LAVERDET Raymond, alias Red, Le Gall, Ruis

Par André Fontaine et Gérard Molina

Né le 7 juin 1913 à Paris (XIVe arr.), mort le 23 février 1992 à Paris (XIVe arr.) ; militant socialiste ; fusilier marin, rallié à la France libre, parachuté en France pour appuyer la résistance ouvrière.

Engagé dans la marine en février 1931, Raymond Laverdet devint quartier-maître canonnier sur sept bâtiments dont le sous-marin Surcouf. Il retourna à la vie civile en 1935 pour se marier et devenir père d’une petite fille. À Montrouge, près de Paris, il vécut et travailla en tant que jardinier municipal, adhéra à la SFIO et fit partie des « toujours prêts pour servir » (TPPS), le service d’ordre souvent confronté à l’extrême droite. Favorable aux idées de la gauche révolutionnaire, il rejoignit le Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) de Marceau Pivert lors de la scission consécutive au congrès de Royan (1938).

Mobilisé dès août 1939, il fut envoyé à Cherbourg et passa la guerre sur le dragueur de mines Pingouin. Le 18 juin 1940 son navire fit route vers Southampton où les Anglais allaient saisir les bateaux français et rassembler les équipages à Liverpool (opération Catapult, 2-3 juillet 1940). Sur 20 000 marins, 700 choisiront la Royal Navy. Laverdet décida de soutenir le général de Gaulle et, sous la direction de l’aspirant Lahana à qui il fit part de son militantisme dans la gauche socialiste, il contribua à mettre sur pied un service de recrutement baptisé la Légion française volontaire mais l’accueil fut décevant voire agressif. Au bout de quelques mois il demanda à rejoindre la première Compagnie d’infanterie de l’Air créée par de Gaulle le 29 septembre 1940 et qui débuta avec une cinquantaine de volontaires. Le 31 décembre Laverdet fut affecté au camp d’entraînement de Camberley dans le Surrey et entra dans le première Compagnie parachutiste française du capitaine Georges Bergé (futur général et compagnon de la libération). À ce titre, il fut entraîné aux sauts puis breveté à l’école de Ringway, près de Manchester, supervisé par le Special operations exécutive (SOE) auquel, là encore, il ne cacha pas son engagement dans la gauche révolutionnaire. Il fut transféré ensuite à la station 17 (spécial training school) où l’on était formé au sabotage (maniement d’explosifs), à la guérilla et aux liaisons radio.
La première mission de la CPFL (baptisée Savanna) consistait à attaquer le bus transportant les équipages de bombardiers allemands stationnés près de Vannes. Il s’agissait bien de tuer des Allemands sur le sol français (voir Sébastien Albertelli, Les services secrets du Général de Gaulle, Perrin, 2009, p.73). Mais la mission fut repoussée et lorsque Bergé et ses quatre adjoints furent parachutés (mars 1941) le personnel de la Luftwaffe fut logé sur place. Ils se contentèrent de rapporter des renseignements et des propositions afin de renforcer la Résistance. Une deuxième mission (Joséphine B) réussit à détruire les transformateurs de la station électrique de Pessac. Ce succès impressionna les Britanniques et contribua à rapprocher plus étroitement le SOE et le SR gaulliste (futur BCRA). Un accident d’avion retarde, en juillet 1941, l’envoi en mission de Laverdet. Remis sur pied, il fut associé à un jeune radiotélégraphiste, le breton André Allainmat (1921-2018), reçoit 2 colts, 2 chargeurs, des faux papiers, 100 000 francs et 100 dollars.
Le 7 septembre 1941, ils furent parachutés blind (sans comité de réception) dans l’Yonne, au nord-ouest de Sens, afin de rejoindre Courlon où habitent la mère et le beau-père de Laverdet. C’est la mission Dastard, et, pour la comprendre, il faut se reporter aux archives du SOE et à celles du BCRA (transmises par Jean-Pierre Ravery). Une première note précise que « le sergent Laverdet avait des liens avec les milieux communistes de la région parisienne ouvrière et pourrait nous être très utile » (SOE, 9 juillet 1941). L’objectif de la mission était énoncé dans un mémorandum : entrer en contact avec les militants communistes des usines travaillant pour l’Allemagne afin d’aider au sabotage de la fabrication (SOE, 20 juillet 1941). Auparavant Laverdet avait demandé à être informé sur les attitudes des organisations socialistes et trotskystes vis-à-vis des occupants car, avant-guerre, il les connaissait de plus près (SOE, 12 juillet 1941). Comme souvent à cette période, c’est le hasard qui va trancher.
