JUCHMÈS Albert. [Belgique]

Par Jules Pirlot

Montegnée (aujourd’hui commune de Saint-Nicolas, pr. et arr. Liège), 12 janvier 1921 − Liège, 4 juillet 1996. Électricien, militant jociste puis syndical chrétien, militant communiste puis permanent, conseiller communal communiste de Montegnée, conseiller provincial de Liège.

Né dans un milieu ouvrier chrétien, Albert Juchmès a l’étoffe d’un dirigeant. Responsable au Patro à douze ans, à la pré-JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) à quatorze ans, à la JOC à seize ans, il milite à la CSC (Confédération des syndicats chrétiens) à dix-huit. Après des études d’électricien, il est employé à la Société nationale des chemins de fer vicinaux (SNCV). En 1941, il épouse Yvonne Noville, apparentée à Hélène Noville, future épouse de Théo Dejace. Ils auront deux fils : l’un deviendra médecin et militera pendant ses études, l’autre instituteur.

La participation d’Albert Juchmès à la Résistance est controversée. Au début de l’Occupation, sous l’influence du monde catholique, travaillé par les rexistes, il est favorable à l’Ordre nouveau puis participe à un réseau de résistance basé au dépôt des tramways vicinaux. Ce réseau est toutefois accusé de rançonner des paysans et de voler des grains à des fins personnelles.
En 1945, Albert Juchmès adhère au Parti communiste de Belgique (PCB). La Commission de contrôle politique le blanchit de ces accusations, reconnait sa rupture avec son passé catholique et son adhésion sincère aux idées communistes.

Incontestablement doté d’un certain charisme, Albert Juchmès est intégré dans le cadre permanent du PCB comme secrétaire fédéral d’organisation à Liège, puis secrétaire politique à Verviers (pr. Liège, arr. Verviers). Nouvelle recrue, il occupe des postes qui lui vaudront de solides inimitiés parmi les anciens cadres issus de la Résistance mais écartés par la direction pour manque de discipline. En 1947, il tombe malade, passe par un sanatorium et reprend ses activités au bout de neuf mois.
De retour à Liège, Juchmès est chargé de la liaison avec Seraing (pr. et arr. Liège), dont la section communiste va à la dérive après l’assassinat de Julien Lahaut en 1950. Là, il est rattrapé par des questions de vie privée qui nuisent à la réputation et à la bonne marche du parti. Il est « remis à la base » c’est-à-dire licencié, malgré son accession récente au Comité central.

Albert Juchmès s’installe alors comme électricien indépendant. Sa petite entreprise marche bien. Sa fibre militante se confirme. Il tente de lancer un mouvement F3 pour mobiliser les petits indépendants contre les grandes entreprises et les attirer à gauche. Au cours des années 1960, il redresse la section communiste de Montegnée. Il est élu conseiller communal et conseiller provincial représentant son canton. En 1969, la Fédération liégeoise du parti est en crise. La direction nationale lui reproche d’être à la traine de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB, syndicat socialiste interprofessionnel) et du Parti socialiste belge (PSB). Un congrès renverse la direction fédérale composée de fidèles d’Ernest Burnelle, décédé en 1968, et de René Beelen, décédé en 1966. Théo Dejace et Marcel Levaux reprennent en main la fédération, mais l’un s’estime top vieux et l’autre est accaparé par sa tâche de député. Marcel Levaux a gardé une grande admiration pour les capacités d’Albert Juchmès qu’il avait connu dans l’après-guerre. Il parvient à le convaincre d’abandonner son entreprise et de redevenir permanent du PCB. Il obtient qu’Albert Juchmès soit invité permanent au Comité central et au Bureau politique. C’est l’époque où la ligne du PCB appuie l’extension de l’Union démocratique et progressiste (UDP) qui vient d’obtenir un succès monumental à Cuesmes (aujourd’hui commune de Mons, pr. Hainaut, arr. Mons). Juchmès convoque un grand meeting au Palais des Congrès de Liège où il invite René Noël*, le créateur de l’UDP. Mais il se rend compte que la base du PCB est hostile à l’initiative parce qu’elle conduit à l’effacement du PCB derrière l’UDP. La création d’une UDP implique aussi un rapprochement avec les militants chrétiens qui se détachent du Parti social-chrétien (PSC) mais restent liés au Mouvement ouvrier chrétien (MOC) et à la CSC. Or la base communiste syndicale liégeoise est à la FGTB. Enfin, il s’agit de cohabiter avec des éléments trotskisants, hostiles à l’URSS, alors qu’une majorité de la fédération liégeoise approuve l’intervention en Tchécoslovaquie de 1968. Albert Juchmès choisit alors d’être le champion de sa base ouvrière et le pourfendeur de l’UDP. Le conflit avec la direction nationale est inévitable.

