DUPUY Joseph

Par André Balent

Né le 13 mai 1876 à Rimont (Ariège), exécuté sommairement le 16 juillet 1944 à Esplas-de-Sérou (Ariège) ; militaire de carrière ; résistant , membre de l’ORA ( ?) ; victime d’une « bavure » du maquis du col de la Crouzette (Ariège), exécutée sommairement après un « procès » expéditif

Joseph Dupuy était le fils de Jean , fermier à Rimont âgé de vingt-huit ans et de son épouse Marie Soueix âgée de vingt-et-un ans. Nous ne connaissons pas son degré d’instruction car il ne figure pas sur sa fiche du registre matricule militaire. Toutefois, il était alphabétisé. Il se maria le 7 août 1910 à Castelnau-Durban (Ariège) avec Gabrielle, Anne, Honorine Fournier.

Il contracta le 28 mars 1895, en mairie de Saint-Girons (Ariège), un engagement volontaire au 76e régiment d’Infanterie (RI) en garnison à Paris, Orléans et Coulommiers. À partir de 1899, il se rengagea ensuite plusieurs fois pour des durées variables (2 ans, 4 ans). Il fut ensuite muté au 128 e RI (régiment de la Somme, en garnison à Amiens et Abbeville) puis au 67e RI, à Soissons (Aisne). Il était toujours dans ce régiment lorsque commença la Première Guerre mondiale.

Il gravit peu à peu, en temps de paix, la hiérarchie des sous-officiers : caporal le 26 septembre 1895, sergent le 4 avril 1898, adjudant le 28 novembre 1908, adjudant-chef au 67e RI le 6 juin 1912. En janvier 1913, il reçut des félicitations pour un « travail théorique et pratique » où il sut mettre en œuvre une « intelligente initiative des connaissances militaires ».

En 1914 et jusqu’à sa mutation au 406e RI, il participa aux combats des Ardennes en août 1914, puis aux batailles de la Marne (septembre 1914), des Éparges (Meuse) du 17 février au 14 avril 1915, de la Woëvre, du 5 au 14 avril 1915. Dupuy fut blessé une première fois au bras gauche lors du combat de Longuyon (Meurthe-et-Moselle) le 24 août 1914. Le 12 mars 1915 fut cité à l’ordre du régiment pour sa participation à ce combat face à Longuyon. Grièvement blessé, il « ne s’est porté en arrière qu’à bout de force et lorsque sa section a eu épuisé toutes ses munitions ». Le 11 août 1915, Joseph Dupuy fut détaché au 406e RI, régiment en cours de formation puis d’instruction au camp d’Avord et de Baugy (Cher). Le 20 octobre 1915, il fut promu sous-lieutenant à titre provisoire. Le 22 octobre 191, Joseph Dupuy intégra le 421e RI, régiment formé le 15 août 1915 à l’image du 406e, cantonné à l’arrière, à Hautefort (Dordogne) fut dissous le 15 août 1916. Joseph Dupuy intégra alors le 236e RI, le 24 août 1916. Il fut promu sous-lieutenant à titre définitif le 22 août 1917, lieutenant à titre temporaire le 21 janvier 1918 et à titre définitif le 6 mars 1918. Son régiment, d’abord cantonné dans l’Oise au début de 1916, fut ensuite engagé dans la bataille de la Somme. Au début de 1917, il était stationné le long du canal de l’Oise avant de participer à l’offensive du Chemin des Dames à partir du 16 avril. En 1918, il se trouvait à nouveau dans l’Oise. Évacué de la zone de front pour maladie le 12 avril 1918, Joseph Dupuy, rétabli, réintégra une unité combattante, après l’armistice, le 26 décembre 1918. Le 236e RI ayant été dissous en juillet 1918, il fut alors affecté au 36e RI. Pour sa participation aux combats de la Grande Guerre, Joseph Dupuy reçut la Croix de guerre avec bronze et « officier modèle », fut fait chevalier de la Légion d’honneur. Le 20 octobre 1919, il passait au 124e RI. Mais cette affectation devait être formelle car, depuis, il était détaché en mission hors de France.

Membre de la mission militaire française en Pologne de 400 officiers (parmi lesquels Charles de Gaulle) créée en avril 1919 pour apporter une assistance technique aux armées polonaises en guerre (1919-1921) contre la Russie soviétique, Joseph Dupuy rattaché à une unité combattante polonaise, accéda alors au grade de capitaine à titre polonais. Il devint capitaine (français) à titre provisoire le 6 juillet 1919. Il demeura en Pologne du 23 avril 1919 au 19 septembre 1920. Le séjour en Pologne comme détaché auprès de l’armée de ce pays lui fut intégralement compté comme « campagne ». À son retour en France, il intégra réellement « son » régiment, le 124e RI.

Mais il embarqua bientôt pour le Maroc le 12 novembre 1920, mis à disposition du résident général de France dans ce protectorat. La présence française n’était pas établie dans toutes les parties du pays. Dans certaines régions régnait une rébellion endémique qui maintint un état de guerre jusqu’en 1937. À partir de 1921, la proclamation de la République du Rif dans le protectorat espagnol du Maroc interféra avec les opérations de basse intensité menées dans la partie française. Sa fiche du registre matricule indique qu’il resta dans le « Maroc en guerre » du 12 novembre 1920 au 10 mars 1920. Il fut affecté au 1er régiment étranger le 1er juillet 1921. Dans ces campagnes militaires marocaines, beaucoup de soldats contractaient souvent de graves maladies, parfois mortelles (ce fut le cas dans la guerre du Rif). Joseph Dupuy, pour sa part, fut atteint en 1922 par un dysenterie qui dégénéra ensuite en une entérocolite chronique. Le 4 mars, fut prise la décision de la rapatrier en France. Après un congé de 126 jours, il fut affecté au 119e RI. Il passa au 46e RI le 11 décembre 1923. La 6e commission de réforme de la Seine le réforma, le 20 mai 1924, précisément pour les séquelles de sa dysenterie et des blessures de guerre. A-t-il été promu capitaine à titre définitif ? Sa fiche du registre matricule ne le dit pas. Mais retraité à Castelnau-Durban (Ariège) dans les années, on parlait toujours de lui comme du capitaine Dupuy. S’il vécut ses dernières années dans le village natal de sa femme, nous savons par ailleurs que, réformé et pensionné pour invalidité partielle (la commission de réforme de Toulouse du 19 octobre 1925, prononça une pension temporaire d’invalidité à 40 %), il s’était d’abord établi à Foix, rue du Pont, au café Lamarque.

