Par Claude Pennetier
Né le 2 mars 1917 à Jumilhac-le-Grand (Dordogne), mort le 15 juin 1999 à Limoges (Haute-Vienne) ; instituteur puis permanent du PCF ; résistant ; secrétaire de la fédération communiste de Haute-Vienne, membre du comité central du PCF (1947-1964) ; maire de Choisy-le-Roi (1959-1979), député (1962-1978).
« Je suis né communiste », écrivait Fernand Dupuy en évoquant l’influence de son grand-père, métayer en Dordogne, et de son père, Joseph, facteur receveur auxiliaire, « communiste de toujours [...] anticlérical, antimilitariste, sectaire » (Être maire communiste, op. cit., p. 19 et p. 21). Joseph Dupuy avait adhéré au Parti communiste (PC) après le congrès de Tours (décembre 1920). Il en était resté membre jusqu’à son décès survenu en mai 1982 à l’âge de quatre-vingt-sept ans (l’Humanité, 7 mai 1982). Sa mère, « communiste », était « sans emploi ». Il avait une sœur qui fut institutrice et un jeune frère.
Le jeune Fernand Dupuy vécut en Dordogne puis suivit dans l’Aisne son père qui avait obtenu sa titularisation et, enfin, finit sa scolarité en Haute-Vienne. Son père fut certainement victime des conséquences de la Grande Guerre puis qu’il fut « adopté par la Nation » en 1928. Il emprunta la voie classique des bons élèves issus des milieux populaires. Reçu à l’École normale en juin 1934, il fut le seul de sa promotion à refuser de faire la préparation militaire. Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale en 1936, aurait même dû intervenir afin d’empêcher son renvoi de l’École normale « pour activités incompatibles avec la bonne marche de l’établissement » (op. cit., p. 22). Déjà militant depuis 1934 aux « étudiants communistes », il adhéra au PC à sa sortie de l’École normale d’instituteurs de Limoges en octobre 1937 et fut secrétaire de la cellule de Maisonnais-sur-Tardoire (Haute-Vienne), puis secrétaire de section en 1938 et membre du comité régional. La guerre d’Espagne lui valut une première sanction disciplinaire pour s’être « occupé un peu trop de solidarité en faveur des réfugiés espagnols » ; il fut « déplacé à l’autre bout du département » (p. 23). Il se maria en mars 1937 à Maisonnais-sur-Tardoire avec Denise Camus, institutrice, fille d’un cultivateur communiste. Il fut père de quatre enfants.
C’est au domicile de son père, en décembre 1940, que la gendarmerie l’arrêta. Le père et le fils furent internés aux camps de Saint-Germain-les-Belles (Haute-Vienne) et de Nexon (Haute-Vienne) avant d’être libérés grâce à l’aide d’un sous-préfet de Rochechouart et assignés à résidence. Sa femme était intervenue pour sa libération auprès du sous-préfet de Rochechouart - un franc-maçon qui fut suspendu en 1942. Cet épisode permit à Léon Mauvais et à Auguste Lecœur*, en avril 1949, d’exiger qu’il fasse une note sur les conditions de son arrestation et de sa libération au secrétaire général :
« 1) J’ai été arrêté et libéré par Vichy.
2) J’avais la possibilité de ne pas me laisser arrêter, de filer.
3) J’avais la possibilité de m’évader.
4) Ma femme est intervenue auprès d’un fonctionnaire de Vichy et il serait malhonnête de ma part de ne pas dire que je n’ai rien fait pour l’en empêcher.
