DELESCLUSE Jean-Baptiste.

Par Jean-Pierre Delhaye

Ath (pr. Hainaut, arr. Ath), 5 avril 1803 – 9 novembre 1861. Juriste, mandataire politique libéral, bourgmestre d’Ath, député libéral démocrate de l’arrondissement d’Ath.

Fils de Jean-Juste-Joseph Delescluse, commissaire de police d’Ath, et de Marie-Philippine-Joseph Ockerman, Jean-Baptiste Delescluse appartient à une famille de propriétaires terriens, d’hommes de loi, de fonctionnaires. Le chevalier Toussaint Delescluse, grand-père de Jean-Baptiste, est maire d’Ath sous le régime français. Il a soulevé le peuple athois contre les Autrichiens. Son oncle, Nicolas Delescluse, devient juge de paix du canton d’Ath en 1797.

Jean-Baptiste Delescluse fait ses humanités au collège d’Ath ; il les termine brillamment en 1819. Il suit probablement les cours de Théodore Jouret et Charles Blargnies. Devient-il le condisciple d’Adelson Castiau*, son cadet d’un an ? C’est presque une certitude. Dès lors, peut-on parler de l’influence d’une école athoise sur les idées sociales de Castiau, Delescluse et du secrétaire communal d’Ath de 1843 à 1858, Henri Marichal (Ath, 1816 – Ixelles, 1897) ? Ici, nous tombons dans le domaine des hypothèses.
Jean-Baptisre Delescluse étudie le droit à l’Université catholique de Louvain (Leuven, aujourd’hui pr. Brabant flamand, arr. Louvain), où obtient le grade de docteur dans cette discipline en 1824. Avocat au barreau de Tournai (pr. Hainaut, arr. Tournai), il s’installe dans la cité royale pour rentrer dans sa ville natale, quelques années plus tard. Cette période de sa vie, dénote selon le témoignage de son ami et confident le docteur J.-B. Thémont (Ath, 1811 – 1892), un temps d’étude et de réflexion. Il est regrettable que l’échevin radical, disciple de Delescluse, néglige d’évoquer les idées politiques et sociales du bourgmestre d’Ath. Adhère-t-il au Saint-Simonisme, comme l’insinuent parfois les catholiques athois ? Certains articles de l’Écho de la Dendre, rédigés par Henri Marichal, sont proches des idéaux de Saint-Simon.

Jean-Baptiste Delescluse ne joue pas un rôle actif à Ath lors des journées révolutionnaires de septembre 1830. Nommé auditeur de la Garde communale, le 27 juillet 1830, le futur leader du libéralisme athois reste fort prudent, tout comme son père qui refuse le 14 septembre 1830 de cautionner la révolte populaire.
Dès 1831, Jean-Baptiste Delescluse fait son entrée dans la vie politique communale : le 18 octobre, il est nommé échevin de la ville d’Ath. Le 7 mars 1833, à peine âgé de trente ans, il succède tout normalement à Edouard de Rouillé comme premier magistrat de la cité. Toutefois, ses initiatives bien timides en faveur des enfants d’ouvriers (notamment en matière scolaire) et son orientation politique libérale inquiètent les conseillers communaux unionistes.

Sur le plan national, dès 1834 et 1835, Jean-Baptiste Delescluse présente sa candidature à la Chambre des représentants, pour contrarier l’action du député sortant, le catholique unioniste Adolphe Dechamps. Le bourgmestre d’Ath échoue dans ses tentatives mais il parvient, sans organisation politique et sans propagande efficace, à mettre en évidence la force naissante de l’opinion libérale dans l’arrondissement. Aux élections locales de 1836, il est réélu conseiller communal. Pour rétablir la confiance dans l’unionisme, une majorité des membres du conseil jugent prudent d’écarter Delescluse du collège échevinal. Le 12 janvier 1837, Jean-Baptiste Taintenier, libéral modéré, est nommé bourgmestre d’Ath.

Le 27 mai 1839, Eugène et Ernest Defacqz, Maximilien Deghouy et Jean-Baptiste Delescluse fondent la loge maçonnique La Renaissance d’Ath. Après quelques mois d’activité, Delescluse devient vénérable de la loge et en dirige les travaux de 1839 à 1845.
En 1840, Delescluse et Louis Pilette, soutenus activement par l’Atelier, entrent au conseil provincial du Hainaut en 1840.
Le vénérable Delescluse appuie également l’action politique des francs-maçons dans les campagnes. L’élection législative du 19 juillet 1842 est particulièrement acharnée : les libéraux athois offrent la candidature de leur parti à Adelson Castiau mais celui-ci refuse. Le choix des libéraux se porte sur la personne de Jean-Baptiste Delescluse qui déchaîne une campagne de presse violence des catholiques.

