MOREU Marcel, André [pseudonyme dans la Résistance : Benoît]

Par Jean-Marie Guillon

Né le 31 octobre 1918 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 12 juillet 2011 à Beaurecueil (Bouches-du-Rhône) ; tailleur ; communiste ; résistant.

Marcel Moreu
Marcel Moreu
Photographie anthropométrique, 4 décembre 1941

Fils d’André Moreu et de Blanche Cordier, Marcel Moreu était l’ainé des cinq enfants de la famille. Son père travaillait comme décorateur étalagiste à Marseille jusqu’à son licenciement en 1931, puis, après des années difficiles, il ouvrit une teinturerie dans le quartier d’Endoume, son épouse faisant de petits travaux de couture. Après l’école primaire et le certificat d’études, Marcel Moreu passa deux ans en cours complémentaire d’abord à Vauban où le professeur l’initia à l’espéranto et à la reliure, puis aux Chartreux où le travail du bois ne lui plut pas. À quatorze ans, il passa en apprentissage de tailleur d’abord dans un atelier que son père essaya de monter avec un associé, puis chez son oncle à La Plaine et chez des ouvriers-appiéceurs à domicile d’origines diverses (arméniens, grecs ou italiens). Il travailla ensuite avec ses parents qui lui firent couper des costumes. Marcel Moreu avait reçu les sacrements catholiques comme ses frères et sœurs. Avec René qui avait deux ans de moins que lui, il fréquenta le patronage de l’abbé Rossi, où ils faisaient de la gymnastique et jouaient au ballon. Marcel en fut exclu pour avoir injurié un séminariste aux gestes douteux. René et lui avaient la passion du football. Sportifs tous les deux, ils firent partie de l’équipe junior de l’OM et étaient adhérents de la FSGT (Fédération sportive et gymnique du Travail). Sous ce maillot, Marcel avait été recordman du 150 mètres junior. Comme leur père, René et Marcel dessinaient, puis se mirent à peindre. Leur premier contact avec l’art moderne vint du livre de Michel-Georges Michel sur Les Montparnos qui leur fit découvrir Modigliani et Picasso. Ils ébauchèrent une exposition dans la maison familiale. Marcel suivit les cours du soir de l’École des Beaux-Arts de Marseille. Comme son frère, il fréquenta la Maison de la Culture de la rue Sainte où il connut Pierre Ambrogiani et Antoine Serra dont il resta l’ami avec jusqu’à leur mort. Marqué par la « boucherie » de 14-18, à laquelle son père, resté sous les drapeaux de 1912 à 1919, avait participé, et par ses lectures (Barbusse, Remarque), Marcel Moreu n’était pas « militariste », mais il suivit la préparation militaire au Bas-fort Saint-Nicolas pour devancer l’appel. En dépit de son échec, il put en bénéficier et, étant attiré par l’aviation, choisit la base 108 de Marignane (Bouches-du-Rhône) en octobre 1937 où il fut affecté à la compagnie des services comme tailleur. Promu caporal, il fut admis au concours de maitre tailleur pour l’armée en avril 1939, mais la guerre lui en fit perdre le bénéfice. Mobilisé sur place à Marignane, puis à Montpellier (Hérault), se sentant inutile puisqu’il n’y avait rien à faire, il demanda à être muté et fut envoyé en mars 1940 au Centre de filtrage d’Arras (Somme) pour gérer la popote. Tout fut abandonné le 18 mai pour faire retraite. Il fut démobilisé le 5 août. Il s’était marié à Marseille le 29 avril 1939 avec Georgette Richiardone. Le couple habita à Gignac (Bouches-du-Rhône) jusqu’à la guerre. Avec la mobilisation, son épouse retourna à Montolivet (Marseille) chez ses parents et accoucha de leur premier enfant en janvier 1940. Revenu à la vie civile, Marcel fut embauché comme coupeur dans l’usine confection Thierry, puis vint travailler avec son père dont les affaires marchaient. Il habitait chez ses beaux-parents à Montolivet et était père depuis six moins d’un deuxième enfant lorsqu’il fut arrêté le 12 novembre 1941.
