CAUJOLLE Étienne, connu sous le sobriquet « le Casta »

Par André Balent

Né le 27 décembre 1899 à Rivèrenert (Ariège) ; mort (officiellement) le 19 juin 1944 à Rivèrenert, en fait le 17 ou 18 juillet 1944 à Esplas-de-Sérou (Ariège) ; boulanger à Rivèrenert ; soutien aux maquis du col de la Crouzette (FTPF et AGE) ; victime d’un assassinat perpétré par des maquisards de l’AGE du maquis de la Crouzette pour des motifs personnels, présenté comme une opération punitive contre un collaborationniste exécutée par des guérilleros du maquis de l’AGE (Agrupación de guerrilleros españoles) du col de la Crouzette (Ariège)

Étienne Caujolle était le fils de Jean, Célestin Caujolle, cultivateur et de Jeanne Soum âgés respectivement de vingt-neuf et vingt-quatre ans en 1899. Il se maria le 31 mai 1922 à Rivèrenert avec Anna, Marie Couret née le 18 septembre 1901 à Bérens, commune de Francazal (Haute-Garonne) : cette localité du Comminges est limitrophe de l’Ariège. Elle mourut le 1er janvier 1983 à Toulouse (Haute-Garonne). Une première fille, Reine, Marie, Étiennette naquit le le 21 décembre 1922 à Rivèrenert. Ellle se maria le 13 janvier 1944 avec Fernand Feliu, né le 18 mai 1912 à Pineda del Mar (province de Barcelone, Catalogne, Espagne), décédé le 30 avril 2004 à Muret, Haute-Garonne). Fernand Feliu, combattant de l’Armée populaire de la République espagnole, fils de maraîchers, était entré en France en février 1939, à Prats-de-Mollo (Pyrénées-Orientales) lors de la Retirada. Blessé, il avait été soigné à Ax-les-Thermes (Ariège). Plus tard, il avait été employé à Rivèrenert, commune forestière, par Étienne Caujolle dans des chantiers forestiers de charbonnage. Le boulanger de ce village était aussi un exploitant forestier. Disposant d’un véhicule, il faisait, en ces temps de restrictions alimentaires, du commerce à Perpignan et en Roussillon (Pyrénées-Orientales) : il y apportait du bois et il s’y procurait des produits maraîchers. Il disposait des autorisations nécessaires pour effectuer ces déplacements. Pendant la Seconde Guerre mondiale, un homonyme d’Étienne Caujolle était maire de Rivèrenert.

Au printemps et à l’été de 1944, Étienne Caujolle ravitaillait en pain et produits maraîchers en provenance de Perpignan, les maquis de la Crouzette (AGE et FTPF). Il accueillait des maquisards chez lui qui y trouvaient, le cas échéant, le couvert. Mais en 1944, sa femme avait une liaison avec le mitron de son mari, Joseph Galey (25 novembre 1919, Encourtiech, Ariège – 16 décembre 1983, Rivèrenert). Celle-ci dénonça son mari, le présentant comme un « collaborationniste » ami des Allemands afin de provoquer sa « liquidation ». Dans ses listes, Claude Delpla n’avait pas retenu Étienne Caujolle. Sa fille Isabelle l’a rajouté, avec son prénom et la première lettre de son nom qui lui furent communiqués par Élérika Leroy (Delpla, op. cit., 2019, p. 459).

Étienne Caujolle, qui assurait le soutien logistique des maquis espagnol et français du col de la Crouzette, fut exécuté par le maquis de l’Agrupación de guerrilleros españoles. Il s’agit d’un crime perpétré par délégation pour des motifs privés présenté comme la « liquidation » d’un homme injustement accusé de collaborationnisme. Cette version, admise après la Libération, empêcha l’ouverture d’une enquête judiciaire pour meurtre.

