Par Maurice Moissonnier
Né le 12 septembre 1895 à Grenoble (Isère), exécuté au camp de déportation de Flossenburg le 26 décembre 1944 ; mécanicien, puis commerçant ; militant syndical, membre du Parti communiste et de l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC), membre du comité et du bureau régional (région de Lyon) du PC, secrétaire du comité départemental de l’Ain, adjoint au maire de Villeurbanne à la veille de la Seconde Guerre mondiale ; réorganisateur du PC clandestin, arrêté en 1940 et déporté en Allemagne.
Antoine Dutriévoz avait eu une enfance difficile. Sa mère Antoinette Verrier vint s’installer à Lyon en 1899 où elle avait trouvé un emploi d’ouvrière à l’usine Lumière dans le quartier de Monplaisir. Son père, Antoine également, né à Saint-Prim, enterré à Oullins, l’avait reconnu ainsi que son frère. C’était une homme de plus de soixante ans, un minotier de la vallée du Rhône, ancien ouvrier, qui vécut en union libre avec sa mère.
L’enfant fit une bonne scolarité primaire à l’école communale de Monplaisir qu’il poursuivit sous forme de cours du soir à « La Martinère » pour devenir mécanicien d’automobile, profession moderne qui le passionnait. Il entra aux établissements Berliet avant la Première Guerre mondiale, fut mobilisé le 15 décembre 1914 mais obtint un « sursis d’appel pour rester attaché aux Établissements Berliet afin d’effectuer des travaux ressortissant des besoins de la Guerre ». Le 22 mai 1917 cependant, il fut envoyé au front, dans les rangs du 30e bataillon de chasseurs à pied et il n’obtint sa démobilisation que le 17 septembre 1919.
À son retour, il travailla encore quelques années chez Berliet et, le 30 octobre 1920, il se maria à Brenthonne (Haute-Savoie) avec Dora Trottet, fille d’un tailleur de pierre socialiste. Son frère l’incita à changer de profession. À l’aide d’emprunts contractés auprès d’amis et de parents, il parvint à devenir gérant puis propriétaire du cabinet de marchand de fonds « La Gauloise », rue Stella à Lyon. Il assimila au prix d’un gros travail personnel les connaissances en législation et en comptabilité nécessaires à l’exercice de cette nouvelle profession.
Cette démarche promotionnelle n’avait cependant pas pour but de renier ses origines ouvrières : fortement marqué par son passage parmi les travailleurs de chez Berliet et parmi les soldats des tranchées, il ne chercha jamais à fuir le combat social. Dès son retour, il avait entrepris d’aider Félix Brun* à animer l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC) et il se chargea surtout de créer les « Jeunes gardes ». Il avait, lors de son séjour à l’usine, milité à la CGT et, en 1921, il adhéra au jeune Parti communiste. Il participa avec ardeur à la défense des marins de la Mer Noire, à la lutte contre la guerre du Maroc, ce qui lui valut en 1925 quelques jours de prison et le contraignit à recourir, pour éviter la répression, à un pseudonyme, celui de Triand. Il contribua au succès des manifestations lyonnaises de 1927 en faveur de Sacco et Vanzetti.
