Par Frédéric Stévenot
Né le 14 septembre 1925 à Quessy (auj. rattaché à la comm. de Tergnier, Aisne), mort le 6 décembre 1997 à Chauny (Aisne) ; employé des chemins de fer ; résistant FTPF, détachement Wodli (groupe « Guy Môquet » ; groupe « Valmy », secteur de Tergnier), interné de la Résistance ; militant CGT et PCF.
René Gobeaut est le fils d’Auguste, Adrien Gobeaut (1898-1943) et de Germaine, Renée, Georgette Mangin (1902-1994). Il eut deux sœurs : Éliane, Germaine (née et morte en 1922) et Paulette, Renée (née en 1924). Il se maria le 29 mai 1954 à Anstaing (Nord) avec Jacqueline Pauline Marie-Rose Boucher (née en 1933), le couple eut quatre enfants : Chantal Renée, née en 1955 (mariée le 26 juillet 1980 à Quessy avec Francis Alain Émile Engling) ; Michèle (mariée avec Maurice di Zazzo) ; Claude (mariée avec Bruno Coutard) ; Denis (marié avec Sandrine Thévet).
Auguste, Adrien Gobeaut mourut des suites d’un accident de travail en 1943, laissant son épouse seule avec une fille et un fils. René Gobeaut avait déjà commencé à travailler à la SNCF, aux ateliers du dépôt de Tergnier. Il demeurait alors au 29, rue Paul-Doumer à Quessy Centre.
Il fut contacté à la fin de 1941 par Roger Debarre. Ses premières actions consistèrent à distribuer des tracts, seulement armé d’un câble électrique en guise matraque. Roger Debarre et deux camarades (non encore identifiés) furent arrêtés en mai 1942, au cours d’une opération de diffusion de tracts et d’inscription sur les routes. Les trois furent déportés ; seul Roger Debarre revint des camps, après avoir été interné à Auschwitz.
Le 8 avril 1944, samedi de Pâques, une opération fut menée contre la maison d’arrêt de Laon (Aisne) par un groupe venu délivré des résistants. Il était formé d’une part de René Gobeaut et Henri Béguin, et d’André Soveaux et Pierre Fauquet. Pendant que les seconds restèrent à l’extérieur, les premiers réussirent à s’introduire dans les locaux pénitentiaires avant d’être rapidement arrêtés. Les deux autres, découverts, prirent la fuite mais furent également appréhendés.
Les résistants FTP qui devaient être libérés par leurs camarades étaient :
Auparavant, Henri Béguin avait reçu des lettres de la part des détenus, avec la complicité d’Alexandre Thélut, 29 ans, gardien dans la prison, qui les adressait à Henriette Hérié, 19 ans, habitant à Quessy-Centre. Y figuraient des renseignements sur les habitudes des gardiens mais aussi des gendarmes et policiers, le plan détaillé de la prison, etc. Des armes furent récupérées à Busigny. Le groupe gagna Laon en vélo, à une trentaine de kilomètres.
René Gobeaut et Hneri Béguin se présentent à la porte de la prison, André Soveaux et Pierre Fauquet restant à couvert. Le premier demande à entrer, au prétexte de remettre un colis à un gardien, de la part de son oncle. Entrés, les deux hommes trouvent un gardien mais aussi un policier armé ; René Gobeaut sort son revolver, mais les renforts appelés parviennent à s’emparer des deux résistants. Pendant ce temps, André Soveaux et Pierre Fauquet sont surpris à l’extérieur par des policiers et capturés eux aussi grâce à l’aide d’Allemands qui étaient vers la rue Saint-Martin. André Soveaux vida son chargeur sur les poursuivants, en vain.
Battus, les quatre hommes sont interrogés les uns après les autres, d’abord par des Allemands. Le chef conclut en disant qu’ils seront fusillés le lendemain matin, les laissant aux mains des gardiens et policiers français. Henri Béguin demanda à parler au procureur de la République, Paul Amor, dont il sait qu’il est favorable à la Résistance. Celui-ci réussit à sauver les quatre hommes de la fusillade, en expliquant qu’il s’agit d’une affaire « purement française ». Ils furent néanmoins placés dans la cellule des condamnés à mort (4 x 4 m) divisée en deux et surveillée en permanence par un gardien. Les interrogatoires se poursuivirent, d’abord par la police judiciaire de Saint-Quentin et les Renseignements généraux, non sans que les quatre hommes soient concertés pour tenir le même discours.
D’abord mis à part et isolés, René Gobeaut et Henri Béguin furent ensuite placés dans une autre cellule, déjà occupée, à proximité de laquelle se trouvaient les cinq résistants qu’ils étaient venus délivrer, et avec lesquels ils purent communiquer. Un nouvel interrogatoire se tint. Le procureur Amor leur avait préalablement conseillé de donner le nom du gardien complice, « Alex », puisqu’il avait été découvert ; à charge pour lui d’organiser sa fuite. Malheureusement, celui-ci ne fit pas confiance à Paul Amor et décida de poursuivre son service à la prison. Il y fut arrêté et mis avec les quatre résistants à nouveau regroupés. Une certaine complicité s’établit avec certains gardiens, mais aussi certains gendarmes et policiers.