Voilà ce que je me proposais de dire à la commission politique et que j’aurais dû te dire à toi depuis longtemps. »
En dehors du contexte « vigilant » de la fin des années 1940, cet épisode était somme toute banal. Le 19 mars 1985, lors de la remise de la Légion d’honneur à Fernand Dupuy à Choisy-le-Roi (Seine, Val-de-Marne), Gaston Plissonnier, bon connaisseur des dossiers des cadres, lui déclara : « Comment mieux exprimer que tu étais ainsi préparé à entrer de plain-pied dans la Résistance, lors de ta libération du camp d’internement, imposée par la pression des habitants de ton village. »
Fernand Dupuy reprit son métier d’instituteur. Il aida les maquis des environs et leur envoya des jeunes qui refusaient le STO. Le Parti communiste clandestin lui demanda de passer dans l’illégalité. D’abord chargé de quelques missions en Haute-Vienne, en particulier d’une intervention de Charles Nédelec* auprès de Georges Guingouin*, il se vit confier la responsabilité du Parti communiste pour les départements de la Corrèze et du Lot. Deux ans plus tard, il fut appelé à l’interrégion des Alpes (Isère, Savoie, Haute-Savoie, Basses-Alpes, Drôme) où il assista au drame du Vercors. Croix de guerre, il fut homologué comme lieutenant-colonel des FFI.
Pris dans l’engrenage des fonctions permanentes, Fernand Dupuy quitta définitivement l’enseignement dont il garda un souvenir nostalgique (voir son ouvrage Jules Ferry, réveille-toi !). Il fut en 1944 instructeur du Parti communiste pour le Rhône, l’Isère, la Savoie. Le hasard des rencontres le conduisit à assurer à Paris le secrétariat de l’Union nationale des intellectuels pendant l’année 1945, tout en œuvrant à la section, affecté à la section centrale d’éducation où Étienne Fajon l’apprécia. Mais il fut, l’année suivante, rappelé à Limoges pour assurer la fonction de secrétaire de la fédération communiste de la Haute-Vienne, pour redresser « les erreurs lourdes de Gabriel Citerne » selon la commission des cadres. Le communiste Jean Chaintron était alors préfet départemental et Georges Guingouin* maire de Limoges. La direction jugeait que cet « élément calme, pondéré, sans doute un peu timide » rencontrait « de grosses difficultés » avec Marcel Paul, mais avait su « prendre en mains » Georges Guingoin* « à qui il impos[ait] la volonté du Parti ».
Entré au comité central du PCF, comme suppléant, lors du XIe congrès (Strasbourg, juin 1947), il fut réélu au XIIe (Gennevilliers, juin 1950) puis titularisé au XIIIe (Ivry, juin 1954). Il resta membre du comité central jusqu’au XVIIe congrès (Paris, mai 1964). En juin 1948, Maurice Thorez le choisit pour assurer son secrétariat particulier. Il s’installa, en octobre, à Choisy-le-Roi où vivait le secrétaire général. Son travail consistait à établir une revue de presse, à étudier le courrier, à organiser l’emploi du temps de Maurice Thorez et à assister celui-ci dans les réunions du bureau politique ou du secrétariat. Fernand Dupuy était donc, comme observateur, au cœur des organes de direction du parti. Lorsqu’en 1950 Maurice Thorez, malade, partit en URSS, il fit à plusieurs reprises le voyage pour assurer la liaison avec le secrétariat. Il quitta le secrétariat particulier du secrétaire général en 1951. Fernand Dupuy, jetant un regard rétrospectif sur son action, se présente pendant cette période comme un enthousiaste, un homme de confiance au dévouement garanti, un « bon stalinien ». Sans porter de jugement sur les conflits et exclusions qu’il vécut de près - « il serait trop facile de s’ériger aujourd’hui en censeur » -, il regrettait le début de culte de la personnalité de Maurice Thorez dont il fut un des organisateurs. Le XXe congrès du PCUS (1956) ébranla ses certitudes. Il devint partisan d’une ouverture, d’une évolution. Bien qu’il n’ait pas pris de position publique, son attitude contribua à sa non-réélection au comité central en 1964. Le 28 mars 1956, le secrétariat avait décidé de le désigner pour suivre temporairement le travail parmi les intellectuels ainsi que le Comité de rédaction de La Nouvelle critique.
