Par Gauthier Langlois
Né le 24 mai 1821 à Poitiers (Vienne), mort le 1er mai 1886 à Le Bouscat (Gironde) ; professeur à La Réole (Gironde) ; socialiste exilé à Jersey suite au coup d’État du 2 décembre 1851.
Il était fils de Louis Royer (1781-1842) et de Claire Élisabeth Spreux. Son père, engagé comme soldat à la fin de la première République, était devenu capitaine sous le premier Empire. Comme de nombreux officiers ayant participé aux Cent jours il fut placé, à la Restauration, en congé de demi-solde. Cela ne l’empêcha pas d’affirmer sa foi républicaine.
Ernest Royer fit des études au lycée de Poitiers puis obtint une licence de sciences physiques et de mathématiques à l’université de Bordeaux. Il fut ensuite maître répétiteur à Tours et au lycée Saint-Louis de Paris. À la fin de l’année 1847 on lui confia, au collège de la Réole, la chaire de mathématiques. Il y épousa, le 23 janvier 1850, Catherine Anna Maria Da Sylva (1824-1881). Leur premier enfant, Jeanne Louise Élisabeth, naquit le 3 août 1851.
Ayant hérité des convictions politiques de son père, Royer se lia très vite avec les principaux républicains de la Réole dont Alphonse Gravier et Armand Caduc. Après la révolution du 24 février 1848, il devint secrétaire du comité républicain présidé par Bellot des Minières. En 1850, sans doute en raison de ses opinions politiques, il fut révoqué de son poste de professeur.
À l’annonce du coup d’État du 2 décembre 1851, il se prononça sans hésitation pour la résistance à main armée contre la violation des lois et de la constitution. Armand Caduc, dans le discours prononcé à l’enterrement de son ami, décrit Royer ainsi : « Je le vois encore, frémissant d’indignation et de colère, conseillant à tous le soulèvement en masse et une énergique prise d’armes. Son avis était partagé par la presque unanimité du comité. Royer reçu et accepta la mission très périlleuse de se rendre auprès des chefs de l’insurrection de Marmande pour les décider à marcher immédiatement sur La Réole, Langon et Bordeaux. Ce conseil allait être suivi lorsque les mauvaises nouvelles arrivées à la fois de Paris et des départements en empêchèrent la réalisation. (...) Pour se soustraire au mandat lancé contre lui, notre ami se cacha quelque temps, mais bientôt après, la municipalité bonapartiste de La Réole notifia à son domicile un ordre d’expulsion portant la signature du baron Haussmann, préfet du coup d’État et président de la commission mixte de la Gironde. ».
Sur ses notes la commission avait motivé sa décision par le commentaire suivant : « Socialiste ardent, affilié aux sociétés secrètes. Homme d’exécution, capable de sacrifier sa vie, comme il a sacrifié sa position, à la cause qu’il a embrassée. Dangereux par l’influence qu’il sait prendre sur les masses. En fuite pour échapper à un mandat d’amener. »
Royer se réfugia à Guernesey où ses amis Alphonse Gravier et Armand Caduc l’avaient précédés. Un mois après ils partirent ensemble à Jersey rejoindre les nombreux proscrits qui venaient de s’y installer. Royer y fut bientôt rejoint par sa femme et sa fille âgée de moins d’un an. La famille s’agrandit avec la naissance, le 30 novembre 1852 à Saint-Hélier, de Marie Louis Blanche, baptisée le 18 décembre suivant en l’église catholique Saint-Thomas.
La vie du couple en exil a été décrite ainsi par Armand Caduc : « Madame Royer, musicienne distinguée, s’étant improvisée professeur de piano, les grandes familles jersiennes se disputèrent l’honneur d’avoir pour leurs enfants des leçons de cette femme respectée de tous. Notre ami, de son côté, consacrait environ dix heures par jour à donner, à la fois des leçons de sciences exactes, de latin et de grec ; il préparait au baccalauréat les fils de plusieurs de nos camarades d’exil, qui tous ses élèves de Jersey, qui sont aujourd’hui des hommes mûrs, ont conservé de lui le plus affectueux souvenir. (...) aussi Royer avait conquis l’estime et l’affection de tous les proscrits de Jersey, même des plus illustres, notamment du grand poète des Châtiments [Victor Hugo].
