Le déclin du mouvement ouvrier et l’association patriotique industrielle (Sangyō hōkoku kai)

Quant au Parti communiste, il poursuivit sans faiblir sa lutte d’« opposition à la guerre impérialiste ». En mai 1932, le Comintern avait mis au point avec l’assistance de KATAYAMA Sen, NOSAKA Sanzō et YAMAMOTO Kenzō entre autres, les « Thèses concernant la situation du Japon et les tâches du Parti communiste japonais », connues sous le nom de « Thèses de 32 ». Ce document procédait à une analyse des circonstances du déclenchement de « l’Incident de Mandchourie » et à une mise en garde contre le caractère violemment agressif de l’impérialisme japonais ; on y mettait également en évidence la spécificité des institutions dominantes expression de trois composantes, à savoir le régime impérial absolutiste, le système de propriété foncière « jinushienne », (id est : semi­-féodale), et le capitalisme monopolistique ; enfin, les slogans derrière lesquels devaient s’unir toutes les forces révolutionnaires, y étaient formulés : « A bas la guerre impérialiste et le système policier de l’empereur ; pour le riz, la terre et la liberté ; pour une révolution populaire établissant le gouvernement des ouvriers et des paysans. »
C’est dans sa lutte pour la paix que le prestige du mouvement communiste fut rehaussé. Son influence gagna également les mouvements culturels. En effet, le mouvement de la culture prolétarienne, qui avait vu le jour en 1921, avec le lancement de la revue Tanemaku hito (le Semeur), s’était développé en une Ligue japonaise de la littérature prolétarienne (Nihon puroretaria bungei renmei), en décembre 1925, qui se constitua, trois ans plus tard, en mars 1928, en une Ligue pan-japonaise d’art prolétarien (Zen nihon musansha geijutsu renmei ou N.A.P.F.), destinée à devenir par la suite l’Association pan-japonaise des groupements d’art prolétarien (Zen nihon musansha geijutsu dantai kyōgikai).
Lorsqu’en octobre 1931 fut créée la Ligue japonaise de la culture prolétarienne (Nihon puroretaria bunka renmei ou K.O.P.F.) qui devait être démembrée en 1934, le mouvement, loin de ne s’adresser qu’aux écrivains, artistes, musiciens, hommes de théâtre ou de cinéma, toucha des domaines tels que la recherche sociologique et l’enseignement. Bientôt, des enseignants du premier ou du second degré furent arrêtés dans tout le pays, sous le prétexte qu’ils étaient « devenus rouges ». C’est dans le cadre du mouvement pour la culture prolétarienne que se situent des écrivains ou théoriciens aussi brillants que KOBAYASHI Takiji et NORO Eitarō. Le Parti communiste réussit à pénétrer même chez les militaires
Cependant, en butte à une répression renforcée, certains cadres du Parti communiste tels SANO Manabu, NABEYAMA Sadachika, cédant au cours de leur emprisonnement, allèrent jusqu’à proclamer le « reniement » de leur adhésion au communisme et à soutenir la guerre d’agression et le système de l’empereur.
Le Parti communiste lui-même fut forcé de dissoudre son Comité central en 1935 et de suspendre la publication de Sekki (Drapeau rouge) au numéro 187 ; il fut ainsi privé de tout organe directeur unifié à l’échelon national : cette situation devait durer pendant dix ans, jusqu’à la défaite.
Les ouvriers et les syndicats les plus combatifs s’efforcèrent par des grèves, des sabotages ou encore des manifestations d’organiser la lutte contre la guerre, ou pour la sauvegarde de leurs droits vitaux ; les paysans et leurs syndicats les plus engagés se lancèrent dans des actions longues et violentes connues sous le nom de « conflits de kosaku » pour la protection de leurs droits à l’exploitation des terres ; mais sous l’effet d’une répression féroce, toutes ces organisations furent démembrées les unes après les autres, et leurs dirigeants comme leurs militants, emprisonnés.