Installé à Paris avec Allainmat, ayant repris contact avec sa femme et sa fille, il tomba sur un ami, Robert Dupleix, qui l’introduisit auprès d’un mouvement de résistance mal connu, l’Armée Volontaire (AV). Laverdet fit passer un message par la BBC, ce qui rassura les chefs (André Méresse, Lély, Martinaud….) et leur laissa espérer des envois d’armes, d’explosifs et d’argent. Pour cela, ils grossissait démesurément leurs effectifs, faisaient croire à une organisation disciplinée et hiérarchisée, présentaient des responsables de province (Nevers, Niort, Caen) afin de dessiner une toile d’araignée couvrant la zone occupée. En réalité, l’Armée Volontaire agglomérait des petits groupes informels, unis par affinités, constitués précocement et juxtaposés au gré de contacts amicaux ou professionnels, mêlant fonctionnaires, militaires, professions libérales et cadres d’entreprises qui collectaient des renseignements divers et aident des soldats anglais. Authentiques patriotes, souvent anciens combattants de 14-18, ils pouvaient soutenir la « révolution nationale », venir de l’Action française et croire au double jeu de Pétain.
Dans un premier temps l’AV procura à Laverdet et Allainmat (dit Red W ou Hervé) des lieux sûrs pour émettre vers Londres où le BCRA s’enthousiasma devant les atouts dont le mouvement prétend disposer (60 000 membres !). Elle aida également Laverdet à repérer et baliser des terrains de parachutage, notamment dans l’Yonne et la Nièvre. Avec l’accord du SOE, le BCRA accepta que le sous-officier Louis Bourdat, qui avait formé Laverdet en Angleterre, soit parachuté pour le seconder (sous le nom de Bourdier ou Red X) et définit dans un long mémorandum des ambitions exorbitantes (BCRA, 3 novembre 1941) . Le comité d’accueil réuni à Saint-Bris-le-Vineux (Yonne) durant douze nuits ne reçut rien et, deux mois plus tard, le 26 janvier 1942, Bourdat fut parachuté blind dans la Sarthe. Il retrouva Laverdet à Paris puis récupéra avec lui des armes et explosifs largués en mars-avril 1942. Mais rien ne va se passer comme prévu, pour plusieurs raisons.
-  Entre juillet 1941 et août 1942, l’AV subit plusieurs arrestations qui ne détruisirent pas l’organisation en raison de son caractère éclaté et protéiforme mais paralysèrent son activité.
-  Laverdet prit peu à peu conscience de la procrastination et des penchants velléitaires qui dominaient chez ses interlocuteurs quant à l’action directe. Dans ses Mémoires (1987, inédits) il écrit : « Que de soirées, que de jours passèrent en vaines parlottes sur la question de savoir si Londres commanderait en France ou si l’AV commanderait la mission ».
-  Au sein de l’AV Laverdet fut en butte à l’hostilité croissante de John Hopper, anglo-français, recruté par l’Intelligence Service en 1940 et resté en France après la défaite, qui réclamait l’exclusivité du contact avec Londres. Celui-ci réussit à recruter Allainmat, ce qui obligea Laverdet à se tourner vers les opérateurs radio Étienne Laurent (Bath W) et René Périou (Bath X), parachutés respectivement le 10 septembre et le 13 octobre 1941, dont les missions ont très vite échoué.
-  Enfin, si Bourdat était courageux et prêt à l’action, il était aussi hâbleur et imprudent. La police, avisée de sa mission dont il s’était vanté dans un café, monta une opération le 15 juillet 1942 qui se termina mal. Louis Bourdat sortit son colt et tira mais il fut abattu rue de Navarin par un inspecteur des R.G. Laverdet réussit à fuir et, conscient d’avoir sombré avec l’AV, revient au projet initial du SOE qu’il avait entretenu sans s’engager résolument.