Alors que René, dont il était près proche, était devenu l’un des responsables départementaux de la JC, Marcel ne militait pas, mais, marqué par la guerre d’Espagne , il lisait L’Avant-Garde et partageait les opinions et les amis de son frère. L’un d’eux, Nicolas Terrana, responsable de la JC à Marignane, rappelle dans ses souvenirs qu’ils se fréquentaient lorsque Marcel était à la base aérienne. C’est l’arrestation de René, dont il dira n’avoir rien su des activités, qui le fit basculer dans l’action clandestine. Alors que René était emprisonné à Nice depuis le 24 janvier 1941 et grâce à sa fiancée, il obtint le contact avec Jean Mérot, responsable interrégional de la JC. Dans un premier temps, n’étant pas connu de la police et présentant bien, il accepta de faire des achats de papier et de stencils, puis il devint le responsable de la fabrication des tracts et de L’Avant-Garde. Il intégra rapidement le trio de direction régional de la JC dont le responsable politique était Albert Mencarelli qui devait bientôt collaborer avec la police. Il était chargé de l’organisation et de la sécurité, tâche difficile avec des jeunes qui habitaient le même quartier et se connaissaient. Son pseudonyme, Benoît, et sa fonction de responsable départemental de l’appareil technique furent repérés en mars 1941 lorsque la direction clandestine de la JC fut décapitée par la police, mais il ne fut pas alors immédiatement identifié, Mencarelli – qui était venu manger ses parents – ne l’ayant pas dénoncé d’après lui. C’est lors d’un interrogatoire que l’un des inculpés lâcha que Benoît était le frère de René Moreu. S’occupa de la défense de ses camarades en sollicitant un avocat catholique dont le nom lui avait été fourni, il avait repris rapidement contact avec le nouveau responsable régional, Jean-Louis Guillaume. Alors que les bases du Front national étaient jetées, on lui confia fin mai 1941 la tâche du Front patriotique des jeunes, à charge pour lui de recruter au-delà du milieu communiste dans le département. Il fut arrêté le 14 novembre 1941. Dans son interrogatoire, il minimisa son engagement en affirmant qu’il n’était entré à la JC qu’en réaction à l’arrestation de son frère. Sollicité par Jean-Louis Guillaume et par Mencarelli, son rôle se serait borné à acheter à deux reprises du papier – dix kilos – à l’imprimerie du Petit Marseillais, fin mars, à se procurer de l’encre et à aider Charles Mattmuller, cordonnier, son agent de liaison, à déménager la ronéo chez Charles François. Il aurait cessé toute activité après les arrestations opérées peu après. Son affaire étant instruite par le tribunal maritime de Toulon (Var), il fut écroué dans la prison maritime de cette ville, inculpé d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État et jugé le 5 décembre 1941. Il fut condamné à quinze ans de travaux forcés et dix ans d’interdiction de séjour. Il avait été dénoncé nommément avec son pseudonyme Benoît et son appartenance à la JC dans une édition spéciale de Rouge-Midi de juillet 1942 avec d’autres militants liés ou soupçonnés d’être liés au groupe dissident de Joseph Pastor comme Lucien Nédélec. Il lui était reproché une « grave faute d’indiscipline » et « une tentative d’escroquerie se couvrant d’un soi-disant mandat du CC ». En prison, Marcel Moreu assouvit sa boulimie de livres et se lia d’amitié avec le Varois Hyppolite Lambert qui se trouvait dans la cellule voisine dont il admirait la culture. Musicologue averti, Lambert, « personnage hors du commun », traduisait Heine dont il lui faisait passer des poèmes. Parmi ses compagnons partageant la même cellule se trouvèrent d’autres militants, Noël Mareschi, d’Aix-en-Provence, les Marseillais Antoine Laï, et Louis Scotto di Rinaldi, plus un cheminot de Beaucaire (Gard), Paul Deguihem. Les prisonniers politiques de Toulon furent transférés le 15 octobre 1943 à la centrale d’Eysses (Lot-et-Garonne). Marcel Moreu fut employé dans l’atelier de tailleur avec quelques militants toulonnais (Esprit Armando, Georges Beauché) ou niçois (Gaston Mouton).
