Les brusques assauts du mouvement ouvrier

Dès le début de l’année 1946, un vaste courant pour un front unifié se développa visant à la formation d’un Front démocratique populaire (Minshu jinmin sensen) ; la direction de ce mouvement était entre les mains du Parti socialiste dont les cadres de droite y firent obstacle et en empêchèrent finalement la réalisation.
Le 1er mai 1946 vit la célébration de la fête du Travail, ressuscitée après dix ans d’interdiction ; c’était la dix-septième au Japon et elle se déroula sur une échelle incomparablement plus impressionnante que celles de l’avant-guerre. On estima à 500 000 le nombre des participants qui défilèrent à Tōkyō sur la place du Palais impérial et à 2 000 000 le chiffre total des manifestants dans tout le pays. Le 19 mai suivant eut lieu ce que l’on a appelé le « Premier Mai alimentaire » (Shokuryō mē dē) qui, mobilisant une foule de 3 000 000 de personnes réunies sur la place du Palais impérial, était une manifestation organisée pour exiger du gouvernement et des forces d’occupation une solution à la crise de l’alimentation. Les manifestants lancèrent également des slogans politiques tels : « A bas le gouvernement réactionnaire, pour l’établissement d’un gouvernement démocratique du peuple. » La réaction des forces d’occupation ne se fit pas attendre ; ayant proclamé : « Nous n’accueillerons pas le communisme » et : « Nous ne tolérons pas les manifestations populaires devant se dérouler dans la violence » le quartier général de l’armée d’occupation se manifesta comme force répressive.
La stratégie spécifique suivie dans la première période de l’après-guerre fut la « lutte pour le contrôle de la production » par les ouvriers. Il s’agissait en fait de s’opposer au « sabotage de la production » par les capitalistes cherchant à mettre l’inflation à profit pour réévaluer les stocks de matériel ; c’était donc une lutte pour imposer la participation des syndicats ouvriers dans le contrôle des affaires et réclamant, à travail égal, des augmentations de salaires ,et la démocratisation de la gestion des entreprises. Des combats de ce genre éclatèrent dans tout le Japon dans divers secteurs d’activité comme la presse, les chemins de fer, la sidérurgie, l’industrie mécanique, les mines, les collectivités locales autonomes et la production cinématographique.
La classe capitaliste, craignant que cette stratégie ne débouche sur un mouvement révolutionnaire d’occupation des usines, protesta contre l’atteinte aux droits de propriété et d’exploitation, riposta au moyen des interventions gouvernementales et de la répression policière.
Au cours de l’été 1946, en réponse à un plan de licenciement de 75 000 employés des chemins de fer nationaux, les syndicats proclamèrent la grève générale, qui fut un succès puisque ce plan fut abandonné. Et la grève de onze jours du Syndicat des marins se termina de même manière par le retrait du plan de licenciement de 43 000 travailleurs, annoncé par les patrons, et la garantie du plein emploi. Ces conflits avaient été soutenus par le Comité des luttes communes (Kyōdō tōsō iinkai) dont le noyau était le Congrès des syndicats d’industrie (Sambetsu kaigi). En automne 1946, le Congrès des syndicats d’industrie (Sambetsu kaigi) lança une campagne offensive pour contrecarrer l’application des plans élaborés par le gouvernement et les capitalistes de licenciements généraux et de blocage des salaires, prévus au nom de la « rationalisation » ; ces luttes se déroulèrent principalement au sein des entreprises privées, sur une base de regroupement des conflits par industrie. Malgré les entraves mises par les forces d’occupation américaines, cette « lutte d’octobre du Sambetsu » à laquelle participèrent quelque 320 000 ouvriers, conduisit au doublement du niveau des salaires et à la conquête spectaculaire des droits des travailleurs et à la reconnaissance des syndicats ouvriers. Les employés de l’industrie électrique y collaborèrent de leur côté par la mise au point d’un plan de grève dans le secteur électrique. Ensuite, ce fut le tour des travailleurs de la fonction publique qui se mirent en grève pour l’augmentation de leurs salaires et la réorganisation démocratique d’une bureaucratie héritée du système impérial d’avant-guerre. C’est ainsi que les employés de tous les services publics, de l’enseignement aux chemins de fer nationaux et aux postes et télécommunications, mirent sur pied le Comité pour une lutte commune des fonctionnaires de l’administration publique (Zen kankōchō kyōdō tōsō iinkai ou Zenkankōchō kyōtō) chargé de harceler le gouvernement par des campagnes conjointes ; ce comité regroupait 2 600 000 membres ; finalement, sur l’initiative du Congrès des syndicats d’industrie (Sambetsu), les syndicats des entreprises privées se joignirent aux combats des fonctionnaires et organisèrent le Comité national de lutte commune des syndicats ouvriers ou Zento (Zenkoku rōdō kumiai kyōdō tōsō iinkai) dont les effectifs comptaient 54 formations avec 4 000 000 d’adhérents (selon d’autres statistiques ce Comité regroupait jusqu’à 6 000 000 de membres). Le gouvernement s’opposa fermement aux revendications salariales, ce qui provoqua un préavis de grève générale pour le renversement du cabinet de YOSHIDA Shigeru et l’établissement d’un gouvernement populaire démocratique. La grève générale qui devait être déclenchée le 1er février 1947 fut interdite la veille même, le 31 janvier dans l’après-midi, par le général Mac Arthur, commandant en chef des Forces d’occupation du Japon ; son décret d’interdiction du mouvement fut retransmis à la radio par II Yashirō, le président du Comité de lutte commune des fonctionnaires de l’administration publique.
Ainsi, la grève générale du 1er février fut avortée ; cependant, les conditions de travail des employés des administrations publiques furent considérablement améliorées : les salaires furent presque doublés et chaque syndicat obtint des conventions collectives, ce qui se propagea jusque dans le secteur privé. De plus, cette lutte conjointe de grande envergure fut le point de départ d’une progression rapide du mouvement pour l’unification du front ouvrier. Tous les syndicats d’industrie se réunirent au niveau national et, en mars 1947, fut mis sur pied le Conseil national de liaison des syndicats ouvriers ou Zenrōren (Zenkoku rōdō kumiai reuraku kyōgikai) qui regroupait 84 % des ouvriers syndiqués soit 4 460 000 adhérents.
Ce Conseil (Zenrōren) n’était certes qu’un organisme consultatif de liaison organisé selon le système souple d’adhésion en bloc des groupements affiliés, mais il fut important dans la mesure où le Congrès des syndicats d’industrie (Sambetsu kaigi) comme la Fédération générale des syndicats ouvriers (Sōdōmei) y adhérèrent.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article236708, notice Les brusques assauts du mouvement ouvrier, version mise en ligne le 29 juillet 2022, dernière modification le 13 juillet 2022.
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