LE GROS François, Charles, Marcel. Pseudonymes : Créac’h, André Delorme

Par Jean-Paul Salles

Né le 9 novembre 1951 à Paris (XIIIe arr.), mort le 17 février 2011 à Caen (Calvados) ; étudiant à l’université de Caen, employé dans un centre de tri postal, puis contrôleur et inspecteur des PTT, professeur d’histoire-géographie ; militant de la LC/LCR et du NPA, de la CFDT puis du SNES ; militant d’un Comité de soldats pendant son service militaire. Auteur ou co-auteur de plusieurs ouvrages en liaison notamment avec son métier de professeur (histoire locale, Résistance, Déportation).

François Le Gros était le fils de Marguerite Le Gros, née Fromond, professeur de lettres au lycée Jean Rostand à Caen, et de Bernard Le Gros, professeur d’anglais au lycée Malherbe, puis à l’Université de Caen. Il était l’aîné d’une fratrie de trois enfants (une sœur et un frère cadet). Il fit ses études secondaires au lycée Malherbe, puis après le bac s’inscrivit à l’Université de Caen, où il suivit des études d’histoire et géographie, obtenant la licence. À la maison, il pouvait lire Le Monde ou Témoignage chrétien, cet hebdomadaire soutenant la lutte des Palestiniens et plus largement les mobilisations en faveur du Tiers Monde. Son père, catholique de gauche, était proche du PSU. Au lycée, il fut davantage passionné par la musique, le jazz, les Beatles, les Rolling Stones que par la politique. Également, comme les jeunes de son âge, il se souciait de la façon de s’habiller, et lui, garçon, gardait les cheveux longs.

Une fois étudiant à la faculté des lettres de Caen, il rencontra la politique. Dès avant Mai 1968, il y avait une contestation permanente dans tous les cours. Des professeurs très à droite, comme Pierre Chaunu – grand spécialiste de l’histoire de l’Atlantique au XVIe siècle qui vécut très mal les événements de Mai 68 -, suscitaient l’hostilité des étudiants. Les manifestations contre la guerre du Vietnam étaient nombreuses sur le campus. L’ancêtre de la Ligue, la JCR, présente à Caen, avait créé le Comité Vietnam National (CVN) avec d’anciens trotskystes comme Laurent Schwartz ou des communistes critiques comme Madeleine Rebérioux. C’est contre l’intervention militaire américaine au Vietnam que François Le Gros manifesta pour la première fois. Et, surprise, il y rencontra son père, alors professeur d’anglais à l’Université de Caen. Lui-même fit partie du Front Solidarité Indochine (FSI) qui regroupait désormais les sympathisants de l’extrême gauche hostiles à l’intervention américaine au Vietnam. Des intellectuels connus, comme Michel de Boüard, historien médiéviste et archéologue, doyen de la faculté des lettres et membre de l’Institut, encourageaient ce mouvement. Les interventions (distributions de tracts, prises de parole) étaient fréquentes sur le Restaurant universitaire. Il y avait une grande richesse de débats au FSI regroupant des militants très divers. Le CVN puis le FSI rallièrent un certain nombre de militants lassés par la timidité, accusaient-ils, du Parti communiste et de la gauche classique qui se contentaient de demander la Paix au Vietnam alors qu’eux voulaient lutter pour la victoire du FNL vietnamien. Par ailleurs ils reprochaient aux manifestations de la gauche leur manque de dynamisme, les qualifiant de « manifestations traîne-savates ». C’est ainsi qu’il se rapprocha de la Ligue, étant par ailleurs très ami avec Serge Lemonnier, un militant de cette organisation. Les positions de la Ligue lui paraissaient plus censées que celle des maoïstes, pour qui il fallait entrer en résistance contre une société française qualifiée de fasciste. Les maoïstes de La Cause du Peuple avaient créé la Nouvelle résistance populaire (NRP), en référence aux combattants de la Résistance.

