RODRÍGUEZ BARROSO Francisco

Par André Balent

Né le 24 juin 1910 à Séville (Andalousie, Espagne), mort au début août 1944 (après le 6) à Laguiole (Aveyron) ; officier de police ; secrétaire du 412e Groupement de travailleurs étrangers (GTE) à Ille-sur-Têt (Pyrénées-Orientales) puis à Capdenac et Decazeville (Aveyron) ; militant de la CNT (Confédération nationale du Travail) en Espagne, puis clandestin en France ; enlevé à Decazeville le 6 août 1944 par des membres communistes de de l’Unión nacional española (UNE), retrouvé mort à Laguiole

Francisco Barroso était le fils de Rafael Rodríguez et de Candeleria Barroso. En 1936, il habitait en Catalogne et était un militant anarchiste affilié à la CNT. En 1937, il était officier de police en uniforme du Cos de Seguretat (Corps de sécurité) de la Generalitat de Catalogne. Il intégra ensuite l’Armée populaire de la République espagnole dont il était officier.

Après la Retirada, en février 1939, il fut interné à Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales). À la fin de 1940 et au début de 1941, il était interné à l’îlot Nord de ce camp. Le 18 janvier 1941, il quitta le camp d’Argelès et intégra le 412e GTE d’Ille-sur-Têt qui fonctionna dans cette localité à partir du 20 janvier. Il remplaçait le GTE 409 (à Ille, du 17 novembre 1940 au 20 janvier 1940). En effet, après les inondations cataclysmiques d’octobre 1940 qui dévastèrent les deux tiers des Pyrénées-Orientales, il fallut reconstruire, réparer les énormes dégâts causés par les crues gigantesques des cours d’eau roussillonnais. Les GTE récemment créés furent mis à contribution. Le GTE 412 était commandé par le capitaine d’aviation André Herry. Francisco Rodríguez Barroso, ancien officier de l’armée républicaine, qui devait connaître suffisamment de français parlé et écrit le seconda dans sa tâche, assurant comme tous les étrangers exerçant ce type de fonctions dans les GTE, des fonctions de secrétariat. Le 412e GTE était divisé en quatre sections de 50 hommes dont la direction était assurée par l’un d’entre eux désigné pour ses aptitudes et compétences. Le 412e GTE fut employé à la réparation des nombreux canaux d’irrigation du secteur, indispensables à l’agriculture, et à la restauration des berges de la Têt, du Boulès son affluent, et du Gimenell, sous-affluent. Lorsque, en juin 1943, ces objectifs furent atteints, le 412e GTE fut transféré à Decazeville (Aveyron) où ses hommes furent employés dans les mines de charbon.

Pendant son séjour à Ille, Francisco Rodríguez s’intégra suffisamment à la vie de la localité. Il s’y maria le 23 mai 1942 avec Simone Fabre, fille d’Auguste Fabre et de Margueritte Blanc. Une fille, Christiane, naquit de cette union. Il avait maintenu des relations épistolaires avec sa mère, Candelaria Barroso qui vivait toujours à Séville. Le 15 mai, à la veille de son mariage, elle lui adressa un courrier lui faisant part de ses vœux de bonheur et demandant qu’il lui envoie sa photo de mariage. Alors qu’il résidait à Ille-sur-Têt, Francisco Rodríguez demeura membre clandestin de la CNT. Il accepta des responsabilités dans l’organisation et participa à plusieurs réunions de l’organisation en zone sud régionaux. L’une d’elles eut lieu en juillet 1941 à Égletons (Corrèze) où des travailleurs espagnols réfugiés de la Retirada étaient employés à la construction du barrage de l’Aigle sur la Dordogne (communes de Soursac et Chalvignac).

