeterlinck, Henri Barbusse et naturellement Masereel lui-même. Mentionnons également l’anthologie de la poésie pacifiste, Les poètes contre la guerre (1920). Pour chacun des livres édités, il crée les illustrations et s’occupe de la mise en page de la couverture. C’est dans la même série que l’artiste publie les autres livres d’images qui font sa réputation internationale : Le Soleil (1919), Histoire sans paroles (1920), Un fait divers (1920) et Souvenirs de mon pays (1921). Par manque de moyens, la maison d’édition arrête ses activités à Genève en septembre 1921. Pendant quelques années encore, René Arcos va essayer de continuer les activités du Sablier à partir de Lyon.
Son contrat avec La Feuille s’étant également arrêté, Frans Masereel poursuit néanmoins sa carrière artistique : il réalise d’innombrables dessins, des gravures en bois, des lithographies et des huiles. Pour disposer de revenus, il accepte plusieurs projets d’illustrations et crée, pour le Théâtre Pitoëff à Genève, des costumes et des décors. Ses œuvres d’art sont exposées à Winterthur (Suisse), Berlin, Düsseldorf, Munich, Lübeck (Allemagne), mais aussi à Paris et à Anvers. En Allemagne, ses principaux éditeurs sont le Kurt Wolff Verlag à Munich et le Insel Verlag à Leipzig. Georg Reinhart, un des grands commerçants de produits coloniaux en Suisse, devient le mécène de l’artiste, dont le cercle d’amis s’étend avec l’architecte Henry Van de Velde, l’écrivain Carl Sternheim et sa femme Théa, ou encore le traducteur Hans Mardersteig.

En juin 1922, la période suisse est définitivement clôturée. Frans et Pauline Masereel partent pour Mantes-la-Jolie (département des Yvelines, France), puis ils s’installent à Paris. De son appartement-atelier dans le quartier de Montmartre, l’artiste a une vue imprenable sur les décors de la ville de Paris qui forment une source d’inspiration inépuisable. La vie fiévreuse de la métropole devient un des thèmes préférés de Masereel. Il la représente dans une série de bois, d’aquarelles, de gouaches, de dessins et des huiles, mais surtout dans ses livres d’images, La Ville (1925), Bilder der Grossstadt (1926), Capitale (1935). À partir de 1922, Masereel est sous contrat à la Galerie Billiet qui organisera toutes ses expositions parisiennes jusqu’en 1928. En 1927, Pierre Vorms entre à la galerie comme directeur-gérant. La Galerie Billiet-Vorms deviendra par la suite la Galerie Pierre Vorms. Fin 1922, Frans Masereel dessine une série de marionnettes pour la présentation sur scène de Liluli de Romain Rolland.

En 1923, une première monographie de Frans Masereel est publiée en Allemagne avec des introductions de Arthur Holitscher et de Stefan Zweig. Dans la capitale française, l’artiste se tient loin des cercles d’avant-garde, mais, vers juin-juillet 1923, il s’approche de Henri Barbusse et publie une série de dessins dans la revue internationaliste, Clarté. Après l’éviction de Barbusse de la rédaction, Masereel arrête sa collaboration.

En 1924, à Paris, Frans Masereel se lie d’amitié avec deux allemands, l’artiste, célèbre, George Grosz, et l’écrivain Kurt Tucholsky. Parmi les grands projets d’illustrations que Masereel entame dans cette période, on doit mentionner Jean-Christophe de Romain Rolland et le Ulenspiegel de Charles De Coster. Au cours de ces années, il réalise également quelques portraits remarquables, dont celui de Stefan Zweig et de son mécène, Georg Reinhardt. En septembre 1925, attiré par l’ambiance de la mer, Frans Masereel achète une ancienne maison de pêcheurs dans les dunes de Equihen, à quelques kilomètres de Boulogne (département du Pas-de-Calais, France)., Frans et Pauline Masereel y passeront leurs étés jusqu’en 1939. Il y trouve la paix parmi cette communauté de pêcheurs et l’endroit devient, pour lui, une nouvelle source d’inspiration : des paysages de dunes, des marines, des pêcheurs, le port de Boulogne, mais aussi des sirènes.
En 1927, Masereel accepte de réaliser les costumes et les décors pour la pièce, L’homme sans corps, de l’écrivain flamand, Herman Teirlinck. L’année suivante, Frans Masereel présente de nouveau un grand roman graphique, L’Œuvre. C’est l’histoire fantastique d’une statue gigantesque qui prend vie et qui s’échappe au contrôle de l’artiste. Il est considéré comme un livre sublime dans lequel l’artiste joue sur tous les registres, allant de la raillerie au poétique : c’est la démonstration ultime de son art en noir et blanc.
Durant ces années, Frans Masereel expose non seulement à Paris, mais aussi à Chicago, Moscou, Berlin, Bruxelles, Winterthur, New York, Vienne, Cologne et Hambourg. En 1929-1930, il y a des grandes rétrospectives dans les musées à Mannheim, Munich et Amsterdam.
En 1931, Luc Durtain publie une première monographie française de l’œuvre de Frans Masereel. En 1932-1933, ce dernier réalise plusieurs makimonos japonais, des longs rouleaux en papier, peints à la main en noir et blanc. Retenons celle qui représente les bêtises humaines : Maboul City. Encore en 1932 à Paris, le cinéaste allemand, Berthold Bartosch, présente une première vision de son film animé, une adaptation du roman graphique L’Idée. La musique pour le film est composée par le suisse, Arthur Honegger. La première officielle du film se déroule à Londres en décembre 1934.