Comme sympathisant de la Ligue, il fit partie des Comités rouges. Le militantisme était très prenant, entre les discussions passionnées et les distributions de tracts devant les usines, notamment la Société Métallurgique de Normandie (SMN), la plus grande usine de l’agglomération. De plus, avec ses camarades il intervenait dans les cours d’histoire et de géographie, non seulement pour mener ce qu’ils appelaient la lutte idéologique, mais aussi pour annoncer manifestations et meetings. Ces interventions se faisaient par le biais des comités de lutte ou comités d’action plus que par la voie des syndicats étudiants, très faibles depuis 1968. Parfois la Faculté était occupée, ce qui générait des interventions policières. Lors de l’une d’entre elles, un car de police fut même incendié. Lors de la venue de Jacques Soustelle à la Faculté, brillant ethnologue dans sa jeunesse mais farouche défenseur de l’Algérie française, Il fallut l’intervention des militants de la Ligue pour éviter que les plus excités, des militants maoïstes notamment, s’en prennent à lui physiquement. Quant aux militants communistes, regroupés dans l’UEC, ils avaient du mal après 1968 à se faire entendre à l’université, les étudiants politisés leur reprochant la mollesse de leur engagement en Mai 68. Certes le militantisme à la Ligue était très prenant, l’organisation cédant souvent à l’activisme, mais la formation des sympathisants et des militants n’était jamais oubliée. Avant et juste après 1968 en Normandie, de Dieppe jusqu’à Cherbourg, un militant à la grande envergure intellectuelle, Yves Salesse, professeur de mathématiques, multiplia les séances de formation, marquant fortement de nombreux aspirants militants. Il poursuivit dans d’autres régions sa carrière militante, puis ayant réussi le concours de l’ENA devint haut fonctionnaire.

Rapidement militant de la Ligue à part entière, François Le Gros, outre les collages d’affiche et les distributions de tracts, animait aussi des réunions. Il eut la responsabilité du travail antimilitariste et fut à l’initiative du Comité de Défense des Appelés (CDA), diffusant des tracts à la gare de Caen en direction des permissionnaires. Après la dissolution de la Ligue, le 21 juin 1973, comme ses camarades, il changea de pseudonyme, abandonnant Créac’h pour André Delorme. La dissolution n’entraîna pas de conséquences catastrophiques, l’hebdomadaire Rouge continua à paraître. À Caen, les militants de l’organisation dissoute purent tenir congrès à l’Abbaye d’Ardennes (Centre d’archives littéraires, l’IMEC, et de débats) pour la première journée, puis au château d’Airan, un lieu de formation pour les cadres de la CFDT. Le fait que la Ligue ait été dissoute pour avoir voulu s’opposer à un meeting xénophobe, fascisant, lui avait valu pas mal de sympathie dans cette ville si durement éprouvée par la Deuxième Guerre mondiale. Outre le Parti communiste, le leader socialiste Louis Mexandeau, député du Calvados, se solidarisèrent avec les jeunes militants. Après le coup d’État du 11 septembre 1973 au Chili, François Le Gros participa à l’importante mobilisation en soutien aux militants emprisonnés et torturés. Il fit partie des Comités de solidarité avec la lutte révolutionnaire du peuple chilien (CSLRPC). Des projections de films ou de montages diapos furent organisées, suivies de débats. De même, reprenant une formule déjà expérimentée pour le Vietnam, des soirées « Six heures pour le Chili » eurent lieu à Caen. Il participa aussi à Besançon à la grande marche des Lips, le 29 septembre 1973, sous une pluie battante. Il était dans l’un des trois cars partis de Caen. La lutte des Lips, résumée par le slogan « On fabrique, on vend, on se paye », menée par une section CFDT novatrice, fit école en Normandie, à Bretoncelles dans l’Orne (la lutte des Piron) et dans la ville de Caen. Les ouvriers de l’imprimerie Caron-Ozanne remirent les machines en marche pour fabriquer leur propre journal Ouest-licenciement, en référence au grand journal régional Ouest-France. Ils travaillèrent également pour des syndicats et des associations amies. Par la suite, François Le Gros eut le plaisir de collaborer avec les anciens ouvriers de Caron-Ozanne pour faire un livre, préfacé par Charles Piaget (2009). À ses yeux, ces diverses luttes ouvrières novatrices montraient la validité du socialisme autogestionnaire. Dès le printemps 1974 son organisation politique se reconstitua sous le nom de Front communiste révolutionnaire (FCR) afin de pouvoir présenter Alain Krivine aux élections présidentielles du 5 mai 1974. Et en décembre 1974, après un long débat préparatoire, les militants d’avis différents s’étant regroupés en tendances, naissait la LCR. Outre son intervention ancienne à la SMN, la Ligue développa une activité significative à la Saviem (en 2020, usine Renault Trucks) à Blainville-sur-Orne dans la banlieue de Caen, autour d’un militant exceptionnel, Alain Adélaïde, décédé prématurément d’une appendicite le 17 juillet 1974 (Rouge n°262, 16 août 1974, signale que la CFDT dont il était militant, mais aussi la CGT, le PSU, Révolution !, le PS et le PC étaient représentés à son enterrement).

