MARTYNCIOW Jo

Par Jean-Michel Steiner

Né le 10 avril 1936 au Neubourg (Eure) ; professeur de Lettres à Saint-Étienne (Loire) ; militant du SNES, membre de la direction départementale de la Loire ; membre du PCF, membre du comité fédéral de la Loire ; 1er adjoint au maire de Mazille (Saône-et-Loire).

1956-Au lycée Louis le Grand
1956-Au lycée Louis le Grand
Jo Martynciow est au 3è rang à droite

Jo Martynciow est né à l’hôpital du Neubourg (Eure) le 10 avril 1936, de parents polonais, originaires de la région des basses Carpathes au Sud-Est de la Pologne actuelle. Sa mère, Anna Nebesio, née le 25 janvier 1900 à Olchowce, décéda en 1944 à Quatremare (Eure). Son père, Jan Martynciow, né le 15 janvier 1907 à Sloboda, décéda en 1968 à Rouen (Seine Maritime). Tous deux vinrent en France pour travailler comme ouvriers agricoles : le père en 1931, la mère à une date indéterminée. Ils n’étaient pas mariés, contrairement à ce que dit l’acte de naissance. De son enfance, Jo Martynciow a gardé le souvenir du curé qui lui apprenait le catéchisme : « une terreur, pétainiste convaincu, qui ne voulait m’appeler que du nom de ma mère, Nébésis, comme écrit par erreur sur mon acte de naissance » et de son instituteur « quelqu’un de formidable, à qui je dois beaucoup, qui m’appelait : Martincyou ».

Cette famille biologique polonaise, Jo Martynciow l’a peu connue : « ce qui fait que je ne parle pas du tout le polonais ». Quelques jours après sa naissance, il fut placé en nourrice » à Tourville-la-campagne, à une douzaine de km du Neubourg, « chez des toutes petites gens : les Lenoble ». Marcelle Lenoble (1903-1981), femme au foyer puis femme de ménages, avait fréquenté l’école mais « l’orthographe et la syntaxe lui étaient totalement indifférentes ». Georges Lenoble (1904-1996), bûcheron et ouvrier agricole, quasiment illettré, « déchiffrait péniblement les articles de l’hebdomadaire local, ne savait pas écrire et ne connaissait que les opérations simples ». La famille comptait déjà quatre filles. Jo Martynciow considéra les Lenoble comme ses véritables parents : « ils m’ont traité comme leurs fils et leurs quatre filles ont été “mes sœurs” ».

Conseillés par le maître d’école - Jean Roulois – et par le maire de la commune, ses parents de substitution obtinrent pour Jo Martynciow une bonne bourse qui lui permit de suivre des études. L’été, dès l’âge de 10 ou 11 ans, il travaillait dans des fermes pour « mettre du beurre dans les épinards » !

De 1942 à 1947, il suivit son cursus primaire à l’école de Tourville-la-campagne. Ayant réussi l’examen d’entrée en 6e, il fréquenta à partir de 1947 le lycée Corneille d’Elbeuf dont il sortit en 1954 bachelier es Philosophie. Après une année d’hypokhâgne au lycée Lakanal de Sceaux (1954-1955), puis deux années de khâgne au lycée Louis-le-Grand à Paris (1955-1957), il réussit le concours des IPES puis le CAPES de Lettres classiques. En 1966, il présenta son diplôme d’études supérieures à l’Université de Nancy et en 1968 il fut reçu (29è/92) à l’agrégation de Lettres classiques.

Professeur stagiaire au lycée Henri Poincaré à Nancy (1959-1960), il enseigna comme professeur certifié au lycée municipal de Thaon - les - Vosges, au lycée de Louviers et au lycée Claude Fauriel de Saint-Étienne où il fut professeur agrégé de chaire supérieure de 1969 à 1996.

Entre Thaon et Louviers, il remplit ses obligations militaires dont il sortit sous-lieutenant : « Pourquoi ai-je choisi de faire les EOR ? Pour être sûr d’être reconnu comme français … Longtemps, j’ai eu peur d’être renvoyé en Pologne où je ne connaissais personne ».

