DURAN-ANGLIVIEL André [DURAND Émile, André]

Par Élie Cohen-Hadria

Né le 21 octobre 1877 à Valence (Drôme), mort le 19 janvier 1964 à Paris (XVIe arr.) ; avocat au barreau de Tunis, ancien bâtonnier ; délégué à la conférence consultative, puis au Grand conseil de la Tunisie sans interruption de 1919 à 1945 ; éditorialiste de Tunis Socialiste.

Fils d’un "chef d’institution", et d’une mère sans profession, après avoir débuté dans la vie comme pasteur protestant dans le Lot, Duran-Angliviel quitta rapidement le ministère pour venir en Tunisie (1905). D’abord journaliste, au Courrier de Tunisie, il devint rédacteur en chef, à la Dépêche tunisienne. Ancien combattant 1914-1918, il revint de la guerre socialiste et pacifiste, adhéra à la SFIO, quitta la Dépêche tunisienne et s’installa comme avocat. Il fut élu en 1919 à la Conférence consultative, puis en 1922 au Grand conseil, qui remplaça cette assemblée, sur une liste dite « de la formule » qui rassemblait socialistes, syndicalistes cheminots et hommes de gauche sur une formule commune dénonçant le caractère antidémocratique de ces assemblées dominées de par leur composition par les grands intérêts économiques. Il fut à nouveau réélu en 1928 et en 1934, mais désormais sur une liste exclusivement socialiste, le Parti socialiste ayant décidé d’aller seul à la bataille (voir Durel*).

Comme journaliste, il collabora à L’Avenir social dès 1919. Après le passage de ce journal au Parti communiste, il créa avec ses camarades Tunis socialiste d’abord hebdomadaire, puis quotidien à partir de 1923. Il en assura la direction de fait et il écrivit régulièrement l’éditorial sous la rubrique « La fenêtre ouverte ». Polémiste incisif, il dénonça tous les abus. Citons parmi ses campagnes : la lutte contre les « décrets scélérats » (1926), contre le congrès eucharistique (1930), contre l’exploitation de la Tunisie par les compagnies concessionnaires de services publics, contre la propagande fasciste italienne. Il défendit les intérêts des travailleurs salariés et appuya les revendications tunisiennes.

La presse nationaliste tunisienne de langue française ayant été suspendue en 1933, il fit décider par l’équipe de Tunis Socialiste l’ouverture dans ses colonnes d’une rubrique intitulée « Droit d’asile » mise à la disposition des journalistes tunisiens. Poursuivi sous Peyrouton en 1934 en même temps que ses camarades Élie Cohen-Hadria, Serge Moati (père) et Yves Faivre, il fut, après les plaidoiries de Victor Cohen-Hadria et de Vincent Auriol, condamné le 30 avril 1935 à deux mois de prison avec sursis et 1 000 francs d’amende, ses complices étant frappés de peines moitié moindres, condamnations considérablement réduites en appel à Alger (février 1936) et amnistiées sous le Front populaire.

Tunis Socialiste reparut en juin 1936, avec toujours la « fenêtre ouverte ». La politique du Front populaire et en particulier l’action de Pierre Viénot y étaient soutenues. La très forte poussée syndicale de 1936-1937 y trouva un considérable appui. Après la chute du gouvernement Léon Blum et le départ de Pierre Viénot (juin 1937), la polémique s’exacerba encore avec la presse française de droite et le journal fasciste italien L’Unione. Tout en dénonçant les excès et les provocations de la police, Duran-Angliviel mit en garde, de façon vigoureuse, le Néo-destour contre le développement possible en son sein de courants favorables au fascisme italien. L’émeute du 9 avril 1938 et la répression contre le Destour interrompirent cette polémique. Sous le régime de l’état de siège instauré à la suite du 9 avril, un article dans Tunis socialiste paru le 1er juin sous la signature d’un socialiste tunisien, Chedly Rhaïm, fut poursuivi pour outrage à l’armée et Chedly Rhaïm incarcéré. Toute l’équipe de Tunis Socialiste ayant affirmé sa solidarité avec Chedly Rhaïm, le journal fut suspendu par décision de l’autorité militaire. Il ne reparut qu’après une éclipse de deux mois.