Henri Marichal développe les conceptions sociales de Jean-Baptiste Delescluse dans un éditorial de l’Écho de la Dendre du 30 mars 1843 : « Cependant nous pensons que l’établissement des maisons de secours pour les pauvres, les vieillards et les infirmes, les caisses de pensions pour les veuves et les orphelins, sont des moyens efficaces qui procureront nécessairement quelque amélioration dans la position de nos ouvriers dont l’intelligence, aiguisée par l’instruction, finira par comprendre qu’il faut garder une pomme pour la soif et ne plus vivre au jour le jour, comme ils le font aujourd’hui ». Delescluse et Marichal proposent également la création d’écoles et d’ateliers. Ces quelques propositions constituent l’ébauche de leur politique sociale. Les catholiques rejettent catégoriquement toute idée de réforme sociale, même modérée.
Finalement, Delescluse recueille 458 suffrages et échoue à 17 voix près face à Adolphe Dechamps qui en obtient 475.

En 1846, l’Association libérale d’Ath se réorganise sur base ds résolutions adoptées par le Congrès national de fondation du parti. Jean-Baptiste Delescluse, chef de file des radicaux, est élu président. Il impose graduellement ses idées et oriente le libéralisme athois vers des conceptions sociales progressistes. Les élections législatives de juin 1847 ne modifient pas la situation acquise. Les catholiques Frédéric de Sécus et Alexis du Roy de Blicquy sont élus députés. Le journal catholique, La Gazette d’Ath, insiste sur le fait que Delescluse et le professeur François Cantraine (Ellezelles, 1801 – Gand, 1863) « sont tous deux candidats des francs-maçons clubistes ».

La crise politique et sociale de février 1848 inspire de vives appréhensions. Les carriers de Maffle (aujourd’hui commune d’Ath), Ath et Lessines envisagent de revendiquer l’instauration de la république. Parmi ces révolutionnaires, le tournaisien Philippe Landrieu (Tournai, 1824 – 1898), réfugié à Paris depuis 1842, fonde dans sa ville natale un éphémère Cercle républicain avec Dugardin, Delmée, Le Ray, le célèbre chansonnier, Dupré et le député Adelson Castiau. Dans son numéro du 9 mars 1848, L’Écho de la Dendre, organe des radicaux athois, exprime sa sympathie « à un peuple de frères qui combat pour obtenir les mêmes droits que nous ». La peur d’une révolution et la menace socialiste unissent les libéraux modérés et les catholiques. Le 11 avril 1848, Eugène Defacqz (Ath, 1797 – Bruxelles, 1871), membre du Congrès national de 1830, président du Congrès libéral en 1846, défend avec virulence l’indépendance de la Belgique devant les membres de l’Alliance.

En juin 1848, le prince Eugène de Ligne (1804-1880), ambassadeur de Belgique à Paris, pose sa candidature au siège sénatorial d’Ath. Charles Rogier, chef de cabinet, aurait suggéré cette décision au prince pour contrecarrer l’action du député-bourgmestre d’Ath, le radical et francophile Delescluse. Élu député à une large majorité en juin 1848, ce dernier est le seul mandataire à proposer des solutions pratiques pour résoudre la crise sociale.
Les élections communales du 22 août 1848 renforcent encore la position radicale : Jean-Baptiste Delescluse succède au bourgmestre Taintenier, et le docteur Thémont obtient le poste d’échevin. Deux progressistes, Delescluse et Thémont, dirigent la ville d’Ath, sans compter le secrétaire communal Henri Marichal, ami de toujours du député-bourgmestre. Cette répartition des mandats, qui ne laisse pratiquement aucun poste de responsabilité aux conseillers doctrinaires, explique la rupture ultérieure entre Delescluse et le groupe de libéraux modérés.

Très rapidement, les initiatives de Jean-Baptiste Delescluse en faveur du prolétariat athois effraient la bourgeoisie. Il désire créer une école d’agriculture et multiplier les ateliers de travail. Ces écoles-ateliers, organisées de 1846 à 1848, assurent la formation professionnelle des futurs carriers, des ouvriers menuisiers, des cordonniers, des relieurs, des dentellières.

La politique scolaire du bourgmestre d’Ath n’atteint pas son objectif fondamental, détruire le paupérisme. Les ateliers de travail doivent donner aux enfants des pauvres une instruction primaire et professionnelle, leur enseigner la lecture, l’écriture, l’orthographe, les quatre règles d’arithmétique, faire d’eux des citoyens utiles et recommandables. La modicité des ressources communales, l’hostilité de la bourgeoisie et l’indifférence du gouvernement expliquent l’échec de la politique scolaire de Jean-Baptiste Delescluse et Henri Marichal. Il faut peut-être y ajouter l’apathie des ouvriers misérables et analphabètes. Par ailleurs, l’administration radicale veut encourager l’épargne et étendre la prévoyance sociale parmi la classe ouvrière. Le 3 mai 1849, le conseil communal d’Ath approuve la création d’une caisse d’épargne pour l’achat de provisions d’hiver. Le nombre maximum de cotisants ouvriers est atteint en 1854 avec 163 épargnants. La caisse d’épargne disparaît en 1863, faute de soutien public.
Pour venir en aide aux indigents, Delescluse fait distribuer une soupe populaire dès 1848. En 1854, les familles pauvres reçoivent chaque jour, 1 400 litres de soupe à raison d’un demi litre par personne. La soupe populaire coûte quotidiennement 120 francs au Bureau de bienfaisance. Enfin le bourgmestre d’Ath espère, avec l’appui du gouvernement, constituer une société de crédit hypothécaire pour la construction de logements ouvriers.

