SCHNEIDER Gisèle, épouse DÔ, alias Georgette Leroy

Par Jean-Claude Magrinelli

Née le 7 février 1922 à Rombas (Meurthe-et-Moselle), morte le 23 juillet 2013 à Pradet (Var) ; membre de l’UJFF d’Auboué, passée dans la clandestinité en juin 1942, agent de liaison d’Edmond Savenaud, arrêtée à Dijon le 14 février 1943, déportée le 29 août 1943, libérée le 27 avril 1945.

Gisèle Schneider naquit à Rombas, au foyer de Joseph Schneider et Marie-Jeanne Reyard. Elle était l’ainée et eut deux frères, Serge Schneider né le 25 juillet 1924 et Jean né le 18 février 1927, tous deux à Auboué. La famille demeurait au n° 105 des cités de Coinville. Militant communiste, Joseph fut élu le 28 juin 1937 secrétaire du syndicat des métaux. Licencié le 30 novembre 1938 avec 13 autres responsables syndicaux, il prit en avril 1939 la gérance d’un débit de boissons, le Café du Centre, sis place de la Poste, tout en continuant d’assumer les responsabilités de secrétaire du syndicat. Pendant la drôle de guerre puis sous l’occupation, le café resta le lieu de rencontres sinon de réunion des militants communistes aubouésiens. Gisèle aidait son père au café.
Avec l’Occupation, compte tenu de son engagement militant passé, son père devint un suspect pour les autorités préfectorales. En application de l’arrêté préfectoral du 9 janvier 1941 qui permettait l’internement de communistes notoires dans les communes où étaient découverts des tracts, Joseph fut l’objet d’un internement de 30 jours à la maison d’arrêt de Briey à compter du 4 avril 1941. Il fut inscrit sur une liste de 33 militants du parti adressée le 8 avril 1941 au préfet. À la suite d’une distribution effectuée le 17 juillet, Joseph fut l’objet d’une nouvelle mesure d’internement de 30 jours à la maison d’arrêt de Briey, à compter du 24 juillet. Le gendarme Tilland, de la brigade d’Auboué, avait rapporté quelques jours plus tôt que Joseph « paraît l’instigateur de tout » (Rapport du gendarme Tilland daté du 16 juillet 1941). Malgré cette répression aveugle, le chef de la brigade d’Auboué fit le constat qu’ « il y a certainement à Auboué un noyau assez important de communistes, mais il s’avère très difficile de pouvoir s’allier des indicateurs sérieux du fait que la population est rouge à 75%... ». (Rapport du maréchal des logis chef Hubert daté du 21 juillet 1941) Avec le déclenchement de la guerre contre l’URSS, le préfet Jean Schmidt voulut disposer d’un fichier départemental des communistes ou suspects de sympathies communistes. C’est ainsi que Joseph Schneider fit partie d’une liste de 32 communistes aubouésiens susceptibles d’être internés administrativement, transmise au préfet à la mi-juillet 1941. La répression préfectorale prit aussi la forme d’une mesure de fermeture du café. A ce sujet, le sous-préfet de Briey qui venait de faire emprisonner Joseph Schneider pour 30 jours, s’adressa au préfet en ces termes : « Conformément à mes instructions, vous avez fait fermer le café… J’ai l’honneur de vous faire connaître que ce café pourra être tenu par la fille de M. Schneider, Mme Do Charles et que j’en ai autorisé la réouverture. Je vous prie de notifier cette décision à Mme Do ». (Note du sous-préfet de Briey au préfet datée du 26 juillet 1941)
Gisèle Schneider avait adhéré à la section locale de l’Union des Jeunes Filles de France dès sa création en 1938 et participé à ses activités culturelles, sportives et de solidarité à l’Espagne républicaine. Elle « pa(ya) ses cotisations jusqu’à la dissolution du parti communiste », dit-elle aux policiers lors de son arrestation. Le 20 avril 1940, elle épousa Carlo Dô, alors sous les drapeaux, né le 25 août 1915 à Losine, un petit village de la région de Brescia en Lombardie. Il avait été accrocheur à l’usine avant de devenir mineur. Le couple résida au n° 60 des cités du Tunnel. Un enfant prénommé Michel vit le jour début 1941. Mobilisé, Carlo fut fait prisonnier de guerre. Le 16 juin 1941, la maman de Gisèle décéda. Gisèle dut « tenir sa maison » et celle de son père sise au-dessus du café.