La majorité des effectifs du GTE 412 toujours dirigés par le capitaine Herry et encadrée par Francisco Rodríguez fut mutée en juin 1943 à Decazeville (Aveyron). Les travailleurs de ce GTE furent affectés aux mines et usines de cette ville industrielle. Pour sa part, Rodríguez était cantonné à Capdenac (Aveyron) et se rendant tous les jours à Decazeville. Il enregistrait les entrées et sorties des travailleurs affectés à des hauts fourneaux de la société CFD (Commentry, Fourchambault, Decazeville) : il s’agissait de travaux qualifiés de pénibles et les membres des GTE qui y travaillaient étaient ceux d’une "section disciplinaire". Les fonctions de Rodríguez au GTE lui permirent d’intervenir en faveur de tous les Espagnols travaillant à Decazeville, indépendamment de leurs affiliations politiques. Il tira d’affaire des communistes ainsi que l’expliquent divers témoignages recueillis en 1984 (Les dossiers noirs d’une certaine résistance …, op. cit., p. 115-127). Le 10 janvier 1944, à 12 heures, le commissaire des renseignements généraux à Rodez signala dans son rapport hebdomadaire de renseignements à l’intendant régional de Police de Montpellier (le milicien Pierre Marty) que la police allemande arrêta Francisco Rodríguez Barroso et perquisitionna son domicile à Decazeville. Il fut par la suite relâché. Le 14 mai 1944, Rodríguez signala à la gendarmerie que l’un des travailleurs dont il assurait l’encadrement, José Mateu Martínez né à Almeria le 21 mars 1921 avait quitté le groupe. Le 30 juillet 1957, l’inspecteur de police Jean Rodez en poste à Decazeville estimait dans un rapport au commissaire principal que seul Mateu était à même de donner des indications précises quant au sort de Francisco Rodríguez. Sans doute, Mateu était-il membre de l’UNE et de l’AGE et avait-il gagné un maquis. Il aurait donc participé à l’enlèvement de Rodríguez et participé à sa "liquidation". Mateu a aussi pu se venger du fait que Rodríguez ait signalé son départ du GTE à la gendarmerie.

Militant de la CNT, Francisco Rodríguez avait été l’objet de pressions d’éléments du Parti communiste d’Espagne (PCE), surtout après que ce parti, ou, du moins son organisation clandestine en France, eut impulsé la constitution, en 1941-1942, de l’UNE (Unión nacional española et de sa branche armée, l’AGE (Agrupación de guerrilleros españoles. Le PCE avait l’intention de regrouper, sous sa direction l’ensemble des antifranquistes. Il se heurtait au refus de la plupart de militants des autres tendances de l’antifranquisme. Peu après la Libération de zone Sud, dans la deuxième quinzaine d’août 1944, PCE, UNE et AGE prétendirent aboutir à la Reconquista (Reconquête) de l’Espagne : ce fut l’échec de l’offensive des guérilleros de l’AGE depuis les Pyrénées, en particulier celui de l’attaque principale au Val d’Aran en octobre 1944 (Voir López Tovar Vicente). Des dirigeants communistes (pas tous !) décidèrent alors de procéder à des représailles sanglantes contre ceux qu’ils estimaient être des traitres puisqu’ils ne partageaient pas les mêmes analyses et objectifs. Antonio Téllez, anarchiste qui se retrouva momentanément dans les rangs de l’AGE puisqu’il appartenait à sa IXe brigade (Aveyron) qui s’était déplacée à Saint-Girons afin de participer à la Reconquista de España, assista, en octobre 1944, à une discussion où fut évoquée une « expédition punitive » à Decazeville contre le comité régional de la CNT dont le secrétaire, Àngel Aransaez, résidait dans cette ville. Téllez fit aussitôt prévenir ses camarades de Decazeville. Les témoignages concernant cette affaire recueillis en 1984 (op. cit, 1984), en particulier celui d’Aransáez, ont été plus tard confirmés par des documents des Archives départementales de l’Aveyron publiés et commentés en 2012 (op. cit.).

Parce qu’il était populaire et influent, Rodríguez Barroso fut l’une des cibles des dirigeants de l’UNE decazevilloise. Ses dirigeants étaient inquiets de l’importance (réelle mais relative, pourtant) de la mouvance libertaire dans le bassin minier de Decazeville. La « liquidation » de Francisco Rodríguez Barroso avait été décidée et inquiétait d’autant plus les anarcho-syndicalistes espagnols du bassin de Decazeville qu’ils savaient que d’autres assassinats avaient eu lieu dans d’autres départements (Aude, Ariège et, bientôt, Pyrénées-Orientales), concernant non seulement certains de leurs militants mais aussi des socialistes.