Secrétaire de cellule, puis du « rayon » de Villeurbanne après avoir, en 1926, été membre du comité de « rayon », il prit de nouvelles responsabilités à la direction du Parti communiste dans le Rhône au début des années 1930. En 1934-1935, il fit partie du comité régional du PC. À la conférence régionale d’Oullins (4-5 décembre 1937), il entra au bureau régional et devint secrétaire départemental de l’Ain. Il fut d’ailleurs délégué au IXe congrès du PC (Arles 25-29 décembre 1937) mais, en 1938, à la veille de la Conférence de Gennevilliers, lors de la conférence régionale des 10 et 11 novembre, il ne fut pas reconduit dans ses responsabilités. Le travail qu’il accomplissait devenait en effet de plus en plus lourd : l’un des rares communistes d’alors à disposer d’une voiture, il transportait tous les dirigeants nationaux (J. Duclos, M. Thorez, B. Frachon, W. Rochet) en tournée dans la région, il collaborait à la Voix du Peuple, hebdomadaire régional du Parti et, surtout, en mai 1935, candidat aux élections municipales à Villeurbanne sur la liste du Bloc ouvrier et paysan, il fut élu et devint adjoint au maire de la ville, Camille Joly*. Il joua un grand rôle dans la mise en œuvre d’un vaste programme social de la municipalité (bâtiments communaux, hospices, colonies de vacances), organisa la défense des petits commerçants, la solidarité aux combattants de l’Espagne républicaine. En 1936, il fut candidat dans la difficile circonscription de Trévoux (Ain) aux élections législatives et obtint un succès relatif avec 3 036 voix (inscrits : 22 866 ; votants : 19 001). Candidat aux élections cantonales d’octobre 1937 pour le siège de conseiller général de Montluel (Ain), il rassembla 519 voix. Délégué au congrès national d’Arles, 25-29 décembre 1937, il remplaça en février 1938, Léon Laudet comme secrétaire départemental du PC de l’Ain.
Lorsque survint la guerre de 1939, il fut mobilisé au 14e BOA jusqu’en novembre de la même année avant d’être renvoyé « dans ses foyers » en raison de son âge. C’était le moment où, depuis le 23 octobre, la direction régionale du PC venait d’être décapitée par des arrestations massives. Immédiatement, il collabora à la reconstitution clandestine du Parti à Lyon. Le 20 janvier 1940, il fut arrêté et le 17 janvier 1941, le tribunal militaire de la 13e division, après décision du tribunal militaire de cassation permanent de Lyon (en date du 11 décembre 1940) confirmait la condamnation d’Antoine Dutriévoz. Accusé d’avoir « manifesté une activité ayant eu [...] pour objet de propager des mots d’ordre émanant ou relevant de la IIIe Internationale » et « donné sous couvert d’une action entreprise par les syndicats des métaux ou textile ou des locataires, des directives à un groupe de militants communistes », il fut condamné à cinq ans d’emprisonnement, 4 000 F d’amende et à la privation pendant dix ans de ses droits civiques... Devant le tribunal il avait déclaré : « Je n’ai pas à répondre devant vous de mes actes ; élu du peuple, c’est le peuple qui me jugera ».
Transféré de prison en prison : Saint-Paul et Montluc à Lyon, Clermont-Ferrand, Saint-Étienne, il arriva le 15 octobre 1943 à la Centrale d’Eysses. Il prépara l’insurrection au sein de la direction militaire des détenus et, le 19 février, quand éclata la révolte de la prison, il dirigea l’action d’une section. Il subit la répression qui suivit l’échec du mouvement. Libérable le 31 mai 1944, il fut maintenu en détention et, le 18 juin, livré à la Gestapo puis dirigé sur Dachau, via Compiègne. Il connut le camp d’Allach, puis le terrible commando de la mort d’Hersbruck où il tomba gravement malade en décembre 1944. De son arrivée à Dachau, en juillet, jusqu’à cette date il participa à l’organisation clandestine du camp et devint le chef des groupes de la France combattante dans sa baraque (témoignage écrit de É. Aubert* en date du 16 octobre 1946). Le 26 décembre 1944, les SS, qui l’avaient transféré au camp de Flossenburg, le reconnurent inapte au travail et l’exécutèrent à l’aide d’une piqûre à l’essence.
Le 12 octobre 1948, Dutriévoz fut homologué au grade de lieutenant de l’armée française ; le 29 septembre 1946, une partie de l’avenue Thiers fut baptisée à Villeurbanne avenue Dutriévoz. Dans la région lyonnaise, de nombreuses cellules du Parti communiste portent son nom.
Par Maurice Moissonnier
SOURCES : La Voix du Peuple, hebdomadaire régional du PC, 1935-1939. — La Révolte de la Centrale d’Eysses, amicale des anciens d’Eysses. — Documents familiaux et informations transmis par Gaby Mauzé-Dutriévoz. — L’Éclaireur de l’Ain, 17 octobre 1937, 6 février et 10 avril 1938. — Notes de Ch. Sowerwine.
http://lerizeplus.villeurbanne.fr/a...