DUPUY Marc

Par Jean Maitron, Françoise Marchais, Claude Pennetier

Né le 15 décembre 1889 à Saint-Denis-de-Pile (Gironde), mort le 9 juin 1979 à Paris (XIIe arr.) ; cheminot ; syndicaliste CGTU puis CGT, secrétaire de la Fédération CGT des cheminots (1944-1949), membre du Comité central du Parti communiste (1932-1950), membre suppléant du bureau politique (1945-1947) ; conseiller municipal de Pessac (1947-1953), puis de Bordeaux (1953-1959), membre de l’Assemblée consultative provisoire et des deux Assemblées nationales constituantes (1944-1946), député de la Gironde (1946-1958).

Assemblée nationale, Notices et portraits, 1956

Né dans une famille de six enfants dont le père était artisan sellier bourrelier puis ouvrier à l’usine Voisin (au chômage, il s’installa à Paris en 1931), Marc Dupuy fréquenta l’école publique jusqu’à l’âge de douze ans, obtint le CEP, puis fit un an de cours complémentaire, avant d’entrer en apprentissage chez un oncle serrurier à Saint-Mariens. Ce parent était socialiste. À dix-sept ans, Marc Dupuy travailla chez divers artisans ruraux en Gironde. L’armée l’appela au service militaire en 1910 et, l’année suivante, l’envoya au Maroc dans une compagnie d’ouvriers. Il participa alors à une action de refus de travail pour protester contre la mauvaise nourriture, ce qui lui valut quinze jours de prison. Rentré en France, il travailla à Bordeaux dans une usine métallurgique, chez Dyle et Baccalan et adhéra à la CGT. Puis, quand la série d’automotrices dont il assurait la fabrication fut terminée, il entra aux chemins de fer. La Compagnie du Midi l’embaucha comme ouvrier électricien en mai 1914. Il exerçait son métier depuis trois mois quand la guerre éclata. Il fut mobilisé ainsi que ses deux frères. Marc Dupuy, qui avait gardé un mauvais souvenir de la guerre du Maroc, partit sans enthousiasme. N’étant pas aux chemins de fer depuis six mois, l’affectation spéciale lui fut refusée. Le 3e régiment d’artillerie coloniale resta d’août 1914 à mai 1915 sur le front de mer, au fort de la Galiçonnière. Dupuy passa l’hiver 1915-1916 dans les Vosges puis l’année 1916 sur les Hauts de Meuse. Il était à Verdun en 1917. Son attitude dans les combats lui valut d’être cité à l’ordre de son régiment et décoré de la Croix de guerre. En mai 1918, les Allemands le firent prisonnier sur les bords de l’Aisne et l’affectèrent à un commando de travail dans une usine métallurgique de la Ruhr. Là, il assista aux prémices de la révolution allemande, en particulier à la constitution d’un comité d’ouvriers et de soldats allemands. Profitant du mouvement de contestation, les prisonniers de guerre de toutes nationalités refusèrent de travailler pour la machine de guerre allemande. Ils obtinrent leur renvoi au camp situé près de la frontière hollandaise. Dupuy s’en évada en novembre 1918 avec un petit groupe de camarades à la veille de l’Armistice. Le consulat de Rotterdam les fit rapatrier en France.

Démobilisé à Bordeaux, Marc Dupuy travailla à partir de décembre 1918 au dépôt de Tarbes (Hautes-Pyrénées). L’année suivante, il reprit sa carte de la CGT et, lecteur du roman d’Henri Barbusse Le Feu, adhéra à l’Association républicaine des Anciens Combattants (ARAC). À trente ans, il abandonna la vie de célibataire et se maria, le 26 décembre 1919, avec Marie Laurine. Selon le témoignage de militants des Hautes-Pyrénées, confirmé par des membres de sa famille, il ne participa pas aux grèves de cheminots de 1920. Il écrivit lui-même dans son autobiographie de 1932 : « Je n’ai pas fait grève en 1920. » Pourtant, R. Nobilos* le fit adhérer, dès janvier 1921, au Parti communiste né de la scission de Tours (décembre 1920) ; il dira avoir adhéré au Parti communiste « par le canal de l’ARAC » (autobiographie de 1932). Le congrès fédéral de septembre 1921 plaça à la tête de la Fédération des Hautes-Pyrénées l’instituteur Bernard Cazaubon*. Secrétaire du syndicat des cheminots de Tarbes dès 1921, secrétaire de secteur (1921-1929), Marc Dupuy prit pour la première fois la parole, au nom du Parti communiste, pendant l’occupation de la Ruhr, dans un meeting de solidarité avec les travailleurs allemands organisé par l’Union des syndicats unitaires (CGTU) des Hautes-Pyrénées. Dirigeant de la section communiste de Tarbes, il créa en 1924 la cellule communiste des cheminots qui publia par la suite un journal d’entreprise : Le Cheminot bigourdain dont il fut le secrétaire. C’est à cette époque qu’il commença à s’opposer à Bernard Cazaubon, secrétaire fédéral lié à la gauche du Parti communiste et hostile à la « bolchevisation organisationnelle ». En janvier 1925 Dupuy représenta son département au IVe congrès national tenu à Clichy, puis écrivit à Cazaubon que l’ensemble du congrès avait « démontré que le travail de bolchevisation fait par la direction du Parti avait pénétré dans les masses et qu’il n’était pas facile idéologiquement de l’entraîner dans une autre direction » ; il espérait rapporter de ce congrès « des directives claires qui seront nos guides pour les élections municipales » (Arch. Cazaubon).

