DUPOIRIER Pierre

Par Alain Prigent

Né le 14 septembre 1915 à Blaye (Gironde) ; menuisier ; militant d ela JOC, président de la fédéral des Côtes-du-Nord [Côtes-d’Armor] en 1936 ; résistant ; militant du MLP ; secrétaire du syndicat CGT du bâtiment en 1951-1952 ; coopérateur et militant associatif.

Fils d’une mère célibataire, il n’a jamais su qui était son père. Il fut mis en nourrice alors que sa propre mère était nourrice chez un notaire qui vint s’installer à Saint-Brieuc. Il fut élevé chez un oncle à Poitiers (Vienne) puis chez ses grands-parents à Manot en Charente. Il fréquenta l’école primaire avant de travailler dès l’âge de 11 ans comme commis de ferme à Ansac en Charente. À 14 ans, sa mère le fit venir à Saint-Brieuc puis le mit en pension à l’école des frères jusqu’à l’âge de 16 ans. Ce fut deux années très difficiles pour ce grand gaillard qui se retrouvait avec des petits d’une dizaine d’années.
Pendant une période d’apprentissage de juillet 1931 à juin 1934, rue Maréchal Foch, Pierre découvrit la JOC. Devenu ouvrier, il continua de travailler chez son patron M. Beaumont durant deux années. Au début de 1936, il remplaça Pierre Bertrand à la tête de la JOC masculine et dirigea le mouvement sous la houlette de l’Abbé Coudray, un proche de l’Abbé Vallée, responsable du secrétariat social de l’Évêché. Au cours des réunions jocistes, il rencontra sa future femme, Anne-Marie Duval. Employée comme comptable à la brosserie Bullier, à Saint-Brieuc, elle était présidente de la branche féminine de la JOC. Les brosseries, industrie qui employait une importante main-d’œuvre féminine, furent également touchées par la vague de syndicalisation de l’été 36. Dans ce secteur, la compétition syndicale faisait rage entre la CGT et la CFTC. Après la signature des accords Matignon, le mouvement de grèves s’étendit à Saint-Brieuc et dans le département des Côtes-du-Nord, en particulier dans le bâtiment sous l’impulsion des leaders unitaires de la CGT, Yves Flouriot et Pierre Petit. La CFTC, peu organisée, était très minoritaire dans ce secteur face à une CGT hégémonique. S’impliquant très fermement dans les grèves qui affectèrent tous les chantiers à Saint-Brieuc fin juin et début juillet 1936, en défendant les idées jocistes, Dupoirier, repéré par les autorités, vit son livret militaire marqué à l’encre rouge : « inapte à faire un gradé ».
Le 15 octobre 1936, Dupoirier quitta Saint-Brieuc pour effectuer son service dont il revint en octobre 1938. Il reprit alors son métier de menuisier dans une entreprise du bâtiment et se maria le 27 décembre 1938. Rappelé le 23 mars 1939 pour effectuer une période de 21 jours il ne revint en Bretagne que le 28 août 1940, date de sa démobilisation à Montélimar. Échappant à la captivité, une nouvelle période de vie commença marquée par les naissances successives de ces deux premiers enfants, Bernard (1941) et Annick (1942) qui mirent un terme à la vie professionnelle de son épouse. Leur logement devenu trop exigu, la famille se déplaça à Plédran, à une douzaine de kilomètres au sud de Saint-Brieuc. Chaque jour Pierre enfourchait sa bicyclette pour aller travailler sur les chantiers briochins. En 1943, il prit contact avec la Résistance, alors que naissait Yvon. Il entra dans le maquis de Plédran quittant sa famille, pendant quelques semaines, le temps de la libération du département en août 1944.
À la Libération, au moment où deux autres enfants, Michel et Alain, enrichirent la famille, Dupoirier s’engagea encore plus fortement dans l’action sociale. Proche du MRP, il fut à l’origine de la création du Mouvement Populaire des Familles (MPF). Le 1er mai 1949 à Saint-Brieuc, il représenta le mouvement à la tribune lors du meeting organisé par les organisations syndicales CGT et CFTC. Dans ce cadre, il créa une modeste coopérative d’alimentation pour les plus démunis, composée d’une camionnette pour les tournées en campagne et d’une épicerie, rue Maréchal Foch. De 1944 à 1951, il organisa un autre service coopératif qui permit l’expédition de wagons entiers de pommes de terre dans la région de Tarbes. Dans le même temps il dirigea le placement de plusieurs centaines d’enfants parisiens dans les familles à la campagne, pour les vacances, dans le département. Avant la fin de la guerre, il s’occupa du développement des jardins-ouvriers et de l’organisation des campagnes de chauffage dont les coupes du bois en forêt étaient destinées aux veuves de guerre où les femmes de prisonniers. Œuvrant à la création d’aides familiales, Pierre Dupoirier et les autres militants du MPF s’opposèrent aux expulsions de locataires, organisant de véritables « squats » : de fait, ils procédèrent à des réquisitions sauvages de logements.
