BÉTHINGER Jacques , alias Michel, Compiègne

Par André Fontaine et Gérard Molina

Né le 27 décembre 1913 à Pantin (Seine), mort en déportation le 16 mai 1945 à Gusen  ; instituteur communiste, FTP, membre du détachement Valmy, mort à Gusen I, camp annexe de Mauthausen.

Jacques Béthinger fut élevé à Bondy où il fit toute sa scolarité jusqu’au brevet à l’école primaire supérieur Turgot. Adhérent des Jeunesses communistes dès 1927 puis du PCF, il participa à la victoire de la liste d’unité ouvrière antifasciste lors des élections municipales du 12 mai 1935 faisant d’Henri Varagnat le premier maire communiste de Bondy. Parallèlement, il devint instituteur rue Lepic à Paris XVIIIe arr. et ses camarades de la cellule Duhesme l’élurent secrétaire.
Marié, père d’un jeune garçon, Claude, il fut arrêté pour « menées communistes » le 23 avril 1940 alors qu’il était mobilisé, puis révoqué de sa fonction d’instituteur. Durant la débâcle, à l’approche de l’armée allemande, les autorités évacuèrent les prisonniers de la Santé vers la Loire et Béthinger en profita pour s’évader. D’après un procès-verbal du commissaire des renseignements généraux Jean Hénoque, daté du 11 février 1943, Béthinger a été condamné (par défaut) à 5 ans de prison par le tribunal militaire d’Alger le 20 juillet 1941.
Revenu à Paris, clandestin et recherché, il évita de séjourner chez lui, 16 rue de la Fontaine-du-But, XVIIIe arr., mais échappa de justesse à une deuxième arrestation chez sa mère, 19 allée de l’Orme à Bondy, grâce à son fils de 5 ans qui avait vu les policiers arriver. De ses retrouvailles avec sa femme naquirent des jumelles, Nicole et Françoise, qu’il n’eut pas le temps de connaître.
Sans moyens, il devint livreur chez un menuisier-ébéniste nommé Seras, dont l’atelier se situe rue Ramus dans le XXe arr. et qui refusa de le salarier pour ne pas être compromis en cas de capture. Muni d’une charrette à bras Béthinger parcourait les rues pour déposer les meubles et apporter les planches. Ce travail pénible lui permit de diffuser la presse et les tracts du PCF. En effet, devant se procurer des faux papiers et des cartes de rationnement, contraint de se faire héberger chez d’anciens camarades de Montmartre ou de la banlieue est, Béthinger avait manifesté son désir de militer à nouveau et l’échelon supérieur, dont il était coupé, le contacta et le nomma bientôt organisateur de la diffusion du matériel de propagande au nord-est de Paris.
Béthinger allait se lancer dans l’action militaire par un biais inattendu. Lors de l’évacuation des prisons parisiennes, durant l’odyssée de « la colonne de Cépoy », il discuta librement avec Maurice Jaquier, condamné à cinq ans de détention en tant que dirigeant du Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) de Marceau Pivert. Evadés séparément, ils se retrouvent à Orléans puis à Paris où Jaquier fit partie d’un noyau d’anciens du PSOP à l’origine du Mouvement National Révolutionnaire (MNR), démantelé entre mai et juillet 1941. Au sein de ce groupe, Jaquier retrouva un instituteur originaire de l’Yonne, Robert Simon, adhérent de la SFIO puis du PSOP, pacifiste et déserteur, désormais décidé à combattre l’occupant et qui, déçu par le MNR, ne cache pas son intérêt pour l’activisme communiste. Jaquier lui présente Béthinger en septembre 1941 et les deux instituteurs sympathisèrent rapidement.
De son côté Robert Simon commença à échanger prudemment, dans le restaurant que tous deux fréquentaient assidûment, avec André Jacquot, ancien de la guerre d’Espagne et cadre de l’organisation spéciale du PCF. Finalement, en janvier 1942, Simon, qui n’a rien caché de son passé et de certains désaccords, donne son adhésion mais Jacquot ne lui attribue aucune tâche concrète car il sait que Simon est aussi en contact avec Raymond Laverdet, ancien du PSOP, marin de la France Libre, parachuté par le SOE et le BCRA afin d’aider au sabotage des usines œuvrant pour l’Allemagne et susceptible de disposer d’un armement de guerre qui manquait totalement aux équipes de combat du PCF.
Cependant, en avril 1942, Simon présenta Béthinger à Jacquot qui leur apprit la création des FTP, succédant à l’organisation spéciale et aux travaux particuliers. Les deux ex-instituteurs demandèrent à en faire partie et furent affectés au détachement Valmy qui exécutait les traîtres passés à la collaboration et, de plus en plus, cherche à cibler la puissance nazie à Paris. Jacquot éprouva d’abord leur sang-froid en les associant, séparément, à deux actions punitives. Puis ils participèrent pleinement, le 18 juillet 1942, à la récupération de cinq grosses valises d’armes et d’explosifs largués par Londres, entreposés 22 rue Froidevaux (XIVe arrondissement) par Louis Bourdat, parachuté en janvier 1942 pour seconder Laverdet mais qui venait d’être abattu par un inspecteur des RG auquel il tentait d’échapper.