Sa licence d’Histoire obtenue, il ne prépara pas le CAPES, mais chercha à s’insérer professionnellement dans un secteur qui lui permettrait de développer un travail militant au cœur de la classe ouvrière. Il avait été fortement impressionné par la grève des PTT de 1974, une grève reconductible avec occupation qui avait duré trois semaines au Centre de Tri de Caen-Gare qui regroupait environ 300 salariés. Il décida donc de s’y faire embaucher. S’étant présenté directement au centre de tri, il fut tout de suite pris comme auxiliaire. Il fut séduit par l’ambiance chaleureuse qui régnait dans ce lieu de travail. Deux générations de salariés cohabitaient, les anciens qui appliquaient la réglementation, très soucieux du service public, et les jeunes plus fougueux, marqués par les événements de 1968. Parmi ces derniers, certains étaient déjà membres ou sympathisants d’organisations d’extrême gauche, plutôt l’Organisation Révolution ! que la Ligue d’ailleurs. Mais François Le Gros ne tarda pas à réunir autour de lui une dizaine de camarades de travail avec qui il rédigea un bulletin quinzomadaire, La Taupe Rouge de Caen-Gare. Les conditions de travail étaient difficiles dans l’ancien centre, du fait du bruit, de la poussière, de l’exigüité des locaux. Les grèves étaient fréquentes, suivies, le taux de syndicalisation étant très important, les anciens plutôt à la CGT, les jeunes – et parmi eux François Le Gros - à la CFDT. La décision de la direction de licencier plusieurs auxiliaires, dont Gilles Raoult, proche de Lutte ouvrière, déclencha la mobilisation. À l’initiative de salariés, soutenus par la CFDT, ils décidèrent de réduire les cadences. Ainsi, ils ne triaient plus que la moitié du courrier et des paquets chaque jour. Des monceaux de paquets et de lettres s’entassèrent, sans que la fiche de paie ait été amputée d’un seul jour de salaire. La direction finit par céder, les licenciements furent annulés. Les militants communistes n’étaient pas favorables à ce qu’ils ne considéraient pas comme « une vraie grève », certains critiquant même « ce truc de feignants ». Très vite la direction parla – dans des rapports internes consultés ultérieurement par les militants – d’infiltration de militants d’extrême gauche. La notation de François Le Gros s’en ressentit, elle était catastrophique, assortie d’appréciations très négatives. Mais, appelé au Service militaire il quitta le centre de tri à l’été 1978.

Avant de rejoindre sa caserne, il fit un stage de préparation organisé par la LCR non loin de Toulouse. Il écouta les interventions et les préconisations des responsables de la Commission Nationale Armée (CNA), Gérard Filoche notamment. Ainsi les militants savaient comment intervenir une fois sur place. Il fut tout d’abord placé dans un régiment très dur, que certains qualifiaient de disciplinaire, le Troisième Régiment de parachutistes de l’infanterie de Marine (3e RPIMA) à Carcassonne. Se sentant très mal dans ce régiment dont une partie des sous-officiers et des officiers étaient d’extrême droite, il réussit à se faire muter. S’étant souvenu qu’enfant il avait eu les jambes cassées – des radios en attestaient -, après un examen médical dans un hôpital militaire à Toulouse, la hiérarchie militaire ne voulut pas prendre le risque de le faire sauter en parachute. Il fut donc muté dans une caserne plus normale, située au centre de la ville de Lyon, le Groupement des Matériels Régionaux (le GMR n°5). L’ambiance était beaucoup plus « républicaine », disait François Le Gros, les sorties en ville étaient possibles. Il a donc pu tisser des liens avec des militants présents dans d’autres casernes et mettre en place une coordination Rhône-Alpes. À l’automne 1978, ils lancèrent une nouvelle campagne pour les transports gratuits. Edwy Plenel, appelé du contingent, prit part à cette campagne et fut pour cela mis aux arrêts pendant soixante jours et muté de caserne à quatre reprises (Rouge n°858, 15-22 mars 1979, cité par Salles, 2005, p. 196). François Le Gros fut amené dans sa chambrée par un gradé qui lui fit vider son armoire et qui fouilla son paquetage. Aucun texte de la pétition n’ayant été trouvé, il échappa aux arrêts de rigueur et fut muté en Allemagne, dans une caserne française située à Bitburg, près de Trêves. Le régime intérieur était moins dur qu’à Carcassonne mais plus sévère qu’à Lyon. Les manœuvres en plein hiver, par temps glacial, étaient très éprouvantes et les occasions de sortie rares. Cependant il repéra assez vite des militants de la LCR, notamment un employé de l’hôpital de Bobigny. Ils firent donc des réunions informelles, mais étant très surveillés, ils ne purent pas publier de bulletin de comité de soldats. Un jour, un lieutenant le prit à part et l’avertit en ces termes : « Monsieur Le Gros, vous êtes un ennemi de la République. On sait très bien qui vous êtes ! ».