Sa paisible retraite fut interrompue tragiquement en juillet 1944, lorsque les affrontements entre, d’une part les maquis, et d’autre part, les collaborationnistes de Saint-Girons et les forces d’occupation allemandes de cette ville atteignirent en Ariège une intensité paroxystique. En tant qu’ancien officier, Joseph Dupuy s’était rapproché de la Résistance. Il aurait, selon Claude Delpla, « été en contact avec l’ORA » (Organisation de résistance de l’Armée). Le 15 juillet 1944, des hommes de main de la Sipo-SD de Saint-Girons affiliés au PPF (Parti populaire français) massacrèrent sauvagement deux notables qui aidaient les maquis des FTPF et de l’AGE du col de la Crouzette (1242 m), Paul Laffont, ancien député et ministre et Charles Labro, médecin. René Plaisant, chef des FTPF de la Crouzette, réagit en impulsant la création d’un « tribunal du peuple » destinés à punir les traîtres et les collaborationnistes. L’historien ariégeois de la Deuxième Guerre mondiale, Claude Delpla, estima qu’il exerça une justice qu’il qualifia de « militaire ». Les guérilleros de l’AGE et le maquis (Armée secrète) de Labastide-de-Sérou furent associés à l’exercice de cette justice. Quatorze personnes furent exécutées au col de Rille (938 m), entre Rimont et le col de la Crouzette, à la suite d’expéditions punitives qui aboutirent à la mise à mort de collaborationnistes coupables d’actions contre les maquis ou de dénonciations mais qui donnèrent lieu à des « bavures » : des innocents confondus avec des collaborationnistes ou mis en cause sur la base d’informations erronées furent fusillés ou abattues par erreur, comme Joseph Pédoya de Montseron tué chez lui, confondu avec la victime désignée, un collaborationniste du village. En plus de Pédoya, quatorze hommes, vrais collaborationnistes, innocents ou même, parfois, résistants, furent « jugés » à proximité d’un autre col du massif de l’Arize, celui de la Rille (938 m), puis exécutés après avoir creusé leur propre tombe. Leurs corps, furent en règle générale inhumés près du col de la Crouzette, sur le territoire d’Esplas-de-Sérou. Ils furent retrouvés après la Libération à partir de l’automne 1944 jusqu’au printemps de 1945. Claude et Isabelle Delpla (op. cit., 2019, p. 458-459) les ont signalés dans leur livre sans indiquer leurs noms. Élérika Leroy, à la suite de son travail universitaire (op. cit., 1998 p. 53-57) nous a communiqué (4 décembre 2020) une liste nominative de dix-huit noms (Pédoya inclus). Dans les deux cas, Joseph Dupuy est du nombre. Dupuy a été dénoncé par un milicien, Pierre Estel, facteur des PTT à Castelnau-Durban : il a signalé à qui voulait bien l’entendre que Dupuy « était le chef des miliciens chargé de la lutte contre les maquis » (Delpla (op. cit., 2019, p. 458). Le rapport des renseignements généraux de l’Ariège du 26 janvier 1945 cité par Élérika Leroy (op. cit.], 1998, p. 55) signale que après que Dupuy ait été arrêté chez lui, « le groupe de maquisards se livra ensuite au pillage de l’immeuble. De l’argenterie, de l’argent, des bijoux, deux postes de radio furent pris ».

Le corps de Jules Dupuy fut retrouvé au col de la Crouzette le 25 septembre 1944 par François Piquemal, maire d’Esplas-de-Sérou. Son décès fut transcrit le 21 janvier 1945 sur le registre de l’état civil de cette commune. Après la guerre, Joseph Dupuy fut réhabilité. La mention « mort pour la France » lui fut attribuée le 11 mai 1951. Son nom fut inscrit sur le monument aux morts de Castelnau-Durban.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article236193, notice DUPUY Joseph par André Balent, version mise en ligne le 4 janvier 2021, dernière modification le 23 janvier 2021.

Par André Balent

SOURCES : Arch. dép. Haute-Garonne, 11 R 231, f° 1297, bureau de recrutement militaire de Saint-Gaudens, registre matricule, fiche de Joseph Dupuy. — Arch. dép. Ariège, 4 E 3427, état civil de Rimont, registres des naissances, acte de naissance de Joseph Dupuy avec mention marginale. — Claude Delpla, La libération de l’Ariège, Toulouse, Le Pas d’oiseau, 2019, 514 p. [p. 134, 458-459]. — Élérika Leroy, Les résistants et l’épuration. Aspects de la répression contre les collaborateurs dans le Midi toulousain 1943-1953, Mémoire de maîtrise, dir. Pierre Laborie, université de Toulouse-Le Mirail, 1998, 200 p. [p. 52-57]. — Notes communiquées, 4 décembre 2020, par Élérika Leroy (liste nominative des personnes exécutées par le maquis de la Crouzette en juillet 1944). — Site MemorialGenWeb consulté le 2 janvier 2021.

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