ESTIER Claude [EZRATTY Hasday, Claude, dit]

Par Gilles Morin

Né le 8 juin 1925 à Paris (XVIIe arr.), mort le 10 mars 2016 ; journaliste ; militant socialiste ; membre du Parti socialiste unitaire ; secrétaire général de la CIR ; secrétaire national du Parti socialiste (1971-1979) ; élu socialiste de Paris XVIIIe arr. ; conseiller municipal et conseiller général (1971-1989 ; 1995-2001) ; député (1967-1968 ; 1981-1986) ; sénateur (1986-2004) ; député européen (1979-1981).

[Sénat]

Claude Estier est fils de Henri Ezratty, commerçant, et de Lucie Benrubi (selon l’état civil). D’origine grecque, ses parents étaient arrivés en France avant la Grande guerre. Indifférents du point de vue religieux, ils lui donnèrent une éducation laïque. Son père était sympathisant socialiste et grand admirateur de Léon Blum. Le premier souvenir politique de Claude Estier était sa présence au meeting de Luna Park où Léon Blum, devant les militants de la Seine favorables à l’intervention en Espagne, justifia sa politique de non-intervention. Claude Estier fit toutes ses études au lycée Carnot à Paris. Il y passa son premier bac. Il fut l’élève de Robert Verdier* et de Maurice Merleau-Ponty* qui animait un petit groupe de lycéens résistants. Menacé, Claude Estier se réfugia à Lyon (Rhône). Il y acheva ses études secondaires au lycée du Parc où il eut comme enseignants Georges Bidault et Jean Mairey*. Il participa alors à un petit groupe de Résistance lié à Yves Farge. Après la Libération, ce dernier, devenu commissaire de la République régional, contribua à le faire entrer au Progrès de Lyon dont il devint le correspondant à Paris. Claude Estier se trouva de ce fait immédiatement mêlé à la vie politique et assista aux grands procès de la Libération, celui du maréchal Pétain en particulier. Dans le même temps, il entra à l’École libre des sciences politique dont il sortit diplômé en 1946. Il se maria, le 16 juillet 1947, à Denise Abeille.

Claude Estier adhéra à la XVIIe section de la SFIO à la fin 1945 et entra au service politique du quotidien socialiste Le Populaire début 1947. Partisan de l’alliance avec le Parti communiste, il milita au sein de la tendance Bataille socialiste. Lorsque cette dernière fut exclue fin 1947 pour s’être opposée à la répression mise en place par Jules Moch*, il fut personnellement exclu de la SFIO et licencié du Populaire pour avoir rédigé un article hostile à Jules Moch dans La Revue Internationale où l’avait fait entrer Élie Bloncourt. Il participa à la formation du Parti socialiste unitaire qui regroupait nombre de syndicalistes de la CGT et de compagnons de route du Parti communiste et fut secrétaire de rédaction du journal.

Abandonnant de fait la politique partisane active pour une quinzaine d’année, Claude Estier continua néanmoins une carrière de journaliste engagé dans les milieux progressistes, sans pour autant être personnellement lié au PCF, et sur les marges des Nouvelles gauches. Avec Gilles Martinet*, Claude Bourdet et Roger Séphane*, il collabora à la fondation en 1950 de L’Observateur, devenu France-Observateur. Il resta collaborateur du Progrès de Lyon et fit des piges pour Libération. Au côté de Jacques Fauvet, Claude Estier collabora trois années au Monde à partir de 1955, au service politique. Il se consacra alors beaucoup à la guerre d’Indochine, puis à la guerre d’Algérie. Ayant des contacts personnels avec le FLN, il subit diverses pressions, fut inculpé et perquisitionné.