En 1964, il épousa à Lyon 8e, Marie Claude Collé, née le 28 janvier 1945 à Vicherey (Vosges), fille d’une institutrice, qui devint plus tard directrice d’école maternelle à Lyon, et d’un instituteur, résistant, qui participa au maquis vosgien de Corcieux et fut fusillé par les Allemands au matin du 6 juin 1944. L’un des oncles de Marie Claude Collé, mourut en déportation. Agrégée de Lettres modernes elle enseigna en chaire supérieure au lycée Etienne Mimard, puis au lycée Claude Fauriel à Saint-Étienne. Marie Claude et Jo Martynciow qui ont eu deux fils (Nicolas, né en décembre 1964, et Ivan, né en juin 1968) ont habité dans la Loire à Saint-Étienne et Saint-Héand, puis dans la Saône-et-Loire à Mazille, enfin, à Nayemont-les-Fosses près de St-Dié-des-Vosges.

Politisé très tôt, sous l’influence de son professeur de Philosophie au lycée d’Elbeuf, Pierre Alexandre, fils de Christophe Alexandre, Jo Martynciow se consacra d’abord au syndicalisme. À Nancy, il fut trésorier de l’importante (70 à 80 adhérents) section du SNES des professeurs stagiaires. À Thaon-les-Vosges, il fut élu secrétaire du S1 du SNES, au nom de la “tendance B”, proche de la CGT. Arrivé en 1964 au lycée Fauriel de Saint-Étienne, il participa activement à l’action en 1968. Lorsque le secrétaire du S1, Maurice Brivet, se retira, Jo Martynciow se présenta à sa succession en affrontant Pierre Roy « une des figures de proue du Front Unique Ouvrier (tendance lambertiste/OCI), porteur d’une pancarte impressionnante : il était membre de la CA nationale de la FEN ». Au terme d’une « longue confrontation en AG du S1 », il l’emporta par 42 voix contre 40 et demeura secrétaire du S1 pendant de longues années. Il représenta le SNES au Conseil d’administration du lycée jusqu’à la fin de sa carrière (1996). Il entra au bureau du S2 en 1970, succédant à Jean-Paul Jouvençon, puis devint secrétaire du S2 dont il rédigea les statuts, jusque là inexistants. Membre de la CA départementale de le FEN, il participa à un congrès national. Il siégea à la commission paritaire académique.

En 1974-1975, lors d’une manifestation unitaire de soutien aux salariés de Manufrance, il prononça, comme représentant de la FEN, un discours depuis le balcon de la Bourse du Travail. Il fit alors la connaissance de Joseph Sanguedolce, secrétaire de l’union départementale des syndicats CGT de la Loire qui menait les réunions de concertation pour préparer la manifestation. Il garda toujours une profonde admiration à son égard.

Après un bref passage à l’UEC, il adhéra au PCF pendant l’année scolaire 1959-1960, alors qu’il était en stage au lycée Henri Poincaré de Nancy. Il fit ce choix principalement par fidélité à la classe ouvrière : « C’est de là que je venais ! » Sa candidature au comité fédéral proposée par sa section au cours d’une conférence fédérale à Epinal, fut rejetée par André Stil, représentant du Comité Central : « Il a estimé que, pour un intellectuel, j’étais membre du Parti depuis trop peu pour participer aux travaux d’un comité fédéral ». À Saint-Étienne, il milita d’abord dans la cellule du quartier de la Terrasse, distribuant des tracts, vendant l’Huma Dimanche, dans une atmosphère de franche camaraderie : « J’aimais bien ! ». Ayant quitté le quartier, il devint membre d’un comité de section du centre ville, puis membre d’un comité de ville créé en janvier 1973 et milita dans la cellule Paul Langevin du lycée Fauriel. À partir de 1970 il participa au Comité fédéral puis au Bureau fédéral, jusqu’à sa démission du Parti, en 1990. Il ne fut candidat qu’une seule fois, sur proposition de Marc Bruyère et de Théo Vial-Massat en 7e position sur la liste communiste pour les élections régionales de 1986.

Marc Bruyère - « remarquable secrétaire fédéral » - lui confia diverses responsabilités. Membre du comité de rédaction de Regards sur la Loire, hebdomadaire de la fédération, dans lequel il signa de nombreux articles. Comme membre du Collectif départemental des intellectuels (comprenant enseignants, artistes, plasticiens, médecins, ingénieurs) il fut chargé des pages culturelles du Point du Jour avec Cécile Philp et Jean-Noël Blanc et participa à la gestion de la librairie Arts et Littérature que la Fédération tenait rue Gambetta. Ainsi fut-il amené à travailler avec la Commission nationale du livre, alors dirigée depuis le siège national du PCF par Guy Hermier. Membre de la commission fédérale de la culture, il travailla notamment avec Pierre Vial (directeur de la Comédie de Saint-Étienne) et Bernard Ceysson (directeur du Musée d’Arts moderne de Saint-Étienne), prenant part à l’élaboration du programme culture pour les municipales de 1977.