Sous l’influence des mouvements de front populaire qui se développaient dans tous les pays d’Europe, à commencer par la France et l’Espagne, ou des mouvements nationalistes unifiés d’Asie ou encore de la stratégie de front unique antifasciste qui avait été définie par le Comintern réuni en son VIIe Congrès de 1935, on vit apparaître au Japon également un mouvement de front populaire pacifiste et antifasciste. Aux élections générales d’avril 1937, 38 candidats des partis prolétariens furent élus. Mais leur base populaire était très faible. La répression redoubla d’intensité : lorsque cette année-là furent déclenchées les hostilités sino-japonaises, le Pouvoir s’attaqua tout spécialement aux partis et syndicats légaux de gauche comme le Parti prolétarien japonais (Nihon musantō et le Conseil national des syndicats ouvriers du Japon (Nihon rōdō kumiai zenkoku hyōgikai ou Zempyō) et encore aux théoriciens de l’École marxiste Rōnō (Rōnōha) ; c’est dire que tous les organismes sur lesquels aurait pu s’appuyer un mouvement de front unifié furent détruits.
Ayant démantelé les organisations autonomes de la classe ouvrière, le pouvoir d’État entreprit de leur substituer des groupements qui lui seraient inféodés. A partir de 1938, furent constitués des groupes réunissant ouvriers et gestionnaires, et un mouvement industriel patriotique se développa qui, prônant la collaboration du capital et du travail sous les slogans « l’entreprise, c’est la famille », « l’industrie pour la patrie », visait en fait à accélérer la production d’armement. Les dirigeants de droite du mouvement ouvrier n’hésitèrent nullement à y participer.
En 1940, les deux derniers bastions que constituaient le Parti socialiste populaire (Shakai taishūtō) et la Fédération générale japonaise du travail (Nihon rōdō sōdōmei) furent contraints à la dissolution. Pour les remplacer, on constitua la Société pour le soutien au régime impérial (Taisei yokusan kai) et l’Association industrielle patriotique du Grand Japon (Dai nihon sangyō hōkoku kai ou Sampō) ; à son apogée, celle-ci compta 5 500 000 adhérents, mais elle ne fut à aucun moment un organisme de défense des ouvriers. L’Association industrielle patriotique du Grand Japon (Dai nihon sangyō hōkoku kai ou Sampō), mettant fin à toute autonomie ouvrière et contraignant par la force les travailleurs à la production de matériel militaire, n’était rien d’autre qu’un instrument pour organiser l’esclavage du travail. L’état de guerre étant bien consolidé, il fut possible d’entreprendre, l’année suivante, en décembre 1941, la guerre du Pacifique. Le mouvement ouvrier japonais en fut alors réduit pendant cinq ans, jusqu’à août 1945, à l’expectative ; isolés dans chacune de leurs usines, privés d’organismes chargés de défendre leur vie et leurs revenus, les ouvriers attendirent dans la plus grande solitude la défaite, même s’ils se livrèrent parfois à quelque action de résistance sporadique. NOSAKA Sanzō, seul membre de l’exécutif du Comintern, réussit à se rendre en Chine, à Yen’an, où, en coopération avec le Parti communiste chinois, il travailla à l’éducation des prisonniers de guerre japonais et fonda la Ligue de libération populaire du Japon (Nihon jinmin kaihō renmei), qui lutta pour une conclusion rapide des hostilités et pour préparer la démocratisation du Japon d’après la défaite. Tous les autres dirigeants du Parti communiste sans exception étaient soit emprisonnés, soit soumis à la surveillance continue de la police et leurs activités étaient strictement limitées.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article236706, notice Le déclin du mouvement ouvrier et l'association patriotique industrielle (Sangyō hōkoku kai), version mise en ligne le 29 juillet 2022, dernière modification le 13 juillet 2022.
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