En 1959, Maurice Thorez lui demanda de prendre la tête de la liste communiste de Choisy-le-Roi qui devait l’emporter sur l’équipe sortante composée de socialistes, de centristes et d’hommes de droite. Fernand Dupuy avait déjà été candidat, sans succès, aux élections législatives de 1958. Le 13 mai 1953, il avait succédé à Alfred Lebidon au siège de conseiller général du 2e secteur de la Seine. Pour les élections municipales de 1959, Alfred Lebidon (ancien maire de 1945 à 1947) et Fernand Dupuy se partageaient la direction de la liste, mais il était convenu que ce dernier accéderait à la première magistrature municipale. Fernand Dupuy s’affirma comme un maire efficace et populaire qui sut renforcer l’audience du PCF dans sa commune. Élu député en 1962, 1967, 1968 et 1973, il se consacra essentiellement à ses mandats électifs, d’autant que son ouverture d’esprit le mettait parfois en porte à faux avec la direction du Parti. Les responsables de la préparation du XIXe congrès (février 1970) acceptèrent de publier sa contribution critique relative aux positions de Roger Garaudy dans le cadre de la tribune de discussion (France-Nouvelle, 14 janvier 1970).
Le maire de Choisy-le-Roi se prononça pour une prise en compte de la notion de « bloc historique nouveau ». Tout en réaffirmant le rôle dirigeant de la classe ouvrière, il pensait qu’une réflexion nouvelle sur les rapports de classe permettrait de gagner « sur des bases scientifiques les couches d’intellectuels qui jouent dans la production un rôle de plus en plus important ». Georges Marchais* intervint personnellement à la conférence de section de Choisy-le-Roi pour critiquer la contribution de Fernand Dupuy. Dans son intervention au congrès national de Nanterre (Hauts-de-Seine), Marcel Zaidner*, membre du Comité central et secrétaire de la Fédération du Val-de-Marne, critiqua, sans le nommer, Fernand Dupuy « qui a repris une vieille idée du congrès de Tours, selon laquelle les élus et les membres de l’appareil du parti seraient d’une essence différente » (Le Monde, 6 février 1970).
Signe des temps ou témoignage de l’autorité acquise par le député maire dans l’exercice de ses fonctions, Fernand Dupuy ne perdit pas immédiatement ses mandats électifs malgré son refus de toute autocritique.
Gravement blessé dans un accident de voiture en novembre 1978, il renonça à se présenter aux élections législatives de 1978 et aux municipales de 1979. Il retrouva alors en Dordogne les joies de la nature qui lui inspirèrent des pages remarquables, ainsi celle où il évoque la prise d’une truite de taille imposante : « Après ces quelques minutes d’émotion intense, c’est à nouveau un bouleversement viscéral ; une réaction nerveuse : les jambes qui tremblent, le cœur... Sûrement un jour, je mourrai de pareille réaction ; ce sera une belle mort, au bord de l’eau, et on m’enterrera dans le petit cimetière abandonné, bien caché sur le versant de la colline qui domine le ruisseau. Sans discours, surtout sans discours, et sans couronnes. » (Pêcher la truite vagabonde, Ouest-France, 1982, p. 74-75).
Par Claude Pennetier
ŒUVRE : Être maire communiste, Calmann-Levy, 1975. — Après sa retraite, Fernand Dupuy se consacra à la rédaction d’ouvrages autobiographiques : Jules Ferry, réveille-toi !, Fayard et d’évocations de sa région natale : L’Albine ; Histoire de bêtes ; Pêcher la truite vagabonde.
SOURCES : Arch. comité national du PCF. — Arch. Dép.Haute-Vienne.— L’Humanité, 5 et 11 février 1962 ; 23 et 25 novembre 1968 ; 7 mai 1982. — Le Travailleur, hebdomadaire communiste du canton d’Ivry, 8 novembre 1958, 3 novembre 1962. — Who’s who, éd. 1977-1978. — P.-M. Dioudonnat et S. Bragadir, Dictionnaire des 10 000 dirigeants politiques français, Sedopols, 1978. — Philippe Robrieux, L’Histoire intérieure du Parti communiste, t. 4, op. cit. — Jean-Marie Duffeau, Le Communisme municipal. L’exemple de Choisy-le-Roi (1945-1971), mémoire de maîtrise, Université de Créteil, 1976. — Entretien de Claude Pennetier avec Fernand Dupuy, 19 janvier 1983.