Claude Estier quitta le quotidien de la rue des Italiens en mai 1958 lorsque celui-ci, sous l’influence d’Hubert Beuve-Méry, prit position en faveur du général de Gaulle. Pour sa part, il était totalement opposé aux conditions de ce retour au pouvoir. Il entra quelques semaines plus tard à Libération, journal d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Co-rédacteur en chef de mai 1958 jusqu’à la disparition du journal en novembre 1964, après avoir connu des difficultés avec les communistes qui le considéraient comme un homme de d’Astier, il eut des relations difficiles avec ce dernier qui gardait la nostalgie du gaullisme de la France Libre. Après l’indépendance de l’Algérie, en 1962, Ahmed Ben Bella, avec lequel il s’était lié, lui proposa de participer à la renaissance de la presse en Algérie. Il refusa, estimant que ce n’était pas la place d’un Français. Après le coup d’État de Houari Boumédienne, il se vit écarté d’Algérie par les nouvelles autorités mais fut invité aux cérémonies officielles marquant le 20e anniversaire des attentats de 1954. À France-Observateur, Claude Estier se prononça pour une ligne plus indépendante de l’hebdomadaire vis-à-vis du PSU et participa à la transformation de l’hebdomadaire qui fusionna avec une équipe dissidente de L’Express pour fonder Le Nouvel Observateur.

Claude Estier, qui avait fait la connaissance de François Mitterrand* dans les années 1950, se rapprocha au début de la Ve République du député de la Nièvre qui était devenu l’un des principaux opposants du régime et développait une stratégie d’Union de la gauche. Longtemps éloigné des partis organisés, il rejoignit à sa demande le groupe des fondateurs de la Convention des institutions républicaines (CIR) dès 1963. François Mitterrand* jugeait la question de l’unité d’action avec les communistes prématurée à cette étape alors que les socialistes n’avaient pas encore commencé à réaliser leur unité. Mais comme il souhaitait que cette question soit débattue lors des premières assises nationales de la CIR, Claude Estier présenta à sa demande une motion de politique générale qui proposait l’unité sans délai. Sa motion fut repoussée sans surprise. Durant un temps ses positions l’isolèrent relativement dans la CIR, mais sa bonne connaissance du milieu de la presse en faisait un interlocuteur constant avec la Convention. En 1965, Claude Estier servit d’intermédiaire entre le président de la Convention et le PCF, plus particulièrement avec Waldeck Rochet* qui cherchait un candidat d’Union pour l’élection présidentielle de décembre. François Mitterrand* s’étant déclaré avec l’appui du PCF et de la SFIO, Claude Estier fut l’un des organisateurs de la campagne présidentielle de 1965, de laquelle il fit un récit très vivant (voir sources). Au Nouvel observateur, il s’opposa à Gilles Martinet* qui était hostile à cette candidature.

Claude Estier devint rédacteur en chef de l’hebdomadaire, Combat républicain et fut l’un des « compagnons les plus proches » de François Mitterrand*, selon l’expression même de celui-ci (préface de La Plume au Poing). Il participa à la commission permanente de la CIR en 1967-1968. Il fut encore l’un des dix-huit représentants de la CIR à la commission exécutive de la FGDS.

L’année 1967 marqua un tournant dans la carrière de Claude Estier qui fut élu député le 12 mars 1967 dans la 25e circonscription de Paris (Grandes carrières), ancien fief socialiste de Marcel Sembat* et de Daniel Mayer*, mais aussi de Jacques Duclos pour le PCF. Le candidat communiste arriva devant lui au premier tour, avec 10 124 suffrages, contre 7 061 à Estier et 16 738 au ministre des Anciens combattants, Alexandre Sanguinetti, 5 813 à un candidat centriste et 1 093 à un autre candidat de droite. Mais, dans le cadre des accords PC-PS de décembre 1966, le PCF se désista en sa faveur au second tour. Claude Estier l’emporta sur Alexandre Sanguinetti, avec 166 voix d’avance seulement (19 805 contre 19 639). Seul élu parisien de la Fédération, il fut désigné secrétaire du groupe FGDS et collabora régulièrement à ce titre avec Gaston Defferre, président du groupe. Il joua un rôle remarqué au Parlement, intervenant notamment dans les débats sur la liberté d’information et contre la publicité à l’ORTF. À la veille des événements de 1968, Claude Estier interpellait le gouvernement sur les conditions des étudiants de l’université de Nanterre et prenait position contre le projet d’expulsion de Daniel Cohn-Bendit. Il fut délégué par la FGDS pour intervenir contre la répression, le 8 mai, à l’Assemblée. Puis, il participa à l’état-major de crise réuni autour de François Mitterrand*. Avec d’autres députés conventionnels, il envisagea de démissionner après l’échec de la motion de censure de l’opposition du 22 mai.