Avec la montée de l’extrême droite en Europe, Frans Masereel ne peut plus se tenir à l’écart. Déjà en août 1932, il avait soutenu un appel de Romain Rolland et d’Henri Barbusse pour réunir un congrès international contre la guerre. Dès la fin de janvier 1933, avec l’arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne, Masereel est visé par les campagnes contre l’art et la littérature moderne : sa maison d’édition à Berlin – Malik Verlag – est saccagée et une partie de ses bois est détruite. En avril 1933, quelques-unes de ses gravures en bois sont présentées dans l’exposition, Kulturbolschewistische Bilder, à Mannheim. Son livre Bilder der Grossstadt est mis à l’index. La collaboration avec le Insel Verlag est terminée.

Artiste engagé et antifasciste convaincu, Frans Masereel laisse derrière lui le pacifisme intégral et adhère à l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR). En janvier 1934, il participe au Salon des « peintres révolutionnaires » à Paris. Il crée des dessins pour le Comité international d’aide aux victimes du fascisme hitlérien et, en 1935, organise l’Exposition internationale sur le fascisme à la Galerie Vorms à Paris.
Durant cette période, l’Union soviétique exerce une certaine influence sur les milieux intellectuels de la gauche française. Masereel ne fait pas exception. En avril 1935, à l’occasion de son exposition à Moscou, il entame un premier voyage de six semaines dans le pays. Il est enthousiasmé par ce qu’il voit. Il considère de plus en plus l’Union soviétique comme le seul pays capable à s’opposer à l’Allemagne nazie.
De retour à Paris, Frans Masereel s’engage dans l’action antifasciste : début novembre 1935, il publie un dessin satirique pour la couverture de Vendredi, un hebdomadaire indépendant des intellectuels de gauche. En juin 1936, il entame un nouveau voyage de quatre mois en Union soviétique. À Moscou, il réalise plusieurs dessins et des huiles, directement inspirés par son voyage. Juste avant son retour en France, il a même l’occasion de rencontrer Staline. Cependant, en 1937-1938, Masereel est ébranlé par la répression envers les opposants politiques en Union soviétique, mais il refuse de se distancier publiquement. Dans une lettre à Romain Rolland, il déclare que le communisme en soi n’est pas mauvais : ce sont les hommes qui ne sont pas encore à la hauteur de la « cause ».