À Montrouge, où il retrouva sa famille, Laverdet renoua avec d’anciens militants du PSOP dont Yvonne Barré et Maurice Jaquier qui lui présentèrent Robert Simon dès octobre 1941. Instituteur dans l’Yonne, pacifiste déserteur en 1939, ancien SFIO passé au PSOP, Simon est avide d’agir contre l’occupant après le démantèlement du Mouvement National Révolutionnaire. Il ne cache d’ailleurs pas à Laverdet qu’il fréquente deux communistes militants, Jacques Béthinger et André Jacquot. Simon adhère au PCF en janvier 1942, puis aux FTP en mai sans rompre le lien avec Laverdet. D’ailleurs, il aide celui-ci à transporter les valises parachutées, récupère des colts mais rien de plus et pas d’argent (Laverdet a donné 50.000 francs à l’AV et 30.000 à deux socialistes, Ribière et Amédée Dunois). Tout change après le meurtre de Bourdat. Dès le lendemain Laverdet propose à Simon de déménager le stock livré par Londres et entreposé 22 rue Froidevaux, domicile de Bourdat. Il s’agit de révolvers, pistolets, plastic, cordons Bickford et grenades Mills. L’opération a lieu le 18 juillet 1942 sous la supervision d’André Jacquot, ancien dirigeant d’une brigade internationale en Espagne et chef militaire du détachement Valmy chargé initialement d’exécuter les traitres passés au collaborationnisme, puis d’attaquer les troupes allemandes. Dans un garage, Laverdet expliqua aux cadres FTP le maniement des explosifs et des grenades.
Durant les trois mois qui suivirent, avant une soixantaine d’arrestations par les brigades spéciales des RG, cet armement servit à une vingtaine d’opérations, la plupart dirigées contre l’occupant. Il s’agissait de la première coopération de facto entre la France Libre, le SOE britannique et les FTP communistes qui disposent enfin d’un matériel militaire. Laverdet communiqua à Londres plusieurs actions dont la BBC se fit l’écho, mais il se savait traqué et décida de passer en zone sud avec sa famille à la fin du mois d’août 1942. Installé à Nice il trouva un emploi d’agent d’assurance-vie et s’efforça de reprendre contact avec Londres via le consul américain à qui il révéla sa mission. Ce dernier transmit une longue lettre signée Le Gall à l’attaché militaire de l’ambassade des USA à Vichy qui la fit parvenir au SOE. Dans ce document, archivé le 5 octobre par le BCRA, Laverdet résuma l’épilogue de son activité mais l’espoir d’une liaison renouée était anéanti par l’invasion de la zone sud et l’occupation italienne. Bientôt son grand-oncle de Nice, farouche pétainiste et ami de Darnand, menaça de le dénoncer, aussi son employeur l’envoya à Manosque où il se fit oublier. Au printemps 1944, il retrouva le contact avec Londres et le chef régional sud-est chargé du Service Action Parachutage R2, le commandant Rayon (Archiduc), le chargea de préparer des terrains et de distribuer l’armement largué à différents maquis. En juillet 1944, à la veille du débarquement de Provence, il fut envoyé à Marseille afin de seconder l’ingénieur mécanicien Louis Parayre, chef de la mission Caïque qui devait empêcher le sabotage du port. Laverdet encadra un groupe de volontaires communistes de la MOI qui annihilèrent les charges sur quelques centaines de mètres en passant par les égouts. Mais les Allemands coulèrent des navires dans les passes, interdisant l’accès au port. Dans toutes ces actions, Laverdet fut aidé par sa femme Jeanne, née Naour, qui sera médaillée de la Résistance le 15 octobre 1945.
Intégré dans l’état-major du général de Monsabert et combattant jusqu’à la victoire, Laverdet fut définitivement investi dans une longue carrière militaire qui ne concerna plus le mouvement ouvrier et l’entraîna en Indochine et en Algérie avant de finir officier supérieur, commandant de Compagnie à Lorient. Il était titulaire de nombreuses décorations dont la Croix de guerre (5 citations), la médaille de la France libre et la King’s medal of courage.
Néanmoins, deux points méritent d’être mentionnés :
1. Dans le compte rendu de mission qu’il rédigea le 15 novembre 1944 (A.N. 46Mi 16 SDECE), Laverdet mentionna la destruction de huit locomotives en gare de Laroche-Migennes et un incendie de train entre Joigny et Auxerre, ce qui n’eut pas eu lieu. On peut faire l’hypothèse que ces opérations avaient été envisagées soit lors de discussions avec les chefs de l’Armée Volontaire, soit avec Robert Simon qui avait enseigné à Laroche-Migennes. En tout cas, dans ses Mémoires, il n’est plus question de ces attributions fictives et l’essentiel de ce qu’il y raconte peut être recoupé grâce aux archives et aux recherches historiques publiées.
2. Malgré ses engagement militaires Laverdet n’a jamais rompu avec certains survivants du Valmy. Ainsi, lorsque Robert Simon est calomnié à Auxerre début 1947, il le défendit dans une lettre publique. Plus tard, Rémy (Gilbert Renault) déclara dans Carrefour que « les FTP se sont attribués faussement l’affaire (…) des pylônes de Saint-Assise » qu’il assigna à la mission Armada . Le PCF et les membres du détachement Valmy organisèrent une conférence de presse le 3 décembre 1948 où furent invités tous les protagonistes. Laverdet vint témoigner en uniforme de Lieutenant-colonel et Rémy reconnut son erreur. Au nom du Comité National des Ecrivains, Elsa Triolet demanda à Laverdet de renouveler son témoignage devant les membres de l’association, ce qu’il accepta aussitôt. On sait qu’à ce moment la Résistance était déchirée par des conflits politiques. Des années plus tard il envoya un exemplaire dactylographié de ses Mémoires au général Georges Bergé et à Robert Simon (c’est celui que nous utilisons ici), unissant une dernière fois gaullisme et communisme. À la fin de ce long récit qui ne regarde que la période 1940-1945 il écrivit : « La Résistance en couleur rose, cela n’existait pas ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article233747, notice LAVERDET Raymond, alias Red, Le Gall, Ruis par André Fontaine et Gérard Molina, version mise en ligne le 4 novembre 2020, dernière modification le 1er décembre 2020.

Par André Fontaine et Gérard Molina

SOURCES : François Broche, La France au combat, Perrin, 2007. — Jean-Yves Boursier : D’ Auxerre à Mauthausen et Prague – Le voyage de Robert SIMON dans le « siècle », éd du Croquant, 2020. — Roger Faligot et Rémi Kauffer, Les résistants, Fayard, 1989. — Raymond Laverdet, Mémoires d’un parachutiste de la France Libre, inédit, 1987. — Yonne mémoire, n° 24, novembre 2010 et n° 30, novembre 2013.

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