Il rencontra Patricia, sa future épouse, dans l’euphorie de l’élection de François Mitterrand le 10 mai 1981. Le couple eut trois enfants, Julien, Mélanie et Solenne. Ayant passé le CAPES avec succès, il devint professeur d’histoire et géographie, chargé de l’instruction civique, d’abord dans un collège de Cabourg (Calvados) au début des années 1990, puis à partir de 1992 au collège Paul-Verlaine d’Évrecy, près de Caen. Il lança l’atelier Patrimoine qui aboutit à l’ouvrage Résistance entre Laize et Odon (1994), ouvrage qui sera suivi de Bayeux et le Bessin (1996), réalisé avec le Collège Alain-Chartier de Bayeux, et de nombreux autres livres ayant pour thèmes l’histoire locale ou la Deuxième Guerre mondiale (Résistance et Déportation). Avec une association d’anciens déportés (Mémoire vive), il organisa et encadra le voyage à Auschwitz de lycéens et lycéennes du Lycée Malherbe de Caen, en mai 1999. En résulta le livre De Caen à Auschwitz (2001), réalisé avec des lycéens, des déportés et avec la collaboration d’historiens, parmi lesquels Jean Quellien, professeur à l’université de Caen. Il était membre du jury du Concours national de la Résistance et de la Déportation.

En sa mémoire, le forum du collège Paul-Verlaine d’Évrecy porte aujourd’hui son nom (voir la plaque en illustration). Il avait été fait chevalier des Palmes académiques.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article234417, notice LE GROS François, Charles, Marcel. Pseudonymes : Créac'h, André Delorme par Jean-Paul Salles, version mise en ligne le 20 novembre 2020, dernière modification le 21 octobre 2022.

Par Jean-Paul Salles

Plaque au forum François Le Gros du Collège Paul-Verlaine d’Évrecy

ŒUVRE : Articles : « 68 à Caen : une radicalité d’avant-garde », Critique communiste n° 186, mars 2008 ; - « Ton patron a besoin de toi, tu n’as pas besoin de lui », Tout est à nous, journal mensuel du NPA, n°2 juin-juillet 2009 ; -avec Florent Martin, « La Poste : des luttes et une résistance qui viennent de loin », n°4, octobre 2009 ; - « Moulinex, une victoire de la solidarité et de l’unité », n°8, mars 2010 ;
- Travail universitaire : La Ligue communiste révolutionnaire à Caen de 1973 à 1978, Université de Caen, Mémoire de Maîtrise, 1991  ;
- Livres : Résistance entre Laize et Odon, 1994 ; -avec le Collège Alain-Chartier de Bayeux, Bayeux et le Bessin, 1996 ; -avec André Nové, Jean-Pierre Clet, Arromanches site de liberté, 1996, CRDP de Caen ; -avec l’Association des mineurs de May, Histoire d’un pays minier autour de May-sur-Orne, Éditions Cahiers du Temps, 1998 ; -avec Yves Lecouturier et le concours de Roger Chapuis, Caen-Gare. Histoire d’un Centre de Tri, Éditions La Mandragore, 2000 ; -avec l’Association Mémoire vive des convois des 45 000 et des 31 000, le collège d’Évrecy et le lycée Malherbe de Caen, De Caen à Auschwitz, Éditions Cahiers du Temps, 2001 ; Évrecy, mutation d’un bourg rural, Éditions Cahiers du Temps, 2004, Préface de Gilles Perrault ; -avec Régis Bodrug, Ukrainiens en Normandie, 2006, Éditions Orep ; Résistance au féminin, Éditions Cahiers du Temps, 2008 ; -avec Patrice Bruckmann, Pierre Coftier, Alain Lambert, Caron-Ozanne (1975-77). Une expérience d’autogestion en Normandie, Préface de Charles Piaget, Cabourg, Éditions Cahiers du Temps, 2009 ; Circuit de mémoire sur la Résistance et la répression, Mairie de Caen, 2010 ; Un siècle de trains : Flers-Caen. Une voie qui se raconte, Éditions Cahiers du Temps, 2011, avec une préface de François Morel, publié à titre posthume.

SOURCES : Souvenirs recueillis par son fils Julien Le Gros, mis en ligne le 8 mars 2011 sur le Club de Mediapart. — Jean-Paul Salles, La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981). Instrument du Grand Soir ou lieu d’apprentissage ?, PUR, 2005. — Nombreux échanges avec son fils Julien Le Gros, journaliste, Rédacteur en chef du mensuel Le Patriote Résistant, journal de la Fédération Nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes (FNDIRP). — Article du journal Ouest-France, 24 février 2011, rendant compte de la cérémonie en mémoire de François Le Gros dans le forum du Collège d’Évrecy. — http://plus.wikimonde.com/wiki/Fran...

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