À partir de 1936, les milieux de la gauche sont en pleine effervescence en raison du Front populaire en France et de la guerre civile en Espagne. Frans Masereel s’engage volontiers dans l’action. En février 1937, il fait partie d’une délégation d’artistes qui soutient la cause républicaine en Espagne. Il livre également des dizaines de dessins pour les publications du Front Populaire, l’hebdomadaire Clarté et le journal Ce Soir. Il participe aux activités de la Maison de la Culture à Paris. Dans ce cadre, il donne des conférences et enseigne le dessin et la peinture aux ouvriers syndiqués. En juillet 1937, il est un des cofondateurs des Cahiers de la Jeunesse.
Au printemps de 1937, lors de l’Exposition universelle à Paris, le Comité mondial contre la guerre et le fascisme lui demande une grande décoration murale, L’enterrement de la guerre, pour le Pavillon de la Paix. Parmi la masse des gens représentés on peut reconnaître les figures du dirigeant communiste Maurice Thorez et de l’écrivain français Louis Aragon. Durant ces années, Masereel ne fait pas vraiment de grandes expositions, mais, grâce à son amitié avec le peintre et architecte, Henry Van de Velde, il reçoit deux commandes de l’État belge : la première est une décoration murale pour le pavillon belge de l’Exposition universelle de 1937 ; la deuxième est un panneau décoratif pour le bateau Prince Albert de la ligne Ostende-Douvres. En mars 1938, Jemand, un spectacle de masse inspiré par les Images de la passion d’un homme, est présenté à Zürich (Suisse), avec une chorale ouvrière de 800 personnes. La même année, il termine une grande peinture avec le portrait de son ami et maître à penser, Romain Rolland. Sur le plan des éditions, il faut surtout mentionner le recueil Du noir au blanc/Von Schwarz zu Weiss.

Avec l’invasion de la Pologne le 1er septembre 1939, l’Allemagne nazie se fait de plus en plus menaçante. À Paris, Frans Masereel se présente comme volontaire pour la défense passive et s’engage dans le service de la contre-propagande du Département d’Information pour créer des pamphlets antinazis. Là où il peut, il aide les réfugiés et les émigrés allemands échoués à Paris. Dans le Pariser Zeitung, Masereel n’hésite pas à prendre position. Il n’imagine pas que les Allemands vont oser envahir la France, mais, en mai 1940, il est confronté à la réalité impitoyable. Avec son épouse, Pauline, il est obligé de s’enfuir à pied jusqu’à Orléans (département du Loiret). Le couple trouve finalement refuge à Avignon, située en zone non occupée. Leur maison d’été à Equihen est complètement pillée et détruite. Les Masereel survivent à ces années de guerre grâce au soutien financier et matériel de Georg Reinhardt. Lors de l’été 1940, Frans Masereel réalise plusieurs dessins inspirés par le sort des réfugiés et les horreurs de la guerre qu’il a vécues en France. Il réalise les illustrations pour deux publications de Louis Piérard, Ode à la France meurtrie en 1940 et Les réfugiés en 1942. Sous son propre nom, il publie Juin 40 en 1942 et Danse macabre en 1942. La traque des opposants au nazisme et la répression contre les résistants est relatée dans Destins (1943). Entretemps, il obtient plusieurs commandes pour des livres illustrés, la plupart édités en Suisse.
À Avignon, Frans Masereel retrouve les écrivains engagés, rencontrés lors de la période du Front populaire à Paris : tout d’abord Pierre Seghers, qui édite une revue de poésie et lui propose d’illustrer le recueil, Jugement de Théodore-Agrippa d’Aubigné, paru en 1941. Par l’entremise de Seghers, il entre en contact avec Louis Aragon et Elsa Triolet, qu’il connaît pour avoir travaillé à la rédaction de Ce Soir.
Pendant cette période, Frans Masereel fait également la connaissance d’une jeune artiste peintre et lithographe, Laure Malclès, qui deviendra sa compagne et qui l’accompagnera lors de ces voyages à l’étranger. Malgré cette liaison, Frans Masereel ne quittera pas son épouse, Pauline.
Afin d’éviter l’arrestation, Masereel adopte un nom de guerre, François Laurent, né à Equihen. Fin septembre 1943, les Masereel quittent Avignon pour mener une vie discrète dans le vieux moulin de Bézis, dans les environs de Boinet (anciennement Boynet) dans le département du Lot-et-Garonne.