Grâce à ce matériel de guerre au maniement duquel Laverdet les initia dans un garage, les hommes du Valmy allaient entreprendre une série d’opérations contre la présence allemande et ses complices français. Béthinger participa notamment à l’attaque d’un bureau de placement de travailleurs pour l’Allemagne (1er août, XXe arrondissement), au grenadage de deux hôtels occupés par des soldats de la Wehrmacht (8 et 16 août), au dépôt d’une bombe devant le cinéma Rex qui projette Le Juif Süss pour les soldats allemands (16 septembre), à la saisie d’une grande quantité de titres de rationnement au centre Paul-Bert de Sartrouville (22 septembre), à l’échappée d’une souricière montée par la police au cours de laquelle un inspecteur est grièvement blessé par balle (16 octobre). Mais c’est à partir de ce traquenard que l’étau policier se resserre conduisant à une cascade d’arrestations et de perquisitions. Un rapport de la brigade spéciale n° 2 des renseignements généraux, daté du 30 octobre 1942, fait état de la capture de 68 communistes appartenant ou simplement liés aux cadres spéciaux du PCF et formant le détachement Valmy. Or, à cette date, Béthinger était libre et les inspecteurs de la BS2 torturèrent à trois reprises Robert Simon pour obtenir son adresse, ce que Simon parvint à taire. Malgré cela, lors d’un contrôle sur la voie publique, Béthinger fut arrêté le 9 novembre par la sûreté nationale qui le remit aux Allemands (SD IV, 11 rue des Saussaies) où l’Untersturmfürher Dunkelmann le questionna avant de le livrer à la BS2.
Après des interrogatoires à coups de nerfs de bœuf, quatre mois au secret à Fresnes, un mois en tant qu’otages au fort de Romainville, 26 membres actifs du Valmy furent déportés NN à Mauthausen les 25 et 27 mars 1943.
Ils y subissent la quarantaine et les travaux exténuants de la carrière aux 186 marches, puis servent de cobayes pour tester des rations militaires de survie et enfin furent dispersés dans différents Kommandos ou annexes. Béthinger fut envoyé à Gusen, un des plus durs aux dires des déportés. Très affaibli et malade, il y mourut le 16 mai 1945, quelques jours après la libération du camp. 46 % des membres du Valmy ne sont pas revenus de Mauthausen.
Au sortir de la guerre, ses camarades du XVIIIe arrondissement veulent inaugurer une plaque sur la façade de sa résidence et entretenir son souvenir dans le journal local. Mais, en 1946, la direction du PCF faisait obstacle à ce projet car la Commission Centrale de Contrôle Politique (CCCP) est en train d’examiner les raisons de la chute du Valmy en faisant témoigner, oralement ou par écrit, les rescapés. Or il apparaît que certains pointent deux « défaillances » de Béthinger. D’une part, sous les coups, à la préfecture de police, il a lâché le nom et l’adresse d’Yvonne Théret qui l’hébergeait. Toutefois, il réussit à cacher ceux de son agent de liaison, Édith Séras , militante d’origine bessarabienne qui, après le Valmy, se consacra au sauvetage des enfants juifs. D’autre part, lors de l’internement à Romainville, Béthinger refusa un temps de partager les colis assez nombreux qu’il recevait. À cela s’ajoutent les rumeurs infondées ou invérifiables qui tétanisaient la direction du PCF au point d’être incapable de répondre aux demandes d’explications de Suzanne Béthinger qui élève seule ses trois jeunes enfants. En revanche Robert Simon l’informe que lors de son arrestation les inspecteurs de la BS2 ont saisi 85 000 francs dont 25 000 appartenaient à son mari. Elle demande aussitôt à récupérer son bien.
À Bondy, le maire Henri Varagnat, cadre important de la résistance communiste dans l’agglomération parisienne, revenu très amoindri de sa déportation à Gusen, savait quel militant était Béthinger et ce qu’il lui doit. À sa demande le conseil municipal unanime donna son nom à un square et à une école élémentaire. Enfin, l’ancien secrétaire de Jacques Duclos, Jean Laffitte, qui fut lui aussi déporté à Mauthausen, en fit un portrait chaleureux dans Nous retournerons cueillir les jonquilles, 1959 , sous le nom de l’instituteur Michel.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article233750, notice BÉTHINGER Jacques , alias Michel, Compiègne par André Fontaine et Gérard Molina, version mise en ligne le 4 novembre 2020, dernière modification le 12 novembre 2020.

Par André Fontaine et Gérard Molina

SOURCES : Archives de la Préfecture de Police (Le Pré Saint-Gervais, 93). — Archives de la CCCP du PCF (Bobigny,93). — Jean-Yves Boursier, D’Auxerre à Mauthausen et Prague – Le voyage de Robert Simon dans le « siècle », édition du Croquant, 2020. — Daniel Champbenoît et Vincent Duguet, Des Bondynois dans la Résistance, Tapuscrit, 2008. — Joël Clesse, Sylvie Zaidman, La Résistance en Seine Saint-Denis, 1940-1944, Syros 1994. — Monique Houssin (dir.), Résistantes et résistants en Seine-Saint-Denis, édition de l’Atelier, 2004.

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