Le 6 août 1944, ainsi que l’indique une note du préfet de l’Aveyron du 3 juin 1957 adressée au sous-préfet de Villefranche-de-Rouergue, il fut enlevé chez lui à Bourran, à Decazeville, (le 4 août 1944 d’après Costumero, 2011, p. 352), puis fusillé par des membres d’un "maquis espagnol", très vraisemblablement de l’UNE. En effet, même un cadre des FFI français de Decazeville, Valzegues (un FTPF sans nul doute) affirmait qu’il était été un « traitre » et, selon le témoignage (1984) d’Àngel Aransaez, le déclara publiquement. Dans son témoignage publié en 1984, Ángel Aransaez ne donne pas de date pour l’enlèvement de Francisco Rodríguez et son récit laisse penser qu’il fut enlevé après la Libération de Decazeville, en septembre et octobre 1944 lorsque des membres de l’AGE et des FTPF firent pression sur les anarchistes et les socialistes espagnols du bassin de Decazeville. Les autorités françaises ouvrirent en 1957 un supplément d’enquête sur la disparition de Francisco Rodríguez (archives départementales de l’Aveyron). Il y est rappelé que la date du 6 août 1944 fut bien celle de son enlèvement. Afin de réaliser cette enquête, précédée d’une autre, en 1955, puisque la femme de Francisco Rodríguez avait été interrogée (26 août 1955) par les gendarmes d’Ille-sur-Têt sur la disparition de son mari. En 1957, il fut aussi signalé, en 1955 par Jaime Subirats qu’un membre du GTE, Ángel Blasco, ordonnance du capitaine Herry était présent lors de l’enlèvement de Rodríguez et qu’il l’avait racontée le lendemain "avec force détails". Mais en 1957, Blasco qui habitait alors à Tournissan (Aude) ne fut pas interrogé dans le cadre de l’enquête. On sait que pour les besoins de celle-ci un dossier de 48 pages concernant Francisco Rodríguez avait été envoyé par la direction générale de le Sûreté nationale du ministère de l’Intérieur au préfet de l’Aveyron. Celui-ci l’avait communiqué à la police de Decazeville et le renvoya à Paris lorsque l’enquête fut cloturée.

Rodríguez Barroso fut tué peu après son enlèvement. Son cadavre dissimulé par un tas de pierres se trouvait près de Laguiole (Aveyron) dans le massif de l’Aubrac. D’après les publications historiques qui ont relaté les circonstances de sa mort, Rodríguez n’a pas été officiellement identifié, mais les anarchistes n’ont jamais douté qu’il s’agissait Francisco Rodríguez Barroso. Dans son dossier de 1957, il est bien dit qu’il fut tué.

Sa femme revint s’installer dans sa commune natale des Pyrénées-Orientales, Ille-sur-Têt.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article235903, notice RODRÍGUEZ BARROSO Francisco par André Balent, version mise en ligne le 27 décembre 2020, dernière modification le 4 mai 2022.

Par André Balent

SOURCES : Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1260 W 61, archives du camp d’Argelès-sur-Mer, fiche individuelle de Francisco Rodríguez Barroso. — Archives départementales de l’Aveyron, 201 W 75, Rodríguez mentionné dans un rapport du commissaire des renseignements généraux de Rodez à l’intendant régional de police à Montpellier, 16 janvier 1944 ; 201 W 152, dossier au nom de Francisco Rodríguez, 1957. — Dominique Benoît, La commune d’Ille-sur-Têt confrontée aux événements d’une époque tourmentée (1935-1945), Ille-sur-Têt, Éditions Paraules, 2020, 333 p. [p. 162-165]. — Esteve Ballester, Martine Boury, Marcel Gélis, Marcel Langand, Henri Melich, Edward Sarboni, Carolina Benito, Amapola Gracia, Dominique Grein, 1944. Les dossiers noirs d’une certaine résistance. Trajectoires du fascisme rouge, Perpignan, Cercle d’études sociales, 1984, 239 p. [Témoignages d’Antoine Tellez, Àngel Aransaez, Brigitto Ayora, Francisco Reche, p. 115-127]. — Jean Costumero, De Decazeville au Val d’Aran dans les pas d’un guérillero espagnol combattant pour la France 39-45, s. l. , Association guérilleros y reconquista, 2011, 519 p. — Alain Doboeuf, "Decazeville 1944 : un cas d’école", in : s. l., Une histoire d’imposture, Recherches et documentation d’Histoire contemporaine, 2012, p. 95-127.

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