Dans le domaine culturel Jo Martynciow joua un rôle de premier plan tant à Saint-Étienne que dans la commune de Mazille (Saône-et-Loire), après 2005.
De 1965 à 1967, à la demande du proviseur, il prit en charge le « Groupe d’Art Dramatique » du lycée Fauriel. Il représenta le SNES au Conseil Culturel de la Comédie de Saint-Étienne soutenant Pierre Vial contre le ministre de la Culture Michel Guy. Pendant le mandat de maire exercé par Joseph Sanguedolce (1977-1983) il fut membre du Conseil d’administration de la Maison de la culture de Saint-Étienne ce qui donna lieu à des accrochages fréquents avec Alain Cornut, membre du Parti socialiste, adjoint en charge de la Culture. Premier vice-président de l’Association de Gestion et d’Animation de la Maison de la Culture, Jo Martynciow poursuivit trois objectifs : mettre en place un “Carrefour des images et des sons”, créer une formation musicale, obtenir du ministère l’octroi du statut Malraux. Le premier de ces projets vit le jour et déboucha sur plusieurs créations, mais lorsque la municipalité Sanguedolce perdit les élections en mars 1983, il fut abandonné comme les deux autres. Après cette défaite, Jo Martynciow eut à gérer les conséquences des décisions prises par la municipalité Dubanchet concernant la Maison de la Culture et les Rencontres cinématographiques. Le 28 juin 1983, il prit la parole sur la place de l’Hôtel de ville lors d’une manifestation de protestation.

Jo Martynciow n’était plus membre du PCF lorsqu’en 2004 Joseph Sanguedolce, président du Mémorial de la Résistance et de la Déportation de la Loire lui demanda de réfléchir avec Bernard Ceysson, à la réorganisation de l’espace du Mémorial, projet qui ne fut pas retenu.

Peu de temps après la chute du mur de Berlin, Jo Martynciow quitta le PCF expliquant son départ par plusieurs raisons : « Le "globalement positif" de Georges Marchais ; une incapacité à prendre en compte les évolutions scientifiques, technologiques, économiques, sociales, politiques ; une forme de cécité aux changements souvent profonds qui affectaient le monde de ces années-là et cela, à cause d’un enfermement sur soi ; une presse mal capable de s’ouvrir à des pensées, des analyses autres, mal capable de faire entendre ce qui, à l’intérieur même du Parti, exprimait une parole autre, pour ne pas dire dissidente ; un fonctionnement qui restait caractéristique des structures pyramidales ». Il ajoute « Je suis intervenu plusieurs fois sur ces thèmes en comité fédéral, jusqu’au jour où il m’a semblé que faire évoluer le Parti de l’intérieur était une gageure. À noter qu’après mon départ, je suis resté en bons termes avec mes anciens camarades : aucun d’entre eux n’a changé de trottoir en ville pour éviter d’avoir à me saluer ! »

Après plus de trois décennies d’adhésion au PCF, ce départ ne pouvait pas rester sans effets. Pour susciter « une réflexion collective sur la société actuelle et ses mouvements » en associant « l’ensemble des forces de gauche de Saint-Etienne », Jo Martynciow créa avec Lucien Sportisse, Pluriel, une association loi 1901 : « Pour moi, sinon pour tous les membres de l’association, Pluriel n’était pas une arme de combat contre le PC, mais le moyen, j’y insiste, d’une réflexion collective, OUVERTE (...) L’association est morte le jour où certains, à tort ou à raison en ont fait un instrument politique à des fins électoralistes, ce qui n’était pas du tout ma conception ». Plusieurs des membres de Pluriel figurèrent sur la liste, conduite par Paul Chomat aux municipales de 2002. Lors de ce même scrutin, Jo Martynciow participa aux réflexions pour la liste de gauche conduite par Gérard Lindeperg, rédigeant un projet de rénovation de l’Orchestre de Saint-Etienne et du Conservatoire. Même s’il a quitté le PCF Jo Martynciow continue d’être un lecteur assidu de l’Humanité : « C’est un journal dont j’apprécie la qualité, celle notamment des pages culturelles. Pour moi, qui ai horreur de la démagogie et du populisme, qu’ils soient de droite ou de gauche, la qualité de l’Huma est le signe d’un grand respect du lecteur. La chose n’est pas si fréquente dans nos médias actuels ! »

