Par Rolf Dupuy, Marianne Enckell
Né le 6 mars 1942 à Houdan (Yvelines), mort le 23 décembre 2020 à l’hôpital Jeanne-Garnier à Paris (XVe arr.) ; historien, bouquiniste ; militant anarchiste.
Né sous un autre patronyme, d’un père ukrainien exilé à Paris où il exerçait comme chauffeur de taxi et d’une mère russe, Alexandre Skirda avait été en 1961 le cofondateur avec Roland Biard du Groupe d’études et d’action anarchiste. Il avait participé semble-t-il aux activités des Groupes d’action révolutionnaire contre la guerre d’Algérie. De tendance communiste libertaire, il milita ensuite à l’UGAC (Union des groupes anarchistes-communistes).
En 1965, il se rendit au CIRA à Lausanne avec Biard et deux autres compagnons, dans le projet de créer un CIRA à Paris, ce qui n’aboutit pas.
En mai-juin 1968 il fut l’un des animateurs de l’occupation de la faculté de Censier et avait alors adhéré au MCL (Mouvement communiste libertaire) qui venait de se constituer autour de Georges Fontenis et de Daniel Guérin. Il était membre à la fin des années 1960 du groupe Kronstadt de Paris du MCL. En 1971, suite à l’échec des pourparlers de fusion entre le MCL et l’ORA (Organisation révolutionnaire anarchiste), il adhérait à l’ORA avec le groupe (dont sa sœur Natacha, Daniel Guérin et Roland Biard). Il y fut membre de la Commission journal Front Libertaire où au cours de l’année 1971 il publia, après les avoir traduits, divers textes et documents sur Nestor Makhno, Piotr Archinov, l’insurrection de Kronstadt et les débats organisationnels des anarchistes russes autour de la Plateforme dite d’Archinov. Il fit connaître également au public francophone la figure de l’essayiste libertaire polonais, Jan Waclaw Makhaïski (1866-1926) et son ouvrage, Le Socialisme des intellectuels, critique des capitalistes du savoir. Il ne put toutefois jamais consulter les archives russes, soit qu’elles lui aient été fermées, soit pour une promesse faite à sa mère de ne jamais se rendre en Russie.
Il démissionna de l’ORA après qu’il lui fut reproché de ne pas avoir assez de pratique et de privilégier le domaine théorique, et se consacra dès lors à son travail d’historien. Bouquiniste en chambre, il tint aussi pendant plusieurs années un stand sur les quais de Paris, en face de l’Institut, rude épreuve pour sa santé.
Chercheur indépendant, il était soucieux de préserver la mémoire des militants en recueillant leurs témoignages directs, enregistrés ou filmés (avec la complicité de Bernard Baissat). Ce qui a abouti au livre de Marcel Body, Un Piano en bouleau de Carélie, constamment réédité. Il a fait de même avec André Bösiger en co-écrivant ses mémoires Souvenirs d’un rebelle, sur l’anarcho-syndicalisme en Suisse. Il enregistra également le témoignage de plusieurs militants historiques contemporains de Makhno, comme Nikola Tchorbadieff. À la fin de sa vie, il avait élargi le champ de ses recherches à l’esclavage en Russie et à l’histoire de ce pays. Il avait levé aussi un dernier lièvre dans son ultime travail de recherche : le copier-coller de Marx, montrant, après deux militants libertaires qui avaient flairé la supercherie au XIXe siècle, que le Manifeste communiste emprunta beaucoup au Manifeste de la démocratie de Victor Considérant.
Alexandre Skirda est décédé d’un cancer le 23 décembre 2020 et a été incinéré le 31 décembre au Père-Lachaise en présence de sa soeur et de quelques compagnons des Editions Spartacus, de la Fédération anarchiste et des éditions Noir et Rouge. Ses cendres sont conservées au columbarium.
« Alex était un homme généreux qui n’hésitait pas à donner beaucoup de son temps pour faire partager son admiration des personnages qu’il estimait mais il était aussi très exigeant pour ne pas trahir les idéaux des militants qu’il étudiait. J’ai beaucoup appris avec lui. » (Bernard Baissat)
Par Rolf Dupuy, Marianne Enckell
ŒUVRE : Les Anarchistes russes, les soviets et la révolution de 1917, Les Éd. de Paris-Max Chaleil, 2000 ; Autonomie individuelle et force collective. Les Anarchistes et l’organisation, de Proudhon à nos jours, éd. A.S., 1987 ; Kronstadt 1921. Prolétariat contre bolchevisme, éd. de la Tête de feuilles, 1972 ; rééd. enrichie, sous le titre Kronstadt 1921. Prolétariat contre dictature communiste, Les Éd. de Paris-Max Chaleil, 2012, – sous le titre Kronstadt 1921. Soviets libres contre dictature de parti, Spartacus, 2017 ; Nestor Makhno, le cosaque de l’anarchie, éd. A.S., 1982 ; rééd. sous le titre Les Cosaques de la liberté, Nestor Makhno et la guerre civile russe, Jean-Claude Lattès, 1985 ; – sous le titre Nestor Makhno, le cosaque libertaire (1888-1934). La guerre civile en Ukraine, 1917-1921 (revue et augmentée), Les Éd. de Paris, 1999 ; rééd. (mise à jour), 2005 ; – sous le titre Nestor Makhno. La lutte pour les soviets libres en Ukraine, 1917-1921, Cahiers Spartacus, 2020 ; Les Russies inconnues [« Rouss, Moscovie, Biélorussie, Ukraine et Empire russe, des origines (862) à l’abolition du servage (1861), essai historique »], Vétché, Paris, 2014 ; La Traite des Slaves : l’esclavage des Blancs du VIIIe au XVIIIe siècle, Les Éd. de Paris-Max Chaleil , 2010 ; Un plagiat « scientifique » : le copié-collé de Marx [« Victor Considerant, “Le Manifeste de la démocratie” (1843) - Karl Marx, “Le Manifeste communiste” (1848) »], Vétché, 2019.
SOURCES : Sylvain Boulouque, « Alexandre Skirda, l’anar du quai Saint-Michel », les influences.fr. — Anarlivres, pour la bibliographie — Serge, « Décès d’Alexandre Skirda », Le Monde libertaire en ligne. — Notes de Frank Mintz.
ICONOGRAPHIE FILMOGRAPHIE : Ecoutez Marcel Body. 1984, 57 minutes, film de Bernard Baissat avec Alexandre Skirda en ligne — Ecoutez André Bösiger, 1993, 57 minutes, film de Bernard Baissat avec Alexandre Skirda en ligne — Nestor Makhno raconté par son ami Nikola (Tchorbadieff), vers 1990.