Ayant supplanté Bernard Cazaubon, Marc Dupuy devint, à une date non précisée, secrétaire du comité départemental communiste rattaché à la région bordelaise. Son action contre la guerre du Maroc lui avait valu une perquisition en 1925. Excellent orateur, il fut candidat communiste aux élections législatives du 22 avril 1928 dans la circonscription de Tarbes. Les électeurs lui donnèrent 1 721 voix, soit 6,5 % des suffrages des inscrits et 7,9 % des votants.

Veuf, Marc Dupuy se remaria en 1929 avec une active militante parisienne, Madeleine Charpentier*. Celle-ci vint s’installer à Tarbes et figura sur la liste Bloc ouvrier et paysan, dirigée par Marc Dupuy, aux élections municipales de mai 1929, malgré l’inéligibilité des femmes. Tous deux organisèrent, en juillet 1929, le soutien aux grévistes des Établissements Gache, forges et ateliers pyrénéens. Le mouvement se termina par une augmentation du salaire horaire. L’autorité du syndicat CGTU et des militants unitaires en sortit renforcée. Le 5 septembre 1929, Marc et Madeleine Dupuy comparurent devant le tribunal correctionnel pour « outrages et menaces à agents ». La grève reprit l’année suivante à la suite du renvoi de quatre ouvriers qui avaient distribué des tracts de la CGTU. Des bagarres éclatèrent entre grévistes et non-grévistes. La police procéda à sept arrestations dont celle de Marc Dupuy interpellé sur sa machine à Dax (Landes) et écroué à la prison de Tarbes le 9 mars 1930. Il fut condamné à deux mois de prison puis révoqué des chemins de fer. Madeleine tenta de passer dans l’illégalité mais elle se fit prendre en gare de Bayonne le 31 mai 1930. À sa sortie de prison, Marc Dupuy se rendit à une réunion du Conseil supérieur des chemins de fer, où il avait été élu en 1928 : devant les directeurs de réseaux, le dirigeant du syndicat des cheminots de Tarbes défendit les revendications de la CGTU. Sa révocation fut confirmée.

La Fédération unitaire des cheminots l’appela à Paris comme secrétaire de l’Union des syndicats des cheminots du PO et membre du bureau national de la Fédération. Il fit, la même année 1930, son premier voyage en URSS comme délégué de la CGTU au congrès de l’Internationale syndicale rouge. Membre de la cellule de gare de Paris-Austerlitz (4e rayon), il suivit une école nationale du Parti communiste en 1932. Entré comme suppléant au Comité central du Parti communiste au VIIe congrès tenu à Paris du 11 au 19 mars 1932, il devint titulaire au VIIIe congrès (Villeurbanne, 22-25 janvier 1936). Réintégré dans les chemins de fer après la victoire du Front populaire, Dupuy reprit son travail de conducteur électricien mais demanda rapidement à être mis en position de disponibilité pour exercer son mandat syndical comme secrétaire de l’Union du sud-ouest et de la Fédération CGT. La Région communiste Paris-ville l’élut à son comité régional en 1938. Déjà vice-président de l’Association nationale des travailleurs de France et des colonies victimes de la guerre en 1932, il était membre du bureau de l’ARAC en mai 1939. Marurice Tréand, présent à Moscou le 21 juin 1938, rédigea une évaluation qui qualifiait Dupuy de « Bon camarade, actif, dévoué, applique bien les décisions du parti. »