Sa vie fut bouleversée par l’arrestation de son frère Serge, le 5 février 1942, suivie de celle de son père le 7 février 1942, à la suite du sabotage effectué par un groupe de FTP à l’intérieur de l’usine d’Auboué dans la nuit du 4 au 5 février 1942. Le père fut déporté à Auschwitz le 6 juillet 1942. Le frère Serge fut déporté le 24 janvier 1943 à Sachsenhausen. Gisèle et son bébé se retrouvèrent donc absolument seuls à partir de février 1942, au moment où une répression brutale s’abattait sur la population d’Auboué. Le 30 mars 1942, 30 perquisitions furent effectuées dans la ville au domicile de communistes connus, par 24 policiers et gendarmes. L’une d’elles eut lieu chez les beaux-parents de Gisèle, domiciliés au n° 328 des cités du Tunnel. Cette opération, qui visait à identifier des distributeurs clandestins de tracts, ne donna aucun résultat. (14)
En juin 1942, Gisèle fut contactée par "Claire" qui, pour lui éviter une éventuelle arrestation, organisa son passage dans la clandestinité dans une autre région. Avec le pseudo de "Marcelle", elle fut affectée dans l’Aisne, trouvant successivement un hébergement à Soisson, Vic-sur-Aisne et Montigny-Lengrain. En octobre 1942, elle partit dans les Ardennes, à Mézières et Mohon. Dans cette période, elle fut l’agent de liaison de "Claire" entre les groupes féminins de Château-Thierry et Soisson. Sans activité précise dans les Ardennes, elle fut mise en contact à Mohon avec le couple Champagne, Marie-Louise Sensiquet elle-même clandestine depuis l’arrestation de son mari Hubert à Nancy et "Lucien Breand", de son vrai nom Edmond Savenaud, évadé de Compiègne, responsable au travail de masse dans le département. À la suite d’une imprudence - l’envoi d’un colis de vêtements pour son enfant à Auboué au nom d’un expéditeur domicilié chez les époux Champagne -, les policiers de la section anticommuniste de la XVe brigade en informèrent ceux de la XXIe brigade à Saint-Quentin. Le commissaire René Chevalier procéda aux perquisitions et, à partir du 4 décembre 1942, à l’arrestation de René Champagne et de huit de ses camarades ainsi que de Marie-Louise Sensiquet. Gisèle échappa à l’arrestation et, le 7 décembre, se rendit avec Savenaud à Dijon où ils trouvèrent refuge chez la mère de ce dernier. Le 14 février 1943, Gisèle fut arrêtée par la police allemande sous la fausse identité de "Georgette Leroy" « avec des amis qui hébergeaient des communistes ». Enfermée au quartier allemand de la prison de Dijon, elle fut auditionnée le 16 mars par le commissaire Gustave Lienemann, le chef de la section anticommuniste de la XVe brigade de Nancy. Le soir même, elle fut inculpée par ce dernier d’« activité communiste en complicité avec Savenaud Edmond né le 16 mai 1905 à Chamberand (Creuse), maçon, marié, domicilié à Argenteuil, évadé du Compiègne, et Jeanne Reminiac, mère de Savenaud ». Pour le policier, « la femme Do a été recrutée vraisemblablement par l’intermédiaire de la femme Parentelli, d’Auboué vers qui notre enquête est orientée dans le but de préciser le rôle de cette dernière. » L’enquête s’avéra vaine.
Le 16 mai 1943, Gisèle fut transférée au fort de Romainville. Le 29 août, elle fut déportée à Ravensbruck avec 142 autres femmes. Elle y reçut le n° de matricule 22 360. Elle y resta un mois puis fut affectée au kommando de Neubrandenburg. Elle fut libérée le 27 avril 1945 à Waren et rapatriée. À son retour, elle porta plainte auprès du comité de libération d’Auboué contre cinq policiers qui l’auraient brutalisée lors d’interrogatoires subis à Dijon et indiqua avoir été arrêtée par la Gestapo à la suite d’un télégramme de la police française. Le rapport de l’enquête menée par l’inspecteur de police judiciaire Mathieu conclut que Gisèle avait bien été brutalisée mais par des agents de la Gestapo et non par les deux policiers de la XVe brigade de police judiciaire de Nancy venus l’auditionner le 16 mars 1943 à Dijon. Aucun télégramme destiné à la Gestapo ne fut trouvé à Nancy. L’affaire fut classée sans suite.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article232988, notice SCHNEIDER Gisèle, épouse DÔ, alias Georgette Leroy par Jean-Claude Magrinelli, version mise en ligne le 14 octobre 2020, dernière modification le 2 novembre 2020.