Robert Fareng, auteur d’une thèse sur la Résistance en Ariège (1984) qui avait recueilli des témoignages « à chaud », de 1944 à 1946, interrogé par Élérika Leroy en 1997, a mis en cause la femme de Caujolle, principale instigatrice de son exécution. Les témoignages recueillis par Élérika Leroy en février et en mars 1997, auprès de maquisards, Charles Dougnac (FTPF) et Aristide Pérille (FTPF), convergent et authentifient les propos de Fareng. Pérille a assisté à l’« arrestation » de Caujolle et Dougnac à son exécution. Ainsi Charles Dougnac : « il fallait se débarrasser du mari gênant et rien de plus tentant que de passer au maquis de la Crouzette, on va leur dire que c’est un collaborateur et puis on va leur dire ’’Embarquez-le’’. Les Espagnols sont venus le chercher, ils l’ont embarqué et ils l’ont fusillé la-haut, c’était en plein midi, je me rappelle de ça. Ils lui ont envoyé une rafale de mitraillette dans les jambes. » (Leroy, op. cit., 1998, p. 48 et témoignage de Dougnac recueilli le 2 février 1997, communiqué à l’auteur de cette notice). Plus tard, ils tirèrent une nouvelle rafale dans le ventre. Comme il bougeait encore, il fut achevé d’une balle dans le crâne. À nouveau interrogé le 14 mars 1997, Charles Dougnac confirma : « Par exemple, je prends le boulanger de Rivèrenert qui n’était pas plus milicien ou collaborateur que n’importe qui, c’est sa femme qui l’a fait exécuter. » Le 26 mars 1997, Aristide Pérille, expliqua « qu’elle voulait s’en [de son mari] débarrasser » car « elle était enceinte du mitron ». Son témoignage diverge de celui de Dougnac sur un point car il explique que ce fut une Espagnole qui donna le coup de grâce à Caujolle. Cependant, cette affirmation semble douteuse car il n’y avait pas, à notre connaissance, de femmes au maquis de la Crouzette. Caujolle a bien été, selon ces témoignages, « embarqué » et amené « là-haut » au maquis où il fut tué. Il avait été transporté dans une malle et fut enterrée dans celle-ci. Plusieurs questions — auxquelles il est sans doute trop tard aujourd’hui pour apporter une réponse — demeurent en suspens. Pourquoi des maquisards ont-ils accepté de tuer comme collaborationniste un homme qui qui les aidait ? Pourquoi certains d’entre eux ont-ils cru ceux qui l’accusaient, Anna Couret et Joseph Galey ? Anna Couret a-t-elle été l’instigatrice du meurtre, seulement parce qu’elle avait un amant dont elle eut une fille, mais aussi parce que les relations avec son mari étaient mauvaises du fait de relations de couple détériorées que l’on ne connait pas ?

La femme d’Étienne Caujolle eut, selon toute vraisemblance de Jospeh Galey, une seconde fille, Marguerite, Françoise née le 29 juin 1944. Elle s’est remariée ensuite à Rivèrenert, le 5 février 1951 avec Joseph Galey qui adopta la fille le 24 janvier 1962 sous le nom de Marguerite Caujolle Galey (jugement du tribunal civil de Foix). Si la femme semble être à l’origine de la dénonciation de son mari, il se peut aussi, d’après les témoignages cités, que l’amant, pour se débarrasser du mari, l’accusa d’être un collaborationniste, délateur de résistants. Ce furent des guérilleros de l’AGE et des maquisards des FTPF qui vinrent, en plein jour, se saisir de Caujolle et que des guérilleros exécutèrent « en plein midi » (témoignage de Charles Dougnac, 2 février 1997).

Cette « exécution » est en fait un crime de droit commun. Mais l’omertà couvrit les faits qui furent pudiquement « oubliés » jusqu’à ce qu’ils réémergent en 1997 à la suite de l’enquête menée par Élérika Leroy dans un cadre universitaire. Cette omertà ne fut pas seulement familiale. Elle concerna sans doute les villageois de Rivèrenert. Le 2 février 1997, Charles Dougnac a constaté : « Cette femme-là et ce type-là [Anna Couret et Joseph Galley] n’ont jamais eu de problèmes après la Libération. Pourtant tous les voisins, tous les gens savaient bien que le boulanger n’était ni collaborateur ni vichyssois (...) et il n’y en a aucun qui a parlé, aucun, et encore moins après la Libération ». Le 2 mars, il ajoutait : « Pas un type de Rivèrenert n’a dit ’’ cette femme-là c’est une assassine !’’ Celle-là a fait assassiner son mari, personne, absolument personne n’a parlé de cette affaire. » L’omertà fut aussi politique car les résistants, principalement d’obédience communiste (Espagnols et Français), mais aussi issus de l’AS, avalisèrent la version de l’exécution d’un traitre. Comme dans les affaires traitées par le « tribunal du peuple » de la Crouzette et ayant provoqué la mort d’innocents, civils ou résistants, l’exécution extra-judiciaire abusive, dans les circonstances que nous venons de décrire, d’Étienne Caujolle, risquait aussi d’entacher l’honneur de la Résistance couserannaise, en l’occurrence celles des maquis français et espagnol de la Crouzette.