À la fin du mois d’août 1939, Marc Dupuy approuva la signature du Pacte germano-soviétique. Il fut mobilisé dans son emploi et la direction de la SNCF l’affecta au dépôt de Foix. Madeleine Dupuy lui organisa un contact avec les militants communistes de Toulouse (Haute-Garonne). Le 9 juin 1940, la police l’arrêta sur sa machine en gare de Foix et le transféra au camp d’internement de Fanlac, château du Sablon (Dordogne) d’où, avec la complicité de sa femme, il s’évada le 15 août 1940. D’abord recueilli par des amis dans le Lot, Marc Dupuy passa la ligne de démarcation avec ses papiers légaux fin septembre 1940 et resta pendant un mois chez des parents à Brunoy (Seine-et-Oise). Madeleine et Marc Dupuy louèrent ensuite un appartement boulevard de Charonne. Marc prit contact avec les dirigeants clandestins du Parti, Jacques Duclos et Benoît Frachon, et eut des entretiens avec Henri Gourdeaux, Arthur Dallidet, Jean-Richard Bloch, Jules Crapier, Rol Tanguy. Avec le cheminot Jean Catelas, il fit reparaître, en décembre 1940, le premier numéro clandestin du journal syndical La Tribune des cheminots. En mai 1941, Jacques Duclos et Benoît Frachon le convoquèrent pour lui demander de représenter la direction en zone sud, en particulier à Lyon. Il forma avec Raymond Guyot et Léon Mauvais le triangle de la délégation du Comité central en zone sud.

La Libération le vit accéder à des responsabilités très importantes sur le plan syndical et politique. Membre de l’Assemblée consultative provisoire et des deux Assemblées constituantes (1945-1946), il fut élu député de la Gironde à la première assemblée nationale (1946-1951) puis réélu dans la première circonscription les 17 juin 1951 et 2 janvier 1956. En tant que député, il s’intéressa particulièrement aux questions financières et budgétaires et s’opposa à la construction européenne.

Marc Dupuy se rendit en décembre 1944 à Moscou où Georges Dimitrov l’invita à déjeuner avec Benoît Frachon. En janvier 1945, il participa à la conférence du mouvement syndical mondial de Londres, qui devait donner naissance à la Fédération syndicale mondiale. De 1944 à 1949, il occupa la fonction de secrétaire de la Fédération CGT des cheminots. Le Xe congrès du Parti communiste réuni à Paris du 26 au 30 juin 1945 marqua son entrée comme suppléant au bureau politique. Il était placé en dixième position de la liste du Comité central et siégeait à la commission centrale de contrôle politique (CCCP). Son retrait du bureau politique au congrès de Strasbourg (25-28 juin 1947) puis du Comité central au congrès de Gennevilliers (2-6 avril 1950) ne fut pas expliqué. Il accepta la perte de ses responsabilités nationales et se consacra à ses fonctions de directeur politique des Nouvelles de Bordeaux et du Sud-Ouest, à son mandat de conseiller municipal de Bordeaux et à celui de député jusqu’à son échec aux élections législatives de 1958. Secrétaire de l’Union Sud-Ouest de la Fédération CGT des cheminots, membre de la cellule Puech des cheminots de Bordeaux, il fut également, de 1945 à 1957 au moins, membre du Comité fédéral du Parti communiste de Gironde. En 1958, il rejoignit Paris avec sa troisième épouse - veuf de Madeleine Charpentier en 1949, il avait épousé en 1950 Suzanne Poifol, fille d’un premier mariage de Madeleine. Pendant trois ans, ses seules activités militantes furent consacrées à l’Association nationale des cheminots anciens combattants qu’il avait créée en 1931.

Installé à Ivry-sur-Seine en 1961, Marc Dupuy fut accueilli comme un important vétéran du Parti communiste par Venise Gosnat et chargé de prendre des responsabilités dans les associations locales d’anciens combattants. Il devint secrétaire de l’Amicale des vétérans du PCF.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article23426, notice DUPUY Marc par Jean Maitron, Françoise Marchais, Claude Pennetier, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 6 juin 2010.

Par Jean Maitron, Françoise Marchais, Claude Pennetier

Assemblée nationale, Notices et portraits, 1956
Arch. IHS CGT cheminots

SOURCES : RGASPI, 495 270 12. — Arch. Nat. F7/13129. — Arch. PPo. 89, 11 mars 1941. — Comités fédéraux du PCF. — Arch. Jean Maitron, fiche Marc Dupuy. — Arch. Cazaubon. — Cahiers du Bolchevisme, 1927-1934. — Cahiers de l’Institut Maurice Thorez, n° 13, 1er trimestre 1969. — La Tribune des cheminots. — L’Humanité, 11 juin et 24 juin 1979. — Le Monde, juin 1979. — Dictionnaire des Parlementaires. — Comptes rendus des congrès fédéraux. — Notes de Georges Ribeill, de Pierre Vincent, de Jean-Pierre Bonnet. — Renseignements fournis par Françoise Marchais-Dupuy, fille du dernier mariage de Marc Dupuy.

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