Par Guy Saez
Né le 30 décembre 1915 à Taverny (Oise), mort le 25 décembre 2002 à Créteil (Val-de-Marne) ; inspecteur de l’éducation populaire, professeur d’université ; fondateur de Peuple et culture, introducteur de la sociologie du loisir en France, l’une des personnalités de l’éducation populaire dans l’après-guerre.
Joffre Dumazedier naquit dans une famille modeste. Son père, comptable au Bon Marché, militant socialiste et également sportif de compétition, fut tué à Verdun en 1916. Évoquant son enfance et son adolescence, il parla d’« une éducation favorisée dans un milieu défavorisé ». Grâce à l’aide du bureau d’aide sociale de la mairie communiste de Noisy-le-Sec (Seine, Seine-Saint-Denis) et à celle du couvent des Carmélites, sa mère put l’autoriser à passer le concours pour obtenir une bourse. Il poursuivit ainsi des études secondaires au lycée Voltaire (il considérait comme ayant été décisive l’influence de son professeur de philosophie, Charles Lalo, sociologue durkheimien de l’art) et d’entreprendre des études littéraires à la Sorbonne qu’il conclut par un mémoire de linguistique dans lequel il s’interrogeait sur les fonctions médiatrices du langage.
L’arrivée du Front populaire conduisit Joffre Dumazedier à participer au Collège du travail de Noisy. Ajiste convaincu, ce qui lui permit, entre autres, de découvrir un rapport nouveau à la nature et à l’expression du corps, notamment à travers le sport en quoi il voyait un modèle et une source d’inspiration quant aux méthodes éducatives. Il était également enthousiasmé par l’expérience du Contadour mais, en 1937, sillonnant l’Europe à bicyclette, il découvrit les camps de jeunesse hitlériens. Il dira plus tard : « Parti pacifiste de France, je suis revenu partisan de la résistance par tous les moyens militaires et militants [...] convaincu de ce qui nous guettait. » En 1938, mobilisé, il fit les EOR et, l’année suivante, fut affecté à la ligne Maginot. Démobilisé, il fut appelé à l’École des cadres d’Uriage. Dunoyer de Segonzac lui confia, à côté de Beuve-Méry, les questions sociales et pédagogiques, en particulier l’organisation des stages ouvriers. Le programme fut affiné, malgré les conditions précaires de la Résistance, dans les « équipes volantes » du Vercors de 1943 à la Libération.
Joffre Dumazedier fut nommé secrétaire général de la commission « Éducation » du Comité départemental de Libération de l’Isère qui se dota d’un audacieux programme d’action culturelle. Il adhéra au Parti communiste en 1946 et écrivit en 1947 Libération de l’homme par le marxisme. Entretemps, en 1945, il avait été nommé inspecteur principal de l’Éducation populaire à Grenoble par Guéhenno. Il accepta cette dernière nomination à condition de pouvoir lancer librement un mouvement national et indépendant d’éducation populaire : ce fut Peuple et culture, qu’il créa avec d’anciens camarades résistants (en particulier B. Cacérès* et Rovan) et dont il inspira le célèbre manifeste. Dès lors son œuvre d’éducateur se confondit avec la mission de Peuple et culture dont il fut le président jusqu’en 1967 et le conseiller très écouté les années suivantes. L’innovation était double : Joffre Dumazedier et Peuple et culture légitimèrent une nouvelle conception de la culture qui se voulait synthèse de la pluralité des expressions socioculturelles dans la société, ce fut le sens, peut-être mal compris, de la notion de culture populaire. L’autre objectif majeur de Dumazedier était de rénover les cadres intellectuels et méthodologiques de l’éducation populaire. La méthode de l’entraînement mental symbolisait cette rénovation, de même que le développement de supports pédagogiques nouveaux (les fiches de lecture) et la pratique généralisée du stage long.
Pour Dumazedier, la volonté militante n’était rien sans une analyse rigoureuse du réel. Ce principe le conduisitt à entamer une carrière de sociologue. Il entra au CNRS où, sous la direction de G. Friedmann, il s’orienta vers l’analyse sociologique du loisir. En 1954, il créa le Groupe d’étude des loisirs et de la culture populaire. L’ouvrage Vers une civilisation du loisir ? (1962) et la mise en place d’une longue enquête sur les pratiques culturelles à Annecy (Le loisir et la ville, Seuil, 1955 et 1976), assirent définitivement son influence scientifique au plan national et international. Ils entraînèrent un puissant courant de recherche sur les questions du loisir et plus généralement du temps libre, recherches étroitement liées aux principes de l’action culturelle. Caractérisées par l’intrication entre une attitude humaniste et le souci d’une prospective scientifique, elles avaient le souci d’organiser la collaboration du sociologue, du militant et du décideur dans une perspective de modernisation de la société française. Cette conception anti-académique du travail intellectuel influença profondément les travaux menés par les commissions de modernisation du Plan et, au-delà, toute une pratique de la recherche financée par les institutions publiques comme, par exemple, le Service d’études et de recherche du ministère de la Culture d’A. Girard ou l’Unesco.
Dans les années qui suivent 1968, tant le modèle intellectuel que l’attitude sociale et politique qu’il préconisait furent contestés par une fraction d’animateurs de PEC qui lui reprochaient son « populisme culturel et une attitude trop conciliante à l’égard des autorités politiques ». En réponse à ces critiques, il présenta en 1979 un projet de Conseil de développement culturel, institution démocratique et autonome qui devait mettre professionnels de la culture, artistes et représentants associatifs à l’abri des pressions idéologiques et politiques.
Professeur à l’université Paris V à partir de 1969, où il avait une chaire de socio-pédagogie des adultes, il orienta dès cette époque ses recherches vers une sociologie de l’autoformation permanente qui resta son centre d’intérêt principal, chemin dans lequel il fut suivi par plusieurs de ses anciens étudiants.
Par Guy Saez
SOURCES : J. Pronovost, C. Attias-Donfut, N. Samuel, Temps libre et modernité, L’Harmattan, 1993. — Lucette Heller-Godenberg, Histoire des auberges de jeunesse en France des origines à la Libération (1929-1945), 2 vol., 1985, Université de Nice. Voir index.