Il participa aux diverses journées d’Eysses. Il reprocha à Pierre Doize, dans ses souvenirs postérieurs, d’avoir tiré les ficelles dans l’ombre, poussant en avant Henri Auzias qui le paya de sa vie. Les détenus d’Eysses furent déportés en Allemagne, via le camp de Compiègne d’où ils partirent le 18 juin 1944. Marcel Moreu fut envoyé au camp de Dachau, kommando de Blaichah (Bavière) qui travaillait pour BMW. Il retrouva la liberté le 14 mai 1945. Le retour ne fut pas sans déception. Au siège de la JC marseillaise, il était un inconnu et, si Pierre Doize l’accueillit avec chaleur, il eut le sentiment qu’il n’avait pas de temps à perdre avec lui. Personne ne lui proposa d’adhérer au PCF. Grâce à sa femme qui s’était renseignée, sa réussite au concours de maitre tailleur militaire fut validée avec rappel. Il fut affecté à la base aérienne 104, au Bourget (Seine/Seine-Saint-Denis), le 1er juillet 1945. Il fut muté ensuite à Blida (Algérie) en 1951, puis à Marseille en 1959 où il resta jusqu’à sa retraite. Le couple qui avait désormais quatre enfants résidait à Carry-le-Rouet (Bouches-du-Rhône). Dans la région parisienne, Marcel Moreu avait pu renouer avec la peinture et avoue avoir eu choc en découvrant Fautrier. Il se remit à peindre et c’est à Aix où le couple était venu s’établir qu’il exposa en 1971. Il avait obtenu le titre de « déporté politique » en 1959, ayant renoncé auparavant, dans l’ambiance anticommuniste du moment, à faire valoir ses droits de « déporté résistant ». Mais à Aix, il retrouva Pascal Fieschi qui présidait la section locale de la FNDIRP, il se lia d’amitié avec le colonel Louis Monguilan, ancien déporté, président d’honneur de l’Union des déportés et internés et président de l’Association des Français libres du pays Aix et avec André Claverie, responsable de l’ANACR, qui l’encouragea à déposer une demande pour la carte de « déporté résistant » qu’il obtint en 1982 grâce à des attestations de Jean Mérot, d’Antoine Laï et de Raymonde Nédelec. Celle-ci, qui était l’une des jeunes femmes avec qui il avait milité à Marseille en 1941, était mariée à Charles Tillon qui résidait à Aix et avec qui il sympathisa. Militant à l’Amicale d’Eysses et dans l’association des Déportés, Marcel Moreu prit la responsabilité du bulletin trimestriel La Voix des déportés en 1980, qu’il assura durant six ans. Décoré de la Médaille militaire et de l’Ordre national Mérite, il fut fait chevalier de la Légion d’honneur en décembre 1984. Il décéda le 7 décembre 2011 non loin d’Aix, à Beaurecueil (Bouches-du-Rhône).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article235560, notice MOREU Marcel, André [pseudonyme dans la Résistance : Benoît] par Jean-Marie Guillon, version mise en ligne le 13 décembre 2020, dernière modification le 15 septembre 2022.

Par Jean-Marie Guillon

Marcel Moreu
Marcel Moreu
Photographie anthropométrique, 4 décembre 1941

OEUVRES : Ma Mémoire 1935-1945, Marseille, Éd. Familiale, 1998, 153 p. — Ma Mémoire généalogique 1736-1935, Marseille, Éd. Familiale, 1998.
SOURCES : SHD Toulon, registre d’écrou de la prison maritime 90 162. — Arch. Dép. Bouches-du-Rhône 1260 W 1. — Site de l’Amicale d’Eysses (Eysses. fr) sous le nom erroné de Moreau. — Site Mémoire des hommes SHD Vincennes GR 16 P 430932 et Caen AC 21 P 601216 (à consulter). — Nicolas Terrana, Marignanais d’adoption, Français de cœur, souvenirs des années terribles, la Résistance et la déportation, Paris, Éditions des Écrivains Associés, 1998. — SHD, Vincennes, GR 16 P 430932 (nc). — AVCC, Caen, AC 21P 601216 (nc).

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