Catholique, il continua de pratiquer régulièrement à la paroisse de Ginglin avec l’Abbé Rebours. En effet, en février 1951, la naissance du sixième enfant, Hervé, obligea la famille à déménager dans les HLM à la Ville-Ginglin. Cependant, ses engagements patriotiques et sociaux l’éloignèrent progressivement de la CFTC. Il adhéra à la CGT et le 1er avril 1951 il fut élu secrétaire général du puissant syndicat CGT du bâtiment en remplacement de Pierre Petit. Il siégea à la commission administrative de l’union départementale CGT des Côtes-du-Nord en 1952 rejoignant ainsi un large groupe de catholiques progressistes comme Jean Prual, Paul Frésil, Gisèle Geslin. Mais une longue grève de trois semaines débouchant sur son licenciement mit fin à ses responsabilités syndicales dans le bâtiment. Il présenta le 29 mars 1952 à la commission administrative de l’UD-CGT un rapport sur le déroulement du conflit qui démarrant à Saint-Brieuc le 24 mars s’étendit à tout le département. Cette grève se déroula dans un contexte d’opposition syndicale entre la CGT et la CFTC. L’UD-CGT, affaiblie par la scission de 1948 et par les combats difficiles contre les guerres coloniales, dut faire face à une centrale chrétienne essentiellement centrée sur les revendications des ouvriers. La présence à la direction de la CFTC de militants venus de la CGT comme Michel Cadoret ou proche des mouvements progressistes comme Jean Le Faucheur modifia sensiblement les rapports de forces. Un grand mouvement de solidarité se développa dans le département, le conseil municipal de Saint-Brieuc vota même une aide aux grévistes. La reprise du travail fut votée début avril à une majorité des 2/3 à Saint-Brieuc (138 sur 200 ouvriers consultés) sans que les revendications ne soient satisfaites.
Après le conflit, en décembre 1952, il fut embauché comme contremaître sur le port du Légué à la SCAC, société commerciale d’affrètement et de combustible. La dureté du combat social l’ébranla dans ses convictions religieuses. Ami personnel de l’Abbé Cottin, prêtre-ouvrier du Havre, qu’il accueillait régulièrement à son domicile, il signa avec son épouse et avec un certain nombre de militants chrétiens, une adresse à l’Évêque du diocèse de Saint-Brieuc le 4 mars 1954 condamnant la prise de position de la hiérarchie catholique à l’égard des prêtres-ouvriers. Dans le même temps, il continua à militer dans les instances départementales de la CGT. Après le scrutin de décembre 1955, il fut élu vice-président CGT de la caisse d’allocations familiales des Côtes-du-Nord en 1955.
Pendant cette période, Dupoirier s’engagea aussi dans le mouvement sportif. Accédant à la présidence du club cycliste, l’Avenir Cycliste Ginglinais, il aida les jeunes dans les déplacements pour les courses. Toute sa vie, sans doute parce qu’il avait une grande famille, il milita au syndicat des locataires Il siégea aussi au titre de la CGT comme administrateur à l’office départemental des HLM. En 1955, avec quelques camarades, dont Yves Clorennec, militant communiste, futur adjoint au maire de Saint-Brieuc, il voulut concrétiser un projet d’accession à la propriété. Il fallut sept années de démarches de toutes sortes, puis treize mois de construction pour que la cité « Bon Accueil », forte de 56 maisons individuelles tout confort viabilisées, vit le jour. Le chantier démarra en mars 1961 et en juillet 1963, les 56 sociétaires pouvaient occuper leurs maisons. Un tirage au sort fut effectué pour l’attribution des maisons une fois celles-ci terminées. Sous l’impulsion de Dupoirier une deuxième cité vit le jour : 48 maisons à Ploufragan dont le président fut Jean-Roger Pérennez, conseiller municipal communiste et un des responsables de l’union départementale CGT.
Pendant une dizaine d’années Dupoirier s’occupa du recrutement journalier des dockers pour le déchargement des bateaux au port du Légué. En 1961, il fut victime d’un accident du travail, en prenant la place d’un des dockers chargé d’empiler des madriers. Il fut licencié avec une rente d’invalidité au travail. À partir du 1er juin 1961, Dupoirier devint employé à l’URSSAF puis en 1963 il travailla comme surveillant de travaux pour un architecte de Rennes. En 1965, il est nommé directeur du Pact Arim à Saint-Brieuc. Cette structure nouvelle, issue de l’office des HLM départemental, permit l’aide à l’amélioration de l’habitat pour les locataires et les propriétaires. Il travailla ensuite avec son fils jusqu’à sa retraite le 1er novembre 1976. Son épouse décédant en novembre 1986, il vécut seul jusqu’en 2007 dans sa cité du Bon Accueil qu’il quitta pour la maison de retraite Les Capucins à Saint-Brieuc.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article23382, notice DUPOIRIER Pierre par Alain Prigent, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 9 février 2022.

Par Alain Prigent

SOURCES : Arch. Dép. Côtes-d’Armor, 12W47, rapport du 27 mai 1949 des RG sur la CFTC et les organisations catholiques, 1W13, divers rapports des RG au Préfet en 1952. — Arch. UD-CGT des Côtes-d’Armor, divers procès-verbaux des instances de l’UD en 1952. — Arch. Évêché de Saint-Brieuc, Annuaire ACJF, 1K21. — L’Aube Nouvelle, Ouest-Matin. Une semaine dans les Côtes-du-Nord, supplément de l’Humanité Dimanche. — Courrier et entretien avec son fils Yvon le 4 mars 2008.

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