La guerre d’agression de l’impérialisme japonais qui commença par l’action militaire dirigée contre la région Nord-Est de la Chine, la Mandchourie, en septembre 1931, devait finalement s’étendre sur une période totale de quinze années d’hostilités ininterrompues jusqu’à la défaite d’août 1945 puisque, entre-temps, le Japon conclut une alliance militaire avec l’Allemagne et l’Italie, de telle sorte que sa guerre asiatique déboucha directement sur la Deuxième Guerre mondiale.
Le conflit bouleversa profondément à la fois la structure de l’activité économique et la situation des ouvriers. Dans le cadre d’une politique inflationniste, on assista à une extension de l’industrie d’armement, ce qui eut pour résultat une exceptionnelle stimulation de l’industrie lourde. Par ailleurs, les industries exportatrices, qui utilisaient de la main-d’œuvre à très bon marché, furent également fortement encouragées, ce qui fit taxer à l’étranger les pratiques japonaises de « dumping social ». La structure économique du pays se transforma donc radicalement ; alors qu’auparavant le pôle du développement était situé du côté des industries de transformation, il passa du côté des industries lourde et chimique ; le volume du chômage diminua et l’on constata non seulement un accroissement du nombre des ouvriers, mais aussi une évolution dans leur répartition : les secteurs de la métallurgie et de l’industrie mécanique en absorbèrent une très forte proportion. Enfin, c’est en 1933 que, pour la première fois, le nombre des hommes travaillant dans les usines dépassa celui de femmes. Les statistiques concernant l’évolution de l’emploi sont les suivantes : tandis que les effectifs de l’industrie manufacturière croissaient pendant la période de 1930 à 1944 de 4 700 000 à 8 120 000, ceux de l’industrie minière de 310 000 à 780 000, et ceux des transports, télécommunications et autres entreprises d’intérêt public, de 1 290 000 à 1 590 000, d’autres secteurs de l’économie virent leur importance décroître, tels l’industrie agricole et forestière (de 13 930 000 à 11 670 000) et le commerce de gros et de détail (de 4 120 000 à 1 890 000).
Mais lorsque, à partir de 1937, on entra réellement dans un système d’économie de guerre, à la suite du déclenchement du conflit sino-japonais, le problème du manque de main-d’œuvre entra dans une phase très, critique. Devant la double nécessité d’envoyer des forces militaires impressionnantes sur le front et d’augmenter au maximum la production de matériel de guerre, le pouvoir d’État eut recours au recrutement et à la répartition forcés des travailleurs. Au nom d’une politique nationale de priorité aux affaires militaires, les autorités contraignirent les entreprises moyennes, petites et artisanales à une reconversion de leurs activités et envoyèrent de force sur les lieux de travail les femmes non mariées et sans famille à charge et, privant les ouvriers de toute liberté, soumirent la population à la surveillance des polices militaire et ordinaire. A partir de 1941, c’est-à-dire du moment où le Japon entra dans la guerre du Pacifique par l’attaque surprise de Pearl Harbor, on eut recours au travail des étudiants, des lycéens et des corps de volontaires féminins ; on alla même jusqu’à emmener de force des Coréens jusqu’aux postes de police et à faire travailler comme des esclaves les prisonniers de guerre chinois ou autres.
La condition des travailleurs, d’autre part, se détériorait. La durée des journées de travail augmenta, tandis que, sous l’effet de l’inflation, les salaires réels baissaient ; cette situation se doublait d’une extrême insuffisance des biens de consommation courante.
Après l’Incident de Mandchourie, le nombre des conflits ouvriers diminua considérablement. Les raisons en étaient, d’une part, le renforcement de la répression gouvernementale contre le mouvement ouvrier, d’autre part, la nouvelle orientation que les cadres de droite des syndicats donnèrent au mouvement : suivant aveuglément les méandres de la conjoncture, au nom du « réalisme », ils lancèrent des mots d’ordre de suspension des grèves ; cette action combinée donna les résultats escomptés.
En 1936, enfin, l’Incident du 26 février (tentative de coup d’État fomentée par de jeunes officiers de l’armée de terre) marqua les débuts du militarisme proprement dit ; à partir de cette année-là, jusqu’à la défaite, c’est-à-dire pendant dix ans, la célébration de la fête du Travail fut interdite. Et pourtant, les statistiques indiquèrent pour la même année (1936) un chiffre de 80 000 syndiqués, maximum enregistré avant-guerre (le pourcentage le plus élevé par rapport à la population laborieuse a été estimé à 7,9 % en 1931).
A la suite de l’Incident de Mandchourie, le Parti socialiste du peuple (Shakai minshūtō) adopta à son Congrès de janvier 1932 le « programme des trois anti » : antifascisme, anticommunisme, anticapitalisme. L’accent fut mis sur l’anticommunisme. D’ailleurs, les éléments d’extrême-droite de ce parti ne tardèrent pas à provoquer une scission pour fonder en mai 1932 le Parti japonais du socialisme national (Nihon kokka shakai tō), réplique du parti nazi de Hitler.
En juillet de la même année, les forces de droite de la social-démocratie s’unifièrent pour former le Parti socialiste populaire (Shakai taishūtō) dont le premier acte fut de proclamer, à propos de la guerre sino-japonaise, qu’il « soutiendrait résolument la guerre sainte de réalisation de la mission historique du peuple japonais ».
Les syndicats ouvriers dominés par des cadres de droite emboîtèrent le pas. La Fédération générale du travail (Sōdōmei ; 49 000 adhérents) fusionna en janvier 1936 avec la Fédération des syndicats ouvriers nationaux (Zenrō ou Zenkoku rōdō kumiai dōmei ; 48 000 adhérents) pour former la Fédération générale pan-japonaise du travail (Zen nihon rōdō sōdōmei) qui devait d’ailleurs se diviser de nouveau, en juillet 1939. En ce qui concerne la guerre d’agression contre la Chine, cette nouvelle Fédération générale adopta, au cours de son Congrès national d’octobre 1937, une résolution de soutien à la « guerre sainte » de libération de l’Asie ; elle publia sa « proclamation d’anéantissement des grèves » selon laquelle, pendant toute la durée de la guerre, il fallait mettre tous les conflits ouvriers en sourdine et consacrer toutes ses forces à la production d’armement.