Au moment de la Libération, le couple Masereel, n’ayant plus les moyens de retourner à Paris, aménage dans le château, délabré, de Boynet (Boinet) à Laussou (département de Lot-et-Garonne, France). 1946 est l’année de la résurgence : Masereel se met à la création de nouveaux bois. Deux recueils avec des dessins contre la guerre sont édités en Suisse : La Colère et Remember !. Il termine l’illustration des Fleurs du mal de Charles Baudelaire, prépare les illustrations du Germinal de Zola et deux livres d’images, Les âges de la vie et Jeunesse. En plus, il expose ses œuvres dans une galerie à Paris. De 1947 à 1951, comme un geste de réconciliation envers l’Allemagne en ruine, il accepte d’enseigner à une école d’art à Saarbrücken. Lors de cette période, il réalise deux suites de dessins, Des Anges et Apparitions, et quatre grands panneaux en mosaïque, dont un pour la Maison du peuple de la ville. En 1947, Saarbrücken organise, pour Masereel, sa première exposition allemande depuis 1933. Avec ses étudiants, il réalise les décors et les costumes des Geschichte vom Soldaten au Kammerspielbühne.
Toujours en 1947, lors de son exposition à Bordeaux (département de la Gironde), un nouveau thème retient l’attention de Masereel : la sensualité des jeunes femmes nues. L’influence de Laure Malclès y est pour beaucoup.
En mai 1949, Frans et Pauline Masereel trouvent une nouvelle habitation à Nice sur la Côte d’Azur. Roger Martin du Gard devient un ami assez proche et Masereel réalise même un portrait de l’écrivain français. Dans les années 1950, l’artiste réalise quelque 140 grandes planches et réussit à publier neuf petites et grandes suites de bois gravées telles que Clef des songes (1950), Mon livre d’images (1951), Notre temps (1952) et Pour Quoi ? (1954). La production de Masereel est élevée, mais certains critiques lui reprochent que ses œuvres n’atteignent plus le niveau des années 1920 ou 1930 et qu’il se recopie trop.

Les années 1949-1971 sont celles des grandes rétrospectives et de la reconnaissance internationale. En 1950, à la Biennale de Venise (Italie), il reçoit le Grand prix du graphisme. En 1951, la Belgique accueille son fils prodigue en grandes pompes : trois expositions lui sont dédiées à Bruxelles, Gand et Liège. Il est également proposé comme membre de l’Académie royale des Sciences, Lettres et Beaux-Arts de Belgique. L’Allemagne, divisée en deux états, reste le pays où il a le plus de succès. En Allemagne de l’Ouest (République fédérale d’Allemagne – RFA), Masereel est apprécié en tant qu’artiste humaniste et pacifiste et, en Allemagne de l’Est (République démocratique allemande – RDA), comme un défenseur révolutionnaire du prolétariat.
Malgré les révoltes populaires en Allemagne de l’Est en 1953, en Hongrie en 1956, ou en Tchécoslovaquie en 1968, Frans Masereel continue à croire dans les possibilités d’un communisme humain, non-autoritaire, voire libertaire. En 1957, à l’occasion des trois expositions qui sont organisées à Berlin-Est, Dresden et Halle-sur-Saale, il accepte de se rendre en Allemagne de l’Est. En octobre 1958, il est l’invité du gouvernement chinois à l’occasion des trois rétrospectives qui sont organisées à Pékin, Shanghai et Wuhan. Son voyage chinois est à la base de trois grandes gravures en bois en un livre de dessins, Souvenirs de Chine, paru en 1961. Idéaliste, son engagement artistique ne se limite pas seulement au mouvement socialiste : ami avec le père S. H. Scholl, il accepte que ses bois soient utilisés pour illustrer le livre de ce dernier sur l’histoire du mouvement ouvrier chrétien en Europe occidentale (1961).

Dans les années 1960, Frans Masereel est complètement pris par la création de ses œuvres, les différentes commandes, le rythme des expositions, les manifestations publiques et les exigences de la célébrité. Il est interviewé pour plusieurs films et pour des émissions de la télévision. Il produit plusieurs livres d’images : Poètes en 1963, Route des hommes en 1964, Das Gesicht Hamburgs en 1964. Il a également un nouveau mécène en la personne du banquier anversois, Maurice Naessens qui finance pas mal de projets : des livres d’images tels Mon Pays en 1956 et 1966, Antwerpen en 1965, et l’illustration du Vlaschaard de Stijn Streuvels en 1965. Il soutient également l’édition de la monographie imposante sur Masereel, rédigée par Roger Avermaete en 1975.

Début septembre 1968, Pauline, la femme de Frans Masereel, décède à l’âge de nonante ans à Nice. Quatre mois plus tard, Frans Masereel se remarie avec Laure Malclès, qui a 22 ans de moins que lui. Le quatre-vingtième anniversaire de Masereel, en 1969, est de nouveau l’occasion d’organiser plusieurs expositions et des manifestations publiques. Le film de Frans Buyens sur Masereel, J’aime le noir et le blanc, est présenté à la télévision hollandaise. En 1969, il accepte que son nom soit utilisé pour une association culturelle de gauche, liée à l’aile flamande du Parti communiste de Belgique : le Frans Masereel Fonds. Un de ses derniers projets, qui le tient très au cœur, est l’illustration de L’Internationale, la chanson de la Commune de Paris et l’hymne du socialisme international.