Fin novembre 1938, l’Italie, par la bouche du Comte Ciano, revendiqua la Tunisie. Duran-Angliviel mena une campagne particulièrement virulente contre les prétentions fascistes. Il réclama la dénonciation des conventions italiennes de 1896 et le retour des Italiens de Tunisie au droit commun. Il réclama également des mesures d’apaisement envers les Tunisiens, l’arrêt des poursuites et l’amnistie. À cette occasion, il fut amené à revenir pour les nuancer fortement sur ses déclarations de l’année précédente concernant les risques de collusion entre certains éléments néo-destouriens et le fascisme italien. Le 24 juin 1940, le dernier numéro de Tunis Socialiste préconisant la résistance en Afrique du Nord fut censuré et le journal disparut. Pendant l’occupation allemande, en février 1943, Duran-Angliviel fut, avec quelques autres personnalités, arrêté et transféré en Allemagne d’abord, puis à Paris où tous les non-juifs furent mis en liberté surveillée et les juifs incarcérés. Duran-Angliviel refusa de déclarer qu’il n’était pas juif et resta en prison quelques mois. Enfin libéré, il rentra à Tunis en octobre 1944 et se maria en janvier 1945 avec Marie Putaggio. Tunis socialiste quotidien reparut en février 1945. Mais Duran-Angliviel s’étant rapproché des communistes, sa vie au Parti socialiste et au journal devinrent difficiles. Candidat à la première Constituante sur une liste d’Union démocratique avec le communiste Azzopardi, il opta pour la réponse « oui-non » au référendum et se plaça ainsi hors du Parti socialiste. Il le réintégra en mars 1946 et participa à ce titre au congrès interfédéral d’Alger de juillet 1946. Mais les approches de la guerre froide plus encore que sa volonté d’entraîner le Parti vers une satisfaction plus rapide des revendications tunisiennes l’amenèrent à quitter définitivement la SFIO en 1947. Un quotidien de Tunis, Le Petit Matin lui ouvrit ses colonnes ; il y écrivit jusqu’à sa mort, survenue en 1964, deux ou trois articles par semaine. Il s’y montra amer à l’égard de ses anciens camarades socialistes, proche des revendications tunisiennes, proche également du Parti communiste auquel son besoin impérieux d’indépendance de plume l’empêcha néanmoins d’adhérer.

En 1921, il avait accompagné à Paris la délégation tunisienne composée de membres du premier Destour et de nationalistes modérés et il l’avait soutenue dans ses démarches.

En 1934-1935, il avait dû s’opposer avec ses camarades, Élie Cohen-Hadria en particulier, à l’attitude de la section de Tunis de la Ligue des droits de l’Homme qui s’était engagée à fond dans le soutien de la politique répressive de Peyrouton. Après une longue procédure, il obtint la dissolution de cette section et, chargé par le comité central de la reconstituer, il assuma la présidence de la nouvelle section.

Comme avocat, il eut à défendre, non seulement des socialistes ou des militants syndicalistes de la CGT, mais également des membres de la CGTT (procès du complot de 1925) et de l’UGTT de Sfax (procès de 1947).

La Tunisie indépendante a donné le nom d’André Duran-Angliviel à une rue de Tunis.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article23445, notice DURAN-ANGLIVIEL André [DURAND Émile, André] par Élie Cohen-Hadria, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 16 mars 2016.

Par Élie Cohen-Hadria

ŒUVRE : Les éditoriaux qu’il a écrits en Tunisie se montent sans doute à plusieurs milliers. Il a aussi, en particulier en 1934, collaboré au Populaire de Paris. — Il a également publié deux livres : Ce que la Tunisie demande à la France, Paris, 1921 et La Législation de la presse et les libertés publiques en Tunisie, Paris, Nouveau Prométhée, 1936.

SOURCES : Tunis Socialiste. — Élie Cohen-Hadria, Du protectorat français à l’indépendance tunisienne, Centre de la Méditerranée, Nice, 1976. — Aline Naura, « Les socialistes devant la crise de 1929 », Le Mouvement social, janvier-mars 1972. — État civil.

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