L’état civil de Rivèrenert a retenu la date du 19 juin 1944 comme étant celle du décès d’Étienne Caujolle. Le corps ne fut pas retrouvé en octobre 1945, sur le territoire communal d’Esplas-de-Sérou, comme ceux des personnes jugées par le tribunal autoproclamé des maquis de la Crouzette. Il ne l’a pas été depuis. Le décès ne fut établi officiellement que cinq ans plus tard par le tribunal civil de première instance de Saint-Girons (Ariège), lors d’un jugement rendu le 5 octobre 1949. Ce jugement déclara qu’il était mort dans sa commune natale. Le 19 octobre 1949, il fut transcrit en marge de son acte de naissance à Rivèrenert. Fait troublant, sur l’acte de naissance de Marguerite Caujolle, le père (officiel), Étienne Caujolle, n’est pas déclaré comme étant décédé à cette date. Son décès ne peut pas dater du 19 juin 1944. Tout d’abord, un des témoins du meurtre, Charles Dougnac, a intégré le maquis le 20 juin. Il est aussi postérieur au 29 juin, date de la naissance de la seconde fille d’Anna Couret, Margueritte. En effet, dans un rapport de synthèse quotidien du 19 juillet 1944 (un mois plus tard, donc, que la date retenue pour son décès) sur l’évolution de la situation dans les départements de son ressort, la préfecture régionale signalait que la veille (ou le 17), 150 « terroristes » avaient occupé Soulon (sic), en réalité Soulan, dans la vallée de l’Arac, sur le versant méridional du massif de l’Arize, au dessous de Rivèrenert. Après leur coup de main, il est signalé dans le rapport qu’ils ont enlevé « un habitant, M. Caujolle ». En effet, Rivèrenert se trouve entre Soulan et le col de la Crouzette.

Voir Esplas-de-Sérou (Ariège), col de la Crouzette (1244 m) et col de Rille (938 m) ; Castelnau-Durban (Ariège), Rivèrenert (Ariège), 19 juin-21 juillet 1944

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article236668, notice CAUJOLLE Étienne, connu sous le sobriquet « le Casta » par André Balent, version mise en ligne le 17 janvier 2021, dernière modification le 22 mai 2022.

Par André Balent

SOURCES : Arch. dép. Ariège, 5 W 57, rapports de synthèse quotidiens de la préfecture régionale de Toulouse (Situation dans les départements de la région), 19 juillet, 1944 ; 4 E 4992, état civil de Rivèrenert, acte de naissance d’Étienne Caujolle et mentions marginales ; 3 E 6468, état civil d’Esplas-de-Sérou, acte de décès d’Étienne Caujollle et mention marginale faisant état que le décès avait eu lieu à Rivèrenert ; acte de naissance de Margueritte Caujolle-Galey et mentions marginales ; 4 E 5861, état civil d’Encourtiech, acte de naissance de Joseph Galley et mentions marginales. — Claude Delpla, La libération de l’Ariège, Toulouse, Le Pas d’oiseau, 2019, 514 p. [p. 459]. — Élérika Leroy, Les résistants et l’épuration. Aspects de la répression contre les collaborateurs dans le Midi toulousain 1943-1953, maitrise sous la direction de Pierre Laborie, université de Toulouse-Le Mirail, 1998, 200 p. [p. 48]. — Notes communiquées, 4 décembre 2020, par Élérika Leroy (liste nominative des personnes exécutées par le maquis de la Crouzette en juillet 1944). — Intégralité des témoignages de Charles Dougnac (2 février et 14 mars 1997) et d’Aristide Pérille (26 mars 1997) recueillis par Élérika Leroy et communiqués le 16 octobre 2021. — Courriel de Thérèse Pujol, petit-fille d’Étienne Caujolle, 14 octobre 2021. — Conversation téléphonique avec Thérèse Pujol, 16 octobre 2021. — Site MemorialGenWeb consulté le 23 décembre 2020.

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