Malgré une vive opposition de la direction, Albert Juchmès est élu au Comité central en 1972, mais pas au Bureau politique. Sur le terrain liégeois, il marque des points, rappelle les anciens cadres évincés trois ans plus tôt, rassemble les syndicalistes communistes autour d’une campagne pour la réduction du temps de travail à 36 heures par semaine et la pension à 60 ans. Il stimule le redressement de la Jeunesse communiste placée effectivement sous la direction politique fédérale et distante des instances nationales. Il accorde une importance toute particulière à l’Union belge pour la défense de la paix (UBDP) et la transformation du Rassemblement liégeois pour la paix au Vietnam en RLP (Rassemblement liégeois pour la paix), pour des initiatives communes avec la FGTB, le MOC, le Mouvement chrétien pour la paix (MCP) et l’UBDP d’obédience communiste qui y joue un rôle moteur. Il stimule la création d’un cercle culturel, du nom de Paul Renotte, ancien artiste, militant communiste et échevin de Liège, pour développer un travail dans les milieux artistiques et enseignants. Le nombre d’affiliés augmente, le volume de tracts et de petits journaux diffusés également. Reste à enrayer l’érosion électorale.

Les problèmes viennent de l’intérieur du PCB. Une majorité se dessine en faveur de l’eurocommunisme. La question de la solidarité avec les pays socialistes prend des proportions énormes. Les eurocommunistes sont soupçonnés par les autres de glisser vers des positions sociale-démocrates et de renier le marxisme-léninisme. Le PCB est divisé, la fédération liégeoise aussi, mais sa majorité se range derrière Albert Juchmès prosoviétique.
Dans cette ambiance, les élections communales de 1976, celles de la fusion des communes, sont décevantes. Les listes communistes ne font pas la percée espérée. Albert Juchmès et Jules Raskin sont toutefois élus au conseil communal de Liège.
Après avoir mis en minorité la fédération liégeoise au Congrès national de 1976, le Bureau politique décide, en 1977, d’en finir avec la « dissidence liégeoise » et de mettre la fédération sous tutelle. Le Comité fédéral refuse de se soumettre par 27 voix et 3 abstentions, Le Bureau politique n’arrive pas à se faire obéir. Les élections législatives viennent changer la donne. Le Bureau politique rend sa liberté à la fédération pour organiser la campagne électorale. C’est un succès. L’érosion est enfin arrêtée. Marcel Levaux est réélu député alors qu’au niveau national, le PCB perd deux sièges. Il n’est plus question de tutelle. Au Congrès du parti de 1979, les Liégeois entrent en force au Comité central, mais Albert Juchmès ne se met pas en avant.

Les élections communales de 1982 posent un nouveau problème à Liège. Les socialistes rassemblent la gauche dans un Rassemblement populaire et socialiste wallon (RPSW), la droite est unie dans une Union pour Liège (libéraux et sociaux-chrétiens). Une partie de la section de Liège du PCB est favorable à son entrée dans le RPSW. Mais Albert Juchmès s’y oppose. Il espère un succès communiste et aussi une percée du Parti ouvrier chrétien (POC). Les deux petites formations proposent au RPSW une alliance après les élections. Albert Juchmès sous-estime l’impact d’Ecolo qui fait une percée, remporte six sièges et s’allie au RPSW. Le POC n’en obtient aucun, les communistes un seul. Un accord intervient : Juchmès siègera trois ans puis cédera son siège à Jules Raskin, son suppléant. On entre alors dans la période du triomphe du néolibéralisme. Juchmès met tout son espoir dans une riposte massive de la classe ouvrière comme en 1960. Mais la grève générale ne vient pas. Les mouvements de 1982 et de 1983 sont des échecs. La Ville de Liège est prise à la gorge par sa dette et sommée de réduire l’emploi, de baisser les salaires et de privatiser les services publics. Les syndicalistes, parmi lesquels beaucoup de communistes, mènent des luttes acharnées, avec l’appui d’Albert Juchmès puis de Jules Raskin au Conseil communal.

En 1988 le PCB perd son dernier élu à Liège. Albert Juchmès n’a plus le moral. Avec son départ du conseil communal, il demande sa pension et abandonne la vie politique. Il décède, isolé, presque oublié, sauf de Marcel Levaux qui rédige son éloge funèbre.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article233236, notice JUCHMÈS Albert. [Belgique] par Jules Pirlot, version mise en ligne le 22 octobre 2020, dernière modification le 18 janvier 2024.

Par Jules Pirlot

SOURCES : CArCoB, dossier CCP 1279 − Fonds Jules Pirlot, Albert Juchmès, témoignage de Jules Pirlot − NAIF N., L’eurocommunisme en Belgique. Crise et débats autour d’une voie belge au socialisme (1954-1982), Bruxelles, CArCoB-CHSG, 2004.

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