Par Jean-Claude Magrinelli

Joseph Schneider avec sa femme Marie-Jeanne, sa fille Gisèle et son fils Serge (vers 1935)

SOURCES : Arch. Dép. Meurthe-et-Moselle, 10 M 100 : Dossier « Syndicat des ouvriers des métaux d’Auboué et similaires » ; WM 325 : Rapport du commissaire de police de Briey daté du 4 avril 1941 ; AD 54 : WM 325 : Rapport du maréchal des logis chef Hubert, de la brigade d’Auboué, daté du 8 avril 1941 ; AD 54 : WM 325 : Rapport du sous-préfet de Briey au préfet daté du 17 juillet 1941 et WM 332 : Arrêté préfectoral d’internement daté du 24 juillet 1941 ; WM 325 : Rapport du gendarme Tilland daté du 16 juillet 1941 ; WM 325 : Rapport du maréchal des logis chef Hubert daté du 21 juillet 1941 ; AD 54 : WM 333 : Liste établie le 15 juillet 1941 par le commissaire spécial de Briey ; AD 54 : W 1304-96 : Note du sous-préfet de Briey au préfet datée du 26 juillet 1941 ; Archives Municipales d’Auboué : État civil, 12 octobre 2020 et AD 54 : 6 M 33-28 : Recensement de 1936, commune d’Auboué ; AD (54 : WM 312 : Dossier sur le sabotage à l’usine d’Auboué. W 1304-6 et W 1304-21/24 : Dossiers sur la prise d’otages des 7 et 20 février 1942 qui en a résulté ; Livre mémorial de la déportation, convois du 6 juillet 1942 et du 24 janvier 1943 ; AD 54 : WM 327 : La perquisition chez Do Martin est effectuée par un inspecteur de la XVème brigade régionale de police judiciaire aidé par un gendarme d’Auboué. Rapport du commissaire Lucien Bascou, chef de la section anticommuniste de la XVème brigade, daté du 1er avril 1942, sur les buts et les résultats de cette opération ; AD 54 : 2101 W 1 : Dossier Savenaud Edouard alias Bassot, né le 16 mai 1905, évadé de Compiègne le 21 juin 1942 ; AD 54 : 2101 W 10 : Dossier « Champagne et autres » établi pour la section spéciale près la Cour d’Appel de Nancy. Le groupe comparait à l’audience du 18 février 1943. WM 329 : Procès verbal d’audition établi le 16 mars 1943 par le commissaire Lienemann assisté de l’inspecteur Dayez. L’audition se fait « avec l’autorisation et dans les locaux de la SIPO de (Dijon) » ; AD 54 : 102 W 119 : Fiche individuelle de renseignements établie pour le bureau de la sécurité militaire à son retour de déportation. Livre mémorial de la déportation, convoi du 19 août 1943. La date de libération indiquée est le 1er mai 1945 ; AD 54 : 2101 W 10 : Dossier SS n° 5 : « Plainte de Do Gisèle née Schneider contre policiers ». — Magrinelli Jean-Claude, Ouvriers de Lorraine 1936-1946, tome 2, Éditions Kaïros, 2018, pages 199 à 230 sur la sabotage d’Auboué et ses conséquences.

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