Atteint par une fatigue généralisée, Frans Masereel s’éteint à Avignon le 3 janvier 1972. Il est enterré à Gand.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article232781, notice MASEREEL Frans, Laurent, Wilhelmina, Adolf, Lodewijk. par Rik Hemmerijckx, version mise en ligne le 8 octobre 2020, dernière modification le 13 juin 2022.

Par Rik Hemmerijckx

ŒUVRE : Collaboration à La Grande Guerre par les artistes, Paris, Berger-Levrault & Cie, Georges Cres, 1915 – Debout les morts. Résurrection infernale, Genève, Kundig, 1917 – Les morts parlent, Genève, Éditions des Tablettes, 1917 – 25 images de la passion d’un homme, Genève, à compte d’auteur, 1918 – Mon livre d’heures, Genève, Presses de A. Kundig, 1919 – Le Soleil, Genève, Le Sablier, 1919 – L’Idée, Paris, Ollendorf, 1920 – Politische Zeichnungen, Berlin, E. Reiss, 1920 – Histoire sans paroles, Genève, Le Sablier, 1920 – Un fait divers, Genève, Le Sablier, 1920 – Souvenirs de mon pays, Genève, Le Sablier, 1921 – Grotesk-Film, Berlin, B. Neuman, 1921 – Visions, Anvers, Lumière, 1921 – La Ville, Paris, 1925 – Figures et Grimaces, Paris, Les Écrivains réunis, 1926 – Bilder der Grossstadt, München, Kurt Wolff Verlag, 1928 – L’Œuvre, Paris, Pierre Vorms, 1928 – Landschaften und Stimmungen, München, Wolff, 1929 – La Sirène, Paris, Pierre Vorms, 1932 – Expiations, Paris, Pierre Vorms, 1933 – Capitale, 66 dessins, Lyon, Le Sablier, 1935 – Du Noir au Blanc/Von Schwarz zu Weiss, Zurich-New York, Oprecht Verlag, 1939 – Juin 40, Paris, P. Tisné, 1942 – Danse Macabre, Berne, Herbert Lang, 1942 – Destins 1939 – 1940 - 1941 – 1942, Zürich, Oprecht Verlag, 1943 – La terre sous le signe de Saturne, Berne, Herbert Lang, 1944 – La Colère, Berne, Herbert Lang, 1946 – Remember !, Berne, Herbert Lang, 1946 – Apparitions, Saarbrücken, Saar-Verlag, 1947 – Des Anges, Saarbrücken, Saar-Verlag, 1947 – Jeunesse, Zürich, Oprecht Verlag, 1948 – Les âges de la vie, Berne, Herbert Lang, 1948 – Holzschnitte, Hamburg, Chr. Wegner, 1948 – Ecce Homo, München, Vlg. der Zwölf, 1949 – Clef des Songes, Lyon, A. Henneuse, 1950 – Notre Temps, Belvès, Pierre Vorms, 1952 – Pour Quoi ?, Belvès, Pierre Vorms, 1954 – Mon livre d’images, Belvès, Pierre Vorms, 1956 – Mon Pays, Bruxelles, Banque de Paris et des Pays Bas, 1956 – Aventure nocturne, Belvès, Pierre Vorms, 1958 – La nuit et ses filles, Belvès, Pierre Vorms, 1959 – Souvenirs de Chine, Leipzig, VEB, 1961 – Étalages, Belvès, Pierre Vorms, 1961 – Poètes, Belvès, Pierre Vorms, 1963 – Route des hommes, Zürich, Limmat Verlag, 1964 – Couples, Belvès, Pierre Vorms, 1965 – Das Gesicht Hamburgs, Hamburg, Asmus Verlag, 1966 – Antwerpen, Antwerpen, Mercatorfonds, 1968 – Mains, Belvès, Pierre Vorms, 1968 – Laster und Leidenschaft, Hanau, Schustek, 1968 – Ik houd van zwart en wit, Amsterdam, Uitgeverij Contact, 1969 – Gesammelte Werke, Frankfurt, Zweitausendeins, 13 vol., 1978-1987 – Bilder gegen den Krieg, Frankfurt, Zweitausendeins, 1985.