Bien que parfaitement intégré à la société locale, la famille quitta Jersey. Auparavant, Ernest Royer laissa la dédicace suivante aux frères Asplet, amis des proscrits : « À des amis comme le citoyen Philippe Asplet et son digne frère Charles, qui ont compris et soutenu le droit dans le malheur, on ne peut que dire la main sur la conscience et l’œil fixé vers le ciel : amis que Dieu vous conserve toujours des amis du droit et de la conscience : nous nous verrons là-haut ! E. Royer. »
La raison du départ nous est donnée par Armand Caduc : « Atteint vers la fin de 1854 d’une sorte de nostalgie, ce mal terrible de l’exil, il quitta Jersey pour aller s’établir en Espagne, où mon beau frère [Alphonse Gravier] et moi étions déjà, et séjourna successivement à Bilbao et à Saint-Sébastien. Mais comment cet homme nerveux et impressionnable, si droit et si loyal, aurait-il pu s’habituer au séjour de cette terre inhospitalière, où les proscrits étaient expulsés sans pitié sur un ordre de l’homme néfaste qui pesait sur la France ! Royer y fut d’ailleurs frappé dans ses affections les plus tendres : il eut la douleur de voir mourir du choléra un jeune enfant auquel Madame Royer avait donné le jour à Jersey. »
Après la mort de leur fille Blanche, qualifiée par Caduc de « plus cruel des souvenirs », le couple regagna la Réole. C’est là que naquit, le 19 mars 1856, leur troisième fille, Louise Marie Albertine et le 17 février 1858, leur fils Jean Joseph Franck. Leur cinquième enfant, Jeanne Laurentine Claire, naquit à Bordeaux le 7 mars 1863. Mais les Royer eurent la douleur de perdre à nouveau plusieurs de leurs enfants, leur fils en 1858, leur aînée en 1862 et leur cadette l’année suivante.
Le couple s’établit ensuite à Bordeaux où Royer exerça comme professeur de sciences dans un grand établissement d’enseignement secondaire privé dont il prit la direction avec le docteur Micé. En 1859 il fonda également au Bouscat, dans la banlieue de Bordeaux, l’Institution Royer. Il était à la tête de cette institution quand survint la chute du Second Empire et le désastre militaire qui l’accompagnait. Il s’investit alors dans la défense nationale, comme membre du comité de défense de la Gironde et comme commandant d’état major de la garde nationale de Bordeaux. Il devint aussi membre du conseil municipal du Bouscat.
Auteur de différentes publications issues de ses expériences de physique et de chimie ainsi que d’un manuel scolaire d’algèbre, il était membre de plusieurs sociétés savantes et fut admis, en 1866, à l’Académie des sciences, belles lettres et arts de Bordeaux.
Après la mort de son épouse, en 1881, il prit sa retraite au Bouscat et s’occupa de sa fille Albertine. Il y fut inhumé, le 5 mai 1886, en présence de son ami le sénateur Armand Caduc, Auguste Ferret maire de la commune, et Mégret de Belligny, président de l’Académie des sciences, belles lettres et arts de Bordeaux, qui prononcèrent tous les trois un discours. Armand Caduc souligna notamment l’affection portée à Royer par plusieurs députés républicains qui l’avaient eu comme professeur.
Par Gauthier Langlois
SOURCES : Lysiane Verhecken, Genealogie d’Ernest Royer, Geneanet, consulté le 10 décembre 2020. — Archives de la Vienne, Acte de naissance. — Bnf, Notice autorité. — Maison de Victor Hugo - Hauteville House à Guernesey, Album Philippe Asplet, fol. 10. — Actes de l’Académie nationale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, 3e série, 1885. — La Gironde, 5 mai 1886, 6 mai 1886. — Jean-Claude Farcy, Rosine Fry, « Royer - Ernest », Poursuivis à la suite du coup d’État de décembre 1851, Centre Georges Chevrier - (Université de Bourgogne/CNRS), [En ligne], mis en ligne le 27 août 2013. —