René Gobeaut fut à nouveau interrogé par la police française, notamment sur l’un de ses camarades d’atelier, Raymond (le nom nous est encore inconnu). Celui-ci avait été interpellé par des agents du Sipo-SD de Saint-Quentin ; ayant tenté de fuir, il fut blessé, incarcéré ; il fut ensuite déporté le 17 août 1944 depuis Drancy, vers le KL Buchenwald, et parvint à revenir (aucun renseignement n’a pu être trouvé dans la base de la Fondation pour la mémoire de la déportation). C’est avec Raymond que René Gobeaut était allé chercher des armes à Busigny, et qu’ils furent donc repérés.
Le 17 avril, les hommes furent à nouveau séparés et isolés, puis encore regroupés. Il leur fut annoncé que le directeur des prisons de France, en tournée d’inspection, voulait les interroger, assisté de deux autres personnes. Il s’agit en fait de Jocelyn Maret, chef régional de la Milice, nommé sous-directeur de l’administration pénitentiaire depuis son rattachement au secrétariat général au Maintien de l’ordre, en 1943, sous la direction de Joseph Darnand.
René Gobeaut dit avoir été interrogé plusieurs fois. Henri Béguin put lire l’en-tête des documents dispersés sur la table, avec les mots « Cour martiale » : il s’agit de l’instance créée par la loi n° 38 du 20 janvier 1944 (JO du 21 janvier 1944, p. 238). Paul Amor fut interrogé lui aussi, arrêté, incarcéré puis transféré plus tard à la caserne des Tourelles, à Paris.
Le lendemain, 18 avril, les quatre hommes furent emmenés, toujours enchaînés, dans une pièce dans laquelle se trouvaient des agents des GMR en armes. Les membres de la cour martiale se présentèrent ; le président lut deux actes d’accusation, André Soveaux ayant été séparé des trois autres. Celui-ci apprit alors la sentence de mort et son exécution immédiate par le peloton de GMR. Il put serrer la main de ses camarades et écrire à sa mère (lettre qui ne fut pas transmise). Il reçut onze balles.
Fin avril, les trois résistants furent transférés en camion à la prison de la Santé, à Paris, enchaînés trois par trois avec d’autres prisonniers. René Gobeaut se retrouva dans une cellule très exiguë avec Henri Béguin, avant d’être dirigé vers le 11e quartier, cellule 28 (11/28). La pièce est d’environ 3 m2, avec un châlit, une table scellée au mur, un tabouret, une cuvette de toilette, un robinet, et une étroite fenêtre à barreaux. Deux camarades (parmi ceux que le groupe voulait délivrer à Laon) le rejoignirent, ainsi qu’un instituteur secrétaire de mairie. Alexandre Thélut fut enfermé dans une cellule voisine, avec deux camarades de la région. Henri Béguin et Pierre Fauquet se retrouvèrent à l’étage inférieur, à l’aplomb de la cellule de René Gobeaut.
Tandis que la solidarité s’organisait pour venir en aide aux prisonniers politiques qui ne reçoivent aucun colis, la cour martiale s’installa à nouveau à la Santé, condamnant dix-huit résistants (la moitié fit graciée). Elle n’y avait pas siégé depuis la condamnation de Jean Catelas, selon René Gobeaut. Henri Béguin fut à nouveau interrogé par les membres de ce tribunal d’exception.
Le Premier Mai, ou quelques jours après, René Gobeaut est transféré dans une autre cellule, la 11/48, à l’étage supérieur, en attendant d’être jugé. Il assiste au soulèvement des prisonniers de droit commun, le soir du 14 juillet 1944. Des incitations à ne pas y participer fusèrent aussitôt, certains « politiques » pensant à une provocation destinée à justifier une répression dirigée contre eux. La police française intervient au petit matin, rétablissant l’ordre brutalement. La cour martiale se réunit à nouveau, condamnant à mort vingt-huit « droit commun » pris au hasard, fusillés par groupes de neuf dans la cour de la Santé.
Le 17 août 1944 soir, des bruits de clé se firent entendre : les cellules furent ouvertes pour libérer les prisonniers politiques, qui purent sortir par groupes d’une vingtaine d’individus. René Gobeaut gagna alors l’appartement de sa sœur, près de la gare du Nord, et participa ensuite aux combats pour la libération de Paris. Dès le lendemain, il se présenta à la mairie du XIXe arrondissement et fut affecté à un groupe de FFI. Il fut arrêté par erreur et relâché assez vite. Il se joignit alors à un groupe de FTPF, celui abattit Philippe Henriot. Avec Henri Béguin, il retrouva la trace de Paul Amor, nommé directeur de l’administration pénitentiaire : ils lui rendirent visite à son bureau, place Vendôme.
Le 7 septembre, René Gobeaut et sa mère se dirigèrent en stop vers Tergnier via Soissons, pris en charge par un camion puis une Jeep de l’armée américaine.
René Gobeaut fut homologué au titre des déportés et internés de la Résistance, forces françaises de l’intérieur (GR 16 P 260115 ; AC 21 P 616285), mais ne semble pas avoir reçu la médaille de la Résistance. Il eut la croix de guerre 1939-1945.
Par Frédéric Stévenot
SOURCES. SHD, Vincennes et Caen. Arch. de la SNCF (MEM45428). — Sites Internet : Geneanet. Christian Carlier, « Paul Amor et l’affaire de la prison de Laon (8 avril 1944) », Criminocorpus, Justice et détention politique, Répressions politiques en situation de guerre, mis en ligne le 24 mai 2012, consulté le 25 octobre 2020. — Document autobiographique communiqué par l’IHS Aisne (Guy Fontaine).