SOURCES : HOLITSCHER A. & ZWEIG S., Frans Masereel, der Mann und Bildner, Berlin, Axel Juncker Verlag, 1923, 174 p. – BILLIET J., Frans Masereel : l’homme et l’œuvre, Paris, Les Écrivains réunis, 1925, 64 p. – HAVELAAR J., Het werk van Frans Masereel, Den Haag, De Baanbreker, 1930, 34 p. – DURTAIN L., Frans Masereel, Paris, Pierre Vorms, 1931, 80 p. – ZILLER G., Frans Masereel : Einführung und Auswahl, Dresden, Sachsenverlag, 1949, 46 p. – LEBEER L., Masereel, Antwerpen, De Sikkel, 1950, 44 p. – HAGELSTANGE R., Gesang des Lebens ; das Werk Frans Masereels, Hannover, Fackeldrager, 1957, 140 p. – PICART LE DOUX J., Frans Masereel : l’œuvre gravée, Paris, Maison de la Pensée française, 1958, 14 p. – POMMERANZ-LIEDTKE G., Frans Masereel : Malerei und Graphik, 1917-1957, Dresden, Staatliche Kunstsammlungen Dresden, 1958, 156 p. – PINKUS Th., Frans Masereel und das Buch, Leipzig, Pirckheimer-Gesellschaft im Deutschen Kulturbund - Institut für Buchgestaltung, 1961, 12 p. – VORMS P., Gespräche mit Frans Masereel, Dresden-Zürich, Verlag der Kunst-Limmat Verlag, 1967, 252 p. – AVERMAETE R., Frans Masereel, Anvers, Fonds Mercator, 1975, 318 p. – VORMS P., Frans Masereel : catalogue raisonné, Anvers, Fonds Mercator, 1976, 112 p. – HERMAN J., Frans Masereel 1899-1972. The Radical Imagination, London-West Nyack, The Journeyman Press, 1980, 64 p. – RITTER P., Die Frühen Holzschnittfolgen Frans Masereels, Darmstadt, Technische Hochschule, 1983, 161 p. – Frans Masereel : peintures, aquarelles, dessins, gravures, Gravelines, Musée du dessin et de l’estampe originale, 1984, 96 p. – HOOZÉE R. (éd.), Frans Masereel, Gand, Musée des Beaux-Arts de Gand, 1986, 175 p. – HOFMANN L. & RIEDE P. (éd.), Frans Masereel (1889-1971). Zur Verwirklichung des Traums von einer freien Gesellschaft, Saarbrücken, Frans-Masereel-Stiftung, 1989, 280 p. – HOFMANN K.-L. (éd.), Frans Masereel. Bilder der Grossstadt. Arbeiten der 20er Jahre, Mannheim, Das Wunderhorn, 1998, 63 p. – CLAUSSNITZER G., Frans Masereel, Berlin, Henschelverlag Kunst und Gesellschaft, 1990, 72 p. – RITTER P., Frans Masereel : eine annotierte Bibliographie des druckgraphischen Werkes, München, K.G. Saur, 1992, 767 p. – RACINE N., « L’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR). La revue "Commune" et la lutte idéologique contre le fascisme (1935/1936) », dans Le Mouvement social, janvier-mars 1966, n° 54, p. 29-47 – VAN PARYS J. & OLLIVIER H., Frans Masereel, Gand, Musée des Beaux-Arts, 2005, 71 p. - VAN PARYS J., Frans Masereel : une biographie, Bruxelles, Luc Pire-AML Éditions, 2008, 441 p. – FABRE G. & HOOZÉE R., Roar China ! : Lu Xun, Masereel et l’avant-garde graphique en Chine 1919-1949, Gand, Musée des Beaux-Arts de Gand, 2010, 79 p. – RACINE N., « Masereel Frans », dans Site du maitron.fr – HOFMANN K.-L. & RIEDE P., Frans Masereel, Wir haben nicht das Recht zu schweigen – Les Poètes contre la guerre, Saarbrücken, Gollenstein-Verlag, 2015, 140 p. – DE HALLEUX M., Frans Masereel, L’empreinte du monde, Paris, Les Éditions Martin de Halleux, 2018, 664 p. –DÉGARDIN S. & CAUDRON V., Serial graveurs : Frans Masereel & Olivier Deprez, Gravelines, Musée du dessin et de l’estampe originale, 2018, 222 p. – DÉGARDIN S. & TRANKVILLITSKAÏA T., Frans Masereel. Voyages au pays des soviets, Gand, Snoeck, 2022, 127 p.

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