Après la dissolution de l’Assemblée par le général de Gaulle le 30 mai 1968, Claude Estier tenta de conserver son siège gagné de haute lutte l’année précédente. Il se vit opposer un gaulliste de gauche, Louis Vallon*. Ce dernier obtint 14 623 suffrages, le communiste Nédélec 7 138, Claude Estier 6 254, un candidat du PSU 1 377, trois autres candidats se partageant les suffrages restants. Le candidat communiste cette fois ne se retira pas en sa faveur et Vallon l’emporta au second tour en dépit du désistement de Claude Estier en faveur de Nédélec (il fut distancé de plus de 3 700 suffrages au second tour).

Claude Estier joua surtout un rôle central dans le rassemblement socialiste qui se poursuivait malgré tout. Il succéda en novembre 1968 au secrétariat général de la CIR à Louis Mermaz*, ce dernier se consacrant à tenter de regagner sa circonscription de l’Isère où il avait été battu par David Rousset* en juin 1968. À ce titre, Claude Estier contribua à la rupture provisoire de la FGDS qui conduisit la CIR à refuser de participer à la création du nouveau Parti socialiste en 1969. Il participa ensuite à toutes les négociations qui aboutirent à la naissance du Parti socialiste. Par ailleurs, il fonda en 1968 une revue de réflexion politique, dont il fut le rédacteur en chef, Dire. Cette initiative personnelle de Claude Estier reçut l’appui de François Mitterrand*, qui contribua à son financement, et de son épouse Danielle qui s’occupa des abonnements. En dépit de moyens très limités, l’expérience devait durer jusqu’au congrès d’Épinay.

Claude Estier, qui n’avait pas repris son métier de journaliste pour se consacrer en permanence à l’action politique, resta sans mandat électif durant trois années. Aux élections municipales de 1971, dans le XVIIIe arrondissement, il fut élu en 2e position sur la liste d’union de la gauche conduite par le PCF mais comprenant un membre du PS (lui en l’occurence pour la CIR) et un radical. Il entra pour la première fois au conseil municipal de Paris. Il devait y siéger jusqu’en 1989 sans interruption. Il se représenta à cette date, en quatrième position, difficilement éligible, décidé à se consacrer à ses autres mandats. Bien que placé à la même position en 1995, Claude Estier fut cette fois élu, la liste de gauche conduite par Daniel Vaillant l’ayant cette fois emporté. Il quitta définitivement l’Hôtel de ville de Paris en 2001, alors que le PS emportait pour la première fois la mairie.

Après le congrès d’Épinay en juin 1971, Claude Estier fut nommé secrétaire national du Parti socialiste, chargé de la presse, et fut reconduit jusqu’au congrès de Metz en 1979, avec en sus l’information. Il était par ailleurs membre du Comité permanent de liaison de la gauche pour le programme commun en novembre 1972.

Claude Estier fut chargé par François Mitterrand* de redonner au PS un organe national pour succéder au Populaire défunt. Après avoir songé à publier un quotidien national, faute de moyens, l’équipe dut se contenter de fonder un hebdomadaire qui fut l’œuvre majeure de Claude Estier. Il devint en effet directeur de rédaction de L’Unité, hebdomadaire national du Parti socialiste qui compta 674 numéros de janvier 1972 à 1986. Il obtint que le journal soit fait par des professionnels et il publia personnellement chaque semaine un éditorial qui était très lu par les militants et souvent cité dans la grande presse.