Le procureur du Roi à Tournai, Hubert, traite Jean-Baptiste Delescluse de « séditieux du marché d’Ath », les 9 et 11 septembre 1854. Pour Delescluse et Marichal, les ouvriers « dont le salaire est toujours le même sont fatigués d’espérer des jours meilleurs qui n’arrivent pas » (L’Écho de la Dendre du 14 septembre 1854). Dans ces circonstances, le gouvernement (Pierre) De Decker est décidé à écarter du pouvoir communal un bourgmestre qui fait régner dans la ville « l’esprit de parti le plus exclusif » (Annales parlementaires, Chambre des représentants, 1855-1856, séance du 29 janvier 1856, Bruxelles 1856, p. 423).
À la fin de septembre 1855, on apprend à Ath la nouvelle de la désignation du catholique Charles Lor (Ath, 1806-1875), bourgmestre choisi en dehors du conseil communal. Les mandataires radicaux réagissent violemment. En séance publique du conseil communal du 29 novembre 1855, Lor est pris à partie dans un manifeste lu par François Deneubourg (1813-1894). Jean-Baptiste Delescluse et tous les conseillers progressistes sont condamnés par la cour d’appel de Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles : aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale) pour outrages écrits envers la personne de Charles Lor. Les juges sont sévères : trois mois d’emprisonnement et cinq ans d’interdiction des droits civils pour Delescluse.

En vieux lutteur obstiné, Jean-Baptiste Delescluse n’abandonne pas l’arène politique. Le 5 décembre 1860, il est élu conseiller communal par 203 suffrages sur 403 votants. Toutefois son élection est annulée parce qu’il ne possède pas de domicile réel à Ath au 1er janvier 1860.
En janvier 1861, Delescluse et ses partisans créent La Société libérale qui rassemble tous les radicaux. Les progressistes athois fondent également un hebdomadaire, L’Union (janvier 1861-juillet 1862). Les résultats de l’élection législative du 11 juin 1861 enlèvent leurs dernières illusions aux radicaux : ils recueillent seulement 545 voix contre 1 152 suffrages catholiques et 1 290 votes doctrinaires.

Quelques mois plus tard, le 9 novembre 1861, Jean-Baptiste Delescluse rend son dernier soupir. Son ami, François Deneubourg, termine ainsi son oraison funèbre : « La voix du peuple, écho de la voix de Dieu, conservera à jamais le souvenir de Jean-Baptiste Delescluse, du père des pauvres, du bienfaiteur de la ville d’Ath ». Il est difficile de confondre Delescluse avec les bourgeois démocrates qui s’apitoient sur le sort de l’ouvrier, défendent leurs droits et proposent quelques mesures protectrices.

Pour la défense du prolétariat de l’arrondissement d’Ath, Jean-Baptiste Delescluse s’engage, corps et âme, dans une lutte inégale : il est entouré, soutenu par un groupe d’idéalistes, le secrétaire communal d’Ath, Henri Marichal, le docteur Jean-Baptiste Thémont, échevin radical d’Ath et conseiller provincial du Hainaut, le vétérinaire François Deneubourg, conseiller communal, Edouard Themon-Dessy, conseiller communal et éditeur de L’Écho de la Dendre, contre la bourgeoisie urbaine et l’aristocratie rurale.
Comment expliquer l’échec de la politique progressiste du bourgmestre d’Ath et de ses amis ? Sur le plan local comme sur le plan national, l’obstination conservatrice, libérale ou catholique, empêche ou retarde toute réforme sociale, même partielle. Ath n’échappe pas à cette règle : Jean-Baptiste Delescluse, disciple d’Adelson Castiau*, Charles Fourier, du communiste Eugène Sue, devient l’ennemi de la bourgeoisie, le fauteur de troubles, mais sa générosité sans limites lui attire la sympathie du peuple qui le surnomme « père des pauvres ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article236260, notice DELESCLUSE Jean-Baptiste. par Jean-Pierre Delhaye, version mise en ligne le 5 janvier 2021, dernière modification le 5 janvier 2021.

Par Jean-Pierre Delhaye

SOURCE : DELHAYE J.-P., « Un radical, précurseur du socialisme : Jean-Baptiste Delescluse, député-bourgmestre de la ville d’Ath (1803-1861) », dans Annales du cercle d’histoire et d’archéologie d’Ath, t. XLVI, 1977, p. 241-280.

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