En 2005, Jo Martynciow et sa femme quittèrent Saint-Etienne pour habiter à Mazille, village de Saône-et-Loire. En 2008, candidat aux élections municipales, il fut élu 1er maire-adjoint, en charge du bulletin municipal, des affaires culturelles, de la bibliothèque intercommunale et de la forêt communale. Dans la communauté de communes du Clunisois, il siégea au SIRTOM et à la commission culturelle, organisant l’accueil d’architectes en spécialisation à l’Ecole de Chaillot, des soirées théâtrales, un concert de musique contemporaine. Il créa en 2008 une association des “Amis de Michel Bouillot” organisant conférences et expositions. Président de l’école de musique et de danse de Cluny et du Clunisois, il anima une soirée Chopin. En 2010, sollicité par Marie Angély Rebillard, il créa un Fonds de Dotation qui fit l’acquisition de la maison dite « des dragons », un des rares édifices civils du Moyen Age à Cluny. Fonds dont il reste le président d’honneur.

Nommé chevalier des Palmes académiques en 1986, Jo Martynciow a été ensuite officier en 1991, puis commandeur en 1996.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article235948, notice MARTYNCIOW Jo par Jean-Michel Steiner, version mise en ligne le 28 décembre 2020, dernière modification le 14 mars 2021.

Par Jean-Michel Steiner

1946- À l'école de Tourville la Campagne (Eure)
1946- À l’école de Tourville la Campagne (Eure)
1956-Au lycée Louis le Grand
1956-Au lycée Louis le Grand
Jo Martynciow est au 3è rang à droite
1983-Sur la place de l'Hôtel de Ville de Saint-Étienne
1983-Sur la place de l’Hôtel de Ville de Saint-Étienne
Le 26 juin, Jo Martynciow prend la parole lors d’une manifestation contre la politique culturelle du nouveau maire.
2012-Devant la maison des dragons à Cluny
2012-Devant la maison des dragons à Cluny

ŒUVRES : Nombreux articles dans Regards sur la Loire, l’hebdomadaire de la Fédération du PCF, et pour le quotidien Le Point du jour (1977-1978) - Colette, article du Dictionnaire des orientalistes de langue française, sous la direction de François Pouillon (2008) – “Sainte Cécile musicienne du silence”, “L’harmonie comme un rêve”, “Au commencement était le cri”, “Entre le bruit et la musique il n’y a rien”, “Pourquoi j’aime la vodka Adamov et Olivier Messiaen”, “Il était une fois la voix”, “La veille où Grenade fut prise”, “MERDRE s’il n’y avait pas de Pologne il n’y aurait pas de Polonais, chroniques parues dans la revue musicale Percussions, sous le pseudonyme de Jo Wart - « Le siècle de Pontus de Tyard, Ombres et lumières », postface de l’ouvrage de Claus-Peter HaverKamp, Pontus de Tyard (1521-1605) un curieux dans son siècle, 2015 - Préface de Rire jaune avec le diable, de Pierre Molimard, 2015- "Henri Guillemin, profession écrivain", conférence publiée dans Présence d’Henri Guillemin,Cahier n°5, Académie de Mâcon 2016.

SOURCES : Témoignage écrit de Jo Martynciow, rédigé le 25 octobre 2019. - Compléments à ce témoignage reçus le 13 mars 2021. Registre des naissances de la commune de Neubourg (Eure) 1936. — Arch. Dép. Loire, Regards sur la Loire - Le Point du jour. — Arch. Mun. Saint-Étienne. — La Tribune - Le Progrès, édition de Saint-Étienne :1974-75-76, manifestation Manufrance - 1980-1981, débats sur la Maison de la Culture - 27 juin 1983, manifestation contre les décisions culturelles de François Dubanchet - 1986, élections régionales.
BIBLIOGRAPHIE : https://www.histoire-immigration.fr/dossiers-thematiques/autour-du-travail/les-ouvriers-agricoles-polonais-en-france-au-xxe-siecle Jeanine Ponty, « Les ouvriers agricoles polonais en France au XXe siècle ». — Joseph Sanguedolce, Parti pris pour la vie, VO Éditions “Horizon syndical”, 1993, 279). — Marc Bruyère, Et si c’était à refaire, 2007, 201 p. — Gérard Lindeperg, Avec la Loire. Mémoires, tome 2 (1992-2002), 2020, éditions de l’Aube, 370 p. - Cahier du Cedmo, 40 ans après, témoignages autour de l’élection et de la gestion de la municipalité Sanguedolce (1977-1983), décembre 2017.

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