Par ailleurs, Claude Estier participa à la reconstruction du PS sur le plan parisien, alors que celui-ci était très affaibli dans les dernières années de la SFIO et les premières années du PS. Déjà conseiller municipal, il fut personnellement candidat aux élections législatives de 1973 et 1978 et contribua à fonder un véritable bastion socialiste dans le XVIIIe arrondissement, formant « la bande des quatre » avec Lionel Jospin, Bertrand Delanoë et Daniel Vaillant. Cette action rééquilibrait aussi les tendances internes du PS, avec un progrès régulier des « mitterrandistes », à partir 1977, même si le CERES ne passa la main au niveau fédéral qu’en 1983.

Claude Estier fut élu le 10 juin 1979 à l’Assemblée des communautés européennes et fut vice-président du groupe socialiste européen. Puis, après la victoire de François Mitterrand*, les législatives de 1981 furent triomphales pour le PS à Paris : 46,4 % des suffrages et 12 députés élus, qui dirigèrent la fédération. Élu lui-même député de juin 1981 à 1986, il fut président de la délégation parlementaire de la Radiodiffusion télévision française (1981-1983), puis président de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale (1983-1986). Sénateur de Paris, élu le 28 septembre 1986, il présida le groupe socialiste au Sénat de 1988 à 2004.

Claude Estier fut encore l’un des présidents de l’Association France-URSS en 1974, président du groupe d’amitiés France-Algérie au Parlement.

Chevalier de la Légion d’honneur le 26 septembre 1986, Claude Estier a été fait officier de la Légion d’honneur le 31 décembre 2004. Déjà connu sous son nom de plume de Claude Estier, il fut autorisé en février 1986 à porter légalement ce nom. Outre les titres déjà cités, il collabora à La Revue Socialiste, à Perspectives socialistes, à France-Forum, à Faire, aux Cahiers de la République et à Après-Demain.

Installé en Dordogne mais encore actif à Paris, il poursuivit une activité littéraire intense et édita son dernier livre en 2014 : Anne Hidalgo, maire de Paris, journal de campagne.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article23668, notice ESTIER Claude [EZRATTY Hasday, Claude, dit] par Gilles Morin, version mise en ligne le 17 novembre 2008, dernière modification le 24 octobre 2016.

Par Gilles Morin

[Sénat]

OEUVRE : La gauche hebdomadaire, Paris, Armand Colin, coll. Kiosque, 1962. — Pour l’Algérie, Paris, Maspero, 1963. — Krouchtchev, Paris, Seghers, 1965. — L’Égypte en révolution, Paris, Ed. Julliard, 1965. — La Chine en 1000 images, Paris, Cercle européen du Livre, 1966 et Robert Laffont, 1976. — « L’Esprit de décembre », Les Cahiers de la CIR, 1966. — Journal d’un fédéré. La fédération de la gauche au jour le jour, 1965-1969, Paris, Fayard, 1970. — La plume au poing, Paris, Stock, 1977. — Mitterrand président. Journal d’une victoire, Stock, 1981. — La véridique histoire d’un septennat peu ordinaire (en collaboration avec V. Néiertz), Paris, Fasquelle, 1987. — De Mitterrand à Jospin : Trente ans de campagnes présidentielles, Paris, Éditions Stock, 1995. — Dix ans qui ont changé le monde : journal 1989-2000, Paris, Éditions Bruno Leprince, 2000. — Lionel Jospin, Journal d’une campagne, Paris, Cherche midi, 2000. — De Mitterrand à Jospin, Paris, Stock, 2004. — Un combat centenaire : 1905-2005 : histoire des socialistes français, Paris, Le Cherche Midi, 2005 (Documents). — J’en ai tant vu, Paris, Le Cherche-Midi, 2008. — Journalistes engagés, Le Cherche midi, 336 p. — Anne Hidalgo, maire de Paris, journal de campagne, Le Cherche Midi, 2014,

SOURCES : Arch. OURS, 2APO 1 et dossier personnel. — Arch. de la Fondation Jean Jaurès, fonds Claude Estier. — Le Monde, dossiers et documents, « Les élections législatives de juin 1981 », p. 126. — Entretien avec Claude Estier, 11 février 2008. — État civil. — Le Monde, 12 mars 2016.

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